TRISTAN Flora [TRISTAN Y MOSCOSO Flore, Célestine, Thérèse, Henriette], connue sous le nom de Flora Tristan

Née le 7 avril 1803 à Paris, morte le 14 novembre 1844 à Bordeaux ; femme de lettres, militante socialiste et féministe, figure majeure du débat social dans les années 1840 ; l’une des premières enquêtrices sociales, pionnière de l’association ouvrière et de l’internationalisme.

Flora Tristan par Jules Laure

Fille d’un noble péruvien, Mariano de Tristán y Moscoso, qui descendait de Montézuma, à une époque où le Pérou était encore rattaché à la couronne espagnole, et d’une Parisienne de petite bourgeoisie, Anne-Pierre Laisnay, qui au temps de la Révolution avait émigré en Espagne, Flora connut une petite enfance dorée dont le souvenir ne cessa de la hanter. Son père appartenait à l’une des plus anciennes et des plus riches familles créoles, c’est-à-dire espagnoles, fixées en Amérique du Sud. Chevalier de l’ordre de Saint Jacques et colonel des dragons provinciaux d’Arequipa, il fut détaché en France après être passé par la cour de Madrid. Il accueillit plus d’une fois dans sa somptueuse demeure de Vaugirard le futur libertador Bolivar, comme lui sujet de la couronne espagnole. Il servait en quelque sorte de répondant au jeune et bouillant Vénézuélien, sur la formation duquel il veillait en Europe. La mort de Mariano, le 14 juin 1807, mit fin à l’idylle. Le mariage des parents n’avait pas été régularisé, et en ces années où Napoléon se lançait dans l’aventureuse expédition d’Espagne, Mariano était sujet d’un prince ennemi : dans l’incapacité de faire valoir ses droits, Anne-Pierre Laisnay dut quitter la maison de Vaugirard, bientôt saisie par l’État français. Avec ses deux enfants, Flora et un frère cadet (né en octobre 1807 et qui décéda avant son dixième anniversaire), elle se retira d’abord à Paris, puis aux environs de la capitale, à L’Haÿ-les-Roses (Seine) et à L’Isle-Adam (Seine-et-Oise).

En 1818, elle vendit sa propriété et retourna s’installer dans sa ville natale, rue du Fouarre (XIIe arr. ancien, actuel Ve) dans le quartier misérable de la place Maubert. Trois ans plus tard, Flora épousait à la mairie du XIe arrondissement le peintre et lithographe André François Chazal, frère du peintre Antoine Chazal, dans l’atelier duquel elle était entrée en qualité d’ouvrière, coloriant des étiquettes de parfumeur, le soir, chez elle ou à l’atelier. Mariage d’amour, semble-t-il, auquel Anne-Pierre a peut-être poussé. Mais l’union ne tarda pas à se révéler mal assortie. L’argent manquait au foyer, trois maternités se succédèrent rapprochées, les disputes entre époux n’étaient pas rares. En mars 1825, Flora, enceinte d’Aline, son troisième enfant, quitta le domicile conjugal. Elle ne reprendra plus la vie commune. En 1828, elle n’obtiendra qu’une séparation de biens d’avec André Chazal, à défaut de divorce, aboli depuis 1816.

