DEZAMY Théodore [DEZAMY Alexandre, Théodore] (orthographié souvent Dézamy)

Par Notice revue et complétée par Jacques Grandjonc

Né le 4 mars 1808 à Luçon (Vendée), mort le 24 juillet 1850 à Luçon. Théoricien communiste, révolutionnaire et matérialiste.

Son père était originaire de Thouarsais-Bouildroux (Vendée) et se nommait Louis Dézamis. Il avait trente-deux ans en 1808 (en 1806, il avait déclaré avoir 28 ans), et était marchand de vins à Luçon. Sa mère venait de Lacaillère (Vendée) et était âgée de trente et un ans lors de sa naissance. Un cousin issu de germain de son père, témoin à l’acte de naissance, Jacques-Gabriel Dézamis, était cordonnier à Luçon ; l’autre témoin exerçait la profession de tailleur d’habits. Il semble que Théodore Dezamy (la modification de l’orthographe de son patronyme fait penser à celle que Jules Vallès fit subir au sien et lui-même n’utilise pas l’accent aigu) ait eu deux frères et qu’il ait suivi régulièrement l’enseignement d’un collège.

Il arriva probablement à Paris vers 1835. Sans doute gagna-t-il sa vie comme surveillant dans une institution d’enseignement libre, ou comme professeur, voire comme chef d’institution. Peut-être avait-il auparavant enseigné en Vendée ?

C’est en 1839, en tout cas, que Dezamy commença à se faire connaître ; il avait répondu le 27 décembre 1838 à une question ainsi posée par l’Académie des sciences morales et politiques : Les Nations avancent plus en connaissances, en lumières, qu’en morale pratique. Rechercher la cause de cette différence dans leurs progrès, indiquer le remède par une brochure, où il disait : « Il faut avant tout changer le milieu social ; et je ne sais personne qui nous ait mieux frayé la route que Robert Owen et Philippe Buonarroti*. » Et encore : « Le système de Fourier* mérite aussi l’attention du socialiste ; mais il doit être envisagé d’une manière complexe. Je serais d’avis qu’on le scindât, et qu’adoptant tout ce qui a rapport à la partie économique, on proclamât la science sociale organisatrice et parfaitement égalitaire. Mais choisir comme clefs de voûte du phalanstère l’aristocratie et le privilège, c’est étrangement méconnaître le cœur humain et saper l’œuvre dans sa base. » Dezamy était donc communiste. Il n’était pourtant, à la fin de 1838, ni athée ni matérialiste : il « adopte, disait-il, la doctrine du libre examen », et se réclamait de la religion naturelle.

Après être entré en relation avec Cabet* en 1839 et lui avoir servi de secrétaire pendant quatorze mois en 1840-1841, il rompit avec lui en 1842. Ce que nous connaissons de leurs relations, par l’un ou par l’autre, peut être sujet à caution, mais elles étaient assez étroites à la fin de 1840 pour que parût, sous leur double signature une brochure de 96 pages, Patriotes, lisez et rougissez de honte, à cause de l’humiliation subie dans la question d’Égypte, au cours de l’été, par le gouvernement de Louis-Philippe, de la part d’« une coalition ennemie de la Révolution ». Dezamy publia dans le même sens, sous sa seule signature, Conséquences de l’embastillement et de la paix à tout prix. Dépopulation de la capitale. Trahison du pouvoir, contre la construction des fortifications de Paris que Thiers avait fait adopter.
En 1840, il était rédacteur en chef-gérant du mensuel l’Égalitaire, journal de l’organisation sociale qui n’eut que peu de numéros et dont le second, en juin, contenait une réponse à un article sur le babouvisme paru dans le Journal du Peuple.

