FRAUDEAU François [Dictionnaire Algérie]

Par Nicolas Perrais

Né le 11 février 1912 à Blida (Algérie), mort le 2 décembre 1985 à Paris ; maître d’internat, contrôleur à la Caisse interprofessionnelle de compensation des allocations familiales du département d’Alger (1946-1957), secrétaire général et président de la Caisse de coordination de sécurité sociale d’Algérie (1957-1962), directeur de la Caisse nationale de Sécurité sociale d’Algérie (1962-1965), directeur de la Caisse d’Allocations familiales du Morbihan (1965-1973) ; secrétaire général (1936-1939) puis président (1946-1950) de l’Union départementale CFTC d’Alger ; président de l’Union régionale CFTC d’Algérie (1950-1963), membre du Conseil confédéral CFTC (1953-1963) ; membre du Conseil de la Fédération française des syndicats d’ingénieurs et cadres CFTC (1953-1958) ; membre du Conseil du Syndicat national du personnel de direction des organismes sociaux CFDT (1967-1973).

François Fraudeau vécut toute son enfance en Algérie. Après le baccalauréat, il devint maître d’internat au lycée national de garçons d’Oran (renommé lycée Lamoricière à partir du 18 août 1941), ce qui lui permit de poursuivre ses études supérieures. En 1931-1932, alors qu’il était maître d’internat, François Fraudeau dit avoir été sensibilisé à la question algérienne par un collègue « musulman » qui lui fait connaître La Voix des Humbles, la revue de l’Association des instituteurs d’origine indigène qui parle au nom des « évolués », appelant des réformes du régime colonial inégalitaire. Diplômé d’une licence de droit, il fit son service militaire à Alger où il côtoya l’Association catholique de la jeunesse française (ACJF) qu’animait Alexandre Chaulet qui lui fit découvrir l’Association syndicale professionnelle de la Fédération française des syndicats professionnels de fonctionnaires CFTC, association destinée aux isolés n’ayant pas encore de syndicat propre. L’action syndicale des deux hommes se confond souvent avant et après la guerre.

En juillet 1934, il adhéra au Syndicat des fonctionnaires et assimilés CFTC et fut élu dès le mois de mai 1936 secrétaire général de l’Union départementale CFTC d’Alger, poste qu’il allait occuper jusqu’au début de la guerre en septembre 1939. Lors de sa création en 1937, il fut le premier adhérent du Syndicat général de l’Éducation nationale (SGEN-CFTC) en Algérie.

Mobilisé le 1er septembre 1939 comme lieutenant, il fut fait prisonnier et resta cantonné dans un Oflag [Offizier-Lager] en Poméranie jusqu’à la fin de la guerre. Rapatrié le 23 juin 1945 en France, il revint le 1er juillet 1945 à Alger. Il fut alors recruté en qualité de contrôleur à la Caisse interprofessionnelle de compensation des allocations familiales du département d’Alger (CICAFDA), présidée par Jacques Chevallier. Très vite, il joua un rôle dans la mise en place de la Sécurité sociale en Algérie ; il participa aux négociations officielles dans le cadre de la « mission Brault », du nom du directeur régional de la Sécurité sociale à Lyon, chargé des études préparatoires à la mise en place de la Sécurité sociale en Algérie. Les discussions s’ouvrirent début 1949 à l’Assemblée algérienne sur la base d’un texte rédigé par François Fraudeau et prononcé en assemblée par Alain de Sérigny. Il devint successivement chef du service des prestations et du contentieux, secrétaire général puis de 1957 à 1962 président ou vice-président de la Caisse de coordination de sécurité sociale d’Algérie.

