RENARD Thierry [Dictionnaire des anarchistes]

Par Théo Roumier

Né le 5 août 1954 à Paris XIVe arr. ; postier, puis avocat ; communiste libertaire et syndicaliste.

Thierry Renard (1995)
Thierry Renard (1995)
Source : Archives d’AL/FACL

« Fils naturel », Thierry Renard, dont la mère était femme de ménage, grandit en nourrice jusqu’à l’âge de 12 ans, avant de se retrouver en pension « chez les curés ».

Il commença à militer alors qu’il était interne au lycée Michelet, à Vanves (92). Il fut élu délégué de sa classe de seconde. Les élections étant traditionnellement suivies d’une rencontre des délégués avec la direction de l’établissement, le jeune Thierry se vit affublé par un autre délégué gauchiste d’un autocollant « procès Geismar - procès du Peuple », autocollant qu’il colla séance tenante sur le monument aux morts du lycée. Cet acte public d’insubordination caractérisée faillit entraîner son renvoi. Mais, l’administration tenant compte de sa situation familiale, il put continuer sa scolarité au sein du lycée. Il anima alors un groupe anarchiste fort d’une soixantaine de membres et était « assez branché par le romantisme de la violence » du début des années 1970.

Ce fut dans le cadre du militantisme lycéen qu’il rencontra Patrice Spadoni. Peu après, en 1971, alors âgé de 16 ans, il rejoignit l’ORA. En 1972, il participa à la création avec d’autres camarades d’un Cercle Front libertaire au Lycée Michelet qui eut à son actif la publication d’un journal local La Météo libertaire. L’année scolaire 1972-1973 constitua le final épique d’une scolarité placée sous le signe d’un militantisme incandescent. L’année se solda en effet par une longue grève qui n’aboutit ni plus ni moins qu’à l’autogestion du lycée, de l’organisation de la restauration jusqu’à celle de « contre-cours » durant lesquels le « littéraire » Thierry Renard dispensa des cours de quatre heures sur l’autorité aux étudiant des classes préparatoires HEC.

À l’été 1973, le 2 juillet, Thierry Renard fut embauché comme auxiliaire de nuit au centre de tri postal de Paris-Brune avec une trentaine de ses camarades lycéens suite à l’invitation à l’expérience de l’action en entreprise faite par des militants ouvriers de l’ORA.

L’été passa et Thierry resta au centre de tri, désormais « établi ». Commença alors un patient et volontaire travail d’entreprise des militants ORA des PTT à Paris-Brune. Les principales manifestations de ce travail furent d’une part la publication d’une presse spécifique, La Pause à Paris-Brune et Le Postier affranchi, bulletin du secteur PTT de l’ORA, et d’autre part la participation active aux luttes, nombreuses, et à l’action syndicale au sein de la section CFDT que Thierry Renard rejoignit le jour même de son embauche. Une CFDT, auréolée de la lutte des LIP et où étaient particulièrement présents les militants du PSU, ce qui n’ébranlait pas l’anarchiste qu’il était, considérant « qu’entre autogestionnaires, on se comprenait ».

Dans cette atmosphère de débat politique intense (et de concurrence), Thierry Renard et Patrice Spadoni, également présent à Paris-Brune, ne ménageaient pas leurs efforts. En 2005, Thierry Renard évoquait le volontarisme qui était le leur : « Plusieurs fois, nous avons enregistré discrètement nos interventions en AG. Et après le boulot, nous écoutions la bande et nous pointions nos erreurs. Nous travaillions et retravaillions notre façon de prendre la parole. » Ils furent vite confrontés à un mouvement social d’ampleur, en l’espèce, la grève des PTT de l’automne 1974. Les militants de l’ORA décidèrent de s’investir dans la création d’un comité d’animation culturel de la grève (CAC).

