LOQUIER Victor, Nicolas

Par Jean Maitron, complété par Rolf Dupuy et Marianne Enckell.

Né le 29 octobre 1866 à Nancy (Meurthe-et-Moselle), mort le 10 mai 1944 à Darnieulles (Vosges) ; ouvrier, puis petit patron coiffeur ; militant anarchiste.

La boutique de Victor Loquier était située dans une rue populeuse d’Épinal, la rue Aubert. Elle ne pouvait passer inaperçue. À la vitrine, s’entremêlaient dans un désordre ahurissant des objets de toilette, des brochures anarchistes aux titres flamboyants et aux dessins suggestifs, des savonnettes et des flacons de parfums. Elle éveillait la curiosité.
Loquier aimait échanger des points de vue avec des clients, aux origines les plus diverses. Ces discussions l’amenaient à réfléchir sur les systèmes philosophiques, sur les problèmes politiques et sociaux, à présenter ses arguments, à les défendre contre les adversaires.
Les anarchistes attachent à la morale personnelle une grande importance, qu’il s’agisse de la santé morale ou tout simplement de la santé physique. C’est surtout aux ouvriers que Loquier prêchait ses principes dans ce domaine.
Il ne fallait pas entrer dans la boutique une cigarette à la bouche. Sans ménagement, Loquier déclarait : « Ici on ne fume pas ! »
Loquier n’était pas seulement abstinent en matière de tabac. Il l’était aussi pour le vin, pour la viande.
Si d’aventure l’un de ses clients se plaignait de maux d’estomac ou de maux de tête. « Tu bois trop, mon ami, lui répondait Loquier, et tu en subis les effets. — Monsieur Loquier, le « pinard » donne de la force quand on travaille. — Erreur, mon ami, erreur », disait Loquier ; et si l’ouvrier insistait : « Continue à boire, mon ami, et continue à souffrir. »
Végétarien, Loquier ne s’exprimait pas différemment au sujet de la viande. À un jeune fonctionnaire célibataire il disait un jour : « Vous allez au restaurant et vous mangez de la viande qui vous fatigue l’estomac. Contentez-vous de légumes, vous les ferez cuire vous-même et vous dépenserez moins d’argent qu’au restaurant tout en préservant votre santé. Voilà un livre qui vous permettra de faire votre cuisine... »

Loquier était venu travailler à Épinal en 1893 comme ouvrier coiffeur, rue de Nancy. Il venait probablement de Paris, où il habitait 217 bd Voltaire, selon la police. L’année suivante, il se mettait à son compte, 25, rue Rualménil, qu’il ne quitta qu’en 1913 pour s’installer, 9, rue Aubert.

En 1898, il avait créé un cercle d’études sociales qui s’intégra, en 1913, dans la fédération communiste anarchiste. Loquier s’était marié en 1894 et sa compagne, qui partageait ses convictions, l’aida à la propagande. C’était la belle époque des conférences anarchistes, et Loquier, orateur au style direct, se montrait convaincant. À la contradiction, il lui arrivait d’embarrasser les orateurs. Il donnait également des articles à divers journaux anarchistes parisiens. Puis, un beau jour, il voulut son journal. Et il fit la Vrille. La Vrille, l’idée anarchiste qui creuse dans les cerveaux un trou de plus en plus large et de plus en plus profond, qui fait voir l’action des forces mauvaises et développe l’esprit de révolte. Il fonda La Vrille en 1901. Elle dura jusqu’à la guerre de 1914. C’était un petit journal autographié recto-verso qu’il tirait à la pierre humide. En 1910, le titre a été imprimé, le contenu du journal est resté identique. Et, par l’intermédiaire des ouvriers du tissage, les idées anarchistes se propageaient à travers les vallées des rupts vosgiens. La Vrille compta 352 numéros en deux séries : la première prit fin le 29 avril 1906 avec le n° 130, la seconde compta 222 numéros du 15 février 1910 au 20 juillet 1914. Elle eut pour collaborateurs notamment Lucien Cousin*, Georges Durupt*, Auguste Mougeot*.

