SÉNARD Christian, Maurice. Pseudonyme dans la Résistance Jacques Baro

Par Par Jean-Paul Nicolas et Michel Croguennec

Né le 28 novembre 1922 à Mont-Saint-Aignan près de Rouen (Seine-Inférieure, Maritime), mort le 10 décembre 2012 à Saint-Etienne-du-Rouvray (même région rouennaise) ; électricien ; partisan FTP en 1943 du Maquis de Barneville ayant échappé au peloton d’exécution en s’évadant de la prison de Rouen.

 Christian SÉNARD coll. Michel Croguennec
Christian SÉNARD coll. Michel Croguennec

En 1940, il était à 18 ans électricien au chantier naval Chantiers de Normandie à Grand-Quevilly. Célibataire, il habitait chez ses parents route d’Elbeuf à Saint-Etienne-du-Rouvray jusqu’au 29 juin 1943 date à laquelle il rejoignit la clandestinité pour échapper au STO et s’installa avec Maurice Mailleau dans un appartement à Rouen prêté par Henri Levillain. Les deux jeunes garçons étaient collègues des Chantiers de Normandie.
Au sein du détachement Jeanne d’Arc, groupe Lorraine, il participa à au moins onze faits d’armes dans la région rouennaise entre le 6 juillet et le 24 août 1943, date à laquelle son groupe, réfugié dans la grotte de Barneville, fut pris d’assaut par la troupe allemande assistée par la police française.
Arrêté lors de l’attaque de Barneville avec dix autres partisans, il fut interné dans la section allemande de la maison d’arrêt de Bonne-Nouvelle à Rouen. L’inspecteur Alie, collaborateur notoire spécialisé dans la lutte contre les résistants, interrogea Christian Sénard en alternant brutalités et ruses afin d’obtenir des aveux contre la promesse de ne pas être fusillé. Ainsi mis sous pression, Christian Sénard donna des renseignements sur l’organisation de son détachement FTP ainsi que quelques noms de civils du Front National non FTP qui agissaient en faveur de l’organisation. C’est ainsi que Christian Sénard fut emprisonné séparément de ses camarades dans une cellule particulière : cette situation éveilla la suspicion de ses autres camarades emprisonnés eux, ensemble dans une seule cellule. Promis à une condamnation à mort comme le seront sept de ses camarades, Christian Sénard réussit l’exploit de s’évader de Bonne-Nouvelle le 27 octobre 1943 en compagnie du résistant responsable regional FTP Albert Leroy. Dix jours plus tard seulement : le 8 novembre 1943, ses sept camarades seront fusillés au champ de tir du Madrillet. En représailles, il fut remplacé en prison par son père et les prisonniers de Bonne-Nouvelles mis aux chaînes.
En liberté, profitant du brouillard nocturne, Christian Sénard rejoignit son oncle à Vernon et réussit à réintégrer la résistance du département de l’Eure. Du 1er février au 31 aout 1944, il intégra les troupes FFI dans la région de Vernon. Devenu chef de groupe, le jeune résistant participa les armes à la main à la libération de la ville. Engagé ensuite dans l’armée de libération, dès 1944, il obtiendra le grade de sous-lieutenant. Au procès de l’inspecteur Alie qui débuta en octobre 1944, Christian Sénard témoigna des tortures qui lui avaient été infligées par Alie en personne. De son côté, Alie, interrogé dans le cadre de son procès sur ses actes durant l’Occupation déclara qu’il avait obtenu des aveux complets de la part de Sénard. A l’issue de ce procès, Alie fut condamné à mort et exécuté en décembre 1944 à une époque où la guerre n’était pas terminée et où les déportés en Allemagne ne pouvaient pas encore témoigner. Alie, fusillé, cet homme qui en savait trop ne pouvait plus parler du rôle exact de la police de Rouen pendant l’Occupation, ni être mis face à ses victimes revenues vivantes des bagnes nazis.
