RENARD Édouard

Par Hugo Melchior

Né le 10 décembre 1936 au Havre (Seine-Inférieure, Seine-Maritime) ; professeur de lettres ; militant syndicaliste du SNES-FEN puis SNES-FSU, tendance EE, membre de la CA académique de Rennes ; militant pacifiste, anticolonialiste, antiraciste, militant à Socialisme ou Barbarie, militant et responsable de la LC/LCR à Guingamp-Saint-Brieuc, militant de l’ASTI, co-fondateur et animateur de groupes locaux de AC !

Grève du Joint français

Les parents d’Édouard Renard étaient Martiniquais. Son père fut charpentier puis s’engagea dans la Marine nationale ; arrivé en 1923 métropole, il devint officier mécanicien dans la marine marchande. Sa mère était ouvrière et effectuait des petits travaux de couture jusqu’à son mariage. Ses parents s’étaient connus en 1923 à la Martinique mais ne se marièrent au Havre qu’en 1933 car la mère d’Édouard s’occupait d’une vieille tante qui l’avait recueillie à la mort prématurée de ses parents. Sa mère éleva ses cinq enfants – l’ainée mourut à la naissance – à Graville (quartier populaire du Havre). Pendant l’Occupation, tandis que son père exerçait le métier de mécanicien sur un remorqueur des Abeilles, dans la ville de Brest dévastée par les bombardements alliés, Édouard Renard fut envoyé à la campagne à Saint-Maurice d’Ételan (Seine-Maritime). Ses parents étaient plutôt de droite, et au fil du temps ils devinrent gaullistes.

Édouard Renard effectua ses études secondaires au lycée François 1er du Havre, de 1950 à 1956. Il fit sa première manifestation le 18 juin 1953, la veille de l’exécution sur la chaise électrique à la prison de Sing-Sing, des époux juifs américains Éthel et Julius Rosenberg, accusés d’espionnage au profit de l’URSS.

En 1956, il obtint son baccalauréat philosophie. Puis il s’inscrivit à la faculté des lettres de Caen (Calvados) où il entreprit des études de littérature et de philosophie.
Maître d’internat à Caen de 1957 à 1958, il milita dans l’organisation « Socialisme ou Barbarie » avec deux collègues. Le groupe réunissait une douzaine de personnes dans la ville. Partisan de l’indépendance de l’Algérie, Édouard Renard distribuait avec ses camarades des tracts à l’entrée d’une grande entreprise métallurgique et vendit à Caen La Question, le livre d’Henri Alleg. Afin de dénoncer publiquement l’assassinat en juin 1957 par des militaires français de Maurice Audin, il participa en 1958 à Caen, à une réunion publique avec l’historien Pierre Vidal-Naquet. Cette réunion fut attaquée par des militants pro-Algérie française.
Antimilitariste et anticolonialiste, Édouard Renard, qui bénéficiait d’un sursis en tant qu’étudiant, parvint à échapper au service militaire en prétextant à la caserne du Havre, en 1961, un problème au cœur. Il put éviter ainsi d’aller en Algérie comme son frère jumeau.

De 1958 à 1959, il exerça au lycée François 1er au Havre en tant que maître auxiliaire (MA), puis au lycée technique de Caucriauville, près du Havre, jusqu’en 1961, toujours comme MA.
Il fut initié au syndicalisme par son collègue et ami Michel Lucet, père de la journaliste Élise Lucet. Il adhéra au SNES-FEN et y milita toute sa vie dans la tendance École émancipée (EE), y compris après son passage à la FSU en 1993. C’est alors qu’il commença au Havre à organiser dans la ville la lutte contre l’armement atomique. Avec de nombreux élèves, il s’engagea dans le Mouvement contre l’armement atomique (MCAA) fondé en 1962 et animé par Jean Rostand qu’il fit venir au Havre, et Claude Bourdet, soutenu par le PSU ; ce mouvement voulait se démarquer du Mouvement de la Paix dirigé par le PCF ; le MCAA devint Mouvement pour le désarmement, la Paix et la Liberté (MDPL) jusqu’à son auto-dissolution en 1996. Après avoir été « réformé » en 1961, Edouard Renard, de maître auxiliaire, devint adjoint d’enseignement (AE) au lycée Porte Océane au Havre, jusqu’en juin 1968.

