LAURAT Lucien, [MASCHL Otto, dit]. Pseudonymes : ILESCU Ant., JIMEL, MARIN Lucien, MINARD A., PRIMUS, STUMBERG, RAMON Louis, RÉVOLucien, TEXTOR Karl, VÉRO (DBK)

Par Michel Dreyfus

Né le 27 décembre 1898 à Vienne (Autriche-Hongrie), mort le 10 mars 1973 à Paris ; membre du Parti communiste d’Autriche ; collaborateur de l’Internationale communiste (1923-1927).

De famille tchèque « germanisée » devenue « typiquement viennoise », Lucien Laurat, qui fut baptisé le 15 janvier 1899, entreprit des études de philosophie qui furent interrompues par la guerre.
À partir de 1915, il appartint à l’Association des étudiants socialistes. Ayant fait la connaissance de Julius Dickmann, intellectuel qui jouissait d’un grand prestige dans les milieux marxistes et avec lequel il resta lié jusque dans les années 1930, il devint en 1919 le dirigeant de l’hebdomadaire Der Rote Soldat ainsi qu’un propagandiste du jeune Parti communiste d’Autriche.
Il s’était marié à Vienne avec Marthe Langer, sténotypiste et ils divorcèrent en 1921.
« Paléo-autrichien amoureux de la France et de tout ce qui était français, je guettais la première occasion de m’enfuir vers la France ou un pays francophone. Je proposai donc ma collaboration à La Nouvelle Internationale, une revue suisse animée par
J. Humbert-Droz. » Ses articles furent remarqués par Boris Souvarine qui l’invita à collaborer au Bulletin communiste. Toujours avec l’appui de Souvarine, il fut envoyé en janvier 1921 à Berlin pour remplacer Fernand Caussy comme correspondant de l’Humanité. Il assuma cette fonction jusqu’en avril 1923 avec une interruption de quelques mois (août/décembre 1922) où, selon Souvarine* « il vécut à Avesnes et Loos pour faux passeports » ; il devint ainsi l’homme de liaison entre les partis communiste allemand et français. Lors du Ier congrès du PC (Marseille, décembre 1921), il reçut mandat de F. Loriot pour suivre les séances du Comité central du KPD.

En mai ou juin 1923, il fut appelé à Moscou par Souvarine* comme chargé de cours à l’Université des travailleurs d’Occident (KUNMZ), fondée en novembre 1921 ; au début de l’été 1923, Souvarine* le fit également entrer comme traducteur au Bureau de presse de l’IC. Laurat devait rester en URSS jusqu’en 1927 : il y apprit le russe et, toujours selon le témoignage de Souvarine*, « il étudia de près le régime soviétique, son économie, ses institutions, ses méthodes spécifiques ».
Suivant avec attention les luttes politiques qui se développaient alors au sein du PC russe et du Komintern, il connut en 1924, selon une notice rédigée par ses soins et publiée par T. Paquot (op. cit.), « une rupture idéologique (“léninisme”) et morale (exclusion de Boris Souvarine*). Représentant (si j’ose dire) de l’opposition de droite française, j’entretiens des rapports suivis avec Brandler, Thalheimer et Clara Zetkin* que je mets en contact avec Tommasi* et Herclet* (alors à Moscou). C’est dans ma chambre, au Lux, que se tiennent quelques petites réunions de l’opposition internationale à l’occasion de quelques “planums” (sic) (Brandler, Thalheimer, Engler, Tommasi*…, Tasca, Van Overstraeten*, Trilla). J’arrange des entrevues entre Engler et Radek (et Clara Zetkin*). Prévoyant la rupture, je noue dès la fin de 1926 des liens avec les Belges (un des rares PC non encore domestiqués). Van Overstraeten* me propose de devenir rédacteur au Drapeau rouge. Jacquemotte* est consentant. Ma collaboration au BC (Bulletin communiste) nouvelle manière passe inaperçue car Boris Souvarine me fait signer Véro ou Primus) ». Par son intermédiaire, Victor Engler qui représenta la minorité du PC français au plénum de l’IC en février 1926 put être en contact avec ces opposants. C’est également avec la complicité de Laurat que Pierre Pascal* avait pu faire passer, en 1925, ses lettres de Moscou à P. Monatte.

