DELAUNAY Jacques [dit Alphonse]

Par Daniel Grason, Michel Thébault

Né le 9 avril 1922 à Saigon (Hô-Chi-Minh-Ville) en Cochinchine (Vietnam), fusillé après condamnation à mort le 6 octobre 1943 au Mont-Valérien, commune de Suresnes (Seine, Hauts-de-Seine) ; étudiant en 3ème année de médecine à Poitiers (Vienne) ; résistant groupe Tullius et FTPF.

Jacques Delaunay était le fils de Georges Delaunay inspecteur des douanes et d’Amélie Rose Boutin, institutrice. Son père (né le 19 octobre 1888 à Dangé-Saint-Romain, Vienne) s’était engagé dans l’armée en 1907 avant de partir en 1911 à la fin de son engagement, comme préposé des douanes à Saigon. Mobilisé en avril 1915 dans un régiment d’infanterie coloniale, il vint combattre en France en mai 1915 et fut successivement promu sous-lieutenant puis lieutenant. Démobilisé au Tonkin en mai 1919, il fit carrières aux Douanes du Vietnam inspecteur des douanes coloniales à Saigon puis à Hanoï. La mère de Jacques Delaunay, institutrice y dirigea un orphelinat. La famille revint en 1929 à Poitiers, domiciliée d’abord 8 rue du Chaudron d’Or puis au 14, route de Ligugé (aujourd’hui rue Georges Delaunay).

Au début des années 40, Jacques Delaunay était étudiant en médecine à Poitiers et était lié à Jacques Massias, également étudiant en médecine et fils de Gérard Massias franc-maçon de la même loge que Georges Delaunay. Avec un groupe de camarades étudiants, après avoir mené beaucoup d’actions mineures de résistance à Poitiers (inscriptions murales, chahuts dans les cinémas, vols d’armes et munitions dans les cafés et bains publics…) il constitua un groupe de résistance organisé, le groupe Tullius (du nom de l’esclave affranchi de Cicéron). Il y prit le pseudonyme d’Alphonse. Il se lia avec Marthe Hoffnung, une jeune juive mosellane réfugiée en septembre 1939 à Poitiers avec sa famille et qui avait commencé à Poitiers en 1941 des études d’infirmière. Avec sa sœur Stéphanie (arrêtée en juin 1942, déportée et décédée à Auschwitz), Marthe Hoffnung aidait les personnes menacées à franchir la ligne de démarcation proche. Jacques Delaunay et Marthe Hoffnung s’étaient promis de se marier à la fin de la guerre et de partir travailler au Vietnam, lui comme médecin, elle comme infirmière.

Le groupe Tullius décida au printemps 1943 d’enlever le docteur Michel Guérin, président du Parti Populaire Français de la Vienne. Celui-ci écrivait régulièrement dans L’Avenir de la Vienne sous le pseudonyme de Chavigny où il dénonçait les communistes et les francs-maçons, et se déclarait partisan de la collaboration avec l’Allemagne. Se sachant menacé, il avait fait poser des barreaux aux fenêtres de sa maison et obtenu le droit de porter une arme. Le 13 mai 1943 en soirée, Marc Delaunay frappa à la porte du docteur lui demandant d’aller soigner l’une de ses clientes. Michel Guérin s’y rendit, mais quand il ouvrit la porte du jardin vers 22 heures, l’un des hommes en embuscade lui asséna un coup de marteau sur la tête. Le docteur dégaina son arme, tira à trois reprises. Le pistolet s’enraya, deux des quatre autres protagonistes dont Jacques Massias le frappèrent à coups de poignard, puis tous prirent la fuite. Les dirigeants FTPF de Poitiers parvinrent à prendre contact avec le groupe, proche par ailleurs de jeunes étudiants communistes, et leur proposèrent de participer à leurs côtés aux actions de sabotage des FTPF. Dans la nuit du 10 au 11 juillet 1943, avec son frère Marc et Éloi Rickert, Jacques Delaunay était dans l’équipe qui fit dérailler un train à Ligugé (Vienne). L’arrestation fortuite d’un résistant FTPF à la mi-juillet 1943 permit, par les interrogatoires sous la torture, à la section des affaires politiques de la police française (SAP) du commissaire Rousselet de remonter les filières du réseau FTPF. Jacques Massias fut arrêté le 3 août à Bignoux dans une souricière tendue par la SAP, lors de son arrivée en vélo au QG du groupe FTPF. Le 5 août, Marc et Jacques Delaunay, Jean Gautier et Roger Rieckert furent arrêtés à leur tour.

