Par Jacques Girault, Claude Pennetier, Guy Putfin
Né le 28 février 1886 à Barbuise (Aube), mort en déportation le 4 février 1945 à Dachau ; instituteur ; dirigeant du Syndicat national des instituteurs ; fondateur de L’École libératrice.
Fils d’un cultivateur du hameau de Courtavant, commune de Barbuise, Georges Lapierre fréquenta l’école communale, puis, grâce à son parrain directeur d’école, devint élève de l’école primaire supérieure de Bar-sur-Seine. Il entra, en 1902, à l’Ecole normale d’instituteurs de la Seine, accomplit son service militaire (1905), puis enseigna à Saint-Denis (Seine) de 1906 à 1909. Nommé à Paris, il fut successivement enseignant dans les écoles de garçons de la rue Lamarck, de la rue du Mont-Cenis (XVIIIe arr.) où il resta jusqu’en 1925. Mais, en avril 1914, victime de lésions pulmonaires, il dut interrompre son travail pour se soigner à Leysin (Suisse) où il aurait rencontré Lénine.
Lapierre fit connaissance de Lucie Mayaud, modiste, qu’il devait épouser le 11 juillet 1912 à Levallois-Perret (Seine). Ensuite, il exerça rue Milton (IXe arr.) comme maître de cours complémentaire de 1925 à 1929, puis comme directeur de l’école primaire de garçons, rue des Récollets (Xe arr.) de 1929 à 1934, enfin dans le Ve arr. comme directeur des écoles jumelées de la place Lucien Herr et de la rue des Feuillantines jusqu’à la Seconde Guerre mondiale.
Mobilisé le 2 août 1914 au 26e Régiment d’infanterie, proposé par la réforme, sur sa demande, Lapierre fut versé dans les services auxiliaires en décembre 1914 et resta mobilisé jusqu’en mars 1919. En 1920, il adhéra au syndicat des membres de l’enseignement laïque de la Seine et fit partie quelque temps de la commission administrative, puis il rallia le Syndicat national des instituteurs et institutrices de France et des Colonies (SN), qui était affilié à la CGT et à la Fédération internationale de l’enseignement. En 1926, au congrès national tenu à Strasbourg, il fut élu membre de la commission permanente en même temps que René Vives* et André Delmas*. Simultanément, il se consacrait au développement de la pédagogie. Collaborateur de la Revue de l’enseignement primaire, il fonda, en 1923, une section pédagogique au sein de l’Association française pour l’avancement des sciences et en organisa les travaux au cours des congrès nationaux de 1923 à 1926. En juin 1926, il créa le Bureau pédagogique international. Particulièrement sensible à l’idée de coopération internationale pour la paix, il fonda en septembre de la même année, avec Louis Dumas*, la Fédération internationale des associations d’instituteurs dont l’idée, selon André Delmas, lui revenait. « Nous avons à prendre appui sur le sol résistant des traditions et des aspirations nationales pour nous élever à la compréhension des solidarités internationales », telle était la ligne de conduite que Lapierre lui assignait.
Secrétaire général adjoint de la FIAI de 1927 à juin 1940, présent à chaque congrès, Lapierre fit à celui de 1932 (Luxembourg) un rapport sur l’enseignement international de l’histoire. Il trouvait là l’occasion de faire valoir une de ses idées chères : l’élimination des textes de tendance belliciste dans les manuels scolaires, action qu’il avait entreprise depuis plusieurs années. Il participa à la création, en 1932, de SUDEL, la maison d’édition du SN.
En 1927, Lapierre devint trésorier de la section de la Seine, puis secrétaire de la section des colonies et protectorats. Délégué à la CGT, il fut élu, en septembre 1929, membre suppléant de la commission administrative confédérale, s’occupant également du secrétariat de la Fédération générale de l’enseignement et de la vice-présidence du Cercle universitaire international. Surtout, en 1929, il fonda et dirigea L’École libératrice du n° 1 du 28 septembre 1929 jusqu’en juin 1940. Destinée à « rendre plus facile l’exercice toujours plus intelligent du métier d’instituteur », elle bénéficia, sur son initiative des collaborations d’Alain, Victor Basch, Georges Duhamel, Jean Guéhénno, Jules Isaac, Paul Rivet ...