Passionné par la langue internationale, Lucien Laurat s’était rendu en août 1925 à Vienne au Congrès international des espérantistes ouvriers où il avait rencontré son ami Eugène Lanty, secrétaire général de l’Internationale espérantiste et militant communiste. Lanty accepta de servir de boîte aux lettres à Laurat durant près de deux ans, ce qui lui permit de faire parvenir de façon régulière des informations, de plus en plus désabusées, à Souvarine, rentré à Paris après son exclusion survenue lors du Ve congrès de l’IC (juillet 1924). Le 25 mai 1927, Laurat quitta Moscou pour Bruxelles où, grâce au soutien de Van Overstraeten*, de juillet à février 1928, il fut rédacteur au Drapeau rouge. Il poursuivit ses relations avec Souvarine* et tous deux furent d’accord pour dénoncer le « bloc sans principes » — l’accord entre trotskystes et zinoviétistes — réalisé par l’Opposition de gauche et pronostiquer sa défaite. Laurat écrivit aussi dans plusieurs publications oppositionnelles, puis devant la stalinisation du PC belge, il s’installa à Paris en février 1928. Il était alors sans ressources et vécut, difficilement, d’abord, de traductions. Il tint une chronique économique dans Monde, publia en 1930, L’Accumulation du capital chez Rosa Luxembourg, resta lié à Souvarine* et devait écrire dans sa revue, La Critique sociale. Contrairement à ce dernier, il adhéra à la SFIO, en 1932. Avec Marcelle Pommera (1905-1965) son épouse depuis 1930, il y anima une revue, Le Combat marxiste, où écrivirent notamment Pommera, René Michaud, Julien Coffinet, etc.

Il enseigna également jusqu’en 1939 l’économie politique à l’Institut supérieur ouvrier de la CGT. Devenu anti-communiste, très critique à l’égard de l’Union soviétique, prônant une révision ou une réflexion nouvelle sur les conceptions économiques de K. Marx, il fut lié à l’équipe de Syndicats, pacifiste en 1939. Laurat qui avait été naturalisé le 30 décembre 1937 (Journal officiel, 9 janvier 1938) fut mobilisé à la déclaration de guerre puis fait prisonnier. Il travailla alors comme interprète à l’Ortskommandantur de Gien puis put s’évader. Il pratiqua ensuite, selon Souvarine*, une « collaboration “alimentaire” prudente mais regrettable », en donnant des articles économiques à L’œuvre, la France socialiste et L’Atelier. À la Libération, il fut interné au camp de Drancy du 30 septembre 1944 au 23 février 1945. Exclu de la SFIO à la Libération, réintégré quelques années plus tard, il la quitta définitivement lorsque le PS rechercha l’alliance avec les communistes. Il était devenu un collaborateur régulier du BEIPI puis d’Est et Ouest et écrivit aussi pour Le Contrat social, publié de 1957 à 1968 par Boris Souvarine.
Ce dernier dit de Lucien Laurat qu’il avait deux marottes, "l’espéranto et le football" (Est & Ouest n° 515, 16-30 septembre 1973).

Très affecté par la mort de sa femme, il mourut à l’hôpital, peu après s’être cassé le col du fémur.

Pour citer cet article :
https://maitron.fr/spip.php?article75607, notice LAURAT Lucien, [MASCHL Otto, dit]. Pseudonymes : ILESCU Ant., JIMEL, MARIN Lucien, MINARD A., PRIMUS, STUMBERG, RAMON Louis, RÉVOLucien, TEXTOR Karl, VÉRO (DBK) par Michel Dreyfus, version mise en ligne le 31 décembre 2009, dernière modification le 20 mai 2020.

Par Michel Dreyfus

ŒUVRE : Liste des principales publications in Boris Souvarine…, op. cit., p. 242-243.

SOURCES : Thierry Paquot, « Lucien Laurat, le fidèle », (avec une notice autobiographique de Lucien Laurat), in Boris Souvarine et la Critique sociale, sous la direction d’Anne Roche, Paris, La Découverte, 1990, p. 130-148. — Notice par J.L. Panné, DBMOF.

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