CHEVALIER Michel [saint-simonien]

Né le 3 avril 1806 à Limoges (Haute-Vienne), mort le 28 novembre 1879 au château de Montplaisir, près de Lodève (Hérault). Saint-simonien.

Fils d’un fonctionnaire qui éleva sept enfants, il fit de bonnes études au collège royal de Limoges, puis entra à l’École polytechnique en 1823. Il en sortit deux ans plus tard avec le numéro 13 et devint ingénieur des mines dans le Nord.
Initialement d’opinions ultra-républicaines, il fut séduit par la doctrine saint-simonienne et envoya au journal L’Organisateur plusieurs articles remarqués — particulièrement celui du 11 septembre 1830 : « La Marseillaise de la Paix » — qui le mirent au rang des théoriciens les plus connus de la nouvelle école.
Quelques mois après, un de ses prédécesseurs à Polytechnique, Prosper Enfantin, lui offrit la direction du Globe que l’école saint-simonienne venait d’acquérir ; il abandonna alors ses fonctions d’ingénieur pour soutenir plus efficacement la diffusion des idées saint-simoniennes. Après le schisme de Saint-Amand Bazard et le départ d’Olinde Rodrigues, il entra au « collège » et prit rang de « chef d’état-major » d’Enfantin. Il collabora étroitement avec ce dernier, notamment à la rédaction du Livre nouveau, qui devait être le texte de base de la foi saint-simonienne. Il participa à la vie communautaire de la collectivité des disciples, rue Monsigny, puis au couvent de Ménilmontant, où il était chargé de servir à table et de frotter les parquets.

Il fut poursuivi avec le « Père » Enfantin et Duveyrier, devant la cour d’assises de la Seine, en 1832, en raison des menaces que les progrès de la nouvelle « Église » semblaient exercer aussi bien contre l’ordre social que contre la monarchie et la religion. Deux chefs d’accusation furent retenus contre lui : prévention d’association illicite (article 291 du Code pénal) et reproduction dans le Globe d’articles d’Enfantin et de Duveyrier sur le rôle de la femme dans la société. Chevalier et Enfantin furent condamnés à un an de prison et 100 francs d’amende. Chevalier fut incarcéré à Sainte-Pélagie le 15 décembre 1832. Il fut transféré, le 6 juin 1833, dans une maison de santé située faubourg Poissonnière.
Les prisonniers furent libérés au bout de six mois et Michel Chevalier, après avoir rompu avec Enfantin et négocié sa sortie avec le gouvernement retrouva la liberté le premier août 1833 et partit pour les États-Unis afin d’y étudier les voies de communication. À son retour, il publia en volume, sous le titre Lettres sur l’Amérique du Nord (Paris, 1836), les articles qu’il avait envoyés au Journal des Débats pendant son voyage.
Fait chevalier de la Légion d’honneur en 1836, maître des requêtes au Conseil d’État, professeur d’économie politique au Collège de France, il s’associa aux tentatives de Claude Bastiat pour promouvoir le libre échange qu’il considérait comme indispensable au progrès de l’économie, ainsi qu’à l’amélioration du sort des ouvriers, impossible selon lui par les méthodes des nouveaux doctrinaires socialistes. En 1844, c’est avec l’accord de Michel Chevalier que le banquier saint-simonien Olinde Rodrigues lança son projet de retraites ouvrières.

