HÉLIOT Libertad [née BERTALO ALCOLEA]

Par Pierre Miléo

Née le 7 mai 1938 à Barcelone (Epagne)  ; professeure d’espagnol ; syndicaliste, secrétaire départementale du SGEN de Seine-Maritime ; militante socialiste (SFIO, PSA, PSU) puis sympathisante d’extrême-gauche ; conseillère municipale de Canteleu (Seine-Maritime) ; militante associative.

Libertad Bertalo était la fille de Maria Alcolea, issue d’une famille de la classe moyenne de Carthagène (Espagne), et de Francisco Bertalo, fils d’un marin pêcheur de Galice. Adhérent de la CNT (Confédération Nacional de los Trabajadores), son père était enrôlé dans la marine espagnole quand éclata le coup d’État militaire du 17 juillet 1936, dirigé par le général Franco contre le gouvernement républicain espagnol. Il fit partie des marins espagnols fidèles au gouvernement républicain, qui se révoltèrent contre leurs officiers mutins, les désarmèrent et exécutèrent ceux qui tentèrent de leur résister. Le gouvernement de la République le nomma à Barcelone au ministère de la Marine. Pour échapper aux armées rebelles qui envahirent la Catalogne, pendant l’hiver 1939, les parents de Libertad se réfugièrent avec elle, en France. Francisco fut alors interné au camp d’Argelès-sur–Mer (Pyrénées-Orientales) et la famille se retrouva ensuite au camp de Mauzac (Haute-Garonne), au sud de Toulouse. En juin 1940, l’armée allemande qui occupait la France se fit livrer les républicains espagnols par les autorités de Vichy. Francisco fut alors déporté et dirigé, à partir de 1942, sur les chantiers du mur de l’Atlantique, à Brest (Finistère). Il s’évada et rejoignit la Résistance à la Borne (Cher), près de Bourges.

La paix revenue, Libertad et sa mère Maria Bertalo qui étaient restées à Mauzac, l’y rejoignirent car il y avait trouvé un travail d’électricien. Quelques mois plus tard, il répondit à une offre d’emploi plus intéressante dans la région de Rouen (Seine-Maritime), en pleine reconstruction, et s’y installa avec à la famille.

À Rouen, Libertad accomplit sa scolarité primaire à l’école Marie Houdemare. Bonne élève, elle fut admise à l’examen d’entrée en sixième au lycée Jeanne-d’Arc où elle poursuivit une scolarité secondaire brillante qui lui donna accès à la faculté des lettres. Elle acquit deux licences, une d’espagnol et une de lettres modernes et fut reçue au CAPES d’espagnol, en 1960. Pour financer ses études, elle avait déjà exercé dans l’Education nationale comme maîtresse auxiliaire.

Parallèlement à ce parcours scolaire, Libertad Bertalo s’intéressa très tôt à la vie sociale et politique. Dès quatorze ans, elle adhéra aux Faucons rouges, organisation de jeunesse proche des mouvements de l’Éducation populaire, de la CGT et de la SFIO, où elle rencontra les futurs cadres locaux de cette organisation. Elle s’engagea à la SFIO en 1956, espérant beaucoup du Front républicain qui avait promis la « Paix en Algérie » et la fin de cette « guerre idiote et inutile ». Mais après deux ans d’exercice du pouvoir, la guerre était toujours là et provoqua la chute de la IVe République. Le comportement des leaders de la SFIO qui n’avaient pas tenu leurs promesses électorales et qui avaient pactisé avec les fondateurs de la Ve République dont la légitimité républicaine était discutable, semait le trouble et la défiance chez beaucoup de militants socialistes. Ce fut le cas à Rouen, où le soutien apporté par Guy Mollet à la nouvelle constitution de la Ve République provoqua la rupture de la gauche de la SFIO qui quitta le parti pour rejoindre le Parti socialiste autonome (PSA), en 1958. Libertad Héliot la suivit. En 1960, elle participa à la fusion du PSA avec l’Union de la gauche socialiste (UGS), dans le Parti socialiste unifié (PSU).

Dans la construction de ce parti elle rencontra, en 1959, Yves-Marie Choupot, membre d’un réseau indépendant d’aide au FLN algérien, directement relié à la Wilaya IV bis (celle du nord de la France zone III) où il était en relation avec Ben Ghezal, l’un de ses chefs. Il contacta Libertad et son mari, Gérard Héliot, pour avoir de l’aide dans son activité clandestine. Ils acceptèrent aussitôt de participer à l’imprimerie illégale de tracts du FLN algérien. Ils y retrouvèrent Annie Guilbert, journaliste de Paris-Normandie et Hélène Bougoin qui avait été la professeure de philosophie de Libertad. Plus tard, l’opposition à la Guerre d’Algérie montant dans l’opinion publique, Libertad Héliot participa aux manifestations qui furent durement réprimées par la police rouennaise y compris celle du 13 février 1962 en hommage aux victimes de Charonne.