Avec J.-J. Pillot, il organisa le « premier banquet communiste », tenu à Belleville le 1er juillet 1840, ce qui lui valut les reproches de Cabet. Dezamy soulignait alors l’insuffisance des réformes politiques que proposaient les « réformistes » qui voulaient améliorer la Charte de 1830 : « Ce qu’il faut, c’est transformer la société. » Voir Jean-Jacques Pillot*.
Dezamy collabora au Populaire de 1841 lors de sa création et, la même année, s’opposa, au nom du communisme icarien, aux Humanitaires ou communistes matérialistes (Voir Gabriel Charavay et J. Charavay), dont il allait reprendre une partie des thèses matérialistes dans son ouvrage majeur, Code de la Communauté. C’est au cours de la publication du Code, en livraison de mars à novembre, en volume en décembre 1842, que survint la rupture avec Cabet. Imprimé à frais d’auteur et par souscription, l’ouvrage était en vente non seulement dans les librairies de Prévot et de Rouanet, mais aussi au domicile de Dezamy, 106, rue St-Jacques, et à celui du typographe E. Pandellé, 40, rue St-Jean-de-Beauvais. Dezamy y décrit un phalanstère communiste qui fait également penser à l’abbaye de Thélème de Rabelais. Le livre, dont Marx dira que son auteur y a « développé la doctrine du matérialisme en tant que doctrine de l’humanisme réel et comme la base logique du communisme », respire le matérialisme du XVIIIe siècle. Premier motif de discorde : Cabet songeait à son « vrai » christianisme. Il y en avait d’autres : sur la propagande communiste, sur le rôle des sociétés secrètes, etc. Dezamy les résuma dans une brochure qui parut en 1842 : Calomnies et politique de M. Cabet, réfutation par des faits et par sa biographie.

Dezamy adhéra à la société secrète des Nouvelles Saisons, s’il n’avait pas déjà fait partie des Saisons, qui avaient préparé la prise d’armes du 12 mai 1839. Il mena de pair les publications du théoricien communiste matérialiste, les brûlots polémiques contre Cabet et l’action clandestine avec ses stages dans les prisons, notamment en 1844.

En 1841, il publia un Dialogue sur la réforme électorale entre un communiste, un réformiste, un doctrinaire, un légitimiste (Paris, Prévost, 16 p.).

Fin 1842, il publiait en compagnie de Jules Gay, Navel et May, un Almanach de la Communauté pour 1843 par divers écrivains communistes, et un an plus tard un Almanach de l’organisation sociale qui lui valut quatre mois de prison, de la mi-juin à la mi-octobre 1844. Ces publications, peut-être plus que le très littéraire Code de la Communauté, contribuèrent à la pénétration du communisme matérialiste dans les masses ouvrières parisiennes. Ils contenaient les trois thèses principales de son système : communauté de la propriété, du travail et de l’éducation. Il publia en outre de nombreuses brochures : Loi sur le travail des enfants dans les manufactures. — Gardera-t-on Alger ? — Portrait de l’égoïste. — Définition des mots prolétaire et bourgeois.
Dezamy, qui avait montré, avant le Code de la Communauté, de grands talents comme philosophe matérialiste, en 1841, dans M. Lamennais réfuté par lui-même ou examen critique du livre intitulé : Du passé et de l’avenir du peuple, sans que Cabet d’ailleurs s’en fût ému sur le moment, ne cessa pas de philosopher brusquement, mais ses dernières brochures de 1845 et de 1846 traitèrent avant tout de questions pratiques, et en particulier de l’exploitation de l’homme par le capitalisme. Ainsi dans Le Jésuitisme vaincu et anéanti par le socialisme ou les constitutions des jésuites et leurs instructions secrètes en parallèle avec un projet d’organisation du travail (1845) ou dans Organisation de la liberté et du bien-être universel (1846).

Les œuvres de Dezamy influencèrent fortement les socialistes et communistes allemands de la mouvance néo-hégélienne : son Jésuitisme vaincu fut aussitôt traduit et Moses Hess entreprit la traduction du Code pour une « Bibliothèque des principaux écrivains socialistes » qu’il projetait en compagnie de Marx et d’Engels.
Sa qualité de militant des sociétés secrètes à tendance communiste fit certainement de lui un combattant de Février 1848. Dans son journal Les Droits de l’Homme (n° 1 du 2 mars), il déclare avoir demandé, le 24, à l’Hôtel de Ville, le suffrage universel, la liberté de parole et de presse, l’armement universel et « point de milices soldées quant à l’intérieur ». Il remercie également les « communistes de toutes nuances », « pour la puissance d’abnégation dont ils font preuve » : « Ils comprennent parfaitement que la réalisation de leurs théories ne doit point être l’œuvre de la violence ni de l’autorité ; c’est de la persuasion et de la libre association qu’ils l’attendent. »

Dezamy assistait Blanqui à la Société républicaine centrale et, en avril, il se prononça clairement pour lui dans le coup monté du document Taschereau. Sa trace se perd immédiatement après.