Sur le plan international, Lapierre faisait partie de la direction du Secrétariat professionnel international de l’Enseignement et participa en 1934 au rapprochement du SPIE, adhérent de la Fédération syndicale internationale avec l’Internationale des travailleurs de l’enseignement, proche de l’Internationale syndicale rouge. Au congrès de l’ITE d’Oxford en août 1935, lors d’une entrevue privée avec Georges Cogniot, Litvine et Ludovic Zoretti, il proposa que l’ITE entretienne des contacts permanents avec le SPIE et qu’un organe de solidarité unique soit créé par l’ITE et la FIAI. La question de la fusion ITE et SPIE fut mise à l’ordre du jour.
En 1934, membre de la 18e section du Parti socialiste SFIO, Lapierre participa à la création du Comité de vigilance des intellectuels antifascistes, mais refusa, en 1936, d’être candidat aux élections législatives. Il siégeait à la Commission de l’enseignement et de l’éducation ouvrière de la CGT. Il fut le commissaire général, en parallèle avec l’exposition universelle de 1937, du congrès international de l’enseignement primaire et de l’éducation populaire, à Paris, salle de la Mutualité, rassemblant quatre mille instituteurs de quarante-cinq pays. Poursuivant son action dans le domaine para-scolaire, il fonda le 8 juin 1933 le Centre laïque des auberges de jeunesse, dont il fut le vice-président, après sa rupture avec Marc Sangnier et la Ligue française pour les auberges de jeunesse, présidée par ce dernier. Il n’acceptait pas la présence de catholiques au comité d’honneur de cette ligue, et entendait en exclure les associations qui présentaient un caractère confessionnel. Un essai de rapprochement eut encore lieu le 12 mars 1935, sous la présidence de Julien Luchaire, mais la scission fut alors consacrée entre les deux organisations, bien que Sangnier fit remarquer que sa ligue rassemblait des personnes de toutes tendances, y compris laïques. Lapierre organisa la Fédération nationale des œuvres laïques de vacances d’enfants et d’adolescents en 1938 après avoir approuvé la création des Centres d’entraînement aux méthodes de l’éducation active et de la Jeunesse au plein air.
Lapierre signait les éditoriaux de L’École libératrice dont l’orientation pacifiste déchaîna les attaques de la presse, notamment lorsqu’il rendit hommage aux objecteurs de conscience. Cependant, particulièrement informé de la situation internationale, il désapprouva, à la différence d’autres dirigeants du SNI, dont le secrétaire général Delmas, la signature des accords de Munich. En août 1939, il signa avec René Vivès et Joseph Rollo* une motion condamnant le Pacte germano-soviétique et approuvant l’exclusion des communistes du bureau national du syndicat. D’octobre 1939 à juin 1940, il devint le secrétaire général du SNI, en remplacement du secrétaire général mobilisé. Il fut membre élu du Conseil supérieur de l’Instruction publique de 1938 à 1940, et membre du Conseil supérieur de l’Information d’avril à juin 1940.
Lors de la débâcle de juin 1940, Lapierre se replia à Poitiers (Vienne), puis en Haute-Vienne. Rentré à Paris, il reprit ses fonctions de directeur et dut, comme ses collègues, faire lecture aux élèves d’extraits des appels du maréchal Pétain. Il fut mis à la retraite d’office le jour de ses cinquante-cinq ans, le 28 février 1941. Sa mise à la retraite précéda de quelques mois la révocation des membres de l’enseignement qui appartenaient ou avait appartenu à la Franc-maçonnerie, comme ce fut son cas de 1928 à 1938 (loges « Lien des Peuples et Jacobins de Paris », « Étoile polaire »), année où il prit ses distances avec le Grand Orient. Il avait été membre du conseil de l’ordre, dont il ne partageait pas les prises de positions munichoises. En retraite à Courtavant, convoqué pour déposer dans le cadre du procès de Riom, il ne renia aucune de ses convictions. Il rendit visite à Paul Langevin assigné à résidence à Troyes (Aube), puis entra, avec sa femme, dans le mouvement de résistance « Libération-Nord ».