À la première élection présidentielle au suffrage universel direct en 1965, il vota François Mitterrand aux deux tours. Il rencontra René Dumont et alla à plusieurs de ses réunions publiques en 1966 à Paris dans le cadre du MCAA.
En 1968, à l’âge de trente-deux ans, il participa à l’opération « Un bateau pour le Viêt Nam » montée par de nombreuses organisations politiques de gauche, syndicats, mouvements pacifistes et humanitaires, pour fournir au peuple vietnamien, argent, matériel de soins, vélos et produits divers. Son action au MCAA, le soutien qu’il obtint de Jean Rostand, lui conféraient une petite notoriété locale, si bien qu’il fut invité, en 1968, par les lycéens et étudiants de Rouen (Seine-Maritime) et de Caen, militants de la JCR, notamment par leur dirigeant Marc-André Gluck, à intervenir lors de l’un de leurs meetings au Havre. Au cours de ce meeting, Édouard Renard jeta un froid dans l’assistance en expliquant que, pacifiste, il ne saurait scander avec la salle « FNL vaincra » par la lutte armée. Pendant Mai-juin 68, les élèves bloquèrent le lycée Porte-Océane du Havre. Les militants de la JCR l’invitèrent à leurs réunions, mais à la vue de la petitesse de leur organisation, il se demanda s’il ne serait pas préférable d’adhérer au PCF, en dépit de son aversion pour le stalinisme. Cependant, lors d’un meeting-stage de l’ex-JCR animé par Daniel Bensaïd, il fut conquis par ses idées et son talent oratoire.

Il demanda sa mutation comme AE au collège de Guingamp (Côtes-d’Armor) en octobre 1968. Il obtint le CAPES de lettres modernes et fut titularisé professeur certifié en 1969. Il enseigna à Guingamp jusqu’en 1973. Louis Bocquet y enseignait également, leader historique de l’EE au SNES et dans la FEN. Ses rapports avec lui furent bons pendant des années, avant que cette relation ne se dégrade subitement à la suite d’un litige au sujet de son utilisation, jugée malvenue, d’affiches du SNES en direction des lycéens, pour les appeler à la grève enseignante. En 1969, Édouard Renard figura pour la première fois sur la liste EE-RS (École émancipée-Rénovation syndicale) aux élections à la CA nationale du SNES.

Il s’engagea à la Ligue communiste (LC) après son congrès de fondation à Mannheim (Allemagne) en avril 1969, faisant suite à la dissolution de la JCR et du PCI le 12 juin 1968. Il intégra la petite section de Saint-Brieuc (Côtes-d’Armor). Membre de la direction de ville, il n’exerça jamais de responsabilité au niveau national.

Les interventions de l’organisation trotskiste avaient lieu aux portes des principales entreprises de l’aire urbaine de Saint-Brieuc, telles Le Joint français, Sambre-et-Meuse et Chaffoteaux-et-Maury. En 1972, la moyenne d’âge des militants de la section de la LC était de vingt-deux ans. Avec ses trente-six ans, Édouard Renard était de loin le plus âgé. Il devint rapidement la figure de la Ligue dans la ville. La LC de Saint-Brieuc, qui intégrait également les communes de Guigamp et de Lannion, comprenait une quinzaine de militants. Il y avait des lycéens et quelques enseignants, dont Josiane Rabineau, institutrice à Quintin. Elle comprenait deux salariés du privé, un technicien agricole, Gwendal Le Gras – qui devint par la suite un des dirigeants de la LCR à Lorient (Morbihan) – et Daniel Collin, ouvrier-boulanger dans un supermarché à Langueux. Édouard Renard et les autres militants de la LC se firent connaître à l’échelle de Saint-Brieuc et du département en soutenant ardemment les grèves ouvrières par le truchement de diffusions de tracts, de communiqués dans la presse locale ou de collectes. Ainsi, ils soutinrent, par exemple, l’action collective des salariés de l’usine de Sambre-et-Meuse qui luttaient pour obtenir une augmentation égale pour tous (24 septembre-16 octobre 1970).

