CHAUVELON Émile

Par Didier Lemaître

Né le 21 septembre 1862 à Authon (Loir-et-Cher) ; mort le 10 mars 1939 à Paris. Professeur agrégé, libre penseur, militant socialiste, puis communiste.

Fils d’un instituteur, E. Chauvelon passa son enfance à Authon, village du Loir-et-Cher. Il poursuivit ses études au lycée de Vendôme (baccalauréat en 1881), puis en khâgne au lycée Louis-le-Grand. Une tradition à Authon veut qu’il ait été encouragé dans ses études par les gens du château du Fresne, les De Brantes. Reçu à l’École normale supérieure en 1883 (section lettres) il y eut comme condisciples et amis Joseph Bedier, Ernest Zyromski, le père du militant socialiste et Gustave Téry qui sera directeur du journal L’œuvre.

Agrégé de lettres en 1886 et licencié en droit (faculté de Toulouse en 1995), il enseigna à Tarbes (1886), à à Orléans (1886), au Mans (1887), à Lille (1889), puis à Toulouse (1891). Il serait alors devenu l’ami de Jaurès. Le contact aurait contribué à faire de lui un militant socialiste : « Il fut un grand militant, un convaincu, une nature ardente et passionnée d’une abnégation sans limites » écrit un témoin.

Nommé à Rouen (1894), à partir de 1895, il exerça à Paris, aux lycées Michelet, Saint-Louis (1896), Charlemagne (1899), puis Voltaire de 1900 à sa retraite en 1923. Son activité militante se situa à la fois sur le plan national et dans le département de Loir-et-Cher. Sur le plan national il eut une activité de journaliste, en particulier, à la Semaine Sociale, et il fut secrétaire général de la Libre Pensée. En mars 1903 il participa à la célébration du centenaire d’Edgar Quinet en prononçant un discours au cimetière Montparnasse en hommage au républicain libre penseur. Au congrès de la Libre-Pensée de décembre 1903, il fut le rapporteur sur l’abrogation de la loi Falloux et il obtint que le congrès vote « le monopole exclusif de l’enseignement » de la part de l’État. Il participa aux congrès internationaux de la Libre Pensée : Genève (1902), Rome (1904). En 1905, il se consacra à la préparation du congrès international de Paris de la Libre Pensée en tant que secrétaire du bureau de la commission d’organisation. En même temps il mena campagne pour la séparation de l’Église et de l’État. Mais, à ses yeux, la Libre Pensée n’était pas une fin en soi mais seulement « la grande voie qui mène à tous les progrès » et il précisait que le « socialisme collectiviste » doit être lié à la Libre Pensée. La lutte pour la paix était aussi une de ses préoccupations essentielles et, en 1906, il fit une conférence pacifiste à Strasbourg aux côtés d’un ex-officier allemand gagné au socialisme.

Il resta très lié au département de Loir-et-Cher et à un groupe d’amis vendômois qui mit le journal Le Progrès de Loir-et-Cher au service de l’idée socialiste. Il fut un temps le plus important rédacteur de cet hebdomadaire et, par ses articles, il initia les socialistes loir-et-chériens aux grands problèmes nationaux et internationaux.

Tout au long de 1903, il publia dans le Progrès une série d’articles exprimant ses positions de libre penseur socialiste. Dans une rubrique intitulée « La vie politique nouvelle » il exposa le rôle que doivent jouer selon lui les Universités populaires, les associations laïques et les syndicats qu’il appelait « les trois éléments essentiels de la vie nouvelle ». Il s’agissait pour lui de « mettre fin au règne de la religion », « d’ouvrir l’ère de la science », « d’enseigner la raison et la liberté », « d’affranchir l’esprit humain ». Par de nombreuses conférences, il participa à l’essor des Universités populaires en Loir-et-Cher. Ainsi, le 27 septembre 1903, il fit à Vendôme, une conférence sur l’enseignement laïque puis il se rendit à Authon avec ses amis Lantenant et Rivière pour l’inauguration de l’école laïque de filles construite en dépit de bien des oppositions locales.