Loquier collabora quant à lui à plusieurs autres journaux (à moins que ceux-ci n’aient repris des articles de La Vrille) : Le Cri populaire (Nancy), Le Cubilot de Fortuné Henry, La Cravache (Reims), Le Grand Soir (Arras).
La Vrille valut à son directeur certains mécomptes. Une première condamnation à six mois de prison fut infligée à Loquier le 21 mars 1906 par la cour d’assises d’Épinal pour propagande antimilitariste. Arrêté le 25 avril, il écrivit une brochure : Lettre à un paysan, où on lit à la dernière page : « Fait à la prison d’Épinal — juin 1906 ». Lors de la campagne contre le service de trois ans, Loquier fut arrêté pour distribution de tracts antimilitaristes à des soldats, puis relâché, les soldats ne l’ayant pas reconnu. Un article de la Vrille, contre les trois ans, en 1913, le fit condamner à vingt jours de prison qu’il fit au régime politique, à la suite d’une campagne menée par ses amis.
La guerre de 1914 mit un terme à la propagande révolutionnaire menée par Loquier. Évacué avec les autres habitants d’Épinal, il se retrouva à Mâcon.
La révolution russe ranima sa flamme. En 1919, 1920, 1921, il écrivait encore dans le Libertaire. Peut-être adhéra-t-il en 1921 au groupe communiste d’Épinal où il était revenu. Toujours est-il qu’il donna la machine à tirer La Vrille aux cellules communistes et qu’il collabora à L’Étincelle, journal régional du Parti. Il écrivit également dans le journal syndicaliste vosgien Le Réveil ouvrier et collabora par la suite au journal socialiste Le Travailleur vosgien.
Victor Loquier perdit sa femme en 1924 et il en fut très affecté. Il restait seul avec un fils. Retiré des affaires en 1934, il quitta Épinal pour se rendre à Darnieulles, petite localité des environs, où il avait acquis une modeste « bicoque ». Il avait gardé le goût des controverses, mais trouvait difficilement à le satisfaire, et le meilleur interlocuteur qu’il trouva fut... le curé qui appréciait fort son intelligence et sa conversation.

Pendant la Seconde Guerre mondiale, les autorités administratives ne se préoccupèrent pas de Victor Loquier qui vécut tranquille à Darnieulles. Tombé malade en 1944, il fut transporté à l’hôpital d’Épinal où il mourut le 10 mai 1944, veille du bombardement de la ville par la RAF. Son fils était mort. Il vivait seul. Personne pour l’assister dans ses derniers moments. Et c’est ainsi que Loquier, le libertaire impénitent, l’ennemi implacable des dogmes... fut enterré à l’église, « ce qui dut faire tressauter ses vieux os dans son cercueil ! » écrivait un de ses amis qui ajoutait : « Que voulez-vous, c’était la guerre et on n’était pas à ça près ! »

Pour citer cet article :
https://maitron.fr/spip.php?article75130, notice LOQUIER Victor, Nicolas par Jean Maitron, complété par Rolf Dupuy et Marianne Enckell., version mise en ligne le 3 novembre 2009, dernière modification le 21 mai 2019.

Par Jean Maitron, complété par Rolf Dupuy et Marianne Enckell.

ŒUVRE : “Lettre à un paysan”, 8 p., s.l., s.d. (1906).

SOURCES : Les Temps Nouveaux, 7 avril 1906. — La Bataille syndicaliste, 9 août 1913. — Colette Chambelland, “Un journal anarchiste vosgien : la Vrille”, in Mélanges d’histoire sociale offert à Jean Maitron, Éd. ouvrières, Paris, 1976, 286 p. — René Bianco, Un siècle de Presse anarchiste d’expression française. Thèse d’État, op. cit. — Témoignage d’Antoine Perrier, « Deux curieuses figures anarchistes d’autrefois, Victor Perrier et Lucien Barbedette », Le Mouvement social, juillet-septembre 1966. — J. Bossu dans L’Idée libre, mars 1961. — Correspondance avec Max Nettlau, Max Nettlau Papers, IISG Amsterdam. — Arc. Nat. 1994 0454 art 54 L’homme libre — APpo BA 78 — Les Temps Nouveaux, années 1900, 1904, 1905, 1906.

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