Par Gérald Arboit
Né le 5 septembre 1894 à Biella, anciennement dans la province italienne de Verceil, et mort le 26 mars 1989 à La Bastide-de-Sérou (Ariège) ; ouvrier textile, mécanicien, commerçant, chef d’entreprise ; anarchiste italien, capitaine espagnol du Servicio de informaciòn militar (1937-1939), commandant FFI (1943-1944).
Comme nombre d’orphelins, Lario fut baptisé d’un prénom emprunté à la littérature classique, Pline le Jeune. Quant à son nom, il se référait au lac de Côme proche, que Virgile célébra dans les Buccoliques d’un vers censé accompagner l’enfant trouvé, « Ô grandissime Lario ». Mais il était né à Biella, le Manchester piémontais, comme on disait encore en 1935. La classe ouvrière s’y politisait, discrètement, presque de façon autodidacte. Elle croyait fortement en l’organisation, avec une foi démocratique, quelque peu corporatiste et gestionnaire. Surtout, elle croyait au travail. Lario hérita de ce messianisme ouvrier qui le guida toute sa vie. Très tôt, il fut confronté aux vicissitudes de l’Histoire. Jeune marié à Maria Bondà, originaire d’un village voisin, Gattinara, et de trois ans sa cadette, à une date indéterminée, ce mécanicien de l’industrie lainière locale fut emporté par le courant socialiste qui, en novembre 1919, se souleva contre la vie chère et conduisit au Bienno rosso (biennale rouge). Rejoignit-il le parti communiste, en janvier 1921, comme il prétendit plus tard ? Ou fut-il contacté pour intégrer les squadre di difesa proletaria, organisées à l’été par Luigi Longo ? Toujours est-il que, deux ans plus tard, Lario compta parmi les victimes la battuta anticomunista (battue anticommuniste, février-octobre 1923) pour une activité clandestine de fabrication de films pour la Camarà del lavoro (bourse du travail) de Rome. Il disparut pendant cinq années, qui ne figurèrent pas dans son cassier judiciaire. Autrement dit, il fut soumis administrativement à un confino comune (confinement commun), certainement après deux années de prison préventive à Biella. Ainsi le retrouve-t-on à Altamura, dans la province de Bari, où pendant trois ans il tint un commerce. Sa femme en profita pour se séparer de lui, au prétexte du caractère agressif et irascible du mari. En 1928, il disparut, plongeant dans la clandestinité. Après être remonté s’être fixé à Milan, il rejoignit le Comitato Proletari Antifascisti (Comité des prolétaires antifascistes), puis à l’été 1929 le mouvement socialiste Giustizia e Libertà (GL), de Carlo Rosselli. Il travailla avec Umberto Ceva, qui l’initia à manier des explosifs. Ce compagnonnage se retrouva dans les opérations de 1930. Le 21 mars, l’Organizzazione di Vigilanza e Repressione dell’Antifascismo (OVRA) émit un mandat de recherche à son intention. Mais Lario, sous l’identité de Luigi Cansian, né le 24 septembre 1896, à Vicence, était déjà entré en France, par Bardonnèche et Modane, une voie que suivirent de nombreux antifascistes italiens. Il y retrouva brièvement à Paris un camarade communiste, Carlo Zitter, qui fut arrêté le 27 avril et extradé peu après le 1er mai. Le 31 mai, sous son vrai nom, Lario se fit embaucher comme mécanicien à la Société de moteurs de Maurice Chaise, à Paris. Il logeait sous le nom de Cansian dans un garni discret de Villejuif. Le 22 septembre, il quitta ces deux adresses pour se rendre en Autriche, mais revint trois jours plus tard. En fait, il était allé à Milan chercher argent et matériel (800 grammes de dynamite, capsules fulminantes et cordon détonnant) lui permettant d’assembler un engin explosif. De retour dans son garni, il prit un emploi, sous le nom de Mario Pino, au garage Depienne, à Ivry, jusqu’à son accident du travail du 22 octobre suivant. Partageant son temps libre entre des séances de cinéma et des rencontres avec des antifascistes italiens, dont Zitter, revenu depuis août sous le nom d’Antonio Caselli, Lario (Cascian) put en fait mener à bien son activité clandestine d’artificier. Il acheta aux puces de Bicêtre la douille d’un obus de 75 mm, monta la bombe et reconnu l’objectif. Nuitamment, le 27 octobre, il entreprit de la faire déposer par Zitter (Caselli) dans les locaux de la Casa del Fascio, 12 rue Sédillot, à Paris. Traversant le Champs-de-Mars, les deux Italiens furent interpellés par les agents cyclistes Demouli et