LABBÉ Daniel

Par Pierre Alanche

Né le 25 janvier 1948 et mort le 9 août 2005 à Paris (Xe arr.) ; ouvrier chez Renault, consultant en management ; militant CFDT, secrétaire général du SRTA-CFDT ; militant au comité Vietnam et au CLAJ.

Daniel Labbé et Claude Patfoort
Daniel Labbé et Claude Patfoort

Il était le fils de Fernand Labbé, manutentionnaire à Paris, et de Raymonde Bonte, ouvrière. Son père, qui affichait des idées anarchistes, adhéra au Parti communiste et le quitta au bout de six mois. Daniel Labbé fut baptisé mais n’eut pas d’éducation religieuse.

Après sa scolarité primaire à l’école du Vert-Galant à Villepinte (Seine-et-Oise, Seine-Saint-Denis), il poursuivit des études secondaires brillantes au lycée Buffon à Paris où il participa aux comités Vietnam de base, animés par Tiennot Grumbach, regroupant de nombreux militants venant de groupes maoïste et aux activités des CLAJ (Clubs de loisirs et d’action de la jeunesse), mouvement d’éducation populaire actif dans les lycées. Reçu au baccalauréat technique, il se rendit compte qu’il ne voulait pas être ingénieur et commença en 1966 des études de droit et de sciences économiques à la faculté de Paris, rue d’Assas. Il adhéra l’UNEF et apprécia ces lieux de débats et de discussions.

Il arrêta ses études en 1968 partageant son temps entre des voyages à l’étranger, Moyen-Orient, Inde, et travaux alimentaires. Il devint archiviste chez Larousse, puis fraiseur chez un sous-traitant de Dassault et soudeur aux Câbles de Lyon. Son parcours ressemblait à celui des établis, ces militants, en général d’extrême gauche, qui se faisaient embaucher dans les entreprises pour infiltrer la classe ouvrière, mais il ne se revendiquait pas comme tel, il cherchait à partager rééllement la condition ouvrière. Il entra chez Renault le 24 décembre 1971, comme OS2 sur la chaîne de montage sellerie de la 4L, au département 74 atelier 7460, il fut promu P1 montage le 1er février 1982, muté à l’atelier 7467 le 1er avril de la même année, devint P1 monteur le 1er mai 1984, puis P1 monteur-formateur le 1er novembre 1985. Il s’intégra avec passion dans l’usine dont la population était essentiellement immigrée. Humainement, nouant de nombreuses relations personnelles, il eut rapidement l’estime de ses camarades de travail ; professionnellement, reconnu pour son intelligence, agile dans son travail, il fut tout à la fois suspecté et respecté par la maîtrise. L’organisation du travail en équipes lui permit de se réinscrire à la Faculté de Paris et d’obtenir sa licence en sciences économiques.