Son retour en Algérie coïncida avec la reprise de ses activités syndicales. Il devint président de l’Union départementale d’Alger de 1946 à 1950, puis premier président de l’Union régionale d’Algérie (URA) de 1950 à 1962, quand les Unions départementales CFTC d’Alger, Oran et Constantine décidèrent de sa création. François Fraudeau eut parallèlement des responsabilités nationales au sein de la CFTC où il fut membre du Conseil de la fédération française des syndicats d’ingénieurs et cadres (FFSIC-CFTC) de 1953 à 1958 et membre du Conseil confédéral de 1953 à 1963.

Lorsque la rébellion éclata en 1954, François Fraudeau situa la révolte comme une réaction face au sous-développement économique et social, mais il prit rapidement conscience que le problème était plus politique. Dans un premier temps, il n’envisagea pas l’indépendance de l’Algérie, mais le seul fait de refuser le slogan « Algérie française » le coupa de nombreux syndiqués européens d’Algérie. Le congrès de l’URA des 9-10 février 1957 fit apparaître au grand jour les divergences entre les militants de la base et les dirigeants de l’Union régionale. Maurice Bouladoux, président de la CFTC invité au congrès, fut pressé par certains syndicats de clarifier les positions de la Confédération. Cristobal Borja, représentant de l’Union des syndicats chrétiens des cheminots d’Algérie, affirma que face à la situation équivoque, « les “Ponce Pilate” n’ont plus de place chez nous. C’est l’heure de la clarté. L’Algérie restera française ». Dans son discours, Maurice Bouladoux, rappela les limites des responsabilités syndicales, affirmant qu’il y avait un monde entre la « conscience d’une liaison entre le social et le politique, par le biais de l’économie et une prise de position politique qui, elle, est du ressort des partis politiques ». Au dernier jour du congrès, dans sa réponse aux interventions sur le rapport moral, François Fraudeau conclut que « ceux qui tablent sur la violence et sur la haine n’ont point de place chez nous » et que « la façon dont le discours de Bouladoux a été applaudi montre que nous sommes bien d’accord sur le sens et la mission du syndicalisme chrétien dans ce pays […], ce qui ne nous empêche pas légitimement, en dehors du mouvement, d’avoir des opinions politiques différentes ».

François Fraudeau devint complètement isolé dans la période qui suivit le 13 mai 1958, où certains militants CFTC d’Algérie n’avaient pas hésité à adhérer au Comité de salut public formé par des partisans de l’Algérie française appelant au retour du général de Gaulle et placé sous l’autorité militaire. Ce jour-là, des partisans de l’Algérie française avaient appelé à manifester contre l’exécution de trois soldats français par le Front de libération nationale (FLN), au moment même où à Paris, dans un contexte lié à l’instabilité gouvernementale chronique de la IVe République et à la guerre d’Algérie, René Coty désignait Pierre Pflimlin au poste de président du Conseil. Or, à Alger, celui-ci était soupçonné de vouloir abandonner l’Algérie française, si bien que sa désignation entraîna la manifestation sur un terrain politique et dégénéra en émeute. Au soir du 13 mai 1958, un Comité de salut public avait été constitué rassemblant des politiques et des militaires comme Raoul Salan et le général Jacques Massu, tous partisans d’une Algérie française.

À nouveau mis en minorité lors du congrès de l’URA des 7-8 février 1959, mais soutenu par la Confédération, François Fraudeau continua d’affirmer que seule la négociation avec les Algériens pouvait résoudre le problème. C’est en ces termes que fut votée une résolution à l’occasion du 30e congrès confédéral CFTC (19-21 juin 1959, Issy-les-Moulineaux), rappelant le droit des peuples à se déterminer librement. Le congrès confédéral confirma les positions antérieures de la CFTC et souligna « la nécessité de résoudre le problème algérien par une solution négociée, seule susceptible de préparer la définition, par les Algériens eux-mêmes, d’un statut nouveau organisant la coexistence pacifique des communautés européenne et musulmane et permettre un règlement positif et constructif des relations entre la France et l’Afrique du Nord ».