La LC contribua à la popularisation de la grève emblématique du Joint français au printemps 1972, et à l’extension spatiale du mouvement social de solidarité. Produit de la politique de décentralisation industrielle, cette usine, créée en 1962, était une filiale de la Compagnie générale d’électricité (CGE). Elle comptait 1 000 salariés, parmi lesquels une majorité de femmes et de jeunes gens.
Cette grève, très populaire, dura du 10 mars au 8 mai 1972. Après plusieurs semaines de débrayages au mois de février, une large majorité d’ouvrières et d’ouvriers votèrent le 10 mars à bulletin secret « la grève illimitée avec occupation » ; l’occupation des locaux fut mise en œuvre à partir du lundi 13 mars, mais fut interrompue quatre jours plus tard, suite à l’intervention des forces de l’ordre, demandée par la direction. Les salariés en grève défendaient principalement une augmentation uniforme des salaires, « 70 centimes de l’heure pour tous ». Les militants de la LC de Saint-Brieuc furent aidés par ceux de Rennes, Brest (Finistère), Nantes (Loire-Atlantique) qui se rendirent régulièrement sur place, comme lors de la manifestation départementale du 18 avril 1972 qui, à Saint-Brieuc, rassembla au moins 12 000 personnes, effectif jamais atteint depuis la Libération.
À la demande de la section briochine de la LC qui disposait de ressources militantes limitées, un dirigeant national vint appuyer, dès le jeudi 16 mars, le travail militant des locaux. Il s’agissait de Jean Métais (« Joël »), membre du BP et permanent depuis 1971, qui avait déjà été dépêché par la direction nationale lors de la grève des Batignolles à Nantes (janvier-février 1971). Il figurait parmi les responsables de la commission nationale ouvrière (CNO), avec Alain Bobbio, André Grimaldi et Jeannette Habel.
À Saint-Brieuc, un comité de soutien unitaire fut impulsé à l’initiative de la LC. Il regroupa à partir du 17 mars, le PSU, le PS, des syndicats de paysans, des comités de lycéens qui jouèrent un rôle autant inattendu que remarquable tout au long de la grève, mais pas le PCF qui refusait la présence jugée indésirable des « gauchistes ». La LC multiplia les initiatives dans le cadre du comité de soutien pour soutenir l’effort de grève des salariés : un gala « 6 heures pour le Joint » fut organisé, le 4 avril, Salle Robien, avec la venue du chanteur anti-franquiste Paco Ibañes.
Tous les matins, vers 6 heures à la porte de l’usine occupée par les forces de l’ordre, les militants de la LC diffusaient leur bulletin La Taupe Rouge qui devint rapidement une sorte de journal de bord de la grève. Il était attendu par les 150 salariés les plus combatifs, présents chaque matin devant l’usine sécurisée par les forces de l’ordre.
La photo iconique prise, au matin du 6 avril 1972, par Jacques Gourmelen, journaliste local à Ouest-France, devint une des plus célèbres illustrations de la colère et de l’insubordination ouvrière des années 1968 en Bretagne, en France et au-delà. On y voit Guy Burniaux, gréviste au Joint français, ajusteur, époux de l’ouvrière du Joint, Marie-France Jan, empoigner un CRS, Jean-Yvon Antignac, ami d’enfance, perdu de vue depuis des années. Ce n’est pas un simple hasard si on peut distinguer, à l’arrière-plan, Édouard Renard, dont la présence et celle de son organisation furent permanentes pendant toute la durée du conflit.

Édouard Renard se présenta dans la circonscription de Saint-Brieuc (Côtes-d’Armor) aux élections législatives en 1973 (462 voix, soit 0,64 % des suffrages exprimés), en 1978 (639 voix), et 2002 (117 voix, soit 2,17 %), ainsi qu’aux cantonales de 2001 et de 2004, avec plus de 4 % des voix.