Suivit alors une longue décennie de tribulations, au cours de laquelle Flora, dont l’éducation avait été négligée, tenta de s’assurer une position matérielle et intellectuelle indépendante. Une identité d’emprunt lui permit, avec des succès divers, d’échapper aux poursuites d’un époux violent. Période de formation et de voyages dont l’auteur, plus tard, dans un moment de vanité, détruira les traces — la position de dame de compagnie auprès d’Anglaises, qu’elle accepta à la fin de 1825, lui apparaissant rétrospectivement humiliante. Flora visita par deux fois l’Angleterre (1826, 1831), sillonna la France, est à Paris lors des Trois Glorieuses, s’y laissa séduire par le saint-simonisme. La tension avec son mari devenant insupportable, sa famille maternelle ayant définitivement pris le parti de Chazal, elle plaça sa fille dans une institution d’Angoulême (Charente), et s’embarqua le 7 avril 1833 pour le Pérou, dans l’espoir de trouver au pays de son père une terre et une famille d’asile. Elle y chercha une patrie, la reconnaissance sociale que la France lui refusait. Espoir largement déçu, dans la mesure où son oncle, don Pio de Tristán, l’accueillit certes au berceau familial d’Arequipa, la logea en sa maison, mais se conduisit en juriste au cœur sec : en l’absence de certificat de mariage de ses parents, il ne voulut voir en elle que la fille naturelle de son frère. Le rêve de légitimation, la reconnaissance comme membre à part entière d’une famille aristocratique illustre avaient donc échoué. Atteinte dans sa fierté et mesurant que le droit était contre elle, Flora revendiqua alors la qualité de paria que la loi lui épingla doublement (en France, comme femme mariée soumise à l’arbitraire d’un mari, en l’absence de toute procédure de divorce, au Pérou comme bâtarde) : l’exclue se changea en justicière des droits bafoués de la femme et en porte-parole des victimes de l’ordre social.

La voyageuse avait toutefois gagné au Pérou une indépendance financière enviable. Quand bien même don Pio, aux termes de la très catholique loi de son pays, ne lui reconnut pour part d’héritage que le cinquième des biens du défunt, cette part lui assurait une fortune que la jeune femme s’employa jusqu’à sa mort à faire habilement fructifier. D’autre part et surtout, les dix mois de son séjour fournirent à cette « voyageuse consciencieuse » la matière d’une enquête approfondie sur la réalité d’un pays nouvellement indépendant dont elle s’efforçait de tout voir. Les réactions du témoin, qui prend sur soi les exclusions de toutes sortes et jusqu’au scandale de l’esclavage dans les plantations sucrières de la côte Pacifique, furent à la mesure de la flamme de son tempérament. Les couleurs du tableau étaient rehaussées par la partialité d’une Parisienne autodidacte, laïque et républicaine, heurtée par la toute puissance de l’Église, la luxuriance d’une dévotion baroque et les vaines rivalités des coteries qui se disputaient le pouvoir. Ce heurt, mêlé au romanesque de l’intrigue que Flora avait elle-même nouée en se présentant comme non mariée — risque assumé au nom du souci légitime de préserver sa liberté, mais qui l’enserra bientôt dans un inextricable tissu de mensonges — la justesse de l’observation font le prix du journal qu’elle tint régulièrement et qui, revu et corrigé pour former un livre, fut publié sous le titre de Pérégrinations d’une paria (1837). Politique, mœurs, religion, tout était passé au crible du regard d’une femme intransigeante qui n’en dédia pas moins son ouvrage aux Péruviens, ses compatriotes.

De retour à Paris, en janvier 1835, Flora Tristan, qui avait fréquenté les plus hautes sphères du pouvoir à Lima et à Arequipa, prit pied dans les cercles littéraires et socialistes de la capitale. Toute habitée encore des tribulations qu’elle avait essuyées au cours de ses divers voyages en sa qualité de « femme seule », c’est-à-dire exposée aux outrages de toutes sortes dans la mesure où une femme non accompagnée de son mari s’affichait comme suspecte sinon coupable, elle donna d’abord (sous ses seules initiales, Mme F. T.), une brochure d’inspiration utopique : Nécessité de faire un bon accueil aux femmes étrangères (1835). Elle y proposait les statuts d’une association destinée à fournir accueil et logement aux femmes seules. Sur ces bases, elle prit contact en août avec Charles Fourier, auquel elle offrit ses services : « Employez-moi, lui écrivait-elle le 11 octobre 1835, ah ! employez-moi ! je vous en aurai une gratitude infinie. […] je peux vous assurer que vous trouverez en moi une force peu commune à mon sexe, un besoin de faire le bien, et une reconnaissance profonde pour tous ceux qui me procureront les moyens d’être utile. » Ultérieurement, elle correspondit avec Prosper Enfantin* qui ne lui témoigna aucune sympathie.

