HICKS Amelia Jane (Amie) [née COX]

Par Marie Terrier

Née le 26 février 1839 (Londres) ; décédée le 2 février 1917 (Londres) ; socialiste et pionnière du syndicalisme féminin.

Amie Hicks est née dans le quartier de Southwark, à Londres, en 1839. D’après une interview réalisée en 1888, sa mère, Harriet (née Ford) descendait d’un chef amérindien. Son père, Richard George Cox, bottier, était un ancien chartiste. Jusqu’à quatorze ans, Amie aida son père à l’atelier. Chez son oncle, artiste, elle fit la rencontre de socialistes et d’exilés nationalistes italiens. À dix-sept ans, elle organisa des cours du soir à Soho, un quartier pauvre du centre de Londres.

En juin 1860, Amie épousa William James Hicks, ébéniste. Sans doute poussés par les difficultés économiques et influencés par la propagande, ils émigrèrent en Nouvelle-Zélande, en 1865. Son mari ne réussit pas à y trouver de travail immédiatement et la famille dut faire face à une situation financière difficile. Amie Hicks fut chargée de la gestion d’un foyer pour enfants pauvres à Auckland, puis elle travailla à la fabrication des bottes et des cordes. Au début des années 1880, le couple décida de rentrer en Angleterre avec ses six enfants, un septième étant mort en bas âge.

De retour à Londres, Amie Hicks assista des débats politiques. En outre, elle rejoignit le Ladies’Medical College (École de médecine pour femmes) et travailla comme sage-femme. Elle prit part à la protestation contre les Contagious Diseases Acts qui furent abolis en 1886 (ces lois sur les maladies contagieuses votées entre 1864 et 1869 permettaient de soumettre les prostituées à des examens médicaux douloureux et humiliants au nom de la lutte contre les maladies vénériennes dans les villes de garnison). Au début de l’année 1883, William et Amie Hicks, ainsi que leurs trois aînés, rejoignirent la Democratic Federation, le groupe socialiste d’inspiration marxiste fondé par Henry M. Hyndman en 1881, qui devint la Social Democratic Federation (SDF), en 1884. Amie Hicks fut élue au comité exécutif de la SDF en 1884 et en 1885, aux côtés d’Eleanor Marx et de Mrs Hyndman, les deux autres femmes de cet exécutif. Dans les colonnes de Justice, le journal officiel de la SDF, elle défendait en particulier les ouvrières en soulignant l’importance du socialisme pour les femmes doublement exploitée dans une société capitaliste et patriarcale. En tant que secrétaire de la section Marylebone et St. Pancras de la SDF (au nord-ouest de Londres), Amie Hicks animait fréquemment des réunions politiques.

En 1885, alors que la police tentait d’interdire les rassemblements socialistes en plein air, la SDF fit pression pour maintenir la liberté de parole et défia les autorités en envoyant ses militants à Dod Street, dans le quartier de Whitechapel. Des dirigeants de la SDF, dont William Morris et Amie Hicks, furent arrêtés, mais rapidement relâchés. Dans les années qui suivirent, Amie Hicks prit part, avec son fils Alfred, au mouvement de contestation des chômeurs dont le nombre grandissait avec la crise économique. En mars 1888, Frances, sa fille, participa aux commémorations de la Commune de Paris aux côtés d’Eleanor Marx, Peter Kropotkine, Henry M. Hyndman, Charlotte Wilson, William Morris, Annie Besant et bien d’autres.

Afin de défendre les principes socialistes dans les institutions politiques, Amie Hicks se présenta, en 1885, au London School Board (conseil chargé d’administrer les écoles publiques) pour le district de Marylebone. Avec Herbert Burrows, Henry H. Champion et Harry Quelch, elle était l’un des quatre candidats officiels de la SDF pour la ville de Londres. Son programme demandait l’école et des cantines gratuites pour les enfants pauvres. Bien que croyante, elle se prononça en faveur d’une école laïque. Défaite, elle se présenta à nouveau en novembre 1888, mais les quelque 4 500 voix qu’elle recueillit alors ne lui furent pas suffisantes.