Le 8 octobre 1850, le tribunal civil de Fontenay-le-Comte était amené à enregistrer le testament sous seing privé de Théodore Dezamy, véritable document politique, qui mérite attention car il apporte des renseignements sur la vie difficile du théoricien communiste et sur l’ordre d’importance qu’il attribuait à ses divers ouvrages. Ce document, que voici, est également émouvant dans sa brièveté : « Je soussigné, Alexandre Théodore Dézamy, homme de lettres, demeurant à Paris, lègue par le présent acte pendant toute la durée de temps qu’accorde la loi, à Monsieur Hippolyte Dezamy, mon frère, demeurant à Luçon, département de la Vendée, chez M. Mahier [ie son beau-frère], la propriété de tous mes ouvrages, édits et inédits, et notamment du Code de la Communauté, du Jésuitisme vaincu par le socialisme, de l’Organisation de la liberté et du bien-être universel, etc., etc. J’entends par propriété le droit de faire de nouvelles éditions soit par lui-même, soit par l’entremise de personnes auxquelles il céderait son droit. Le présent testament a lieu en reconnaissance des témoignages d’amitié que M. Hippolyte Dezamy, mon frère, m’a donnés, et en outre, pour l’indemniser des divers prêts d’argent que je n’ai pas remboursés. Fait à Paris le vingt-sept novembre mil huit cent quarante-sept. Signé A.-T. Dezamy, avec paraphe. ».

Pour citer cet article :
https://maitron.fr/spip.php?article30026, notice DEZAMY Théodore [DEZAMY Alexandre, Théodore] (orthographié souvent Dézamy) par Notice revue et complétée par Jacques Grandjonc, version mise en ligne le 20 février 2009, dernière modification le 17 mars 2022.

Par Notice revue et complétée par Jacques Grandjonc

ŒUVRES : Question proposée par l’Académie des Sciences morales et politiques. Les nations avancent plus en connaissance ou lumières qu’en morale pratique. Rechercher la cause de cette différence dans leurs progrès et indiquer le remède, Paris, 1839, brochure in-8° de 68 p. Rééd. fac-similé, Les Révolutions du XIXe siècle (1834-1848), Paris, EDHIS, 1974 sq., vol. 5. — Directeur-gérant du mensuel L’Égalitaire. Journal de l’organisation sociale, Paris, mai-juin 1840. — « Réfutation de l’article BABOUVISME inséré dans le Journal du Peuple », L’Égalitaire, n° 2, juin 1840, p. 48-58. — Conséquences de l’embastillement et de la paix à tout prix. Dépopulation de la capitale. Trahison du pouvoir, Paris, 1840. Rééd. fac-similé, Les Révolutions du XIXe siècle (1834-1848), Paris, EDHIS, 1974 sq., vol. 5. — Dialogue sur la réforme électorale entre un communiste, un réformiste, un doctrinaire, un légitimiste, Paris, Prévost, 1841, 16 p. (c’est en fait un extrait du Code de la communauté. — M. Lamennais réfuté par lui-même ou examen critique du livre intitulé : Du passé et de l’avenir du peuple, Paris, [août] 1841. Rééd. fac-similé, Les Révolutions du XIXe siècle (1834-1848), Paris, EDHIS, 1974 sq., vol. 7. — Calomnies et politique de M. Cabet, réfutation par des faits et par sa biographie., Paris, [juillet] 1842, éd. Prévost-Rouanet, 1844, 48 p.. Rééd. fac-similé, Les Révolutions du XIXe siècle (1834-1848), Paris, EDHIS, 1974 sq., vol. 8. — Le Code de la Communauté, imprimé par livraisons, broché en 1842, par Prévost-Rouannet, en livre en 1843 (réimpression EDHIS). La plupart des exemplaires connus, et il y en a peu au total, porte la date de 1842, comme l’exemplaire de la Bibliothèque nationale de Paris. Par contre l’exemplaire de l’Institut du marxisme-léninisme, dont la couverture est reproduite photographiquement dans la traduction russe du Code de la Communauté, est daté de 1843. Dezamy indique plusieurs fois dans son Code, qu’il sera complété par un second ouvrage, dont il ne cite pas le nom, mais dont la quatrième de couverture donne(rait) le nom "Histoire de la Communauté".
La collection des Droits de l’Homme ne compte que trois numéros. Rééd. fac-similé, Les Révolutions du XIXe siècle (1834-1848), Paris, EDHIS, 1974 sq., — Almanach de la Communauté pour 1843, par divers écrivains communistes, Paris, Th. Dezamy, éd. 1843. — Almanach de l’organisation sociale, Paris, 1844. — Loi sur le travail des enfants dans les manufactures. — Gardera-t-on Alger ? — Portrait de l’égoïste. — Définition des mots prolétaire et bourgeois.Le Jésuitisme vaincu et anéanti par le socialisme ou les constitutions des jésuites et leurs instructions secrètes en parallèle avec un projet d’organisation du travail, Paris, 1845. Trad. Allemande, Der Sieg des Sozialismus über den Jesuitismus [...] mit einem Entwurf über die Organisation der Arbeit, nach dem Französischen mit einem Nachwort von E. Weller, Leipzig, 1846. — Organisation de la liberté et du bien-être universel, Paris, Guarin éd. 1846. — Initiateur du journal Les Droits de l’Homme, n° 1, 2 mars 1848, — Testament, 1847.