Présente sur tous les fronts, Flora Tristan assistait aux réunions du jeudi organisées par La Gazette des femmes ; elle y noua des liens avec Eugénie Niboyet par exemple. Elle intervint encore, sous son nom cette fois, dans les débats socialistes : elle s’y montra plus soucieuse de réalisations concrètes que de questions d’école. Elle tança Victor Considerant et La Phalange pour leur immobilisme rêveur : « L’intelligence des peuples est aujourd’hui trop développée pour qu’on puisse longtemps les repaître de mots [...] il est de votre devoir, de votre humanité de vous expliquer, et au plus vite, sur ce que vous pouvez faire et sur ce que nous pouvons tous faire pour arriver à la réalisation de l’Éden, que, sur la parole de Fourier, vous nous faites pressentir. » (Lettre publiée par La Phalange, n° 6, du 1er septembre 1836.) Elle se déclara aux côtés d’Owen, lorsque le socialiste anglais donna en juillet 1837 une série de conférences à Paris. Les journaux socialistes et républicains reproduisirent ses pétitions : Le Bon Sens de Louis Blanc imprima le 30 décembre 1837, la pétition en faveur du rétablissement du divorce, Le Journal du peuple de Michel Dupoty* celle pour l’abolition de la peine de mort (16 décembre 1838). Même le monde très fermé des revues littéraires, s’ouvrait devant elle : elle fut admise à L’Artiste comme au Voleur et, sur la recommandation de Sainte-Beuve, à la Revue de Paris. Fin 1837, Arthus Bertrand publia les Pérégrinations, volume bientôt repris par un plus grand éditeur, Ladvocat, qui donna en novembre suivant Méphis, seul roman de sa plume. Flora faisait feu de tout bois. La publicité que lui valut le geste criminel de son mari qui, le 10 septembre 1838, la guetta au sortir de chez elle et lui déchargea son pistolet en pleine poitrine, alimenta les ventes du roman. De son lit de convalescence, l’auteur invita l’éditeur à transformer en succès commercial le capital de sympathie que lui valut l’attentat.

L’enlèvement en 1835 par André Chazal de son troisième enfant, Aline Chazal-Tristan, âgée de dix ans, qui sera la mère du grand peintre Gauguin, n’avait abouti à un jugement de séparation de corps qu’en 1838. Chazal étant condamné le 1er février 1839 à vingt ans de travaux forcés par la cour d’assises de la Seine, Flora recouvra sa liberté et la jouissance de son nom. A la faveur d’un quatrième séjour à Londres (mai-août 1839), elle actualisa la vaste enquête sur l’Angleterre industrielle, dont elle avait commencé à rassembler les éléments au cours de ses précédents voyages. Flora montrait l’Angleterre comme le laboratoire de la civilisation qui ne tarderait pas à gagner l’Europe ; elle mettait en garde contre un modèle de développement où l’homme était sacrifié à la tyrannie du profit. Publiées en mai 1840, les Promenades dans Londres approfondissaient la vocation d’enquêtrice sociale. L’auteur hésita pourtant un long moment sur la nature de sa propre vocation : en juillet-août 1841, elle sollicita du pouvoir une pension littéraire au nom des intérêts commerciaux de la France qu’elle aurait éclairés dans les Pérégrinations et les Promenades dans Londres ; en février 1843 encore, elle réédita Méphis sous le titre Maréquita l’Espagnole. Indécision, sans doute, incapacité aussi à rompre avec le goût des honneurs et la gloire littéraire.