À partir de la fin des années 1880, les efforts d’Amie Hicks se portèrent plus spécifiquement sur l’organisation des ouvrières. Suite à la grève des allumettières de Bryant & May (voir Mary Driscoll), en 1888, et des dockers, en 1889, Amie Hicks se joignit à John Burns, Clara James et d’autres pour créer la Women’s Trade Union Association (Association des syndicats de femmes - WTUA) dont l’objectif était d’encourager les ouvrières à former des syndicats. Amie Hicks réussit à créer l’East London Ropemakers’ Union (Syndicat des ouvrières des corderies de l’est londonien), dont elle devint secrétaire. Après plusieurs demandes d’audition, elle réussit, en 1891, à se faire entendre par la Royal Commission on Labour (Commission royale sur le travail), le même jour que son amie Clara James. Toutes deux décrivirent les conditions de travail déplorables qui régnaient dans le secteur qu’elles représentaient et demandèrent la nomination d’inspectrices du travail, ainsi qu’une réglementation des salaires plus ferme et un durcissement de l’Employers’ Liability Act (la loi sur la responsabilité des employeurs, notamment en cas d’accident du travail).

La détermination et la sincérité d’Amie Hicks, ainsi que son expérience des milieux ouvriers, étaient reconnues. Une journaliste commença un de ses articles en affirmant : « on serait presque tenté de décrire Mrs. Hicks comme la John Burns du mouvement ouvrier féminin » (The Woman’s Signal, 28 février 1895). Amie Hicks fut la première femme à siéger, six mois, au London Trades Council (fédération des syndicats londoniens). À l’automne 1894, elle fut désignée, avec John Burns et d’autres, pour assister, à Denver (Colorado), à la conférence annuelle de l’American Federation of Labour (la première fédération syndicale aux Etats-Unis fondée en 1886). Cependant, tombée malade pendant le voyage, elle ne put s’y rendre. Rétablie, elle profita de son séjour pour faire une série de conférences à Boston et accompagner des inspecteurs du travail dans leur mission. Elle rendit très probablement visite à l’un de ses fils, qui travaillait à l’amélioration des conditions de travail des ouvriers, dans le Massachussetts.

Amie Hicks n’encourageait pas seulement les ouvriers à s’organiser pour mieux se défendre et obtenir un partage équitable des profits, elle souhaitait également un renforcement de la législation qui les protégeait, en particulier les femmes et les enfants. Elle demandait explicitement l’intervention de l’État dans la relation entre salariés et employeurs. Elle rejoignit donc, en 1892, la London Reform Union, association regroupant des membres du London County Council (conseil municipal - LCC) et d’autres citoyens qui souhaitaient enquêter sur les conditions de vie des Londoniens et discuter de méthodes concrètes pour réformer la capitale dans tous les domaines. Tom Mann en fut élu secrétaire tandis qu’Amie Hicks entra au comité exécutif. En 1895, elle s’opposa à la politique de l’Independent Labour Party qui refusait de s’allier aux progressistes majoritaires, au LCC, ce qui, d’après elle, retardait la mise en place des réformes. La coopération avec les libéraux ne représentait pas un problème tant que cela servait les intérêts des ouvriers. Ainsi, en mars 1895, elle fit partie d’une délégation qui rencontra Asquith (le Ministre de l’Intérieur) pour discuter des Factory and Truck Acts (lois sur la réglementation du travail).

Malgré son intérêt pour les questions politiques, Amie Hicks concentra son énergie sur l’effort syndical. Face aux difficultés rencontrées par le WTUA (faible nombre d’adhérentes, d’où un sentiment d’impuissance), ses dirigeants décidèrent de réorienter leurs actions et créèrent en novembre 1894, le Women Industrial Council (WIC), commission dont le but était de mener des enquêtes sur les conditions de travail des ouvrières, afin d’en informer l’opinion publique et de faire pression sur les hommes politiques. Amie Hicks entra au comité exécutif du WIC, dirigé par Clementina Black. Tandis que la plupart de ses collègues du WIC menaient des enquêtes et rédigeaient des rapports, Amie Hicks s’occupait de la Club’s Industrial Association créée en 1898. Cette association encourageait la formation de sortes de comités d’entreprise afin d’organiser des événements culturels et festifs, mais également des formations et des conférences pour que les ouvrières comprennent mieux les enjeux du monde du travail. Les dirigeantes du WIC issues des classes populaires, telles qu’Amie Hicks et Clara James, regrettaient que les femmes soient transformées en objet d’étude par la middle class. Préférant encourager le militantisme ouvrier lui-même, elles quittèrent le WIC en 1908.