Il adhéra à la CFDT où il assuma très vite des responsabilités. D’abord délégué du comité d’hygiène et de sécurité (CHS), il fut ensuite élu délégué du personnel en 1975. Il fut de toutes les luttes dans les ateliers et s’intéressa aux évolutions d’organisation. Dans les conflits, il ne cherchait pas à humilier l’encadrement, mais s’attachait à obtenir des résultats concrets. Il critiquait la stratégie d’affrontement de la CGT, qu’il jugeait inefficace. Les relations devinrent rapidement conflictuelles, d’autant plus que sur le terrain il avait le soutien des OS. Après le conflit d’octobre 1981 dans l’atelier de montage mécanique, aux élections de délégués du personnel, la CFDT progressa de 13 % à 25 % des voix et dans son secteur devint majoritaire. En 1979, il devient secrétaire général du SRTA (Syndicat Renault des travailleurs de l’automobile) où il succéda à Michel Glandus. Ce changement fut vécu comme une prise de pouvoir des OS, des OP et des immigrés sur les techniciens. Quand Bernard Hannon présenta son plan de relance en 1984, Daniel Labbé avec le SRTA-CFDT s’y opposa alors que de nombreuses sections de Renault et la Fédération de la métallurgie y étaient favorables ; il le jugeait acceptable mais inapplicable. Avec Daniel Richter, il prépara une brochure d’analyse de l’avenir de l’automobile : Automobile où nous mènes-tu ? Publiée en décembre 1985, de présentation soignée, elle était représentative de leur volonté d’asseoir l’action syndicale sur une analyse sérieuse de la situation générale et de la faire partager. Daniel Labbé se démarqua clairement de la CGT, dénonçant la grève avec occupation de 1985 décidée dans des conditions non démocratiques. En 1987, Michel Praderie, l’ancien directeur de cabinet de Pierre Maurois devenu secrétaire général de Renault, avait ouvert les négociations de l’« accord à vivre ». Tirant les leçons des insuffisances des différents plans sociaux précédents, Daniel Labbé fit partie des militants favorables aux mesures d’anticipation des problèmes par une politique d’emploi reposant sur la formation professionnelle, le suivi professionnel individualisé et le refus de l’exclusion. Sous l’impulsion de Daniel Labbé, la CFDT fut très active dans la défense des salariés, alliant à la présence active dans les négociations, l’action juridique et les initiatives concrètes. En mars 1989, elle organisa le dépôt de deux quarante cinq dossiers de salariés licenciés dans la période 1986-1987 au tribunal des prud’hommes de Boulogne-Billancourt. La même année, pour accompagner les travailleurs dans leurs démarches de réinsertion, il participa à la création de l’association « Starter ». Farouk Belkeddar, ex-formateur chez Renault en devint le directeur, Daniel Labbé en fut le premier président. Il œuvra pour fédérer les syndicats CFE-CGC, FO et CGC dans une « entente » destinée à constituer le principal interlocuteur syndical de la direction, aussi bien au niveau du Groupe Renault que du centre industriel de Billancourt. En décembre 1989, elle permit de conclure, l’« accord à vivre ». Quand la direction annonça, fin 1989, la fermeture de Renault-Billancourt pour 1992, la CGT mena le front du refus et privilégia le combat pour les « dix de Billancourt ». Daniel Labbé convainquit le SRTA-CFDT de négocier avec la direction un processus de reclassement de tous les salariés ayant constaté, dans la période 1986-1987, l’échec des actions d’opposition aux licenciements. « Il faut défendre les ouvriers, pas les murs » et refuser les solutions qui débouchent sur « un chèque valise ». La démarche était à contre-courant des pratiques syndicales de la CGT et d’une partie de la CFDT. Dans les mois suivant, le 5 janvier 1990, les syndicats, à l’exception de la CGT, signèrent, avec la direction, un accord sur le reclassement des salariés de Billancourt. Il s’agissait d’un des premiers « accords de méthode » qui organisait le travail commun dans le cadre d’une commission paritaire sur le reclassement des salariés. Dans la même dynamique, Daniel Labbé œuvra pour que les organisations syndicales engagées dans « l’entente », prennent le contrôle du CCE, ce qui fut fait en 1991, avec l’élection d’Abel Cardoso, de la CFDT, au poste de secrétaire. Il travailla en étroite collaboration avec l’Union départementale CFDT, dont le secrétaire était Philippe Pinglin, et le syndicat local de la métallurgie STGM92. Il soutint la position de ce dernier quand celui-ci n’adhéra plus à la politique de la mise en commun des moyens pour l’ensemble de la métallurgie parisienne CFDT.

Tirant les leçons de ses expériences, il estima que le mode d’intervention des syndicats devait profondément évoluer. Le livre, au titre symbolique Que reste-t-il de Billancourt, écrit en collaboration avec l’inspecteur du travail Frédéric Périn, présente ses réflexions. Edmond Maire le cita dans son article traditionnel de vacances, dans Le Monde du 21 août 1990 : « Le syndicalisme structure de moins en moins le monde de l’entreprise, tout se met en place dans des arrangements où il est absent. » Daniel Labbé mit fin à son mandat de secrétaire du SRTA-CFDT en 1989 mais il resta très actif dans l’aide au reclassement des salariés et le suivi de l’accord de 1990, aidant beaucoup de personnes à trouver un emploi et à échapper à l’exclusion sociale. Il maintint des contacts étroits avec la CFDT-Renault et les dirigeants de l’entreprise. Il conserva une activité à mi-temps chez Renault ; le 1er mai 1991, il fut promu technicien dans l’atelier 9047 puis cadre IIIA au service 0721 à la Direction des ressources humaines. Le 1er janvier 1998, il fut muté au service 0840, dans les services centraux de la direction des fabrications, s’occupant de recherche prospective sur les métiers. Il quitta l’entreprise le 31 décembre 2002.

