RENAC Yvette, Denise [épouse ROY Yvette]

Par Marc Giovaninetti

Née le 1er février 1922 à Viels-Maisons (Aisne), morte le 14 mai 2018 à Coulommiers (Seine-et-Marne) ; vendeuse en charcuterie puis employée dans des organisations proches du PCF ; militante de l’UJFF et du PCF à Paris et en Seine-et-Marne ; résistante, déportée ; secrétaire nationale de l’UJFF.

Yvette Renac
Yvette Renac
Cliché fourni à Marc Giovaninetti par Yvette Renac

Yvette Renac naquit au hameau de la Couarde, partagé entre les départements de l’Aisne et de la Seine-et-Marne. La famille de sa mère, les Boyer, était originaire du hameau voisin du Montcel, rattaché à la commune de Verdelot (Seine-et-Marne), où le grand-père était sabotier, et c’est là qu’Yvette grandit. Son père, Pierre Renac, était un immigré de Bretagne, qui travaillait comme ouvrier meunier dans les moulins à grains établis sur le Petit Morin. Il avait combattu à Verdun ; blessé trois fois pendant la guerre, il était décoré de la Légion d’Honneur.

Une fois passé le certificat d’études, Yvette Renac fut placée pour travailler à Paris, notamment chez une famille de bourgeois membres des Croix-de-Feu dans le VIe arrondissement. Mais déjà, malgré son jeune âge, elle ne se laissait pas impressionner. Le plus jeune de ses oncles, son parrain, travaillait chez Renault. Il était communiste, et sous son influence elle rejoignit l’Union des Jeunes Filles de France en 1938. Elle milita d’abord dans un « foyer » de l’UJFF du XIe arrondissement, qu’animait Josette Cothias, puis dans le VIe où elle travaillait. Elle assista au premier congrès de l’organisation à Montreuil. En dépit de sa jeunesse, elle fut admise au Parti communiste, et dans sa cellule, elle connut Danielle Casanova qui habitait alors rue du Four. Elle-même, soutenue par son oncle, s’installa dans une petite chambre indépendante rue des Canettes. Elle travaillait alors comme vendeuse en charcuterie. Elle avait commencé ce métier rue de Belleville, puis rue Saint-Honoré dans le 1er arrondissement, à proximité du siège de l’UJFF situé boulevard des Capucines.

Fin 1938, elle suivit pendant quinze jours une école de cadres destinée aux jeunes filles. Peu après, à peine âgée de 17 ans, elle fut interpelée lors d’une distribution de tracts devant les usines Renault. Par provocation, elle en avait continué à en jeter depuis la voiture de police qui l’emmenait au commissariat. Le député Alfred Costes se déplaça pour la faire libérer, et l’affaire fit assez de bruit pour que la « charcutière de la rue des Canettes » y gagne une réputation justifiée de forte tête.

En pleine débâcle de l’armée française, en mai 1940, elle fut à nouveau arrêtée, et détenue pendant un mois à Fresnes sans jamais être interrogée. Les Allemands arrivés, elle fut transférée à La Roquette, où elle fut rejointe par Denise Ginollin, arrêtée par les autorités de Vichy après son implication dans l’affaire de la tentative de reparution de l’Humanité, et par cinq ou six autres militantes communistes. Elles furent bientôt toutes relâchées. La police avait trouvé dans sa chambre quelques journaux communistes et une machine à écrire. Celle-ci finit par lui être restituée… en 1958.

Sa patronne était prête à la reprendre, d’autant plus volontiers que l’absence des prisonniers de guerre créait une pénurie de main-d’œuvre. Elle préféra renoncer, trouva un train pour Coulommiers, et de là parcourut à pied les vingt-huit kilomètres qui la séparaient de la maison de ses parents. Celle-ci était occupée par des soldats allemands, comme toutes celles des alentours, et cela rappelait aux populations de ces bourgades rurales les précédents de la Grande guerre, où par deux fois les combats avaient été tout proches.

