CLÉMENT Jean-Baptiste

Né le 31 mai 1836 à Boulogne (Seine) ; mort le 23 février 1903 à Paris (Xe arr.) ; homme de lettres, journaliste et auteur de chansons ; franc-maçon ; élu membre de la Commune de Paris ; militant de la Fédération des Travailleurs Socialistes puis du Parti Ouvrier Socialiste Révolutionnaire.

Père-Lachaise, cliché Cl. Pennetier

Son père, Jean-Baptiste Clément, était un meunier à l’important revenu annuel de 15 000 f. Pourtant, le fils préféra quitter l’école à 14 ans et entrer en apprentissage chez un garnisseur en cuivre, « le plus insignifiant de tous les métiers », dit-il, mais qui le laissait indépendant. En fait, il exerça bien des professions, du commerce des vins à l’emploi de terrassier au viaduc de Nogent ; il rimaille déjà, semblable malgré tout à son père insouciant et à la bonne grand-mère Charlotte qui lui fit danser la capucine et qui nourrissait des artistes faméliques. À 30 ans, il vint s’établir à Paris, et la butte Montmartre le consacra homme de lettres ; il fréquenta les membres de l’Internationale et sa chanson « 89 » publiée malgré la censure en 1867 lui valut des ennuis : c’est de Bruxelles où il avait fui en octobre 1867, sans doute, qu’il publia « le Temps des Cerises » écrit l’année précédente ; bien plus tard (1885), la chanson sera dédiée à Louise, ambulancière combattant au 28 mai sur la dernière barricade de la Commune.

Rentré à Paris en 1868, le 21 ou 22 février (Arch. PPo., B a/1013), il fonda le Casse-Tête et collabora à la Réforme de Vermorel ; par les milieux journalistiques, il fut mis en rapports avec les coopérateurs anglais de Rochdale. Sa pensée, au-delà du républicanisme, atteignait la critique sociale. Lorsque survint le 4 septembre 1870, il était en prison à Sainte-Pélagie : une première condamnation à deux mois pour avoir publié le Casse-Tête sans cautionnement (8 janvier 1870), une autre à six mois pour offenses envers l’Empereur (21 janvier 1870) l’avaient incité à gagner Bruxelles ; puis il était rentré et s’était laissé arrêter le 4 mars 1870 ; le 1er avril, il était condamné à quatre mois pour « provocation à commettre plusieurs crimes » (Arch. PPo., dossier Clément, n° 166) ; il avait d’ailleurs écrit au receveur de l’enregistrement une lettre pleine d’humour où il lui exposait ne pouvoir sortir de prison pour le satisfaire en payant l’amende.
La révolution de septembre le délivra, et l’un de ses premiers actes fut d’obtenir du maire Arago qu’il fasse libérer les membres de l’Internationale prisonniers à Beauvais. Il combattit durant le Siège dans les rangs du 129e bataillon de marche à Montmartre et fut élu au comité de vigilance du XVIIIe arr. ; il fut clubiste à la « Boule Noire » et prit part aux « journées » des 8 et 31 octobre, du 22 janvier 1871, du 18 mars enfin. Le 26, il fut élu à la Commune par son arr. (14 188 voix sur 17 443 votants) avec Blanqui, Ferré, Vermorel. Il siégea à la commission des Services publics et des Subsistances (29 mars), puis fut délégué à la fabrication des munitions (16 avril) et nommé à la commission de l’enseignement (21 avril). Il vota pour le Comité de Salut public, avec la majorité. Surtout il s’occupa du ravitaillement et de l’assistance à Montmartre. Une lettre autographe écrite par lui sur du papier à en-tête de la mairie du XVIIIe arr. enjoint aux propriétaires de garder les locataires pour lesquels la municipalité a réquisitionné des pièces : « C’était indispensable et humain », dit-il (Arch. PPo., dossier Clément n° 34). Il figure au nombre des collaborateurs du Journal Officiel de la Commune.

