PARAIN Brice, Aristide

Par Nicole Racine

Né le 10 mars 1897 à Jouarre (Seine-et-Marne), mort le 20 mars 1971 à Verdelot (Seine-et-Marne). Secrétaire de la direction littéraire des Éditions Gallimard (1927-1961). Philosophe, écrivain.

« Je crois que mon histoire est celle d’un garçon de la campagne qui devait, qui voulait apprendre à parler et qui, finalement, n’y est jamais bien arrivé. » Tel est le regard que Brice Parain, dans son autobiographie, De Fil en aiguille, porte sur son destin de philosophe du langage. Très tôt, dès ses études au collège, il éprouva contre le langage un sentiment de révolte et de haine, sentiment accru par le mensonge et la propagande de guerre. Fils d’un instituteur qui exerça à Verdelot dans la Brie, Brice Parain fut dès les années vingt attiré par l’expérience russe, mais, ainsi qu’il l’écrivit par la suite : « J’ai cessé d’être communiste quand on commençait à le devenir autour de moi » (De Fil en aiguille, p. 21).

Bachelier en 1915, il fut appelé au service militaire au début 1916. Son frère René, hypokhâgneux à Henri IV en 1913-1914, avait été mobilisé et tué au combat en septembre 1915 (ce fut parce que son père n’avait pas été officier qu’il refusa de le devenir en échouant volontairement à l’examen des EOR). Brice Parain fut envoyé au front pendant dix-huit mois en 1917-1918. Son frère aîné, Charles, normalien de la promotion 1913, était mobilisé. Brice Parain revint de la guerre titulaire de la Croix de guerre, révolté, « ne croyant plus aux livres » ; mais son père l’engagea à bénéficier des centres créés pour permettre aux combattants qui n’avaient pu se présenter aux concours des grandes écoles, de préparer ces derniers ; il prépara donc le concours de l’École normale supérieure à Strasbourg, à partir de mai 1919, et entra à la rue d’Ulm dans la promotion spéciale des démobilisés de 1919. Après avoir passé une licence d’histoire et de géographie, il s’orienta vers la préparation de l’agrégation de philosophie. Dès la rentrée 1920, il commença à apprendre le russe à l’école des Langues orientales, un peu par hasard (la proposition en avait été faite aux normaliens), beaucoup par intérêt pour les langues, par admiration pour la littérature russes et par curiosité pour l’expérience russe. Après un échec à l’agrégation de philosophie, il fut reçu premier en 1922. Cette période coïncida avec une phase de « dandysme », correspondant en fait au sentiment de désespoir d’un homme qui sort de la guerre ; en témoigne le bref essai ironiquement intitulé : « Tout s’arrange... », écrit durant sa dernière année d’École (1922-1923) et dans lequel se manifeste ce qu’il appela plus tard son « nihilisme » (texte publié dans L’Embarras du choix). Bien qu’il se soit senti sentimentalement socialiste, il ne milita pas activement durant sa scolarité. Il rappela dans De Fil en aiguille qu’il avait été inscrit à la 5e section, mais que pendant la préparation du congrès de Tours, il ne s’était pas décidé à conclure, les communistes lui faisant l’effet de « braillards » avec un côté fanatique inquiétant et les socialistes lui apparaissant comme trop réformistes. On ne peut déceler aucune trace d’une activité militante communisante de Parain lors de ses années à l’École ; il ne fit pas partie de « la première strate de communistes » autour de G. Cogniot (J.-F. Sirinelli, Génération intellectuelle, p. 666). Il ne se révéla un sympathisant qu’en 1924, avec un texte « Modernisme et communisme » (republié dans L’Embarras du choix). A cette époque, Parain cherchait à aller en Russie pour juger sur place par lui-même. Il obtint en 1923 une bourse tchécoslovaque pour perfectionner son russe à Moscou, mais ayant attendu vainement son visa à Riga, il passa l’hiver à Prague, fréquentant le groupe de socialistes révolutionnaires russes émigrés qui avaient participé à la Révolution. Auprès d’eux, il passait pour un « demi-bolchevique » mais il put s’initier à l’étude de la littérature russe, lire des journaux soviétiques, entendre des témoignages (De Fil en aiguille, p. 203). En mai 1924, Parain remplaça deux mois, au lycée Voltaire, Aimé Berthod, nouvel élu ; il fut alors le professeur d’Edgar Faure qu’il poussa à étudier le russe (J.-F. Sirinelli, op. cit.., p. 666-667). Après la reconnaissance du gouvernement soviétique par la France, Brice Parain fut embauché par Anatole de Monzie au Centre de documentation russe ; à l’automne 1925, Parain put partir pour Moscou, grâce à de Monzie, qui l’avait fait nommer chargé de mission du ministère des Affaires étrangères à l’ambassade de France. Il resta deux ans à Moscou, s’occupant des relations culturelles entre les deux pays, s’intéressant particulièrement aux facultés ouvrières. Il fréquentait un milieu cultivé d’origine bourgeoise, rallié à la Révolution. C’est dans ce milieu qu’il rencontra sa femme, Nathalie Tchelpanova, fille d’un ancien professeur de philosophie à l’université de Moscou qui avait été mis à la retraite. Parain quitta la Russie au bout de deux ans ; il y revint pour trois mois en 1929 durant lesquels il assista au début de la collectivisation.