Parallèlement pourtant une voie se dessinait plus impérieuse : l’engagement au service des prolétaires l’emporta avec la publication, en novembre 1842, d’une édition populaire, remaniée et bon marché des Promenades dans Londres qui s’ouvrait sur une « Dédicace aux classes ouvrières » ; il s’afficha irréversible avec un catéchisme révolutionnaire, véritable brûlot contre l’ordre social, l’Union ouvrière (mai 1843).
Mince brochure au format de poche, destinée à être « fourrée aux casquettes des ouvriers », l’ouvrage tiré par souscription après le refus des éditeurs, dits amis démocrates, effrayés de son audace, s’adressait directement au peuple des ateliers. La parole épuisée, après vingt-cinq ans de réflexions et de propositions de réorganisation sociale toujours repoussées par les puissants, il pressait les ouvriers et ouvrières de s’organiser. Qu’ils se constituent en force de pression autonome représentative, qui ferait céder le pouvoir sur les questions en suspens : le droit au travail, le droit à l’instruction, le droit à un minimum de couverture sociale. L’honneur des prolétaires, ajoutait-il, serait de promouvoir l’égalité de droits entre les hommes et les femmes, de mettre un terme à une exploitation qui faisait de la femme « le prolétaire du prolétaire ». La parole était ferme, immédiatement accessible, orientée vers l’action : « ouvriers et ouvriÈres, Écoutez-moi. […] le jour est venu où il faut agir et c’est à vous, à vous seuls, qu’il appartient d’agir dans l’intérêt de votre propre cause. Il y va pour vous de la vie … ou de la mort ! de cette mort horrible qui tue à chaque instant : la misère et la faim ! […] Votre action à vous, ce n’est pas la révolte à main armée, l’émeute sur la place publique, l’incendie ni le pillage. Non ; car la destruction, au lieu de remédier à vos maux, ne ferait que les empirer. Les émeutes de Lyon et de Paris sont venues l’attester. Votre action à vous, vous n’en avez qu’une légale, légitime, avouable devant Dieu et les hommes : c’est l’UNION UNIVERSELLE DES OUVRIERS ET DES OUVRIÈRES. »

Flora Tristan n’avouait pas toujours explicitement ses dettes intellectuelles. Elle cite pourtant trois écrivains ouvriers avec lesquels elle a été immédiatement en contact et chez lesquels elle a puisé pour l’Union ouvrière : Agricol Perdiguier* et son Livre du compagnonnage (1839), Pierre Moreau* et Un mot aux ouvriers de toutes les professions (1841), et enfin Jean Gosset* et son Projet de régénération du Compagnonnage (1842). Si la flamme qui anime le livre est incontestablement sienne, l’auteur puisait largement dans la culture socialiste et ouvrière de l’époque, peu disposée au demeurant à la discussion. Hautaine et arrogante, elle revendiquait l’exclusivité de l’idée d’union dont elle se faisait le relais, et jetait son mépris à la face de ses alliés ou partenaires. Achille François*, Louis Vinçard*, et les trois réformateurs (ennemis) du compagnonnage cités à l’instant. La liste est longue, dès la naissance parisienne de l’Union ouvrière, des meneurs qui se heurtèrent à la vanité d’une femme « supérieure ». Étonnant alliage en effet, et dont l’auteur n’envisageait nullement les contradictions, que cette énergie mise au service du peuple, jointe à une conscience aristocratique, à un messianisme qui égalait « l’apôtre » à Jésus-Christ en personne.
L’Union ouvrière, en tout cas, jeta bientôt Flora sur les routes. Le livre en effet ne toucherait son public que si l’auteur le diffusait à travers la France, en portait la parole dans les ateliers auprès de ceux-là mêmes auxquels il était destiné et qui risquaient pourtant de n’en avoir jamais connaissance, dans la mesure où ils ne savent pas lire.

À l’image des compagnons, Flora entreprit un tour de France. Elle le prépara méthodiquement, s’appuyant sur les sociétés de compagnonnage avec lesquelles elle avait pris contact avant son départ, sur le réseau fouriériste des abonnés à La Démocratie pacifique et sur les loges maçonniques. Elle ne négligea aucun appui : hommes politiques (Alphonse de Lamartine*, Victor Schoelcher*, etc.), écrivains (Eugène Sue*, Pierre-Jean de Béranger*, Marceline Desbordes-Valmore, Victor Hugo*, George Sand*, Félicité de Lamennais*), artistes de toutes familles (peintres comme Traviès, Jules Laure, Peter Hawke, comédiennes comme Rachel), poètes ouvriers et savants même, tous furent sollicités de concourir à l’œuvre. Leur engagement fut évidemment très divers, allant du pur et simple refus au soutien formel ou explicite. Une brève semaine de propagande à Bordeaux (15-20 septembre 1843) servit de banc d’essai. Le vrai Tour de France débuta au petit matin du 12 avril 1844, après la publication d’une deuxième édition de l’Union ouvrière, toujours assurée par souscription. L’enquête sociale et la propagande étaient solidaires : le journal que tint la messagère socialiste, et qu’elle prévoyait de publier sous le titre de Tour de France. État présent de la classe ouvrière, enregistrait, faits et chiffres à l’appui, la réalité de la situation ouvrière, selon les villes, les professions, le sexe des travailleurs. Cette documentation de première main était pensée comme un outil sans précédent au service des prolétaires divisés et ignorants de leur propre exploitation. La mort de Flora Tristan, à Bordeaux, en novembre 1844, anéantit cet espoir. Le Tour de France parut posthume en 1973.