En 1904, c’est plus nettement en socialiste qu’il écrivit dans le Progrès. Il y publia une rubrique intitulée « Questions sociales » et il y mena campagne contre la guerre russo-japonaise et contre une éventuelle intervention de la France. En septembre 1906, il batailla en Loir-et-Cher pour que les socialistes rejoignent le Parti socialiste unifié SFIO et, dans un éditorial du 16 septembre 1906, il les appelait à s’affirmer comme « parti d’action » pour combattre le capitalisme et le militarisme. Le 9 septembre 1906, il concluait ainsi une conférence devant le comité socialiste de Vendôme : « Il est nécessaire, il est urgent que le Parti socialiste, tout en restant intimement et étroitement uni au bloc anticlérical, intensifie son action propre, la lutte contre le capitalisme, et fasse une guerre sans merci à ces fauteurs incorrigibles et incurables de guerre, de meurtres et de massacres. » Le 18 novembre 1906, sous sa présidence en tant que délégué du conseil national de la SFIO, se tint à Blois un congrès des socialistes du Loir-et-Cher qui convoqua pour le 2 décembre le congrès constitutif de la Fédération SFIO. Ce dernier congrès, qui se tint en présence d’Allemagne et de lui-même, désigna comme délégués au conseil national : Jean Lorris titulaire, Chauvelon suppléant. Dans les années qui suivirent, il participa à la vie de la Fédération : en 1907 et 1908 il fut réélu délégué suppléant au conseil national et lors du congrès fédéral du 7 juillet 1907, il fut délégué suppléant au congrès national de Nancy et au congrès international de Stuttgart. En 1907, il collabora régulièrement au Progrès où ses éditoriaux, qui alternaient avec ceux de Jean Lorris, exaltaient le socialisme et le syndicalisme en critiquant le radicalisme allié au capital. Il publia aussi une chronique : « Les échos de l’étranger » consacrée pour une bonne part au mouvement socialiste international et où il mettait en garde contre la politique colonialiste au Maroc. Il dénonçait aussi les emprunts russes destinés à « permettre au tsar de payer ses cosaques, sa police et ses entrepreneurs de pogroms ». Sa collaboration au Progrès s’interrompit en 1908 pour reprendre en 1913. Les éditoriaux, dans le droit fil de la pensée de Jaurès, étaient alors axés sur la lutte contre la guerre.

Tout au long de la Grande Guerre, la contribution de Chauvelon au Progrès fut importante : ses articles hebdomadaires devançaient et favorisaient l’évolution de ses camarades loir-et-chériens vers une attitude d’hostilité à la guerre ; ils constituent un témoignage sur la réflexion d’un socialiste averti face à la guerre. Au début des hostilités, il considéra l’« Union sacrée » comme une nécessité, mais en lui préférant la notion d’« Union nationale » qu’il voulait laïque et républicaine. À ses yeux, il ne pouvait s’agir que d’une « guerre de défense » qui devait se terminer « par une paix sans violences et sans annexions » (Le Progrès, 3 décembre 1915). Il soutint la participation de socialistes au gouvernement, mais réclamait le respect du jeu parlementaire et des mesures contre les « profiteurs de guerre ». Il collabora à l’École (n° 1, 31 octobre 1914) qui prit la suite de l’École émancipée, revue de la Fédération nationale des instituteurs, puis à l’École de la Fédération qui lui succéda en juin 1915. Cette même année, il adhéra au Comité d’action internationale créé par Péricat. Dès le début de 1916, il remit en cause l’union sacrée, estimant que « l’heure est passée de la participation ministérielle » (Le Progrès, 18 février 1916) et se déclara favorable à la reprise des relations internationales entre partis socialistes. Il se fit ainsi le porte-parole de la minorité socialiste et il finit par amener la Fédération de Loir-et-Cher à soutenir les positions de cette dernière. Il développa désormais le problème des « buts de la guerre » qui devaient être une paix juste, durable, « sans annexions et sans conquêtes », fondée sur le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes. S’opposant aux attitudes annexionnistes, il en vint à préconiser « la sécession sacrée » sur le plan gouvernemental, et, en ce qui concerne le Parti, il opposa à l’« unité socialiste » l’« action socialiste » qu’il dit préférer. Ses articles, en raison de leur contenu pacifiste, étaient très souvent censurés.

