KLEMENT Rudolf, Adolf, Alois dit Adolphe, Camille, Frédéric, W. Steen

Par Pierre Broué

Né le 4 novembre 1908 à Hambourg, en 1910 selon la police française (en 1934) ; étudiant ; militant de l’Opposition de gauche en Allemagne, secrétaire de Trotsky d’avril 1933 à avril 1934, puis secrétaire administratif du secrétariat international de la Ligue communiste internationale, enlevé et assassiné en juillet 1938.

Rudolf Klement
Rudolf Klement

Rudolf Klement était né en 1908 à Hambourg dans une famille aisée, son père étant architecte. Le jeune homme fit ses études secondaires à Hambourg, puis entreprit des études de philologie qu’il poursuivit dans plusieurs grandes villes européennes. Il adhéra au KPD, dont il fut exclu, et c’est en 1932 qu’il rejoignit l’Opposition de gauche allemande animée alors à Hambourg par Georg Jungclas. C’est ce dernier qui, quelques mois plus tard, proposa de l’envoyer en Turquie comme secrétaire de Trotsky, tant du fait de ses connaissances en langues et de ses capacités intellectuelles que de la confiance qu’il méritait. Rudolf Klement, qui possédait déjà cinq langues, se mit aussitôt à l’étude du russe. Il arriva à Prinkipo le 27 avril 1933 et assura immédiatement le remplacement de Jan Frankel et d’Otto Schüssler, tous les deux déjà partis, dans leurs tâches de secrétariat. Silencieux, réservé et probablement timide, il gagna rapidement l’estime de Trotsky par son acharnement au travail, son rendement et sa capacité à apprendre. Il fit le voyage de la France avec Trotsky, passant par Paris pour le rejoindre en train à Royan. Il accompagna ultérieurement Trotsky, avec van Heijenoort, dans la villa de Barbizon : on sait que, dans la soirée du 12 avril 1934, l’éclairage de la motocyclette qu’il utilisait pour ses fréquents déplacements à Paris étant en panne, il fut interpellé par les gendarmes de Ponthierry, qui avaient été mis en garde contre les habitants de la maison par des lettres et coups de téléphone anonymes. Il était porteur du courrier qu’il était allé chercher à la poste de la rue du Louvre et ne put évidemment dissimuler qu’il s’agissait du courrier de l’exilé dont la police locale ignorait la présence à Barbizon. C’est cet incident qui provoqua la campagne de presse, l’expulsion de Trotsky et l’errance qui allait le conduire au mois de juillet à Domène et l’année suivant en Norvège. Klement n’accompagna pas Trotsky dans ces pérégrinations. Dès le mois de juin, sur l’insistance de Pierre Naville*, il devenait secrétaire administratif du secrétariat international, une fonction qu’il allait conserver jusqu’à sa mort et dans laquelle il fournit un travail irremplaçable, traduisant, rédigeant des circulaires, répondant aux lettres des sections, fournissant à Trotsky des renseignements de tout ordre, constituant des dossiers pour le travail. Il vivait à l’écart des militants français. Les deux portraits qu’en tracent Georges Vereeken et Gérard Rosenthal* désignent le même homme, mais avec une subjectivité différente. Pour le premier, il avait « une figure hypocrite, impénétrable, des yeux ternes, mi-fermés », tandis que le second lui a vu « derrière ses lunettes, un regard de biche myope, comme son sourire, contraint ». Il quitta Paris pour Bruxelles quand le SI s’installa en 1936 dans la capitale belge et en revint avec lui l’année suivante.

À partir du printemps 1938, il travailla beaucoup à la préparation de la conférence des partisans de la IVe Internationale : on lui vola dans le métro une serviette comprenant nombre de documents préparatoires. C’est dans cette période qu’il fit la connaissance d’un jeune Lithuanien — vraisemblablement du nom de Toman (on sait maintenant qu’il s’agit de Traubman) — dont Pierre Naville* pense qu’il était en réalité un agent du GPU. Klement, pourtant secret et méfiant, avait, comme beaucoup d’émigrés, tendance à faire confiance à d’autres émigrés et il l’introduisit chez lui, lui laissant connaître ses habitudes et tout ce qui contribuait à sa protection. C’est vraisemblablement cet homme qui prépara l’enlèvement de Klement, lequel vivait alors à Maisons-Alfort (Seine) sous l’identité d’un nommé Schmidt, de nationalité anglaise. Il fut vu la dernière fois par des camarades dans la soirée du 13 juillet et ce n’est que le 15 qu’une de ses camarades découvrit à son domicile les traces d’une absence non préparée et la disparition de nombreux documents. On ne devait pas revoir non plus le Lithuanien. Le 16 juillet, plusieurs dirigeants trotskistes reçurent des copies d’une lettre à Trotsky signée d’un vieux pseudonyme de Klement et reprenant les calomnies anti-trotskistes classiques : elle trahissait cependant, dans l’orthographe des noms et les positions des divers militants cités, une ignorance qui ne pouvait être le fait de Klement — sinon délibérément et pour indiquer qu’il écrivait contraint et forcé. Les experts consultés assurèrent qu’il ne s’agissait pas de son écriture. De ce jour, les camarades de Klement redoutèrent le pire et donnèrent la plus grande publicité possible à sa disparition.