Retiré à Périgny-la-Rose, Lapierre, dans le cadre du procès de Riom contre les dirigeants du Front populaire, remit le 14 mars 1942 au juge d’instruction auprès du Tribunal de première instance de Nogent-sur-Seine une longue déposition sur « les liens existant entre l’Education nationale et la préparation a la Défense nationale » dans laquelle il réfutait la responsabilité des instituteurs dans le désastre de juin 1940.
Lapierre fut arrêté par la Gestapo le 2 mars 1943, chez lui, à Périgny-la-Rose, sur dénonciation d’un collègue, alors qu’il écoutait la radio anglaise. Après une perquisition, il fut emmené et interné à la prison de Fresnes où il entreprit la rédaction d’un manuel d’histoire pour enfants. Tout au long de ces années, il travailla à son projet de manuel, dont le fil directeur devait être, selon le témoignage du docteur Suire, la recherche des raisons de la défaite française dont il voyait l’une des causes dans l’abandon graduel de l’esprit civique.
Sa femme retrouva sa trace à Fresnes après trois semaines de recherches. Il fut ensuite envoyé en Allemagne en septembre 1943. Il séjourna au camp de Sachsenhausen, au nord de Berlin, où il arriva le 2 octobre 1943. La saisie d’une lettre de sa femme dévoila aux Allemands qu’il avait correspondu avec l’extérieur. En représailles, début juin 1944, il fut envoyé au camp de Natzweiler- Struthof, dans les Vosges, où il retrouva Marcel Leclerc*, ancien secrétaire du SNI de la Manche. Il exerça la fonction de secrétaire du médecin du camp. A l’évacuation du camp qu’il quitta le 4 septembre 1944, il fut transféré, avec ses camarades, à Dachau, où il arriva le 6 septembre. Il fut envoyé, avec Leclerc, en Kommando à Allach, près de Munich, du 8 septembre au 24 octobre, avant de revenir à Dachau, où, épuisé, il mourut du typhus le 4 février.
Dans la crypte de la Sorbonne, fut inaugurée le 11 novembre 1947, par le président de la République, Vincent Auriol, les monuments souvenirs aux victimes de la guerre et de la résistance de l’Education nationale. En souvenir de « l’Université résistante », les dépouilles de dix maîtres, dont Lapierre, et de deux élèves désignés par la Fédération de l’Education nationale, symbolisent « l’héroïsme de tous les universitaires morts au service de la France et de la liberté ». Les deux dernières pierres tombales furent gravées du nom des deux disparus en déportation : Joseph Rollo et Georges Lapierre et placées devant la plaque dédiée à Jean Zay, ministre de l’Éducation nationale. Le mention « Mort pour la France » figurait sur le registre de naissance de Barbuise.
Par Jacques Girault, Claude Pennetier, Guy Putfin
ŒUVRE : Articles dans L’École libératrice. — Éducation et enseignement, L’Encyclopédie française, tome XV, 1936. — Manuel d’histoire rédigé en prison et en camps, manuscrits (copie au centre de la Résistance et de la Déportation de Brive).
SOURCES : Arch. Nat. F7/13748. — CAMT, Roubaix, archives de la FEN (1998011). — Arch. PPo. Ba/ 1686 et 304, mai 1930. — RGASPI, 534 6 112. — DBMOF, notice par Jean-Louis Panné, Claude Pennetier. — Le Peuple, passim. — L’Internationale de l’enseignement. — A. Delmas, Mémoire d’un instituteur syndicaliste, Albatros, 1979. — Louis Lafourcade, Georges Lapierre, SNI-PEGC, s. d. (1984). — M. Leclerc, Souvenirs de ma déportation en Allemagne, 1943 - 1945, (ronéoté).