DOFF Cornélia-Hubertine, dite Neel. [Belgique]

Par Jean Puissant

Buggenum-Haelen (pr. Limbourg, Pays-Bas), 27 janvier 1858 − Ixelles (pr. Brabant, arr. Bruxelles ; aujourd’hui Région de Bruxelles-Capitale), 14 juillet 1942. Ouvrière, modèle, écrivaine.

Fille de Jan Doff (1828-1880), ouvrier, et de Catherine Pacques (1828-1909), dentellière, Neel Doff est la troisième d’une fratrie de neuf enfants, dans une famille qu’on peut qualifier de « lumpen prolétariat ». Jeune, elle est amenée à s’occuper de ses frères et sœurs, puis de gagner quelques sous comme ouvrière, servante… Sa mère ira jusqu’à la pousser, dès l’âge de quinze ans, à la prostitution, comme une sœur. La famille déménage souvent aux Pays-Bas, depuis le Limbourg particulièrement pauvre à l’époque, vers Amsterdam, avant de gagner la Belgique alors plus prospère, Anvers (Antwerpen, pr. et arr. Anvers) puis Bruxelles (1875).

Particulièrement mignonne, Neel Doff pose comme modèle pour des artistes peintres et sculpteurs. Elle sert ainsi de modèle pour la Nele, le personnage féminin du groupe Uylenspiegel, érigé en mémoire de Charles De Coster aux étangs d’Ixelles, monument dû au sculpteur, Charles Samuel.

Neel Doff fréquente les cabarets d’étudiants de l’Université libre de Bruxelles (ULB) au centre de la ville. Cette existence chaotique et de bohème fait la trame d’une partie importante de son œuvre littéraire ultérieure. Elle rencontre à cette époque un étudiant, peu studieux, avec qui elle noue une liaison suivie avant de l’épouser le 1er décembre 1896. Il s’agit de Fernand Brouez (1860-1900) qui se meut avec aisance dans le milieu étudiant de l’époque particulièrement touché par l’effervescence démocratique des années de la fin de siècle ainsi que les milieux artistiques qui s’y impliquent activement ou refusent explicitement de le faire (Art pour l’Art versus Art moderne). Fernand Brouez est le deuxième fils de Jules Brouez, notaire à Wasmes (aujourd’hui commune de Colfontaine, pr. Hainaut, arr. Mons) dans le Borinage, disciple de Jean de Colins et éditeur de son œuvre. Brouez soutient César De Paepe*, principale figure internationale du mouvement ouvrier socialiste naissant (1864-1894), pour lui permettre de terminer ses études de médecine. En 1886, il est le notaire de nombreuses coopératives ouvrières du bassin minier du Borinage. Il est ici surtout le fondateur et bailleur de fonds de la revue, La Société nouvelle. Revue internationale. Sociologie, Arts, Sciences, Lettres (1884-1897) qui a pour objectif la diffusion des idées de Colins, notamment la propriété collective du sol. À la mort de son frère aîné, héritier putatif, Fernand Brouez qui a entrepris des études de droit et de médecine sans les mener à bien, prend la direction de la revue entre 1884 et 1897. Il en fait le carrefour des idées et des personnalités intellectuelles, politiques, artistiques de la Gauche : du libéralisme progressiste à l’anarchisme en passant par la social-démocratie et son jeune parti, le Parti ouvrier belge (POB). La revue est, pour ce dernier, la première opportunité de dépasser la sphère des organes partisans pour y développer ses analyses et propositions. César De Paepe y tient une chronique sur l’actualité sociale internationale.
C’est dans ce milieu que baigne Neel Doff. Brouez lui sert de véritable pygmalion. Il lui fait suivre des cours et l’entretient de ses passions. « Toujours dans les livres et quels livres ! … de vieux philosophes rancis… Colins, comment peux-tu avaler tout cela ? » « André (Fernand) me parlait aussi des Saint-simoniens, de Fourier, de l’abbé de Lamennais – ils m’étaient lettre morte – du phalanstère, ah l’horreur… » (Keetje).

Après la disparition prématurée de son mari, des suites d’une longue maladie qui a mis fin à l’existence de la revue, Neel Doff épouse un de leurs amis, l’avocat anversois Georges Sérigiers (1838-1930). Elle s’établit dans cette ville mais vit aussi dans leur maison de campagne à Genk (pr. Limbourg, arr. Hasselt), pas loin de sa région natale.

Neel Doff commence à publier en 1909. Auparavant, elle réalise des traductions d’Eduard Douwes Dekker, dit Multatuli, poète et romancier anarchiste néerlandais, pour La Société nouvelle, qu’elle signe sous le pseudonyme de Melle CD. Elle traduit également L’Enfant Jésus en Flandre de l’écrivain belge, Félix Timmermans (1886-1947), paru en 1925 aux Éditions Rieder à Paris.

Neel Doff est surtout connue pour sa trilogie : Jours de famine et de détresse (Paris, 1911), Keetje (Paris, 1919, préface de Henry Poulaille) et Keetje trottin (Paris, 1921), œuvre nourrie de réminiscences autobiographiques mais interprétée littérairement dans une sorte de « symphonie de la faim » comme elle l’exprime elle-même. Elle écrit à Poulaille : « Ce bien-être que j’ai depuis bientôt 60 ans n’a rien effacé, ma misère m’a stigmatisée d’une manière indélébile ». La trilogie est rééditée par Jean-Jacques Pauvert en 1974. Ses ouvrages sont traduits en néerlandais et en russe.
« Toute son œuvre témoigne de son engagement social et de son désir de mettre à nu les difficultés de la condition ouvrière (Voir FRÉDÉRIC M. dans Sources). Elle est défendue pour le prix Goncourt 1911 par Octave Mirbeau et est citée pour le Nobel 1934.

Écrivaine naturaliste, prolétarienne ? Sans doute ni l’une ni l’autre, tant son œuvre est autre, mais témoignage des difficultés sociales d’un monde en transition, indéniablement. Neel Doof finit ses jours dans sa maison d’Ixelles, rue de Naples. En 1930, elle est officier de l’ordre de la Couronne.

Pour citer cet article :
https://maitron.fr/spip.php?article214773, notice DOFF Cornélia-Hubertine, dite Neel. [Belgique] par Jean Puissant, version mise en ligne le 19 avril 2019, dernière modification le 23 octobre 2023.

Par Jean Puissant

ŒUVRE : Voir BRUCHER R. (dir.) et alii, Bibliographie des écrivains français de Belgique (1881-1960) t. II, Bruxelles, 1966.

SOURCES : FRÉDÉRIC M., « Lecture » dans DOFF Neel, Keetje, Bruxelles, 1987, p. 251-283 − FRÉDÉRIC M., « Doff Neel », dans GUBIN E., JACQUES C., PIETTE V., PUISSANT J. (dir.), Dictionnaire des femmes belges XIXe-XXe siècles, Bruxelles, 2006 − PUISSANT J., « La Société Nouvelle et les Colinsiens montois (1864-1906) », dans Mémoires et publications de la Société des Sciences, des Arts et des Lettres du Hainaut. Actes du colloque Mons et le Hainaut, terre d’idées, d’inventions et de cultures (27-28 mars 2015), vol. 108, Mons, Faculté polytechnique de Mons, 2015, p. 76-81 − WETERINGS V., « Doff Cornelia Hubertina (1858-1942) », dans Site de l’Huygens Instituut voor Nederlandse geschiedenis.

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