TEDESCO Pierre, Armand

Pierre Tedesco naquit à Marseille. Sa mère étant malade, atteinte de tuberculose, la famille émigra à Thonon lorsqu’il avait 16–17 ans. Pour subvenir aux besoins de la famille qui était dans une situation économique fortement dégradée (père au chômage, prix des loyers, coût des médicaments…), Pierre fut dans l’obligation de parcourir le Chablais à vélo, pour faire du porte à porte et vendre des chemises.

Comme beaucoup de jeunes de sa génération, il fut confronté à la guerre d’Algérie. Déjà sous les drapeaux, il tenta de s’opposer au départ des appelés, il distribua des tracts à Grenoble devant les casernes au titre du Mouvement de la Paix. Il fut affecté pendant 27 mois à Tizi-Ouzou dans la fonction de vaguemestre.
À son retour en 1958, il travailla à la Société des Eaux d’Evian (la Cachat) et adhéra à la Jeunesse Ouvrière Chrétienne (J.O.C.).

Pierre Tedesco envisagea alors de devenir prêtre. Il entra en 1960 au Séminaire des vocations tardives à Chessy (Rhône), puis effectua deux années auprès du Père Jacques Loew, dominicain, prêtre ouvrier et fondateur de la « Mission ouvrière Pierre et Paul (MOPP) », destinée selon ses statuts à « extirper les racines des malheurs injustes qui pèsent sur les pauvres ». Il en revint convaincu que la prêtrise pourrait placer une distance entre lui et les travailleurs. Selon ses enfants, l’engagement de Pierre dans le syndicalisme a donc été un choix conscient, délibéré, un projet de vie. Membre actif de l’Action Catholique Ouvrière (ACO) dès cette époque, il le resta toute sa vie.

En 1964, il suivit une formation à l’AFPA (Association pour la Formation Professionnelle des Adultes) de Bourg-en-Bresse et obtenant un CAP de plombier, il travailla ensuite dans diverses entreprises du Chablais (les Pâtes Capitan, Benoit Guyot, le Bricoleur…).

En 1965, il épousa Marguerite Coffy, aide-soignante à l’hôpital de Thonon, militante syndicale, qui soutint toujours son mari dans ses engagements et qui a été, au dire de leurs deux enfants, « la femme derrière le grand homme ».

Il participa à la création d’une Union locale CFTC et joua localement un rôle actif dans la déconfessionnalisation de ce syndicat et sa transformation en CFDT.

Secrétaire général de l’Union locale CFDT, Pierre Tedesco entreprit d’élargir la compétence du Conseil de Prud’hommes de Thonon. Celui-ci, le plus ancien de France, avait été créé par décret du 26 novembre 1935.

Ce conseil qui couvrait les six cantons de l’arrondissement (Thonon, Evian, Douvaine, Le Biot, Boège, Abondance) n’était composé que d’une seule section industrie. Les salariés des autres branches professionnelles devaient en cas de litige, saisir le Tribunal d’Instance, un juge généraliste peu connaisseur du monde de l’entreprise et de la spécificité du droit du travail, ce qui était, pour eux plus difficile mais aussi totalement injuste. Suite à l’évolution du tissu économique (décroissance de l’activité industrielle, croissance du commerce et du tourisme) de plus en plus de salariés du Chablais ne relevaient pas de la juridiction prud’homale. Aussi la CFDT, seule organisation syndicale ouvrière présente au Conseil à l’époque, demanda rapidement, sous l’impulsion de Pierre Tedesco, une réorganisation. Le décret n° 76-988 du 28 octobre 1976 le divisa alors en 3 sections : une section industrie, une section commerce et une section agriculture. Tous les salariés de l’industrie, du commerce et de l’agriculture du Chablais relevaient désormais, en cas de contentieux, du Conseil de prud’hommes de Thonon.
Pierre Tedesco anima, jusqu’en 1982, l’Union locale CFDT, en rassemblant les militants des diverses entreprises du Chablais dont René Baratay et Marie-Louise Cullaz (Eaux d’Evian), Bernard Comont et Jean-Pierre Piovesan (Thomson), Denis Maillet (Fonderies du Léman), Gérard Grivel (Zig-Zag puis Ateliers protégés), Marie Jo Silanes (Mutualité sociale agricole), Gilbert Tedesco (Outinord), Anne-Marie Didier (Banque Marin-Gianola). « Sans Pierre Tedesco, il n’y aurait pas eu d’Union locale CFDT en Chablais » affirme Denis Maillet. L’Union locale incluait les syndicats du secteur public : SGEN, EDF, SNCF, PTT, Hôpital, Communaux, Impôts…
Le mercredi soir, le petit local de la Grande rue avait l’aspect d’une ruche, tout le monde était là, échangeait, accueillant des salariés qui venaient chercher des conseils juridiques ou demander une défense prud’homale, rédigeant des tracts, préparant des manifestations, dans une atmosphère enfumée, car presque tout le monde fumait. Pierre quant à lui fumait sa légendaire pipe.

Pierre Tedesco mit en place une commission juridique de la CFDT et défendit pendant de nombreuses années de multiples dossiers auprès du Conseil des Prud’hommes de Thonon et de la Cour d’Appel de Chambéry.