En 1960, au début de sa carrière d’enseignante, Libertad Héliot adhéra au SNES de Seine-Maritime. Elle y milita jusqu’en 1968. Cette année-là, elle soutint le mouvement étudiant et le mouvement social déclenchés, le premier fin mars à l’université de Mont-Saint-Aignan (Seine-Maritime), le second le 15 mai aux usines Renault de Cléon (Seine-Maritime), puis essaimant rapidement dans la région. À cette fin, elle prit l’initiative, avec d’autres militants, d’une popularisation des actions en cours. Mais elle se heurta violemment à un responsable syndical de la FEN qui piétina ses tracts. Cet incident, ajouté aux positions du SNES, pendant la grève qui dura jusqu’au début du mois de juin, l’amena à quitter le SNES, pour adhérer à la CFDT dont les méthodes de lutte et les revendications lui semblèrent plus en phase avec ses objectifs et ses convictions profondes. De 1968 à 1981, dans les lycées rouennais où elle exerça, Libertad Héliot mena des luttes sur des revendications de défense du pouvoir d’achat, sur le maintien des acquis sociaux et des accords conclus avec l’administration mais aussi des combats innovants contre l’autoritarisme, la hiérarchie, l’inspection, pour la défense des maîtres auxiliaires et de leurs conditions de travail, pour la préservation des postes, contre la limitation des effectifs (25 élèves par classe), pour la liberté (d’expérimentation) pédagogique, autant de thèmes révélés au cours des évènements de Mai 1968 et dans les années qui suivirent.

En 1973, elle soutint activement les luttes des lycéens et étudiants contre la loi Debré, qui rendait plus difficile l’exercice du sursis au service militaire pour des appelés qui se trouvaient menacés de devoir abandonner leurs études. Par ailleurs, la même année, elle milita contre la loi Fontanet instituant le DEUG, craint comme un « super bac », barrage supplémentaire à l’obtention de la licence et non reconnu comme qualification justifiant l’accès à des emplois supérieurs. Les deux mouvements se rejoignirent et donnèrent vie au plus fort mouvement étudiant depuis 1968. Libertad Héliot resta constante dans son soutien aux luttes de ses élèves, pendant toute la suite de sa carrière et notamment, en 1986, lors de la tentative de réforme d’Alain Devaquet qui, sous couvert d’autonomie des universités, voulut instaurer une sélection à l’entrée.

Militante du Mouvement de libération de la femme (MLF), elle prit part aux différentes mobilisations pour l’égalité des droits des travailleurs français et immigrés, des femmes et des hommes, le droit à l’IVG, le soutien au Planning familial, les conditions de vie et la gestion démocratique des luttes par les militants eux-mêmes, conformément aux pratiques de son organisation syndicale.

Son engagement dans la vie du SGEN l’amena à accéder à la direction départementale et à être élue à son bureau en 1975, chargée de la commission académique du second degré, puis à nouveau en 1979, où elle s’occupa de la commission de défense des personnels (dossiers particuliers). La majorité du SGEN académique de Rouen était alors, avec celui de Créteil (Val-de-Marne) et de Lyon (Rhône), dans l’opposition à la ligne nationale et combattit, à partir de 1975, le « recentrage » de la majorité confédérale de la CFDT, souhaitant garder son indépendance vis-à-vis de la direction du PS comme de celle du PCF ou de tout autre parti politique. Cette exigence n’excluait pas, pour autant, l’unité d’action syndicale et politique, avec ces organisations ou d’autres, pour la défense de revendications librement partagées.

Libertad Héliot prit part aux luttes de 1995 contre la tentative de réforme du régime de retraite des fonctionnaires et de la Sécurité sociale, au cours desquelles son établissement, le lycée Jeanne d’Arc, fut particulièrement engagé. La grève dura un mois entier. Opposée aux positions de la CFDT durant ce conflit, elle démissionna, ainsi qu’une grande partie de ses collègues, pour rejoindre SUD Éducation. Au sein de ce syndicat, elle ne prit pas de responsabilités. Avec quatre de ses collègues, elle fit un voyage en Israël et en Palestine dont le but était d’apporter une aide matérielle à des écoliers palestiniens. Elle y rencontra des militants israéliens, participa à des actions à Tel Aviv et à la campagne de protestation contre l’accaparement des terres par les colons juifs.

En 1998, elle se présenta à Canteleu sur une liste de gauche aux élections municipales. Elle fut élue avec un camarade. Cette expérience fut très enrichissante, même si elle dût se heurter à des attitudes plutôt fermées de la part de la majorité PS-PC de la commune. Elle mena une lutte acharnée pour la remunicipalisation de l’eau, qui fut couronnée de succès.

Militante d’ATTAC, essentiellement contre le CETA (traité commercial Europe-Canada) et les paradis fiscaux, sensible à la cause des plus défavorisés, Libertad Héliot, resta attachée à un idéal égalitaire, fondé sur la recherche de la justice sociale et sur une réflexion ouverte et exigeante.

Pour citer cet article :
https://maitron.fr/spip.php?article217593, notice HÉLIOT Libertad [née BERTALO ALCOLEA] par Pierre Miléo, version mise en ligne le 26 juin 2019, dernière modification le 4 juillet 2021.

Par Pierre Miléo

SOURCES : Arch. dép. de Seine-Maritime ; Arch. CFDT 231 J 510, 231 J516 ; Rapport des RG, Arch. Dép. de Seine-Maritime, 3766 W 178. — Entretien avec Libertad Héliot du 6 janvier 2017.

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