Il continua à militer au SNES. Au congrès national de mars 1973, à Grenoble, il intervint en séance plénière pour défendre les comités de MA.
À partir de 1973, jusqu’à sa retraite en 1996, il enseigna vingt-quatre années comme professeur certifié au lycée Chaptal de Saint-Brieuc et fut secrétaire de la section SNES du lycée de 1981 à 1996. Il fut membre de la commission administrative (CA) de l’académie de Rennes pour la tendance EE et candidat aux élections à la CA nationale en 1983, 1985, puis à chaque scrutin de 1989 à 1991 et enfin en 1993 et 1995, le SNES étant devenu syndicat fondateur de la FSU, après la scission de la FEN.

De 1975 à 2005, Édouard Renard milita avec l’Association de Solidarité aux Travailleurs Immigrés (ASTI) en soutien aux « Sans-papiers », notamment aux Kurdes. Il participa à des parrainages républicains de sans-papiers soutenus par plusieurs municipalités et obtint la régularisation d’une famille comorienne, après avoir fait signer une pétition à des élus locaux dont Jean-Yves Le Drian (PS) et Gérard Lahellec (PCF). En 1994, à Saint-Brieuc, il fut co-fondateur d’Agir contre le Chômage (AC !) et son porte-parole. Il fut aussi co-fondateur d’AC ! à Guingamp, Rennes, Paimpol (Côtes-d’Armor) et Dinan (Côtes-d’Armor). Avec André Fichaut, avec qui il entretenait de très bons rapports, il fut l’un des principaux acteurs de la Marche des chômeurs de Brest à Rennes. En 1999, la lutte des chômeurs avec AC !-Saint-Brieuc dura plus de trois mois. Au cours de celle-ci, la préfecture fut envahie et le siège de l’ANPE occupé pendant une nuit. Édouard Renard fut aussi l’un des organisateurs des rassemblements de chômeurs à Amsterdam (Hollande), Cologne (Allemagne) et Bruxelles (Belgique). Il participa à l’occupation de la Maison du peuple de Saint-Brieuc par les chômeurs et la CGT en 1999. En 1991 et en 2003, il s’impliqua dans les initiatives contre les deux guerres du Golfe menées par les États-Unis et leurs alliés. Au fil du temps, très connu et apprécié localement, y compris par la CGT et le PCF, il devint le rédacteur des appels unitaires à ce genre d’initiatives.

Ayant toujours été très unitaire tout au long de sa longue carrière militante, il reprocha à la LCR de Saint-Brieuc son sectarisme. Il quitta finalement l’organisation après le référendum du 29 mai 2005 portant sur le Traité établissant une Constitution pour l’Europe. Il conserva intacte ses convictions antimilitaristes, antiracistes, révolutionnaires et pour l’indépendance de la Martinique.

En 2022, à 86 ans, vivant toujours à Saint-Brieuc, il était très sollicité en tant qu’acteur-témoin, à l’occasion de la commémoration des 50 ans de la lutte du Joint français, par des historiens, par la municipalité, la presse locale et le Musée.

Il s’était marié à une bretonne en 1960  ; le couple eut un fils en 1961.

Pour citer cet article :
https://maitron.fr/spip.php?article247057, notice RENARD Édouard par Hugo Melchior, version mise en ligne le 7 avril 2022, dernière modification le 8 avril 2022.

Par Hugo Melchior

Grève du Joint français

SOURCES : Arch. IRHSES (CA et congrès). — Le Monde, 22 février 1968. — Hebdomadaire Rouge, mai 1972. — Brochure de la LC, Les lycéens et le grève du Joint, mai 1972, 25 p. — Capdevielle J., Dupoirier E., Lorant G., La grève du Joint français, les incidences politiques d’un conflit social, PFNSP, 1975, 159 p. — Jean-Paul Salles, La Ligue communiste révolutionnaire 1968-1981. Instrument du Grand soir ou lieu d’apprentissage ?, Presses Universitaires de Rennes, 2005. — Hélène Adam et François Coustal, C’était la Ligue, Syllepse et Arcane 17, 2018. — Témoignage recueilli auprès de l’intéressé.

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