De retour des camps, les quelques survivants du maquis de Barneville exprimèrent leur colère envers Christian Sénard qui selon eux avait parlé et avait ensuite échappé à l’hécatombe du groupe FTP (sept fusillés au Madrillet un fusillé à Amiens, un mort en déportation). Mis en accusation également par les déportés : Achille Guisier de retour vivant de Mauthausen : torturé, il avait révélé à la police de Rouen l’emplacement de la grotte de Barneville le 24 août 1943, provoquant son attaque et sa chute le jour-même.
Suite aux plaintes des rescapés du maquis de Barneville, les deux résistants furent assignés le 3 février 1949 à comparaître devant les huit juges du tribunal militaire permanent de la 6e région siégeant à Metz. Le jury eut la tâche délicate de déterminer si ces deux combattants de la Résistance avaient ou non trahi leur cause et leurs camarades de combat. Le procès se tint en une journée et le journal Paris-Normandie du 4 février 1949 qui suivait l’affaire indiqua ainsi le résultat de la délibération : « Ayant trop parlé sous la contrainte, deux jeunes Rouennais accusés d’avoir dénoncé leur maquis de Caumont sont acquités à Metz ».
Acquités, Christian Sénard et Achille Guisier n’étaient pas lavés de tout soupçons aux yeux de leurs camarades de maquis. De fait tous deux furent bannis de toutes les manifestations ayant trait à la mémoire du Maquis de Barneville et les ponts furent définitivement rompus avec eux. C’est ainsi que les hommages d’après-guerre au maquis FTP éliminèrent le nom de Christian Sénard des récits entourant le groupe de partisans. Il avait pourtant pris une part réelle comme chef de groupe en son sein mais « il avait parlé… ». Il observa le silence jusqu’aux années quatre vingt dix (entrevue enregistrée avec des historiens locaux pour les AD de Seine-Maritime en 1991) puis en 1994 dans un court film-mémoire où il évoque le maquis et retourne visiblement ému sur les lieux de la grotte de Barneville. Ses interviews dans cette période révélaient un personnage tourmenté comme si il avait mauvaise conscience.
Lien de cause à effet ou pas, Christian Sénard mit fin à ses jours le 10 décembre 2012 à son domicile de Saint-Etienne-du-Rouvray. Il venait d’avoir quatre-vingt-dix-ans. Achille Guisier s’éteignit dans la même année 2012. Les deux derniers témoins et acteurs vivants du maquis de Barneville emportèrent ensemble les derniers secrets de leur guerre.
Titres, grades et décorations : Le 6 juillet 1945, Christian Sénard fut cité à l’ordre de la brigade avec la citation « Chef de Section FTP, ayant participé pendant trois ans à de nombreux sabotages. Arrêté par les Allemands, réussit à s’évader pour prendre le maquis. A pris une part active et importante à toutes les opérations ». Cette distinction s’accompagne de la remise de la croix de Guerre 1939-1945 avec étoile de bronze. Titulaire des cartes du Combattant et Combattant Volontaire de la Résistance et d’Interné Résistant qu’il n’a obtenu qu’en 1994, soit bien longtemps après ses camarades de combat.

Pour citer cet article :
https://maitron.fr/spip.php?article240471, notice SÉNARD Christian, Maurice. Pseudonyme dans la Résistance Jacques Baro par Par Jean-Paul Nicolas et Michel Croguennec, version mise en ligne le 15 mai 2021, dernière modification le 5 août 2021.

Par Par Jean-Paul Nicolas et Michel Croguennec

 Christian SÉNARD coll. Michel Croguennec
Christian SÉNARD coll. Michel Croguennec

SOURCES : Archives Départementales de Seine-Maritime : 51W fonds préfecture.—
54W fonds police judiciaire de Rouen.— 3868W office national des anciens combattants.— AVCC Caen Témoignages oraux des ADSM : Ernest Dargent, André Duroméa, Henri Lefrançais, Henri Levillain, Christian Sénard, enregistré le 12 juin 1991.— Michel Croguennec 1943 le maquis de Barneville Editions L’echo des vagues mars 2017.— Notice biographique Christian Sénard par Michel Croguennec in opus cité précédemment.— Notes de Jean-Paul Nicolas en 2015 pour Maitron des fusillés : les fusillés de Barneville au champ de tir du Madrillet, 8 novembre 1943.

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