À l’issue de la grève et pour donner un prolongement au CAC, Thierry Renard et les militants postiers de l’ORA de Paris-Brune furent à l’initiative d’un groupe ouvrier autonome (GOA) sur le centre de tri, s’inscrivant dans la logique de l’ORA de rassembler la « gauche ouvrière », sans que cela ne soit en opposition aux organisations syndicales. Ce GOA se manifestait notamment lorsqu’une situation de conflit social aigu prenait corps au centre de tri. À ces occasions, l’art de la « bagarre », que maîtrisait parfaitement le cédétiste libertaire Thierry Renard, lui fut parfois d’une certaine utilité. Lors du conflit du Parisien libéré, qui se déroula de mars 1975 à août 1976, les postiers ORA de Paris-Brune entretenaient des liens avec les grévistes par l’intermédiaire du syndicat des Correcteurs CGT, animé notamment par Jacques Toublet de l’Alliance syndicaliste. En lutte pour soutenir ceux du Parisien libéré, les grévistes de Paris-Brune n’avaient pas hésité à s’enfermer dans le centre de tri et à séquestrer le directeur. Les CRS qui cernaient le centre réussirent à percer les « défenses » des postiers. Les hommes du GOA, entraînant avec eux près de 80 postiers, choisirent alors de charger les forces de l’ordre.

A l’époque les militants de l’ORA étaient les seuls, avec ceux du PCF, à pouvoir s’exprimer politiquement dans l’enceinte même du centre de tri, les autres organisations étant contraintes de distribuer leurs tracts aux abords. L’ORA organisa ainsi un débat à Paris-Brune à l’occasion de la publication du programme commun de gouvernement PS-PCF. Le débat vit notamment intervenir Daniel Guérin et rassembla une assistance d’une centaine de trieurs.

« Univers incroyable » composé d’une « faune étonnante » que ce centre de tri de Paris-Brune dans lequel Thierry Renard évoluait comme un poisson dans l’eau. Il s’y distingua tellement que dans son roman Paris-Brune, Maxime Vivas, ancien du centre de tri, le peignit sous les traits d’un personnage de fiction, trieur anarchiste dénommé Leberther et (curieusement) syndiqué à FO.

En 1976, Thierry Renard fut élu secrétaire de la section CFDT de Paris-Brune, forte de 330 adhérents. Cette même année, avec les militants de la tendance UTCL, il fut exclu de l’ORA au congrès d’Orléans. Aux côtés de Patrice Spadoni et Olivier Sagette il se lança dans l’aventure du collectif pour une UTCL et du journal Tout le pouvoir aux travailleurs (TLPAT). Il continua de participer à la publication des travailleurs des PTT de l’UTCL, Le Postier affranchi, nouvelle série qui paru jusqu’en 1983. Dans Lutter ! qui remplaça TLPAT à partir de 1982, il rédigea, sous le pseudonyme de Thierry Aureliano, de nombreux articles principalement dans la rubrique « Vive la Sociale ! ».

En 1983, tenant compte de changements techniques importants dans son secteur, Thierry Renard pressentit la fermeture du centre de tri de Paris-Brune et élabora un projet de reconversion du site dans l’espoir d’en sauver les emplois. Le projet fut écarté par l’administration des postes. Il décida alors de passer le concours de contrôleur des postes, qu’il obtint. En 1984, il se retrouva en fonction à L’Haÿ-les-Roses dans le Val-de-Marne.

Toujours syndiqué à la CFDT, Thierry Renard était alors un de ces « coucous » dénoncés par Edmond Maire, un opposant de gauche à la ligne confédérale comme à celle de sa fédération, dirigée alors par des membres du CERES (une tendance du PS dirigée par Jean-Pierre Chevènement). Deux ans plus tard, en 1986, il devint secrétaire du syndicat unifié démocratique CFDT-PTT du Val-de-Marne, puis secrétaire adjoint de l’union départementale CFDT. A cette époque, huit syndicats CFDT-PTT de la région parisienne sur onze pouvaient être classés comme oppositionnels. Ces syndicats organisaient régulièrement des rencontres de bureaux régionaux et c’est dans ce cadre que se nouèrent des contacts étroits entre des militants comme Thierry Renard, Christophe Aguiton, Annick Coupé ou Christian Chartier. Ces relations permirent d’organiser avec l’UTCL un colloque sur le syndicalisme révolutionnaire en novembre 1986, colloque auquel participèrent un nombre important des responsables de la gauche CFDT de l’époque.