A son retour en France, Brice Parain fut engagé comme secrétaire de Gaston Gallimard, grâce à Jean Paulhan. Il resta à la direction des Éditions Gallimard de 1927 à sa retraite en 1961. Membre influent du comité de lecture, il y demeura jusqu’à sa mort, plus spécialement chargé du domaine de la philosophie et de la littérature russe. Ce fut lui par exemple qui fit traduire et publier Le train blindé n° 1469 de V. Ivanov, Les défricheurs de M. Cholochov (1933), Tête brûlée de N. Tikhonov (1936) ou dans sa collection « Jeunes russes » des textes de B. Pilniak et C. Fédine.

Communiste jusqu’à l’année 1933, Brice Parain fut, de la fin des années vingt jusqu’à sa rupture, un intellectuel dans la ligne. En novembre 1929, après la publication de l’article d’Istrati, « L’affaire Roussakov », il envoya à la NRF une lettre ouverte dans laquelle il accusait Istrati d’avoir écrit un réquisitoire contre l’URSS d’un point de vue bourgeois.

Il tenta de favoriser l’entrée de Paul Nizan aux Éditions Gallimard, mais sans succès. Il collabora à la revue Bifur, avec notamment en janvier-mars 1929, le texte « L’individu dans le communisme » (repris dans L’Embarras du choix). Critique littéraire à l’Humanité, Parain s’était « fait remarquer par l’orthodoxie de ses critiques et la sévérité de son jugement à l’égard de la littérature bourgeoise », d’après un rapport de police sur l’activité de l’Humanité de 1920 à 1932. Il prit position, par exemple, en faveur des thèses sur la littérature prolétarienne au congrès de Kharkov, le 11 novembre 1930. Le rapport de police cité signalait également l’émotion des milieux communistes lorsqu’on apprit que B. Parain collaborait aux Éditions de la NRF, et, après enquête, qu’il collaborait également anonymement à Détective ; sa signature aurait été alors remplacée par un « Interim », puis par Jean Fréville. Lorsqu’au début 1931, P. Nizan fut chargé de proposer à H. Barbusse une réorganisation de l’hebdomadaire Monde critiqué en URSS, Brice Parain fit partie de la « fraction communiste » qui devait prendre le contrôle de l’hebdomadaire. Barbusse qui avait d’abord accepté d’inviter Nizan et Parain au comité de rédaction, refusa finalement jusqu’en 1933 de modifier l’orientation de Monde (voir la correspondance Barbusse-Nizan de mars 1931 publiée par Annie Cohen-Solal, P. Nizan, communiste impossible, p. 275-280) ; Barbusse parlait du « sectarisme juvénile » (de Parain et de Nizan). Cependant, on peut lire dans le Bulletin des écrivains prolétaires d’avril 1932 une lettre de Parain à la rédaction sur « la tâche des écrivains prolétaires » qui ne reprenait pas les attaques de la première AEAR contre la revue Nouvel âge de Poulaille. En 1931, Parain fut un des vingt-deux archicubes communistes ou communisants à signer la pétition contre la préparation militaire des normaliens (J.-F. Sirinelli, op. cit.., p. 533).

Ce fut au cours de l’année 1933 que Brice Parain, selon ses propres dires, abandonna le communisme. En août 1933, il présenta dans la NRF, avec G. Blumberg, des « Documents sur le national-socialisme » qui lui valurent les critiques de Georges Sadoul dans Commune.