Amie partageait sa volonté de développer le mouvement syndical féminin avec sa fille, Frances Amelia. Contrainte d’abandonner son poste d’enseignante pour raisons politiques, Frances devint tailleur et fut élue secrétaire du syndicat londonien des femmes tailleurs (London Tailoresses’ Union). Elle siégea au comité exécutif du London Trades Council en 1893 et travailla pour le Technical Education Board du LCC à partir de 1894. La même année, Frances représenta son syndicat au Trades Union Congress de Norwich et fut élue secrétaire du WIC. Dans son essai de 1894 intitulé « The Factory Girl  », elle rendit hommage aux « petites mains » et n’hésita pas à demander le droit de vote pour toutes les femmes. Après son mariage à Henry J. James, en septembre 1895, elle se retira du poste de secrétaire du WIC, mais continua à s’impliquer dans cette institution. En 1907, elle rejoignit la Women’s Labour League (Ligue travailliste des femmes) et devint secrétaire de la branche de St. Pancras. Ce groupe, dirigé par Margaret MacDonald, de 1906 à 1911, était affilié au Labour Party.

Amie Hicks avait travaillé comme sage-femme et connaissait bien les conditions de travail très difficiles des milieux populaires. À la fin de sa vie, son intérêt se porta sur le problème de la maternité chez les ouvrières. Pendant l’été 1896, elle participa à Londres au International Socialist Workers and Trade Union Congress, quatrième congrès de la Seconde Internationale. Elle y présenta une résolution exigeant l’interdiction du travail des femmes six semaines avant et après un accouchement et la mise en place d’allocations maternité. Trois ans plus tard, à l’International Conference of Women, à Londres, elle retrouva de nombreux collègues syndicalistes et socialistes (tels que Margaret Bondfield, Clementina Black, Beatrice Webb, Dora Montefiore, Isabella Ford ou Herbert Burrows) dans l’atelier consacré aux femmes dans le monde industriel. Elle prononça un discours en faveur du renforcement de la législation sur les femmes enceintes (« Legislation Concerning Child-Bearing Women ») et participa à de nombreux débats.

Bien que les sources concernant la vie de la famille Hicks soient limitées, il est évident qu’Amie partageait son engagement militant avec ses enfants, notamment Frances et Margaretta. En 1904, soutenue par la SDF, Margaretta Hicks se présenta au Board of Guardians (conseil chargé de l’administration de la loi sur les indigents) de St. Pancras. Très impliquée dans la SDF, elle soutenait un point de vue à la fois socialiste et féministe sur les problèmes économiques et sociaux. De septembre 1911 à février 1913, elle organisa la publication de The Link dont le sous-titre annonçait l’ambition : « l’organe des femmes du mouvement socialiste ». En 1911, lorsque la SDF devint le British Socialist Party (BSP), Margaretta faisait partie de ses premiers dirigeants. Elle devint secrétaire du Women’s Council, groupe affilié au BSP jusqu’en 1914. Margaretta essaya d’organiser les femmes des classes ouvrières en se focalisant non pas seulement sur la production et le niveau des salaires, mais également sur la consommation. Elle organisa, en mars 1914, une conférence sur « L’Augmentation du coût de la vie » (« Increased Cost of Living  ») qui réunit des dirigeants des principales associations féminines de la capitale. En organisant les consommatrices en coopératives d’achat, elle espérait politiser les femmes et les impliquer dans la mise en place d’un système de distribution socialiste. Avec la guerre et les problèmes de ravitaillement, ses projets furent mis en échec. En novembre 1915, elle démissionna du Women’s Council. Elle quitta Londres pour diriger ses efforts sur l’organisation du travail agricole, avant de reprendre l’exploitation d’une petite ferme.