On l’accusera sans preuves d’avoir donné l’ordre d’incendier les maisons où s’étaient réfugiés des Versaillais. Il combattit en mai ; on le vit encore le 28 auprès de la barricade de la rue Fontaine-au-Roi, avec Ferré, Varlin, Gambon ; puis il trouva asile rue Oberkampf chez l’ouvrier Piconel, son codétenu de Sainte-Pélagie, qui lui procura après 24 heures un refuge plus sûr chez l’un de ses amis, Casimir Henricy, marchand de bois quai de Bercy ; Clément y resta 75 jours au terme desquels un faux passeport lui permit de gagner la Lorraine allemande et de là la Belgique et l’Angleterre où il serait arrivé le 3 septembre ; il habita Londres à plusieurs adresses et vécut en encadrant des estampes, donnant des leçons de français ou vendant des tableaux. En novembre, il rédigea La Voix du Peuple qui n’eut qu’un numéro (cf. La Commune di Parigi, op. cit.). En 1872, sous le pseudonyme de Hilldrop, il dénonça les menées en Angleterre de Rouher et des bonapartistes (Arch. PPo., Clément, n° 68-71). Ses propres démarches étaient suivies au jour le jour par un indicateur qui signait du n° 28 les rapports envoyés à la préfecture de police parisienne.

Condamné à mort par contumace (24 octobre 1874, 4e conseil de guerre), il fut amnistié en 1879 et, après cinq mois passés à Bruxelles, rentra à Paris, par la gare du Nord, le 8 janvier 1880. Demeuré Montmartrois, il loua une chambre rue Lepic, écrivit dans maints journaux socialistes et se dépensa dans les réunions. Il participa au congrès du Parti Ouvrier à Saint-Étienne en 1882. Délégué à la propagande par la Fédération des Travailleurs socialistes (FTS, ou FTSF) créée par Paul Brousse en 1882, il parcourut la province en tous sens pendant plusieurs années. En 1890, au congrès de Châtellerault, il se sépara de Brousse et rallia Allemane. avec lequel il participa à la naissance du Parti Ouvrier socialiste révolutionnaire (POSR). En quelques années, il fit de la Fédération des travailleurs socialistes des Ardennes un bastion allemaniste, mais aussi une des valeurs sûres du socialisme français : 14 089 militants regroupés dans 69 groupes (chambres syndicales et cercles d’études sociales). Mais il déplorait l’émiettement du mouvement et on le vit en 1892 participer à une tournée de propagande syndicale à Lille et à Roubaix avec Jules Guesde et Paul Lafargue.

C’est dans les Ardennes que J.-B. Clément déploya peut-être le mieux ses qualités de propagandiste et d’organisateur. Il y était venu en mai 1885 soutenir la grève de Château-Regnault contre le patron-maire Maré qui voulait interdire aux grévistes de la Grosse Boutique de constituer un syndicat. Le 31 mai, salle du Chalet à Charleville, en présence des délégués de huit chambres syndicales, il fonda la Fédération des travailleurs socialistes des Ardennes. Candidat possibiliste à Paris aux élections municipales en 1887 où il obtint 24,73 % des voix, il revint aussitôt après dans les Ardennes. Il entreprit une tournée de conférences dans le département pour créer des chambres syndicales et renforcer la Fédération socialiste. En octobre 1887, il participa au congrès national de la F.T.S.F. qui se tint à Charleville. Aux élections législatives partielles de 1888, les travailleurs ardennais lui demandèrent de se présenter : il recueillit 6 831 voix. Désormais, si l’on excepte une candidature de protestation dans le Ve arr. après son arrestation à Charleville, le 1er mai 1891, et sa condamnation à deux ans de prison, il se consacra aux Ardennes, créant des dizaines de groupes économiques (syndicats), des dizaines de groupes politiques (cercles d’études), des coopératives, pendant une période de grèves importantes, chargé de mille réunions, rédigeant presque seul l’Émancipation, puis l’Émancipateur, menant le combat aux élections législatives de 1889 et de 1893 où la fédération des Ardennes le présenta. En 1889, il obtint 4 477 voix (23,10 % des suffrages exprimés ; en 1893, il recueillit 5 110 voix (27,70 %) mais il fut battu au second tour du scrutin.