Charon. Contrairement aux Intendenza di finanza de plusieurs villes italiennes, le même soir, l’édifice fasciste parisien n’explosa pas. Luigi Longo jugea ce projet d’« idiot ». L’arrestation de Lario (Cascian) précéda de deux jours celle de Ceva, à Milan, par l’OVRA, l’un pour possession d’explosif et port d’arme prohibé, l’autre pour terrorisme en Italie. En fait, les deux hommes durent affronter la justice pour la même opération antifasciste ; le premier fut condamné en France à trois ans de prison le 30 décembre, cinq jours après que le second se suicidât pour ne pas avouer son implication dans les attentats similaires, en Italie et en Belgique, depuis 1928. L’enquête française, confiée au directeur des Renseignements généraux de la Préfecture de police de Paris, le commissaire Ernest Perrier, ne fit pas le lien entre les deux événements. Tout juste Perrier obtint-il, dès le 30 octobre, d’établir le vrai de Lario après quelques jours de prison et d’entretien. Il songea aussi lier l’attaque avortée contre la Casa del Fascio et un incident intervenu au même moment, à Sartrouville, dans la communauté italienne antifasciste. Mais il s’avéra que l’opération était menée en liaison avec le renseignement soviétique et ne concernait pas Lario et Zitter. « Grand diable de rouquin, maigre, efflanqué, ébouriffé » (Le Petit Journal, 31 décembre 1930), Lario se jura de ne plus jamais se faire prendre ainsi.
À sa sortie de prison, le 1er janvier 1934, il commença par disparaitre pour échapper à une expulsion vers l’Italie. Réfugié dans la région toulousaine, il se fit dorénavant connaître sous un nom à peine camouflé, Ilario Plinio, lui permettant de conserver sa date de naissance. Il reprit ses activités de mécanicien, tout en militant dans les comités antifascistes plutôt qu’au Partito comunista italiano (PCI), comme il le prétendit le 29 septembre 1936, lorsqu’il s’engagea pour partir en Espagne. Pour obtenir son billet, il affirma en être membre du depuis 1921, ce que le PCI ne put confirmer. D’ailleurs il s’était engagé dans la mouvance GL, après un premier séjour d’observation à Irún, du 26 au 28 juillet 1936. De retour en France, Carlo Rosselli lui demanda de rejoindre l’escadrille España, en cours de formation. Mais il lui fallut attendre deux mois et le bon vouloir des communistes français pour qu’il pût partir. Plinio ne rejoignit l’aéroport de Barajos, dans la banlieue de Madrid, qu’en décembre, deux mois avant la dissolution de l’escadrille. Au printemps 1937, il participa à la création de la Brigada de Trenes Blindados avec le grade de lieutenant. Participant à la bataille de Brunete, en juillet 1937, il se fit remarquer par le colonel Vicente Rojo Lluch, chef d’état-major de l’armée du Centre. Au cours de l’été, Plinio rejoignit le Servicio de Informaciòn Militar (SIM), avec le grade de capitaine. Il opéra d’abord sur le front puis, suite à une opération de l’appendicite, il fut muté à l’inspection du courrier (censure) pour le compte de la Marine et de l’Aviation républicaine. En mars 1939, alors que le front de Madrid s’apprêtait à céder, il chercha à s’embarquer à Alicante sur un des derniers navires appareillant pour la France. Fait prisonnier par les troupes nationalistes, il s’échappa pour la première fois. Se joignant à des civils refluant vers la France, il parvint à Perpignan. À la bourse du travail, on lui donna un pécule lui permettant de retourner à Toulouse, en évitant l’internement dans un camp prévu par les autorités françaises. Il contacta « l’organisation », c’est-à-dire GL, qui lui conseilla de changer à nouveau de nom. Pour la durée de la guerre qui ne tarda pas à éclater, il s’appela Raymond Falco. Il reprit son métier de mécanicien à la cartoucherie. Par ce moyen, il entra rapidement en contact avec Marcel Langer*, qui commençait à organiser une résistance parmi les ouvriers étrangers de Toulouse (FTP-MOI). Les compétences d’artificier et d’officier de renseignement de l’Italien ne pouvaient qu’être utile dans le combat contre l’ennemi allemand. Plinio (Falco) constitua des groupes de sabotages à Toulouse, mais aussi en Haute-Garonne et dans les départements pyrénéens voisins. Il entra en action le 3 avril 1941, avec des actions contre les ateliers des avionneurs locaux Latécoère, Bréguet et Dewoitine. Le 28 