Le 25 août 1938, on découvrit, sous un ponton de la Seine, à Meulan, un paquet contenant des débris humains : tête et jambes avaient été sectionnées dans les règles. Le 30, Pierre Naville* et Jean Rous* croyaient pouvoir reconnaître les restes de Klement. Depuis la veille, l’Humanité assurait qu’il ne pouvait s’agir des siens. Utilisant tous les arguments, y compris les dépêches de presse sur le témoignage, sur photographie, de l’épouse de Raymond Molinier*, Jeanne Martin des Pallières*, l’Humanité s’efforça ensuite de brouiller les pistes et nier que Klement eût été assassiné. C’est d’ailleurs cette attitude et la couverture fournie aux tueurs qui constitue aujourd’hui l’un des arguments les plus forts en faveur de la thèse de l’assassinat de Klement par les services secrets de Staline.

La publication des souvenirs du dirigeant des services soviétiques, Pavel Soudoplatov ont mis fin aux suppositions : « Notre jeune agent, Alexandre Traubman, connu sous le nom de code de « Galopin », est un juif lituanien qui a gagné la confiance de Klement. Traubman devient l’assistant de Klement pendant un an et demi. Une nuit, Traubman propose à Klement de se joindre à lui pour un dîner chez des amis. Il le conduit dans un appartement du boulevard Saint-Michel, à Paris. Le Turc et Korotkov l’y attendent. Le premier poignarde Klement, lui coupe la tête et met son corps dans un valise qu’il jette dans la Seine. Le cadavre décapité de Klement fut retrouvé et identifié par la police française, mais Trauban, Korotkov et le Turc se trouvaient déjà loin, en route pour Moscou. » (Missions spéciales, Seuil, 1994, p. 79).

La disparition de Klement alimenta également les luttes fractionnelles entre formations trotskistes. Le PCI de Raymond Molinier* — dont Vereeken devait développer la thèse plus tard — avait tendance à voir en Klement un agent dont ses supérieurs s’étaient débarrassés. Vereeken écrira bien plus tard que, si Klement n’était pas un agent stalinien, il était en tout cas un lâche. Il faut considérer cette opinion comme une triste manifestation des excès provoqués par les luttes et la haine fractionnelles. Rien de sérieux n’est en effet venu étayer ces accusations. Trotsky rendit un hommage chaleureux à la mémoire de son malheureux camarade.

Le dossier de l’affaire de l’assassinat de Klement a été pris en 1940 par la Gestapo et ne semble pas être revenu dans les archives de la police française.

Pour citer cet article :
https://maitron.fr/spip.php?article97396, notice KLEMENT Rudolf, Adolf, Alois dit Adolphe, Camille, Frédéric, W. Steen par Pierre Broué, version mise en ligne le 2 novembre 2010, dernière modification le 27 mars 2015.

Par Pierre Broué

Rudolf Klement
Rudolf Klement

SOURCES : Exile Papers, Houghton Library, Harvard University, correspondance de Klement (1934-1938) avec Trotsky et autres, comptes rendus, rapports, mémorandums, articles. — Hoover Institution, Stanford, correspondance de Klement avec Sedov et autres. — Pierre Broué, « Quelques proches collaborateurs de Trotsky », Cahiers Léon Trotsky, n° 1, 1979 ; Pierre Naville, « L’Assassinat de Klement », ibidem, n° 2, 1979 ; Jean-P Joubert, « Quand l’Humanité couvrait les traces des tueurs », ibidem n° 3, 1979. — Gérard Rosenthal, Avocat de Trotsky, Paris, 1976. — Léon Trotsky, œuvres, t. 18, Paris, 1984, notes de P. Broué sur l’affaire Klement. — Jean van Heijenoort, Sept ans auprès de Trotsky, Paris, 1978. — Georges Vereeken, La Guépéou dans le mouvement trotskyste, Paris, 1975. — Cahier du CERMTRI n° 37, 1985 : coupures de presse sur l’affaire Klement. — Christophe Nick, Les trotskistes, Paris, Fayard, 2002, 615 p.

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