Cette lutte dura six ans. Et Clément s’y usa, en butte à trop d’oppositions venant du patronat ardennais, de l’Église, des journaux bourgeois, des adversaires de tendance, de la police — et même du caractère ardennais — car l’ouvrier se montra parfois rebelle à l’organisation durable comme à l’éducation politique.

En décembre 1894, Clément, « le Vieux », quitta les Ardennes. Il fut, d’avril 1895 à mai 1896, employé à la mairie de Saint-Denis, puis il collabora à la Petite République de Gérault-Richard, et fonda la Librairie de propagande socialiste.

Le 25 février 1903, 4 000 à 5 000 personnes l’accompagnèrent au Père-Lachaise où une vingtaine d’orateurs prirent la parole, l’un d’eux au nom de la loge l’Évolution sociale au titre significatif.

J.-B. Clément laissait une compagne, légitime ou non, Thérèse, dont il avait un fils qui mourut à 18 ans, en juin 1909 (cf. L’Humanité du 6 juin). Vers 1869, Clément avait vécu maritalement avec une certaine Maria Marcillia (ou Marullia) dont il avait eu plusieurs enfants, trois probablement (cf. Arch. Nat., BB 24 et PPo., Ba/1013).

Sans doute la jeunesse volontairement pauvre et aventureuse de Jean-Baptiste Clément cadre-t-elle avec ses prises de position, son amour des humbles, sa popularité. Mais on ne peut tout expliquer par l’influence d’un maître de pension original qui aurait promené l’enfant sur les barricades de 1848, ni réduire sa personnalité à celle d’un bohème montmartrois ou de l’auteur du « Temps des Cerises » ; ses articles durant le Siège et la Commune expliquent et s’apitoient sans verser dans la démagogie. Il crut à la vertu de l’instruction : « Pauvre peuple, on te méprise et l’on te mitraille... [...] Étant le nombre, tu serais la force, le maître si tu voulais ; mais tu n’es rien, parce que tu es l’ignorance, la crédulité et l’insouciance » (Cri du peuple, 27 février 1871). Il protesta dans le même journal contre l’arrestation de Chanzy, la suppression du Gaulois et du Figaro (23 mars) : « Il faut la liberté pour tous. La liberté, pleine et entière ! Que les méchants et les bavards écrivent et disent ce qu’ils voudront, la sagesse de la population en fera justice, soit en ne les écoutant pas, soit en ne les achetant pas. » Et le ton bon enfant donné à ses articles n’exclut pas la vigueur d’une pensée d’autodidacte nourri, dit-il, de Musset, Flaubert, Balzac, Hégésippe Moreau, Bérenger, Pierre Dupont ; il fut aussi grand lecteur de Dickens, E. Poe, Paul de Koch, G. Sand et Erckmann-Chatrian ; mais ses convictions venaient plus encore de l’expérience vécue, du contact permanent avec le monde ouvrier. Convictions nées de l’instinct, mais qui aboutirent à une action positive, courageuse, d’où l’esprit de méthode et d’organisation n’était pas absent, ce qui explique notamment les réalisations ardennaises.
Il mourut le 23 février 1903 à Paris d’une occlusion intestinale et d’un cancer.

Pour citer cet article :
https://maitron.fr/spip.php?article182151, notice CLÉMENT Jean-Baptiste, version mise en ligne le 29 juin 2016, dernière modification le 22 novembre 2022.
Père-Lachaise, cliché Cl. Pennetier
J.-B.. Clément en 1869
Jean-Baptiste Clément à la prison de Sainte-Pélagie en 1870.
Livre de Didier Bigorgne, correspondant du Maitron dans les Ardennes, 1985, Terres Ardennaises.