Deux souscriptions publiques furent ouvertes après sa mort pour lui élever un monument, l’une à Bordeaux, par les soins d’un comité ouvrier, l’autre à Paris, dans les colonnes de Démocratie pacifique. Elles aboutirent à l’érection d’une colonne brisée au cimetière de Bordeaux, le 22 octobre 1848. Sur le piédestal on lit : « À la mémoire de Madame Flora Tristan, auteur de l’Union Ouvrière, Les Travailleurs reconnaissants, Liberté, Égalité, Fraternité, Solidarité ».
L’action de Flora Tristan pourtant ne fut pas sans lendemains. Sur sa route, de la Bourgogne aux villes du Sud-Ouest, en passant par Lyon, Marseille, Montpellier et Toulouse, un réseau de solidarité s’était créé à travers des cercles de l’Union ouvrière qui correspondaient entre eux. Ils ne survécurent pas à la mort de leur promoteur. « Fille spirituelle » de Flora, Éléonore Blanc*, modeste mercière du quartier des Terreaux à Lyon qui assura la conservation de son œuvre morale et intellectuelle, n’avait pas la stature d’un vrai successeur. En revanche, des militants s’étaient formés ou réchauffés au contact de la voyageuse de l’Union ouvrière. Impossible de les citer tous. Ils venaient du républicanisme comme Guillaume Carpentras* à Marseille et Jules Vitou* à Montpellier, du fouriérisme, comme Aimée Beuque* à Lyon et Auguste Guyard* à Roanne, de la franc-maçonnerie comme Pierre Arrambide* à Toulon, du saint-simonisme souvent. Flora attirait à elle des disciples venus de toutes les écoles de pensée, même du communisme icarien d’Étienne Cabet* auquel elle s’était heurté. Les résistances surent aussi être tenaces, chez le proudhonien Louis Vasbenter* par exemple. Journalistes, chefs d’atelier ou ouvriers, tous ces disciples ou soutiens jouèrent un rôle ultérieurement, animateurs de grève (ainsi de Louis Longomazino*, qui mena en 1845 une grève dure à l’Arsenal de Toulon) ou acteurs de la révolution de 1848.

Le bilan, comme il est normal, est mêlé. Personnalité contradictoire entre toutes, Flora fut jugée sévèrement par George Sand, qui l’a approchée de près et a eu à souffrir de sa superbe. L’analyse que les deux femmes font des questions sociales de leur temps diverge au demeurant sur des points sensibles. Proche de George Sand et d’origine modeste, Pauline Roland* lui garda sa confiance, même si elle choisit pour sa part la pleine solidarité avec le monde ouvrier, dont elle assuma sans défaillir les erreurs et les limites. Le dialogue sans concession que Flora mena avec les ouvriers, son Tour de France, livrent un instantané, des faits bruts inappréciables. Écrivain au regard vif et original, Flora Tristan illustre avec éclat la composante sociale du romantisme. Elle manifeste les racines qu’il plonge dans la Révolution française (dont Flora a côtoyé un représentant en la personne de Marc-Antoine Jullien* de Paris) comme dans la religion — catholicisme de Lamennais ou spiritualisme de Ganneau, qui se réclame d’un Dieu androgyne, Père et Mère à la fois. Spontanément tournée vers l’étranger, liée à l’émigration latino-américaine, en contact aussi avec les milieux polonais de Paris, les socialistes allemands (Arnold Ruge, German Mäurer, Moses Hess), russes (Bakounine*), et avant tout anglais (Mrs Fry, Owen, O’ Connor), elle donne, avant Marx, une dimension internationale à son combat. En échange, le Pérou, l’Angleterre, l’Autriche, l’Allemagne contemporaines font écho à ses écrits. Suspecte aux yeux de la police qui la poursuit au cours du Tour de France, prématurément décédée, Flora Tristan a incontestablement souffert de l’adversité qui a frappé son œuvre. Il a fallu attendre le XXe siècle pour qu’on en prenne véritablement la mesure. Son petit-fils Gauguin et les milieux artistes du tournant du siècle n’étaient pourtant pas seuls à avoir conservé sa mémoire : sa haute figure habite encore les esprits sous le Second Empire et la Troisième République, présente aux heures de crise.

