JOUVE Pierre-Jean [JOUVE Pierre, Charles Jean, dit Pierre-Jean].

Par Nicole Racine

Né le 11 octobre 1887 à Arras (Pas-de-Calais), mort le 8 janvier 1976 à Paris ; poète, écrivain ; collaborateur de Demain, La Feuille, Les Tablettes éditées en Suisse pendant la Première Guerre mondiale.

« L’artiste qui a fait son œuvre a aussi le droit de la juger, comme il aurait le droit de la redresser, la sentant insuffisante, ou de la détruire. Il a donc le droit de la retirer du domaine intellectuel par la suppression. La crise de 1922-1925 devait m’amener à faire cet acte de volonté que peu de personnes voulurent comprendre : rejeter en bloc, tout ce que j’avais écrit et publié jusqu’alors » (En miroir, 1954). Cette volonté de renier son œuvre antérieure à 1924-1925, Pierre-Jean Jouve l’exprima très tôt, dès la postface de Noces (1928) dans laquelle il donnait 1924 comme date de sa « conversion » religieuse et poétique. Les jugements que Jouve a portés sur sa période « pacifiste », au moment de son amitié avec Romain Rolland*, ne peuvent en aucun cas être omis par l’historien ; mais ils ne le dispensent pas du devoir de restituer les premiers écrits et les premières prises de position de Jouve dans le courant plus général du pacifisme né durant la Première Guerre mondiale.

Jouve arriva en Suisse à la fin octobre 1915 pour soigner les suites des maladies infectieuses qu’il avait contractées à l’hôpital militaire des contagieux à Poitiers, où, étant réformé, il s’était engagé comme infirmier civil volontaire. Avec sa femme, Jouve devint rapidement un familier de Romain Rolland*. Il fit partie du petit groupe d’artistes et d’écrivains, de libertaires et de socialistes qui formèrent, selon ses propres mots, « une petite Internationale de l’Esprit » dont « Romain Rolland* était le lien internationaliste vivant » (Romain Rolland* vivant..., 1920). Ce petit groupe comprenait notamment René Arcos*, Henri Guilbeaux*, Frans Masereel, Stefan Zweig. Jouve, qui se voulait le disciple spirituel de Romain Rolland, donna, dans Romain Rolland* vivant (1914-1919), un témoignage de premier ordre sur l’action et la pensée de celui-ci durant la guerre. Pierre-Jean Jouve partageait le pacifisme internationaliste de Romain Rolland, pacifisme dont la source était plus tolstoïenne que révolutionnaire. Jouve était cependant considéré par les services de police comme un pacifiste dangereux. Il donna des poèmes et articles à la revue Demain d’Henri Guilbeaux, aux Tablettes de Le Maguet et à La Feuille de Debrit. En décembre 1915, il donna son témoignage en faveur de Romain Rolland aux Hommes du Jour. En 1915, avait paru à Paris le premier recueil de Jouve inspiré par la guerre, Vous êtes des hommes (dédié « Aux frères ennemis ». En 1916 et 1917, parurent en Suisse Poème contre le crime, puis La Danse des morts (dédié « À l’âme de Tolstoi, à Romain Rolland* »).

Jouve participa avec Romain Rolland, Henri Guilbeaux, M. Martinet, F. Masereel au Salut à la Révolution russe, édité par la revue Demain en mai 1917 en hommage à la révolution de février. En 1918, il publia le Défaitisme contre l’homme libre pour répondre en partie au pamphlet d’Isabelle Debran, Monsieur Romain Rolland*, initiateur du défaitisme. Des poèmes de Jouve tirés du Poème contre le grand crime et de Danse des morts parurent dans La Vie Ouvrière en 1919 et en 1920 (Jouve donna le 28 mai 1920 à la Vie Ouvrière un billet en hommage à Pierre Monatte). Jouve, qui se définissait en 1919, dans une lettre à M. Martinet, comme un « anarchiste pacifiste », appuya le manifeste de Romain Rolland « Pour une Internationale de l’Esprit » (mars 1918) ainsi que sa « Déclaration d’Indépendance de l’Esprit » (26 juin 1919). Lors du débat qui opposa dans Clarté en 1921-1922, puis dans L’Art libre de Bruxelles, à l’initiative d’Henri Barbusse, intellectuels partisans de la violence révolutionnaire et intellectuels « rollandistes », Jouve se rangea du côté de Romain Rolland. En 1921, après sa rencontre avec Blanche Reverchon, Jouve connut une profonde crise spirituelle et sentimentale. Il allait renier son œuvre et son action antérieures à 1925. « Le pacifisme de ma jeunesse avait dicté les plus mauvais livres d’une pensée qui fut ensuite jugée — écrit-il dans En miroir. En pensée, j’avais du moins compris l’erreur nationale d’une paix signée sur la haine ». Il rompit avec Romain Rolland et s’engagea dans une voie de recherche poétique et religieuse qu’inaugure Les Noces (1928) et que poursuivent Sueur de sang (1934) et de nombreux romans et essais que la psychanalyse éclaire.