En 1848, Chevalier publia deux études dans lesquelles il précisait sa pensée à l’égard des problèmes ouvriers. Professeur d’économie politique au Collège de France, dès le 15 mars, il fit paraître, dans la Revue des Deux-Mondes, un article favorable à l’association, où tout en critiquant le système d’organisation du travail de Louis Blanc, au nom des dogmes de l’économie politique classique, il soulignait que l’on pouvait « parer aux inconvénients les plus notoires de la concurrence par l’application intelligente d’un principe que célèbrent justement avec enthousiasme toutes les écoles socialistes, le principe d’association ». Il repoussait le système de Louis Blanc mais ajoutait : « Je n’ai pas beaucoup plus de foi dans le fouriérisme. J’honore et j’admire Fourier, mais je ne vois dans ses écrits que des romans propres à faire valoir l’association qui en est la morale, et je ne les estime que pour la morale qu’ils font aimer. Néanmoins, dans la circonstance actuelle, une allocation de cinq, six ou dix millions, pour fonder une association d’après les idées de M. Louis Blanc, ainsi qu’un phalanstère, me semblerait au goût du jour. Ce serait une étude dont il sortirait des enseignements. Ce serait aussi un gage de la bonne volonté du gouvernement en faveur des novateurs honnêtes, un moyen de calmer les impatients qui nous débordent. » Dans un ouvrage, Question des Travailleurs, il reprit les mêmes idées et, après s’être opposé au système préconisé par Louis Blanc, il rappela : « Si c’est un mérite d’avoir proposé l’organisation du travail au moyen de l’association, ce mérite m’est commun avec tous les économistes modernes. » À ce propos, Jean Gaumont fait remarquer : « Qu’importe que, repris ensuite par leur formalisme doctrinal, les pontifes, comme Chevalier, limitent leur effort à un ensemble d’institutions sans portée et sans vertu efficaces, et ne voient pas plus loin que cette participation aux bénéfices qui est aujourd’hui encore la tarte à la crème des réformateurs sociaux de la bourgeoisie et des économistes qui la conseillent. Les mots mystérieux d’association sont acceptés par eux comme la devise et comme un mot d’ordre d’action pour le nouveau régime, et l’amélioration de la situation des masses travailleuses semble facile avec une telle bonne volonté. » (Histoire générale de la Coopération en France, t. I.)

Lorsque le supplément du Représentant du Peuple du 15 mai 1848 publia, sous la signature de Proudhon, les statuts de la Banque d’échange et la composition du bureau, le nom de Chevalier Michel, rédacteur au Journal des Débats, figurait en bonne place.
Sous le Second Empire, Michel Chevalier entra en politique, présida le Conseil général de l’Hérault dès le milieu des années 1850 et, surtout, fut parmi les saint-simoniens qui participèrent au développement économique. On le trouve dans l’entourage du prince Napoléon au Palais-Royal. Il fut de ceux qui orientèrent le régime vers le libre échange. C’est lui qui, en 1860, négocia avec Cobden le célèbre traité de commerce franco-anglais.
En 1862, il organisa la participation française à l’Exposition universelle de Londres. À cette occasion, il rédigea de pénétrants rapports, riches de renseignements, sur la condition ouvrière.
C’est ainsi qu’il déplorait que l’industrie française fût privée de ces vieux ouvriers qui, par leur attachement même à la fabrique, ont acquis une précieuse expérience professionnelle. Il constatait qu’en France, les classes sociales tendaient à se différencier profondément : « Il y a un abîme entre le bourgeois d’une part, le paysan et l’ouvrier de l’autre... Le bourgeois ne sent rien de commun entre lui et le prolétaire. Il est convenu de regarder celui-ci comme une machine qu’on loue, dont on se sert et que l’on paie tout juste pendant le temps qu’on en a besoin ; de même, aux yeux d’un grand nombre de prolétaires, le bourgeois est un ennemi dont on n’accepte la supériorité que parce qu’il est le plus fort... Il y a aujourd’hui deux natures ennemies : la nature bourgeoise et la nature prolétaire. »
En 1868, Chevalier Michel présidait un comité qui rédigea les statuts des Caisses syndicales pratiquant un système de crédit mutuel pour les petits commerçants et artisans. Voir Retouret Moïse

Pour citer cet article :
https://maitron.fr/spip.php?article28685, notice CHEVALIER Michel [saint-simonien], version mise en ligne le 20 février 2009, dernière modification le 15 novembre 2022.

ŒUVRE : Ses propres articles, parus dans le Globe du 31 octobre au 30 novembre 1831, furent édités sous forme d’une brochure ayant pour titre Religion Saint-Simonienne. Événemens de Lyon. Il en publia une autre à Paris, intitulée A Lyon ! Ménilmontant, le 23 novembre 1832.

SOURCES : Arch. Dép. de la Seine D Y 8. — S. Nicard des Rieux, Michel Chevalier et Saint-Simon, Poitiers, 1912. — Jean Walch, Michel Chevalier, économiste saint-simonien (1806-1879), Paris, Vrin, 1975. — Notes de Ph. Régnier, R. Skoutelsky et J.-C. Vimont.

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