Deux ans plus tard, Parain fit le bilan de son aventure communiste, dans « De la France » paru dans Esprit de février à avril 1935 (textes repris dans la première partie de Retour à la France, 1936) ; dans un de ces textes, « Le communisme et notre jeunesse. Histoire d’une déception et d’une rupture », il écrivait : « J’ai nourri un grand espoir dans le communisme. Je me souviendrais encore facilement de la construction intellectuelle qui était ma maison lorsque j’étais communiste. Et cet espoir, cette maison que je croyais solides, ils se sont écroulés pierre par pierre, chaque fois que j’ai constaté l’impuissance du communisme à établir une vérité humaine [...]. J’ai cru que le communisme recommençait l’histoire par la première bouchée de pain [...]. C’est pour ce rêve d’enfant pauvre que j’ai quitté l’université, c’est pour ce rêve de soldat du rang que j’ai été complice de tout le sang que le communisme a versé [...] On nous l’a enseigné, après la guerre, dans le mouvement bolchevique, et nous l’avons cru sans marchander, parce que c’était aussi pour nous une leçon de la guerre [...] »

A partir de ce moment, Brice Parain devint un proche de la revue Esprit à laquelle il apporta sa collaboration, collaboration poursuivie après la guerre (en mai-juin 1948, il répondait à l’enquête de la revue, « Y a-t-il une scolastique marxiste ? »).

Bien qu’ayant choisi de ne pas faire une carrière universitaire, Brice Parain tint à soutenir ses thèses de doctorat d’État (Recherches sur la nature et la fonction du langage et Essai sur le logos platonicien, 1942). Il assura la direction, dans L’Encyclopédie de la Pléiade de L’Histoire de la philosophie qui commença à paraître en 1969.

Brice Parain était le fils de Jules Parain et Amanda Mary. Marié à Nathalie Tchelpanova en 1926 à Metz ; remarié à Éliane Perès en 1961 à Boulogne-Billancourt, il eut une fille Renée Tatiana.

Pour citer cet article :
https://maitron.fr/spip.php?article124839, notice PARAIN Brice, Aristide par Nicole Racine, version mise en ligne le 30 novembre 2010, dernière modification le 30 août 2013.

Par Nicole Racine

ŒUVRE CHOISIE à dominante autobiographique, sociale et politique : Essai sur la misère humaine, Grasset, 1934, 253 p. — Retour à la France, id., 1936, 223 p. — France marchande d’églises, id., 1966, 127 p. — Entretiens avec Bernard Pingaud, id., 1966, 168 p. — De Fil en aiguille, Gallimard, 1960, 304 p. — L’Embarras du choix, Gallimard, 1946, 203 p. Préface par Albert Camus (recueil de textes et d’articles écrits depuis 1922). — Avertissement à Lazarevitch (Nicolas), Tu peux tuer cet homme..., Gallimard, 1950, 264 p.

SOURCES  : APP, Ba/1717. — Jacqueline Leiner, Le destin littéraire de Paul Nizan..., Klincksieck, 1970, 299 p. — Numéro spécial de la Nouvelle Revue française, n° 223, juillet 1971, 126 p. — Association amicale des anciens élèves de l’École normale supérieure, 1972 (notice de M. Durry). — Michel Winock, Histoire politique de la revue « Esprit », 1930-1950, Seuil, 1975, 446 p. — Annie Cohen-Solal (avec la coll. de Henriette Nizan), Paul Nizan, communiste impossible, Grasset, 1980, 288 p. — Pascal Ory, Nizan. Destin d’un révolté, 1905-1940, Ramsay, 1980, 330 p. — Pierre Assouline, Gaston Gallimard. Un demi-siècle d’édition française, Balland, 1984, 493 p. — Jean-Pierre Morel, Le roman insupportable. L’Internationale littéraire et la France (1920-1932), Gallimard, 1985, 488 p. — Jean-François Sirinelli, Génération intellectuelle. Khâgneux et Normaliens dans l’entre-deux-guerres, Fayard, 1988, 721 p. — Brice Parain, Un homme de parole, [2005] . Édition publiée sous la direction de Marianne Besseyre, avant-propos de Jean-Noël Jeanneney, 400 pages.

ICONOGRAPHIE : Filmographie : dans « Vivre sa vie » de Jean-Luc Godard, Brice Parain joue le rôle du philosophe.

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