Elle commença à faire des navettes en vélo entre sa campagne et Paris – les quatre-vingt-dix kilomètres ne lui faisaient pas peur – pour approvisionner ses camarades. A cette occasion, elle renoua avec le PC clandestin en la personne de Jean Baillet, l’ancien dirigeant communiste de la Fédération de Seine-Ouest. Il vint à Verdelot en août 1940 pour y mettre en place Henri Koly, un militant d’origine serbe, ancien des Brigades internationales d’Espagne, avant d’être pris et fusillé en août 1941. Par l’intermédiaire de Koly, la famille Renac approvisionna en victuailles, pendant toute l’Occupation, plusieurs dirigeants du PCF clandestin dissimulés en région parisienne. Mais jamais elle ne se mêla de marché noir comme le faisaient certains paysans. Bientôt, elle reçut d’autres clandestins de diverses nationalités : familles de résistants victimes des répressions, soldats allemands déserteurs, prisonniers de guerre russes évadés, qu’ils faisaient éventuellement passer pour des cousins de Bretagne. Avec les colis de nourriture, il arrivait fréquemment à Yvette Renac de transporter des tracts ou d’autres matériels de propagande. Les camarades inconnus pouvaient se reconnaitre en se montrant des cartes postales coupées en deux qui devaient coïncider. Dans la région, un ouvrier agricole espagnol avait récupéré la mitrailleuse d’un avion anglais abattu au-dessus de la campagne. Yvette la fit récupérer. Après avoir été entreposée chez un de ses oncles de Verdelot, l’arme fut utilisée plus tard dans les maquis du sud de la France. Cet oncle, Albert Boyer, fut fusillé en août 1942, et Yvette perdit également son frère André Renac, mort en déportation, et un de ses cousins.

Elle fut ensuite affectée à Saint-Ouen au triangle de direction de la Jeunesse communiste de Paris-Nord. Au bout de quelques mois, il était question de l’envoyer en province, mais elle fut dénoncée par un membre de son groupe qui travaillait pour la police. Plus tard, André Merlot, qui était chargé d’exécuter traitres et mouchards, lui dit qu’il regrettait avoir loupé de peu son dénonciateur. Interrogée par la 1re Brigade spéciale, elle réussit à taire l’essentiel. Emprisonnée à la Roquette, elle fut condamnée à quatre ans de travaux forcés. Transférée ensuite à la prison centrale de Rennes, elle y retrouva environ cent-cinquante codétenues, pour la plupart communistes.

Le 3 mai 1944, toutes furent acheminées vers Romainville, et de là elles furent déportées au camp de Ravensbrück en Allemagne. Le convoi mit plusieurs jours à parvenir à destination ; les bombardements, les actions de résistance des cheminots retardaient la progression des trains. La victoire approchant, il y avait dans certaines gares des manifestations de protestation. À Ravensbrück, elle connut Georgette Cadras, la sœur de Félix Cadras, Juliette Semard*, l’épouse de Pierre Semard, Lise Ricol*, la compagne d’Artur London, et bien d’autres. Elle y retrouva aussi Odette Moreau, une avocate de bonne renommée, qui avait assuré sa défense à la demande de Maître Marcel Willard, l’avocat communiste qui l’avait prise sous sa protection.

Libérées à Hanovre par les Américains, les déportées françaises de son commando furent conduites en camions jusqu’à Trèves, non sans avoir dû vertement remettre en place les prisonniers de guerre français qui les importunaient. Elles étaient encore vêtues de leurs tenues rayées, et on ne leur donna rien pour se changer – Yvette Renac-Roy possède encore sa veste rayée avec son numéro, qu’elle montre lors de ses conférences dans les collèges. À une vingtaine, on les mit dans un train pour Bruxelles, Lille, Paris-Gare du Nord ; aucune manifestation de sympathie, aucun accueil, elles étaient consternées. À la mairie du XXe, où Yvette Renac finit par arriver, on lui donna enfin à boire. Avec encore un peu de ressentiment, elle pense que cela était dû au fait que les rescapés des camps étaient noyés dans le flot des rapatriés, et notamment les prisonniers de guerre ou les requis du STO qui rentraient aussi.

Avant de regagner la Seine-et-Marne, elle passa dans le XIVe arrondissement chez Jean Chaumeil, responsable aux cadres du PCF pendant l’Occupation et ancien dirigeant des JC, qui pendant l’Occupation était venu à Verdelot chez les Renac où son fils adoptif était caché. Sur sa recommandation et celle d’André Gautier, secrétaire de la fédération de Seine-et-Marne, après un bref repos dans sa famille, elle fut appelés à participer à Melun au secrétariat départemental de l’UJRF, l’organisation de jeunesse qui avait pris la succession de la JC. Puis elle revint à Paris en qualité de membre du bureau et du secrétariat national de l’UJF aux côtés de Madeleine Vincent*, secrétaire générale, et Ginette Cros*. Cette nouvelle direction, élue lors du 1er congrès de l’UJRF fin août 1946 à Clichy, assurait la relève de l’équipe précédente dirigée par Colette Jobard depuis le dernier congrès de la JCF en mars-avril 1945, où avait été décidé la transformation de la JC en UJRF et la reconstitution de l’UJRF en organisation autonome. Les trois jeunes femmes de cette direction, qui se voulait composée d’une ouvrière (Mireille Vincent), d’une paysanne (elle-même, secrétaire à l’organisation) et d’une intellectuelle (Ginette Cros), furent à ce titre élues parmi les quatorze membres du bureau national de l’UJRF.

