Par Jean Maitron
Né le 9 septembre 1898 à Paris (Xe arr.), morte le 1er novembre 1985 à Clamart (Hauts-de-Seine) ; institutrice ; syndicaliste de l’enseignement et féministe.
Fille d’un aide en pharmacie, Yvonne Even naquit dans une famille bretonne et catholique originaire de Morlaix. Elle-même eut une foi profonde jusqu’à l’âge de quatorze ans, mais, refusant d’accepter le dogme du « péché originel », elle rompit avec l’Église. Titulaire du brevet supérieur, elle obtint son inscription sur la liste des institutrices suppléantes de la Seine. Les trop rares ordres de service ne lui permirent pas de gagner sa vie. Une institution privée lui offrit un petit emploi, puis elle passa avec succès aux Arts et Métiers un brevet de dessinatrice industrielle qui lui ouvrit, en 1918 et 1919, les portes des établissements Citroën et celles des Appareils de levage de la rue Vitruve (XXe arr.). Cependant, sa vocation l’emporta et elle demanda un poste dans l’enseignement primaire. L’administration la nomma suppléante communale à Drancy. Reçue au concours de l’auxiliariat, elle bénéficia de promotions sur place. Domiciliée à Pavillons-sous-Bois, elle s’y était mariée le 28 décembre 1925 avec le militant syndicaliste Roger Hagnauer. En octobre 1928, elle obtint sa mutation à Paris et en octobre 1929 sa nomination au cours complémentaire du 40, rue des Pyrénées (XXe arr.). Parallèlement, elle avait suivi des études à la Sorbonne et en Angleterre qui lui permirent d’obtenir des certificats d’études supérieures de littérature française, d’histoire, d’anglais, de traducteur-interprète.
Dès 1919, Yvonne Even avait adhéré à la section socialiste de Pavillons-sous-Bois. L’année suivante, elle rejoignit le Parti communiste naissant qu’elle quitta vers 1921 ou 1922. En 1927, Yvonne Hagnauer, militante du Syndicat national, organisa avec Marguerite Prigent une manifestation féminine contre les atteintes portées à l’égalité de traitement. Son action lui valut d’être élue en 1929, conseillère départementale de l’enseignement primaire dans la 5e circonscription (XVIIe, XVIIIe, XIXe et XXe arr.). Elle entra de plus au conseil syndical et au bureau de la section syndicale. Membre de la commission pédagogique, elle publia dans L’École du Grand Paris une série d’études sur des expériences nouvelles. Elle-même appliquait les méthodes des groupes d’Éducation nouvelle dans sa classe. Elle dirigeait des colonies de vacances en liaison avec les CEMEA dont elle était une des militantes. Sa signature apparaissait également dans les Primaires et dans le Quotidien.
En avril 1936, Yvonne Hagnauer prit la parole lors d’une assemblée d’instituteurs à la Bourse du travail de Paris, pour dénoncer « l’exploitation de la main-d’œuvre féminine dans le monde » ; elle réclama « le salaire égal pour le travail égal ». Le 2 juillet 1936, elle présenta au congrès du Syndicat des instituteurs de la Seine un rapport sur le droit des femmes au travail, qui fut adopté.
Yvonne Hagnauer fut, avec Jeanne Alexandre, Héloïse Becam et Magdeleine Paz, une des fondatrices, en septembre 1938, de la Ligue des Femmes pour la Paix. Cet engagement devait aboutir en septembre 1939 à la signature du tract de Louis Lecoin : « Paix immédiate » qui lui valut la révocation, le 28 septembre, et une inculpation avec son mari. Alors que tous les enseignants signataires étaient réintégrés, le 10 septembre 1940, avec son mari, elle ne le fut pas.
Pendant la Seconde Guerre mondiale, le gouvernement créa des établissements pour accueillir des jeunes délinquants et des enfants ayant perdu leurs familles pendant l’exode ou victimes des bombardements. Elle devint la directrice d’une colonie de vacances à Charny, le 1er juillet 1941. Au même moment, était créée une maison à Sèvres qui, sous l’égide du Secours national (Entraide d’hiver), devait accueillir des jeunes orphelins. Elle en devint la directrice le 1er octobre 1941. Son mari y travaillait aussi. La maison accueillit et cacha de nombreux enfants juifs. En mars 1943, son mari, recherché dut disparaître et elle resta seule à la tête de la Maison où le principe pédagogique établissait des relations peu autoritaires avec les enfants et devait préserver l’identité des enfants. Selon le témoignage de son mari : « Le personnel enseignant comprenait plus de la moitié de ses membres frappés par les lois de Vichy : des réfractaires du travail, des condamnés par les tribunaux allemands, des résistants poursuivis, des juifs trouvèrent là un asile sûr et des moyens de subsistance. Mais ce qui fut surtout efficace, ce fut la création, dès 1941, d’un abri clandestin pour des enfants victimes des persécutions raciales dont le nombre atteignait en 1944 plus de la moitié de l’effectif. » Elle décrivit cette expérience dans un ouvrage paru en 1951 sous le titre Des enfants dans leur maison.
À la Libération, la préfecture de la Seine la nomma au conseil municipal provisoire de Sèvres. Les services rendus pendant l’Occupation figurent dans les motifs de l’attribution de la Légion d’honneur qui lui fut accordée. Yvonne Hagnauer fut maintenue en fonctions au-delà de l’âge de la retraite, jusqu’en 1971. Commandeur des Palmes académiques, elle avait obtenu la médaille des Justes en Israël.
Yvonne Hagnauer, décédée à l’hôpital Béclère à Clamart, fut inhumée le 6 novembre 1985, au cimetière de Trivaux, à Meudon (Hauts-de-Seine).
Par Jean Maitron
ŒUVRE : Les Enfants de Goéland et Pingouin, une école contre le destin (Paris). Pédagogie clandestine pour une école ouverte : histoire de la Maison d’enfants de Sèvres, écrits d’Yvonne Hagnauer, publié par l’association les Enfants de Goéland et Pingouin, une école contre le destin, 2015.
SOURCES : Témoignage écrit de Roger Hagnauer. — Le Peuple (quotidien de la CGT), 24 avril, 3 juillet et 6 août 1936. — Le Monde, 3-4 novembre 1985. — Jean-Pierre Le Crom, Au secours Maréchal ! L’instrumentalisation de l’humanitaire (1940-1944), PUF, 2013. — Notes de Jacques Girault et de Julien Chuzeville.