À partir de 1961, la politique de la terre brûlée instituée par l’OAS poussa la Confédération à rapatrier en métropole les militants en danger de mort. François Fraudeau fut rapatrié en mai 1962 au château de Bierville (Boissy-la-Rivière, Essonne). Il retourna en Algérie deux mois plus tard, le 6 juillet 1962, pour aider à la mise en œuvre des procédures prévues par les Accords d’Évian. Bachir Boumaza, ministre algérien du Travail et des Affaires sociales lui confia, à « titre exceptionnel et provisoire », la direction de la Caisse nationale de Sécurité sociale à Alger, fonction qu’il assura jusqu’en 1965.

Il gagna alors la France où il devint directeur de la Caisse d’Allocations familiales (CAF) de Vannes (Morbihan) et poursuivit son engagement syndical en devenant membre du Conseil du Syndicat national du personnel de direction des organismes sociaux CFDT jusqu’à son départ en retraite (1967-1973). Une fois retraité, il s’investit dans la vie associative au service des personnes âgées à Ploeren (Morbihan). Il fonda en 1977 deux associations toujours en activité en 2017 : d’abord le Club de l’amitié, association pour créer du lien social et de la convivialité entre les retraités de la commune et dont François Fraudeau fut le président jusqu’en 1979, puis le Comité de liaison des associations de retraités et personnes âgées du Morbihan (Clarpa), association pour défendre les intérêts des seniors et des personnes en perte d’autonomie. C’est à ce titre qu’il fut décoré le 6 mai 1983, chevalier de la Légion d’honneur, des mains de Paul Teitgen, son ami de longue date.

Pour citer cet article :
https://maitron.fr/spip.php?article137501, notice FRAUDEAU François [Dictionnaire Algérie] par Nicolas Perrais, version mise en ligne le 8 juillet 2011, dernière modification le 24 novembre 2022.

Par Nicolas Perrais

ŒUVRE : Petite Histoire CFTC de la Sécurité Sociale en Algérie, Paris, Archives confédérales CFDT, 1982.

SOURCES : Archives confédérales CFDT, fonds personnel François Fraudeau (sous-série CP/11, voir l’inventaire en ligne), Fonds des congrès confédéraux (sous-série CG/11). – Archives interfédérales CFDT, fonds de l’Union confédérale des cadres (série FU) : L’Information des cadres UCC-CFDT, 956, janvier 1986 ; Archives du Syndicat national du personnel de direction des organismes sociaux CFDT. – André Nozière, Algérie : les chrétiens dans la guerre, Cana, 1979. – Michel Branciard, Un syndicat dans la guerre d’Algérie. La CFTC qui deviendra la CFDT, Syros, 1984 ; Histoire de la CFDT : soixante-dix ans d’histoire syndicale, La Découverte, 1990. – Madeleine Singer, Histoire du SGEN (1937-1970) : le Syndicat général de l’Éducation nationale, Lille, Presses Universitaires de Lille, 1987. – Frank Georgi, L’invention de la CFDT 1957-1970 : syndicalisme, catholicisme et politique dans la France de l’expansion, Éditions de l’Atelier-CNRS, 1995. – « Fichier de l’ensemble des personnels du lycée de 1887 à 1962 », Association des anciennes du Lycée Stéphane Gsell d’Oran et des anciens potaches du Lycée Lamoricière d’Oran (ALYSGO-APOLLO) (édition en ligne), consulté le 14 novembre 2017. – « Aide à domicile. Le Clarpa depuis 30 ans au service des personnes âgées », Le Télégramme (édition en ligne), publié le 16 septembre 2014, consulté le 11 octobre 2017. – « Club de l’Amitié. Quarante ans bien fêtés, Le Télégramme (édition en ligne), publié le 9 août 2017, consulté le 11 octobre 2017. – « Club des anciens de Ploeren. Histoire du club », site internet des anciens de Ploeren, publié le 6 avril 2010, consulté le 11 octobre 2017. – Notes d’Amar Benamrouche.

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