OEUVRE (d’après le catalogue de la Bibl. Nat.) : Le Club de la Redoute (s. I.) chez tous les libraires, 1868, in-32, 32 p., Lb 56/2059. — Deux chansons politiques (Paris) Dumoulin 1868, in-32, 14 p., Ye 40561. — La Lanterne du peuple, Paris, Dumoulin, 1868, in-32, 63 p., Lb 56/2046. — La Lanterne impériale, Paris, chez tous les libraires (s.d.) in-32, 61 p., Lb 56/2047. — Liberté, égalité, fraternité, La Carmagnole, revue politique et satirique (s.l.) chez tous les libraires, 1868, in-32, 32 p., Lb 56/2093. — 89 !... [Les Souris. Dansons la capucine (Paris), Defaux 1868, in-8°, 17 p., Ye 40 562. — Le Sonneur de Madrid, (Paris), Defaux, 1868, in-8°, 4 p., Ye 40 563. — Ed. Le Casse-Tête (7 août-3 déc. 1869), Paris, 15 nos en 1 vol. in-4°, Lc 2/3225. — La Voix du Peuple, 1re série, n° 1 (nov. 1871), Londres, Impr. internationale (s.d.), in-32, 20 p., Lb 57/2887. — Chansons de J.-B. Clément (décembre 1884), 5e édit., Paris, C. Marpon et E. Flammarion (1887), in-18, 358 p., 8°, Ye 1791. — Chansons de J.-B. Clément, Paris, Impr. de G., Robert, 1885, in-18, 359 p. Ex. dédicacé. Rés. p. z. 1861-1871. — La Revanche des Communeux, t. I (3e édition), Paris, J.-Marie, 1886-1887, in-18, 215 p., 8° Lb 57/9396. — Questions sociales à la portée de tous, Paris, Jean-Marie (1887-1888), 2 vol. in-8° Lb 57/9494. — La Verrerie ouvrière (Signé : J.-B. Clément), Paris, Impr. nouvelle (1897), in-8°, 4 p. 8°, Ye Pièce 4215. — Cent chansons nouvelles, 216 p., Paris, s.d. (1898). — La Chanson populaire, Paris, Bibl. ouvrière socialiste, 1900, in-16, 63 p., 8°, Ye 21 048. — La Bouquetière de la Madeleine, J. Ferenczi, éditeur, 1921, in-16, 64 p., 8°, Ye 66 270 (16). — L’Étreinte du rêve, roman d’amour inédit, J. Ferenczi et fils édit., 1926, in-16, 64 p., 8°, Ye 66 270 (264).

SOURCES : Arch. Nat., BB 24/855, n° 1763. — Arch. PPo., B a/1013, B a/1015. — Arch. Dép. Ardennes. — Arch. de la fédération socialiste des Ardennes. Ces deux dernières sources ont été consultées par H. Manceau. Les dossiers de police des Arch. Dép. ont été détruits par la suite au cours de la Seconde Guerre mondiale. — Extrait du registre des actes de naissance de Boulogne-Billancourt. — Procès-Verbaux de la Commune de 1871, op. cit. — Maurice Dommanget, Hommes et Choses de la Commune, op. cit. — L. Daumal, J.-B. Clément, Charleville, 1937 (8° Ln 27/81 185). — Des études de J. Dautry, R. Lallemand, H. Manceau et R. Robinet ont paru entre 1940 et 1961. Cf. Le Mouvement social, n° 38, janvier-mars 1962, Bibliographie par J. Rougerie et G. Haupt. — La Comune di Parigi (G. Del Bo), op. cit. — L. Campion, Les Anarchistes dans la Franc-Maçonnerie, Marseille, 1969. — T. Rémy, Le Temps des cerises, Paris, 1968. — Didier Bigorne (sous la dir. de), Terres ardennaises, n° spécial, n°46 : Visages du mouvement ouvrier, Mars 1994. — Notes de Jean-Pierre Ravery.

ICONOGRAPHIE : G. Bourgin, La Commune 1870-1871, op. cit. , p. 240. — Bruhat, Dautry, Tersen, La Commune de 1871, op. cit. , p. 139.

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