SOURCES : Arch. Nat., BB 30/385 (9 mars 1850). — Arch. Dép. Vendée, sur sa mort, l’état civil de Luçon ainsi que le texte de son testament enregistré par le tribunal de Fontenay-le-Comte — Arch. Mun. Luçon (Vendée), précisions sur la naissance et la famille de Dézamy. — Arch. Mun. Le Havre, J 2/2, liasse 9 (pour 1844). — Les Droits de l’Homme, 2 mars 1848, p. 1 [BHVP]. — L. Stein, Der Sozialismus und der Kommunismus des heutigen Frankreichs, Leipzig, 1848. — Edmond Biré, Mes souvenirs à Paris, Paris, 1908, p. 67. — A. Kahane, Théodore Dézamy. Leben und Theorie, Giessen, 1922. — Suzanne Wassermann, Les clubs de Barbès et de Blanqui en 1848, Paris, 1913. — Pierre Angrand, « Notes critiques sur la formation des idées communistes en France », dans La Pensée, numéros 19 et 20, 1948. — Préface de V.-P. Volguine (en russe) à la traduction du Code de la Communauté, Moscou, 1956. — Gian Mario Bravo, Les socialistes avant Marx, Paris, François Maspero, Petite collection, vol. III, 1970. — Joachim Höppner, Waltraud Seidel-Höppner, Von Babeuf bis Blanqui. Französischer Sozialismus und Kommunismus vor Marx, 2 vol., Leipzig, 1975. — Jacques Grandjonc, Communisme/ Kommunismus/ Communism. Origine et développement international de la terminologie communautaire prémarxiste des utopistes aux néo-babouvistes, Trier, Karl Marx Haus, 1989. — Jean-Michel Paris, L’Humanitaire (1841) : Naissance d’une presse anarchiste ?, Paris, L’Harmattan, 2014, 241 p. (Collection Historiques. Série Travaux). — N. S. Shevkoplias, O date zozhdeniia Teodora Dezami, Novaia i Noveishaia Istoria, 1990 (3), p. 218-220. — Maxime Braquet, Belleville-Ménilmontant, une grande page du mouvement ouvrier : Juin 1848, Paris : A.H.A.V., 2008, p. 20. (Association d’Histoire et d’Archéologie du 20e Arrondissement de Paris. Bulletin n° 41, 4e trimestre 2008). — Notes de J. Risacher et R. Skoutelsky.

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