Évoquant dans En miroir, la période qui va de 1925 à 1939, Pierre-Jean Jouve écrit : « Je ne pus demeurer longtemps, ce que je voulais, dans le détachement spéculatif ». Dès 1933, il vit clairement que la liberté était menacée par le fascisme.

Durant la Seconde Guerre mondiale, Pierre-Jean Jouve joignit sa voix à celle des poètes de la Résistance. Après avoir passé les premiers mois de la guerre dans le sud de la France, il choisit en 1941 de s’exiler en Suisse où il resta jusqu’en 1945. Ses poèmes de guerre comme « Le Bois des pauvres », « Vers majeurs », « La Vierge de Paris », écrits dans le sud de la France puis dans l’exil genevois, édités en Suisse, à Alger, furent réunis en 1946 dans le recueil La Vierge de Paris (une première anthologie « Les Témoins » avait paru à Neuchâtel en 1943). Jouve y exaltait l’esprit de la Résistance nationale qui se confondait pour lui avec l’idéal de Liberté issu de la Révolution française. On trouve cette même exaltation de la Révolution française dans de nombreux textes en prose : « Vivre libre ou mourir » et « Chants de la Liberté » qui parurent dans Défense et illustration à Neuchâtel en 1943. En 1944, Pierre-Jean Jouve publia en Suisse un choix des Discours de Danton, auxquels il donna une préface intitulée « De la révolution comme sacrifice » ; il y exprimait son espoir que fussent réconciliés l’idéal du Moyen Îge chrétien et celui de la Révolution française. En 1944-1945, Jouve publia deux textes en prose plus directement liés à la situation politique : Processionnal de la force anglaise, en hommage au courage du peuple britannique et de son chef, L’Homme du 18 juin, en hommage au général de Gaulle, incarnant le double héritage national.

Fils d’Alfred Jouve, directeur d’assurances, et d’Eugénie Aimée, Hortense Rosé, Pierre-Jean Jouve avait épousé, en 1910, Andrée Charpentier, professeur agrégée d’histoire-géographie, militante pacifiste, puis, en 1925, Blanche Reverchon, docteur en médecine.

Pour citer cet article :
https://maitron.fr/spip.php?article114580, notice JOUVE Pierre-Jean [JOUVE Pierre, Charles Jean, dit Pierre-Jean]. par Nicole Racine, version mise en ligne le 24 novembre 2010, dernière modification le 8 janvier 2016.

Par Nicole Racine

œUVRE À CARACTÈRE POLITIQUE ET SOCIAL :
— Avant 1925 :
(écrits rejetés par P.-J. Jouve) : Vous êtes des hommes, 1915, Ed. de la « Nouvelle revue française », 128 p. — Danse des morts. 1916-1917, La Chaux de Fonds, Ed. d’action sociale, 160 p. — Poème contre le grand crime, Genève, Ed. de la revue Demain, 1916, 53 p. — Salut à la Révolution russe (R. Rolland, P.-J. Jouve, M. Martinet, H. Guilbeaux, F. Masereel), Genève, Ed. de la revue Demain, 1917, 32 p. — Le Défaitisme contre l’homme libre, La Chaux-de-Fonds, 1918, 56 p. — Hôtel-Dieu, récits d’hôpital en 1915, Paris, Ollendorff, 1919, 159 p. Heures, livre de la nuit..., Genève, Ed. du Sablier, 1919, 132 p. — Heures, Livre de la Grâce, Genève, Kundig, 1920, 185 p. — Romain Rolland* vivant, 1914-1919, Ollendorff 1920, 336 p. —
Durant et après la Seconde Guerre mondiale : Défense et illustration, Neuchâtel, Ides et Calendes, 251 p. — Préface à Danton, Discours. Choix de textes..., Fribourg, W. Egloff, 1944, 285 p. — Processionnal de la force anglaise, id., 1944, 45 p. — L’Homme du 18 juin, Paris, Egloff, 1945, 57 p. — La Vierge de Paris (poèmes parus entre 1939 et 1944), Paris, Egloff, 1946, 305 p. — Commentaires, Neuchâtel, La Baconnière, 1950, 143 p. — En miroir, journal sans date, Mercure de France, 1954, 215 p. (nouv. éd., Union générale d’éditions, 1972, 190 p.). — De la Révolution comme sacrifice, Paris, L’Herne, 1971, 27 p. (préface aux Discours de Danton publiés par Jouve en 1944).

SOURCES : Arch. Nat. F7/13474 F7/13475. — Romain Rolland, Journal des années de guerre (1914-1919), Albin Michel, 1952, 1913 p. — René Micha, Pierre Jean Jouve. Choix de textes, bibliographie, Seghers, 1956, 224 p. (Poètes d’aujourd’hui 48), nouv. éd. revue et augmentée, id., 1971, 192 p. — Pierre Seghers, La Résistance et ses poètes. France 1940-1945, Seghers, 1974, 661 p. — Daniel Leuwers, Jouve avant Jouve ou la Naissance d’un poète : 1906-1928, Klincksieck, 1984, 323 p.

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