juin 1942, il fut arrêté pour fausse identité lors d’un banal contrôle de son permis de travail pour la cartoucherie. Le 2 septembre, il écopa de trois mois d’incarcération, qu’il passa d’abord à la prison Saint-Michel jusqu’au 28, avant d’être affecté au 561e groupement de travailleurs étrangers (GTE) de Clairfont. Moins d’un mois plus tard, il s’évada, se rendit en Corrèze, puis retourna à Toulouse où il fut dénoncé le 22 décembre. Interné à Saint-Michel, il fut condamné par le tribunal de grande instance attenant, le 20 janvier 1943, à six mois pour détention pour fausse identité et infraction au décret d’expulsion. Le 15 juin, il fut transféré au camp du Vernet (Ariège). Huit jours plus tard, il demanda au préfet de Haute-Garonne, au consul général d’Italie à Toulouse et à la commission italienne d’armistice avec la France à Lyon à être rapatrié en Italie. Le 18 juillet, des Carabinieri de la IVa Armatta vinrent le chercher pour l’emmener à Modane, en attendant que la cours martiale de Breil-sur-Roya statuât sur son sort. Mais Plinio (Falco) en décida autrement et s’évada au cours du transfert. Il retourna à Toulouse, fut appréhendé à Caraman et renvoyé au Vernet. En septembre, alors que l’Italie sortait de l’alliance avec l’Allemagne, il fut détaché par son GTE pour le Pas-de-Calais. « Agent technique » sur la voie de chemin de fer Saint-Pol-Frévent, il fut contacté par le groupe de Francs-Tireurs et Partisans (FTP) de Charles Duquesnoy* (Freddy) et participa aux sabotages des 15 et 20 octobre. À nouveau évadé, il retourna à Toulouse, où il fut à nouveau rapidement arrêté. Interné administrativement à Noé, il en fut extrait dans les premières semaines de 1944 par une réquisition allemande pour les Bauleitungen de l’Organisation Todt à Cherbourg d’où… il s’échappa une quatrième fois.
Cette fois, il rejoignit Paris à la fin de l’hiver 1943-1944. Ses contacts avec des membres des FTP, qui lui avaient demandé d’établir une liaison avec Langer, lui parlèrent aussi d’une opération clandestine soviétique, en faveur de leurs prisonniers de guerre internés en cours dans leur région. Ils lui dirent aussi que cette mission était dirigée de Paris et, surtout, n’utilisait que des anciens interbrigadistes comme lui. Plinio (Falco) entra en contact avec le Comité central des prisonniers de guerre soviétique, dirigé par Gustav Szinda (Gustav), Boris Matline (Gaston Laroche*) et Georges Chibanov*. Ses expériences avec Zitter, qui avait rejoint l’Internationale communiste, et au sein du SIM emballèrent immédiatement Szinda, qui disposait d’une liaison avec Moscou. Ainsi Plinio fut repris avec son grade de capitaine, francisa son faux nom (Falcon) et choisit comme pseudonyme un souvenir d’Espagne italianisé pour convenir à son allure physique, Brunetto alors qu’il était blond vénitien. Le 8 juin 1944, le colonel René Camphin (Baudouin)*, « grand animateur des FTPF dans la clandestinité (1946) », lui annonça sa nomination au grade de commandant, décidée par le général Marie-Pierre Koenig, chef des Forces françaises de l’intérieur (FFI). Cette reconnaissance rapide par Alger était significative du travail fourni par Plinio (Falcon), tant depuis Paris qu’à Briey (Meurthe-et-Moselle), où il établit ses quartiers à quelques pas de la Kreiskommandantur 627. Il permit l’implantation d’éléments venant du Pas-de-Calais (Duquesnoy et Marcel Petit) et de Toulouse (Catherine Varlin, Simondy Axel*). Il les installa dans les forêts meusienne, où ils encadrèrent les prisonniers évadés et les Lorrains qui trouvèrent refuge dans ces maquis. Plinio (Falcon) organisa également quatre bataillons, six détachements (dont trois soviétiques) et quatre groupes, dont un à Rehon qui l’amena à s’expliquer devant la justice, le 27 septembre 1944 ; pour ravitailler les maquis, les quelques sept cents résistants qu’il eut sous ses ordres opérèrent des réquisitions à mains armées. Faute d’armement conséquent, les qualités opérationnelles de cette portion principale se limitèrent à des sabotages ferroviaires, voire quelques accrochages avec les troupes allemandes. Elles furent néanmoins suffisamment significatives pour que Plinio (Falcon) soit envoyé dans les Alpes, sitôt la Meurthe-et-Moselle libérée. Officiellement, au 28 décembre 1944, il devait « recueillir toutes informations