En 1988, la rupture fut inévitable et Thierry Renard, relevé de ses mandats par sa fédération CFDT, fit partie des fondateurs de la fédération SUD-PTT. Au sein de SUD-PTT, il fut secrétaire fédéral en charge des questions juridiques. SUD-PTT étant à ses débuts en but à une guerre juridique de la part tant de l’administration des PTT que d’autres syndicats, Thierry Renard, qui était alors permanent, devait y consacrer une part importante de son activité. Par souci d’éviter toute dérive corporatiste, Thierry Renard, responsable du secteur Poste du jeune syndicat, conçut par ailleurs les campagnes d’action concernant les salariés précaires et de droit privé à la Poste pour SUD-PTT.

De 1989 à 1998, durant les neuf années de son mandat de secrétaire fédéral, Thierry Renard eut également l’occasion de suivre la création des syndicats SUD qui se constituèrent après le mouvement social de l’hiver 1995 (voir Christian Mahieux, Clotilde Maillard).

Il trouva néanmoins le temps, à l’aube des années 1990, en s’exprimant par la peinture abstraite de s’engager dans un travail artistique. Toutes ces années passées à fonder SUD-PTT et à développer ensuite le type de syndicalisme incarné pas SUD-Solidaires, ne signifièrent pas pour Thierry Renard un retrait du militantisme libertaire spécifique.

En 1991, signataire de l’Appel pour une alternative libertaire, il fut un des fondateurs de l’organisation éponyme à Orléans. Libertaire et syndicaliste, il fut un artisan de la réussite de l’Appel pour l’autonomie du mouvement social publié le 3 août 1998 dans le quotidien Libération. Le Ve Congrès d’AL à Paris en 2000, qui décida d’un « tournant vers la visibilité » fut pour Thierry Renard le signal d’un réinvestissement fort au sein de son organisation politique. Membre du comité de rédaction de la revue Débattre, il approfondit le travail théorique qu’il y avait entrepris avec la publication d’un ouvrage, Medef, un projet de société en 2001. Il fut également une des chevilles ouvrières de la mise en place des « rencontres syndicalisme et mouvement social » régulièrement organisées par la Branche entreprises d’AL.

Sur le plan syndical, à l’issue de son mandat de secrétaire fédéral, Thierry Renard fut détaché permanent jusqu’à 2002 au bureau fédéral, conformément aux statuts de SUD-PTT qui permettaient un détachement de douze années consécutives aux tâches fédérales. Enfin, à partir de 2002, détaché permanent puis à mi-temps, il fut conseiller juridique de l’union syndicale Solidaires, manifestant ainsi son goût pour le droit du travail qui devait l’amener plus tard à s’investir dans une procédure de validation d’acquis afin d’obtenir un titre universitaire en droit et de devenir avocat.

Pour citer cet article :
https://maitron.fr/spip.php?article154512, notice RENARD Thierry [Dictionnaire des anarchistes] par Théo Roumier, version mise en ligne le 22 avril 2014, dernière modification le 9 novembre 2014.

Par Théo Roumier

Thierry Renard (1995)
Thierry Renard (1995)
Source : Archives d’AL/FACL

ŒUVRE : (avec Voltairine de Cleyre) Le Medef, un projetde société, Syllepse, 2001 — contribution à Revendiquer et s’organiser ! notede la fondation Copernic, Syllepse, 2008.

SOURCES : Archives UTCL — Archives AL — Archives interfédérales CFDT, F3C, 20T136 et 20T137 — René Bianco, « Un siècle de presse... », op. cit. — Philippe Dubacq, « Anarchisme et marxisme dans l’après68. Le cas de l’organisation révolutionnaire anarchiste(ORA) », mémoire de maîtrise de sociologie politique, Paris-X, 1992 — Maxime Vivas, Paris-Brune, Le Temps des Cerises/VO éditions, 1997 — Annick Coupé, Anne Marchand, Syndicalement incorrect. SUD-PTT, une aventure collective, Syllepse, 1999 — Annick Coupé, Stanislas Maillard, Qu’est-ce que SUD-Solidaires ?, L’Archipel, 2002 — Théo Rival, Syndicalistes et libertaires. Une histoire de l’UTCL (1974-1991), Alternative libertaire, 2013.

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