À l’extérieur de Renault, il resta président de l’association Starter ; il fut durant quelques mois détaché à « DEFI 92 », l’association des Hauts-de-Seine des entreprises pour l’insertion, dont Renault était un des membres fondateurs. S’attachant à approfondir ce qui était novateur en matière d’emplois et de relations sociales, il développa ses activités d’études, de conseil et d’enseignement dans les domaines des relations sociales et du management. Il obtint un DEA de sociologie de l’entreprise à l’École des hautes études en Sciences sociales (EHESS) sous la direction de Patrick Fridenson. Il enseigna à l’Institut d’administration des entreprises (IAE) de Paris avec Xavier Huret, alors responsables RH chez Renault. Il fit de nombreuses interventions en entreprises au sein du réseau Syneo, avec Hubert Landier, Christian Goux, faisant de nombreux voyages à l’étranger en Chine, Japon, Russie, Suède afin d’élargir sa vision du monde du travail. Il intervint dans de nombreuses formations sur les relations sociales, publia plusieurs ouvrages sur le sujet en collaboration avec Emmanuel Froissart, Hubert Landier, et Fréderic Périn et intervint comme consultant ou médiateur dans des situations de crises. Se sachant malade il mit toute son énergie dans son travail. Il tira, de ses expériences successives, une vision pessimiste de l’état du syndicalisme, critiquant son institutionnalisation et sa perte de proximité avec les salariés. Il analysa les formes d’action sociale émergeant lors des conflits de 1995, les nouveaux syndicats, les mouvements sociaux, mais sans y participer. Il cherchait à trouver les bases d’une refondation d’un dialogue social, adaptés aux nouveaux enjeux, et fondé sur le respect réciproque des différents acteurs ; il se passionnait pour toutes les expérimentations, d’où qu’elles viennent.

Il s’était marié avec Yvette Cormerais, institutrice, syndiquée au SGEN-CFDT, le 27 juillet 1973. Il eut deux enfants, un garçon, Mathias (né en 1973) et une fille, Michèle (née en 1976).

Il mourut le 9 août 2005 à Paris (Xe arr.) et repose au père Lachaise à Paris (XIXe arr.).

Pour citer cet article :
https://maitron.fr/spip.php?article209556, notice LABBÉ Daniel par Pierre Alanche, version mise en ligne le 12 décembre 2018, dernière modification le 12 décembre 2018.

Par Pierre Alanche

Daniel Labbé et Claude Patfoort
Daniel Labbé et Claude Patfoort

ŒUVRE : Travail formel et travail réel : Renault-Billancourt 1945-1980, DEA d’histoire sous la direction de Patrick Fridenson, EHESS, 1990. — Avec Frédéric Perrin, Que reste-t-il de Billancourt ? : Enquête sur la culture d’entreprise ; postface de Bernard Gazier, Paris, Hachette, 1990. — Avec F. Perrin et E. Froissart, La ruche et le sablier, gérer l’emploi à l’écoute des hommes, Paris, Éditions Liaisons, 1993. — Syndicalistes et comités d’entreprise face à l’exclusion, Paris, Conseil national pour l’insertion par l’activité économique, 1994. — Les comités d’entreprise et la lutte pour l’emploi, Paris, Lamy, 1996. — Avec Hubert Landier, Les organisations syndicales en France, Paris, Éditions Liaisons, 1998. — Les relations sociales dans l’entreprise : pratiques et enjeux, rôle des partenaires, communication, négociation et gestion des conflits, Paris, Éditions Liaisons, 1999. — Avec Bertrand Reynaud, La négociation collective en entreprise ; Paris, Éditions Liaisons, 2001. — Avec Hubert Landier, L’entreprise face au nouveau radicalisme, Paris, Éditions Liaisons, 2001. — Avec Hubert Landier, Prévenir et gérer les conflits sociaux dans l’entreprise, Paris, Éditions Liaisons, 2002. — Avec Hubert Landier, Les organisations syndicales en France, Paris, Éditions Liaisons, 2004. — Avec Hubert Landier, Le management du risque social, Paris, Éditions d’Organisation, 2004.

SOURCES : Archives confédérales CFDT, fonds Renault. — Archives UPSM-CFDT. — Claude Patfoort, Renault Billancourt : 25 ans après, https://www.renew-srta.fr. — Daniel Labbé portrait d’un praticien du dialogue social, Paris, Syneo, 2006. — Le Nouvel Obs, 11-17 janvier 1990. — Le Monde,| 26 décembre 1990 ; 15 mai 1991 ; 13 mai 1992 ; 5 septembre1995 ; 16 août 2005. — Les Échos, 29 juillet 1996. — Entretien avec Mathias Labbé, février 2017. — Entretien avec Claude Patfoort, février 2017. — Entretien avec Frédéric Périn, février 2017. — Entretien avec Hubert Landier, février 2017.

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