Incarcérés à Fresnes, tous comparurent les 10 et 11 septembre 1943, devant la section de Paris du tribunal d’État. Le commissaire du gouvernement demanda la peine de mort, laissant le soin au tribunal de réfléchir sur le sort de Jacques Delaunay et Éloi Rickert qui ne donnèrent pas de coups au docteur Guérin. Les avocats de la défense dont Me Maurice Garçon relevèrent que le docteur Guérin par ses écrits avait suscité des passions. Ils affirmèrent que les jeunes gens ne voulaient pas le tuer mais lui donner une correction.
Jacques Delaunay, qui n’avait pas porté de coups, fut condamné à vingt ans de travaux forcés pour avoir aidé ses camarades en connaissance de cause. Marc Delaunay, Jean Gautier, Jacques Massias et Éloi Rieckert furent condamnés aux travaux forcés à perpétuité pour avoir volontairement exercé des violences et voies de fait ayant entraîné la mort sans intention de la donner.
Trouvant le verdict trop clément, les Allemands exigèrent le lendemain que les cinq hommes leur fussent livrés. Ils furent interrogés par les policiers de la Sipo-SD (police de sûreté et de sécurité), puis comparurent le 24 septembre 1943 devant le tribunal du Gross Paris qui siégeait rue Boissy-d’Anglas (VIIIe arr.). Ils furent condamnés à mort pour « actes de franc-tireur et aide à l’ennemi », à l’exception de Jean Gautier condamné aux travaux forcés à perpétuité.

Jacques Delaunay a été fusillé le 6 octobre 1943 ainsi que son frère Marc, Éloi Rieckert et Jacques Massias. Sur son acte de décès figure la mention « Mort pour la France » après avis du secrétariat général des Anciens Combattants en date du 23 juin 1945. Il reçut à titre posthume la Médaille de la Résistance par décret du 31 mars 1947. Son nom figure sur le monument du Mont Valérien ainsi que sur la plaque commémorative 1939 – 1945 de la Faculté de Médecine Paris-Descartes.

Le 5 août 1943, son père Georges Delaunay, résistant au sein de Libération-Nord, avait été arrêté en même temps que ses deux fils. Il fut déporté le 22 janvier 1944 à Buchenwald dont il revint en avril 1945.

Marthe Hoffnung parvint grâce à de faux papiers à quitter Poitiers pour la zone libre après l’arrestation de sa sœur, termina ses études d’infirmière à Marseille et s’engagea en septembre 1944 sous les ordres du colonel Fabien dans les services de renseignements de l’Armée française. Elle devint dans les derniers mois de la guerre, agent de renseignement en territoire allemand collectant des informations essentielles à l’avancée des troupes françaises.

Pour citer cet article :
https://maitron.fr/spip.php?article153356, notice DELAUNAY Jacques [dit Alphonse] par Daniel Grason, Michel Thébault, version mise en ligne le 13 février 2014, dernière modification le 10 décembre 2021.

Par Daniel Grason, Michel Thébault

Photographie du groupe Tullius réalisée par le Service Régional le 13 août 1943, après leur arrestation, à la prison de la Pierre Levée à Poitiers. Légendée "Assassins du Dr. Guérin"
Photographie du groupe Tullius réalisée par le Service Régional le 13 août 1943, après leur arrestation, à la prison de la Pierre Levée à Poitiers. Légendée "Assassins du Dr. Guérin"

SOURCES : Arch. PPo., BA 2057, 77W 700. — Dossier AVCC, Caen, Boîte 5 B VIII dossier 4 (Notes Thomas Pouty). — Arch. Dép. Vienne (état civil, registre matricule) — Le Matin, 11 et 27 août 1943, 11 septembre 1943. — Yves-Frédéric Jaffré, Les tribunaux d’exception 1940-1962. — Site Internet Mémoire des Hommes. — Site Internet Vienne Résistance Internement Déportation (VRID). — Christian Richard, La Solidarité, une loge maçonnique poitevine, Geste Éditions, 2008 — Chichinette, ma vie d’espionne documentaire de Nicola Alice Hens sur Marthe Hoffnung Cohn. Octobre 2019. Urban Distribution — Mémorial genweb — État civil, Poitiers registre complémentaire des décès 1944 acte n° 6.

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