Il s’enthousiasma pour la Révolution russe qui pour lui ouvrait la voie de la révolution universelle. Dans ses articles de 1918 il appelait les socialistes à « agir enfin en socialistes » et il entendait par-là, suivre l’exemple des bolcheviks. Cela l’amena à mettre en cause la IIe Internationale : dès le 5 juillet 1918, il concluait un éditorial : « L’heure de la IIIe internationale me semble arrivée. La seconde est pis que morte. Elle est infidèle à notre noble et pur idéal. » Il était persuadé de la proche victoire du socialisme : « Le capitalisme a vécu : la paix sera l’œuvre du socialisme intégral et international » (17 janvier 1919). Il combattait le réformisme avec des positions de classe très fermes : « Action de classe, lutte de classe, politique de classe. En dehors de cela il n’y a pas de socialisme. » (21 mars 1919).

Il se consacra désormais à la propagande en faveur de l’adhésion à la IIIe internationale. Sur le plan national, il participa à l’initiative de Péricat de création d’un Parti communiste en décembre 1919 et il siégea quelque temps à la direction du comité de la IIIe Internationale, milita à la Fédération communiste des soviets et fut rédacteur au Soviet en 1921. Il collaborait aussi à la Vie Ouvrière. Ces activités et son amitié avec Monatte furent à l’origine d’une perquisition à son domicile en mai 1920 et, le 18 octobre, il fut frappé de la peine de censure pour motifs politiques. Sur le plan du Loir-et-Cher, il mena campagne dans le Progrès en faveur de l’adhésion. Ainsi dans le numéro du 29 octobre 1920, il approuvait les conditions de l’adhésion en appelant à voter « les 21 articles, tels quels, avec le regret qu’ils ne soient pas encore plus énergiques et plus rigoureux ». Il s’affirmait partisan de la scission : « Nous rompons avec les réformistes, nous rompons avec la « collaboration de classe ». Adieu Messieurs » (19 novembre 1920). Par ses articles dans le Progrès qui s’opposaient à ceux de Paul-Boncour, il a certainement beaucoup contribué à ce que la grande majorité des socialistes de Loir-et-Cher se prononce pour la IIIe Internationale.

En 1923, il prit sa retraite de professeur et il partagea son temps entre Paris et Authon. Il collabora au journal l’Humanité et à diverses revues dont les Cahiers du Bolchevisme, en 1927 par exemple. L’Humanité du 6 mars 1928 annonça sa candidature aux élections législatives mais déclara, deux jours plus tard, que pour des raisons d’« âge » et de « santé », il s’était « vu forcé de décliner la proposition qui lui était faite par ses compatriotes et amis du Vendômois ».

Un rapport du sous-préfet de Vendôme du 20 juin 1930 le signalait comme affilié à la cellule de Château-Renault (Indre-et-Loire). À compter de 1936, il anima à Authon un comité antifasciste actif. Dans son jardin il avait fait construire un local qui servait de lieu de réunion et qu’on appelait dans la commune « la salle Amsterdam-Pleyel ». Jusqu’à la fin de sa vie il se sentit concerné par la lutte politique et, quelques heures avant sa mort, il s’inquiétait encore du sort de la population de Madrid.
Il se maria le 23 avril 1897. Le couple eut deux enfants. Son fils, Henri, promotion ENS Ulm (Lettres) 1920, mourut en 1921 à la suite d’une intervention chirurgicale.

Décédé à Paris le 10 mars 1939 d’une affection cardiaque, E. Chauvelon fut enterré à Authon.

Il était marié, père d’un fils, Henri, promotion ENS 1920, mort en 1921 à la suite d’une intervention chirurgicale.

Pour citer cet article :
https://maitron.fr/spip.php?article105349, notice CHAUVELON Émile par Didier Lemaître, version mise en ligne le 4 novembre 2010, dernière modification le 15 avril 2022.

Par Didier Lemaître

SOURCES : Arch. Nat., F17/22660. — Arch. Dép. Loir-et-Cher, série M. — Le Progrès de Loir-et-Cher. — Témoignage de Chauvelon Louis, maire d’Authon. — C. Chatillon, Notice biographique manuscrite écrite en 1939. — Compère-Morel, Encyclopédie socialiste, La France socialiste, t. III. — D. Ferrisse, Socialistes et communistes en Loir-et-Cher, 1914-1925, Mémoire, Tours. — A. Kriegel, Aux origines du communisme français, op. cit. — D. Lemaire, « Les origines du PCF en Loir-et-Cher », Cahiers du communisme, décembre 1980. — Cahiers Institut M. Thorez, n° 7-8, novembre-décembre 1967 (compte rendu du Colloque : la Révolution d’Octobre et la France, 13-15 octobre 1967).— Notes de Jacques Girault.

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