Au départ sans connaissance juridique particulière, il sut, au fil des années, se former, trouver de la documentation, assimiler la législation, apprendre à argumenter pour défendre avec efficacité des dossiers souvent difficiles…. Il forma des militants comme Jean-Pierre Piovesan, qui devint par la suite un grand connaisseur du droit du travail et un ardent conseiller prud’homal. Celui-ci affirme que Pierre Tedesco lui a tout appris et que c’est grâce à lui qu’il a pu acquérir une expertise reconnue.

Élu Conseiller prud’homal, Pierre Tedesco assura alternativement la présidence et la vice-présidence de cette juridiction. Par son action, il a contribué à envoyer aux employeurs irrespectueux des droits des salariés un signal fort, parce qu’ils savaient qu’ils pouvaient être sanctionnés juridiquement. Cette action syndicale n’a pas été pour lui sans conséquence puisqu’il a été licencié ou obligé de démissionner et qu’il a eu à chaque fois beaucoup de difficultés à retrouver du travail.

Ainsi, alors qu’il était secrétaire général de l’Union locale CFDT et vice-président du Conseil des Prud’hommes, il fut condamné par le Tribunal correctionnel de Thonon-les-Bains, en décembre 1977, « pour avoir cherché à jeter publiquement le discrédit sur une décision juridictionnelle » en critiquant dans un article de presse (Dauphiné libéré) la procédure d’ordonnance sur requête, utilisée par la Direction des Eaux d’Evian afin d’obtenir l’expulsion des travailleurs qui occupaient leur usine, en grève depuis onze semaines. Contrairement à la procédure de référé qui permettait aux deux parties de s’exprimer lors d’une audience contradictoire, l’ordonnance sur requête autorisa le Président du Tribunal de Grande Instance à prendre une décision en secret sur simple demande de l’employeur. Cette affaire qui connut un grand retentissement tant au niveau local que national, suscita dans le Chablais une forte mobilisation pour « la défense des libertés », avec la participation des LIP, des Paysans travailleurs (meetings, communiqués de presse, pétitions, interventions auprès des élus…). Condamné à une peine d’amende, Pierre Tedesco fut relaxé quelques mois plus tard par la Cour d’Appel de Chambéry.

En 1978, Pierre Tedesco entra dans l’Education nationale comme ouvrier professionnel au lycée de la Versoie de Thonon-les-Bains. Il milita alors au SGEN-CFDT et en 1983, lors du congrès de la Fédération SGEN à La Rochelle, dans le cadre de l’Assemblée générale des militants ATOSS, personnels ouvriers et de service de l’Éducation Nationale, il fut élu secrétaire de cette catégorie. Dès lors et jusqu’en 1992, au congrès de Brest, il exerça la fonction de secrétaire fédéral, à Paris, au sein de la Fédération. Il n’eut de cesse que de faire prendre en compte une catégorie trop souvent oubliée dans les établissements scolaires. À ce titre, il participa chaque mois au Conseil fédéral, organe directeur de la Fédération où il savait faire entendre la voix de ses collègues.

Durant ses trois mandats successifs, il joua un rôle important pour que les personnels ATOSS soient davantage reconnus et valorisés par les instances gouvernementales. Il œuvra également pour que l’Éducation nationale insère mieux les travailleurs handicapés en aménageant pour eux des postes de travail adaptés. Il mena en particulier en 1988 une action qui a eu elle-aussi un grand retentissement afin d’obtenir la réintégration et la titularisation d’un agent de service stagiaire, présentant une invalidité réduisant au moins de 2/3 sa capacité de travail, abusivement licencié « pour insuffisance professionnelle » par le Recteur de l’Académie de Grenoble, alors qu’il occupait au lycée de la Versoie de Thonon-les-Bains un poste au titre des emplois réservés et qu’il assurait un service dans les mêmes conditions qu’un agent non handicapé. Cet agent fut réintégré et titularisé.

À la retraite, il adhéra à l’Union départementale des Retraités CFDT de la Haute-Savoie et milita pour une prise en charge de la dépendance des personnes âgées. Il participa en 1995 à la création de l’Association Solidarité dépendance de la Haute-Savoie et en assuma la présidence jusqu’en 2003. L’association, dont la devise était «  Tous cotisants, toute la vie, sur tous les revenus, tous allocataires ». demandait la prise en charge au niveau national du risque dépendance par la Caisse maladie de la Sécurité sociale.

Au printemps 2000, avec le Maitron et en collaboration avec l’Inter-CE ALIACES , il organisa à la Cité de l’eau de Publier une grande exposition intitulée « Mémoires Chablaisiennes – Histoire du mouvement ouvrier ». Il voulait ainsi rendre hommage à tous ces hommes, toutes ces femmes, ces militants, le plus souvent anonymes, qui se sont battus afin que les conditions de vie des travailleurs soient ce qu’elles sont aujourd’hui, tout en portant l’accent sur les acteurs locaux qui par leur engagement, leur personnalité, leur vie ont écrit et coloré l’histoire sociale de la région.

Pierre Tedesco a été tout au long de sa vie au service des travailleurs avec générosité, dévouement, bienveillance et compétence. C’était un responsable syndical écouté et respecté, il a joué un rôle important dans la vie sociale du Chablais.

Il est décédé le 11 janvier 2019 à Allinges, près de Thonon, à l’âge de 87 ans ; et a il avait donné son corps à la science.