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Pour citer cet article :
https://maitron.fr/spip.php?article24362, notice TRISTAN Flora [TRISTAN Y MOSCOSO Flore, Célestine, Thérèse, Henriette], connue sous le nom de Flora Tristan, version mise en ligne le 27 janvier 2009, dernière modification le 1er mai 2021.
Flora Tristan par Jules Laure

ŒUVRE : Nécessité de faire un bon accueil aux femmes étrangères, 1835. — Pérégrinations d’une Paria (1833-1834), Paris, 1837, 2 vol. — Méphis, Paris, 1838, 2 vol. — Promenades dans Londres, Paris, 1840, réédition, 1842. — Union ouvrière, Paris, chez Prévot et Rouanet, libraires, 1843, réédition en 1844, puis en 1986 par Daniel Armogathe et Jacques Grandjonc, Paris, Éditions des femmes. — Le Tour de France, éd. J.-L. Puech, introd. nouvelle de S. Michaud, Paris, Maspero, 1980, 2 vol. — Lettres, éd. S. Michaud, Paris, Éd. du Seuil, 1980. — La Paria et son rêve, correspondance, éd. S. Michaud, Fontenay-aux-Roses, ENS Éditions, 1995.

SOURCES : Arch. Nat., Archives Sociétaires, 10 AS, BB18 1420, drs 8133 A9, 1421, dr. 8341 A9, 8195 A9. — Arch. Dép. Paris (Seine), État civil, DQ/10 189, drs. 11097, 12764, 13269, 13550, DQ/10 1442, dr. 2926, DQ/18 368, dr. 13324, F17 3229. — Arch. Dép. Loire, Var, Vaucluse, Yvelines. — Arch. Mun. Bordeaux, L’Isle Adam. — Bibl. Hist. Ville de Paris. — Bibl. Arsenal, Fonds Enfantin. — Bibl. Marguerite Durand, Paris. — Bibl. Mun. Angers, Nantes, Versailles. — Bibl. Nat. Lima (Pérou). — Centre national et Musée Jean Jaurès, Fonds Flora Tristan, Castres (collection des lettres reçues en 1843-1844, à l’occasion de l’Union ouvrière et du Tour de France). — Institut Français d’Histoire sociale, Paris (quelques photocopies de lettres). — Institut International d’Histoire sociale, Amsterdam (manuscrit du Tour de France, et quelques lettres de F. Tristan). — Diverses collections privées.
Jules-L. Puech, La Vie et l’œuvre de Flora Tristan, Paris, Rivière, 1925. — Flora Tristan, Morceaux choisis, précédés de la Geste romantique de Flora Tristan, contée par Lucien Scheler pour le centenaire de 1848, Paris, 1947. — Stéphane Michaud, Flora Tristan, 1803-1844, Paris, Éd. de l’Atelier-Éd. Ouvrières, 1984. — Stéphane Michaud, Un fabuleux destin, Flora Tristan, Dijon, Éd. Universitaires de Dijon, 1985. — Stéphane Michaud, Flora Tristan, George Sand, Pauline Roland. Les femmes et l’invention d’une nouvelle morale, Paris, Éd. Créaphis, 1994. — Gerhard Leo, Flora Tristan, la révolte d’une paria, Paris, Éd. de l’Atelier, 1994. — Nicole Avril, Brune, Plon, 2012.

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