Amie Hicks mourut le 2 février 1917. Le journal de la WIC, le Women’s Industrial New publia une notice nécrologique, mais sa disparition passa quasiment inaperçue dans la presse londonienne et nationale. James Ramsay MacDonald, dans la biographie de sa femme Margaret, ainsi que Margaret Bondfield dans ses mémoires, rendirent pourtant hommage à cette militante issue des milieux populaires qui a participé au renouveau socialiste des années 1880 et qui figure parmi les pionnières du syndicalisme féminin en Angleterre.

Pour citer cet article :
https://maitron.fr/spip.php?article139696, notice HICKS Amelia Jane (Amie) [née COX] par Marie Terrier , version mise en ligne le 19 février 2012, dernière modification le 17 octobre 2019.

Par Marie Terrier

ÉCRITS d’Amie Hicks : “Correspondence : Malthus Again”, Justice, 14 juin 1884 (lettre en faveur des cantines gratuites où Hicks en vient à dénoncer l’idéologie malthusienne) ; “Women and Socialism (From a Working Woman’s Point of View)”, Justice, 25 avril 1885 ; “Lust and Legislation”, Justice, 1er août 1885 (article sur la prostitution où elle dénonce les Contagious Diseases Acts) ; Women’s Trade Union Association (dir.), How Women Work, I. Being extracts from evidence given before Group C of the Labour Commission in regard to women working in the ropemaking and other trades in London, Londres, 1891 ; “Women Inspectors of Factories and Workshops”, The Woman’s Herald, 30 mars 1893 “Signs of Times”, The Woman’s Signal, 18 octobre 1894 (sur la conférence annuelle du TUC) ; “Legislation Concerning Child-Bearing Women”, The International Congress of Women of 1899, vol. 6, Londres, 1900, pp. 8-9 (ce discours est consultable sur Internet Archive)
INTERVIEWS d’Amie Hicks : “Interview – Mrs. Amie Hicks” (présentation d’Amie Hicks lors de la campagne électorale de 1888), Women’s Penny Paper, 24 novembre 1888 ; “The Champion of Women’s Trade Unions – An Interview with Mrs. Amie Hicks”, The Woman’s Herald, 23 février 1893 ; “The Women in Hyde Park – An Interview with Mrs. Amie Hicks”, The Woman’s Signal, 29 mars 1894 ; “Labour Problems and the L.C.C. – An Interview with Mrs. Amie Hicks”, The Woman’s Signal, 28 février 1895
ÉCRITS de Margaretta Hicks : “The Right to Live”, The Social Democrat, novembre 1909 ; “The State and Its School Children”, mai, juin 1910, The Link : the Organ of the Women’s Socialist Movement (sept 1911 - fév 1913) ; en outre Margaretta Hicks écrivit un certain nombre d’articles pour les journaux socialistes Justice et Clairon.
ÉCRITS ET INTERVIEWS de Frances Hicks : “Interview – Frances Hicks”, The Woman’s Herald, 8 octobre 1892 ; “Factory Girls” in Andrew Reid (dir.), The New Party, Londres, 1894 ; “Dressmakers and tailoresses” in Frank W. Galton (dir.), Workers on their Industries, Londres, 1896, pp. 13-31 (les deux essais sont consultables sur Internet Archive)

BIBLIOGRAPHIE : Bellamy, Joyce et Schmiechen, James A., “Hicks, Amelia (Amie) Jane”, Dictionary of Labour Biography, vol. 4 ; Hannam, June, “Hicks, Amelia Jane [Amie]”, Oxford Dictionay of National Biography, Oxford, 2004 ; HANNAM, June et HUNT, Karen, Socialist Women. Britain 1880s-1920s, Londres, 2002 (voir en particulier ces trois références pour plus de détails bibliographiques) ; HUNT, Karen, “Negotiating the boundaries of the domestic : British socialist women and the politics of consumption”, Women’s History Review, 2000, pp. 389-410 ; “The Politics of Food and Women’s Neighborhood Activism in First World War Britain”, International Labor and Working-Class History, 77, 2010, pp. 8-26 (deux articles où sont décrites les activités militantes autour de la consommation de Margaretta Hicks) ; HUTCHINS, Elizabeth, Leigh, Women in Modern Industry, Londres, 1915 (voir en particulier le récit de la création du syndicat des ouvrières des corderies aux pages 128-130, récit inspiré par le témoignage d’Amie Hicks elle-même)

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