utiles sur les groupements italiens se trouvant » dans les départements alpins, de Grenoble à Nice. Officieusement, présent dans cet espace alpin depuis septembre, il semble qu’il contribua d’abord à la formation du bataillon italien Haute Tinée 74 (27 septembre 1944), devenu 21/XV (12 décembre 1944), puis fut affecté à la liaison avec le représentant du Comitato di liberazione per l’Alta Italia, le socialiste Eugenio Dugoni. Ce dernier arriva justement à Grenoble fin décembre et fut invité à quitter la France le 17 mars suivant. À la fin du mois, ne désirant pas signer un contrat d’engagement qui l’aurait mené en Indochine, le « grandissime Lario » fut démobilisé avec son grade de commandant ; celui-ci lui fut homologué le 31 mars 1948, par la 6e région militaire (Metz). Il ne lui restait plus qu’à faire valider sa nouvelle identité, redevenant Plinio, mais avec une nouvelle date de naissance, la troisième, à Biella cette fois, mais le 15 septembre 1898 ; le 17 mars 1947, le consulat général d’Italie à Toulouse attesta de cette nouvelle identité. Elle lui servit à valider ses années de résistance, mais aussi à confirmer sa paternité d’un jeune garçon à naître (mai) que Plinio eût de sa nouvelle compagne, Lina Élise Georgette Ramond. Il avait rencontré cette épouse non-divorcée, machiniste du tramway urbain, au début de la guerre lorsqu’il lui confia des armes à transporter clandestinement.
De retour à Toulouse, il se fixa dans un quartier populaire et affecta une profession d’industriel. En fait, il reprit son emploi de mécanicien. Grâce à ses accointances FTP, il assouvit son vœu de promotion sociale en novembre 1949. Il reprit d’abord des concessions de carrières de phosphates de chaux au sud et à l’ouest de Castelnau-Durban (Ariège), puis, en avril 1955, une fabrique artisanale de minium de fer à La Bastide-de-Sérou [Ariège). La fermeture de la ligne de chemin de fer de Foix à Saint-Girons, un an plus tard, l’amena à fermer cette parenthèse entrepreneuriale pour reprendre quelques années encore un emploi, comme plombier-chauffagiste aux services généraux de l’Office national industriel de l’azote. Il habitait , en 1971, 15 rue du Béarnais à Toulouse. Parallèlement à ces activités salariées, Plinio se mit au service de l’« organisation » GL, en l’occurrence après 1945 le mouvement associatif garibaldien. Il n’en oublia pas les FTP, qui le firent commandant, et rejoignit les Amis des Francs-Tireurs et Partisans Français, devenus en 1956 l’Association nationale d’anciens combattants de la résistance. Le 24 avril 1970, il fut appelé par la direction nationale des Garibaldiens pour recevoir une ultime mission, bâtir la mémoire du camp du Vernet, dont il portait les stigmates, des doigts écrasés. Un an plus tard, une association était montée. Il fut le premier président, élu en 1971, de l’Amicale des anciens internés politiques et résistants du camp du Vernet-d’Ariège qui succédait, après modification des statuts à l’association fondée le 2 décembre 1944. Courant 1973, il fut contraint, « pour différence de position », d’abandonner la direction de ces associations. Puis il dut mener son dernier combat, contre la maladie d’Alzheimer qui le rongeait. Ses bouffées de colère, qui avaient ruiné son premier mariage, conduit à des scissions pendant la résistance et, à coup sûr, provoqué son exclusion associative, s’en trouvèrent amplifiées. Mais sans commune mesure avec sa tendance à l’évasion. Quelques mois avant son décès, il fut ainsi retrouvé, sans argent ni papier, au poste douanier de Menton. Assurément, cet enfant abandonné avait la fuite dans la tête.
Par Gérald Arboit
SOURCES : Archivio centrale dello Stato, Rome, Casellario politico centrale, 2724. — APpo BA 284/302-5. — RGASPI, Moscou, 545 6 476 et 526, appréciations du 21 août 1940. — SHD, 16 P 482066. — Archives familiales. — Arch. AVER. — Claude Collin, Les FTP et l’organisation de la Résistance en Meuse, Presses universitaires de Nancy, 1992. — Le Temps, notamment 29 octobre, 1er novembre 1930 et 1er janvier 1931. — Les cinq continents, bulletin de l’Amicale des anciens internés et résistants du camp du Vernet, n° 1, septembre 1973, p. 3. — Entretiens de Gérald Arboit avec Serge Plinio du 14 septembre au 8 octobre 2019. — Notes d’André Balent. — Note de Jean-Pierre Besse