L’organisation de jeunes filles occupait des locaux somptueux, réquisitionnés comme bien d’autres après la Libération, dans l’élégante avenue Hoche du VIIIe arrondissement. Elle y milita jusqu’en mai 1948, au congrès de Lyon. Lors des réunions du comité national, elle pouvait remarquer un homme sensiblement plus âgé qui prenait des notes sans intervenir. C’était André Grillot, un ancien dirigeant des JC du tournant des années 1930 et maintenant membre de la commission de la jeunesse du PCF. Sa présence permettait à André Marty, qui avait repris la haute main sur les organisations de jeunesse, de les garder à l’œil.

Yvette Renac s’était mariée entretemps. Pendant une école de cadres suivie à Viroflay en 1947, elle fit équipe avec René Roy*, le rédacteur en chef de l’Avant-Garde, l’organe de l’UJRF. Ils avaient vécu beaucoup d’événements similaires, l’engagement précoce aux Jeunesses, la résistance et la déportation. Ils se marièrent en octobre 1947, à la mairie du XIXe arrondissement où René avait grandi et milité. Installé à Saint-Ouen, le couple eut deux enfants, un garçon né en 1948 et une fille en 1951.

Comme son mari, Yvette Roy travailla ensuite surtout dans la presse, mais aussi pour divers comités d’entreprise gérés par la CGT. Son expérience la plus originale la conduisit à s’installer en famille successivement à Prague et à Budapest, pendant trois ans et demi, de 1951 à 1955, pour travailler avec René Roy à la chaîne de radio en français qui diffusait depuis ces deux villes les émissions Ce soir en France - Les Voix de la Paix. Ils vivaient alors dans une semi-clandestinité, sous le nom de Berger, complètement coupés du reste de la colonie française. À Prague, la police vint l’interroger plusieurs fois sur ses relations avec Lise London, dont le mari Artur London, ancien vice-ministre du gouvernement communiste, était un des accusés du procès Slansky. Elle fit part de son opinion très positive, mais n’eut pas l’occasion de renouer à cette époque avec son ancienne codétenue qui vivait alors un sévère ostracisme.

À son retour en France, elle travailla successivement à la rédaction du journal communiste La Terre destiné au monde paysan, à l’agence Chine nouvelle, aux comités d’entreprise des usines Citroën de Saint-Ouen, puis de la Caisse-vieillesse de la Sécurité sociale de la rue de Flandre. Toujours militante, elle n’adhéra jamais à l’Union des Femmes de France, d’autant moins qu’elle n’appréciait pas certaines positions imposées sur le mode autoritaire à l’organisation par Jeannette Vermeersch, en particulier lors de la polémique sur le « birth control ». Elle la jugeait péniblement coupée des réalités.

En 1975, le couple Roy s’installa définitivement dans la propriété familiale de Verdelot, qui avait été partagée avec la sœur d’Yvette, Gisèle, épouse de Guy Pierronnet, le président départemental de l’ANACR (Association nationale des anciens combattants de la Résistance). René Roy continua à militer activement comme secrétaire de la section communiste du canton de Rebais, mais ils étaient tous les deux de plus en plus réservés sur certaines évolutions du PCF, et ils ne reprirent pas leur carte en 1991.

Par contre, avec la caution de l’ANACR et la FNDIRP (Fédération nationale des déportés, internés et résistants patriotes), elle continuait à porter témoignage de son passé de résistante et de déportée dans les écoles du département.

Pour citer cet article :
https://maitron.fr/spip.php?article140970, notice RENAC Yvette, Denise [épouse ROY Yvette] par Marc Giovaninetti, version mise en ligne le 24 juin 2012, dernière modification le 2 avril 2020.

Par Marc Giovaninetti

Yvette Renac
Yvette Renac
Cliché fourni à Marc Giovaninetti par Yvette Renac

SOURCES : L’Avant-Garde, n°106, 4 septembre 1946. — Filles de France, 1946-1948. — Claude Cherrier et René Roy, La Résistance en Seine-et-Marne (1939-1945), Presses du Village, Etrepilly, 2002. — Entretien avec l’intéressée et son époux, 2011-2012.

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