HURET Jean-Marie, Pierre

Par André Caudron, Nathalie Viet-Depaule

Né le 21 mai 1924 à Mont-Saint-Aignan (Seine-Inférieure, Seine-Maritime), mort le 29 novembre 2004 à Rouen (Seine-Maritime) ; prêtre du diocèse de Rouen, mis à la disposition de la Mission de France, prêtre-ouvrier insoumis en 1954, ouvrier spécialisé ; délégué CGT du personnel, secrétaire du CE, permanent de Tourisme et Travail (1970-1982).

Un des six enfants de Marcel Huret, courtier maritime, officier de réserve, combattant des deux guerres, qui sera « un actif militant politique de droite » – adjoint au maire de Rouen de 1953 à 1965, proche de Jean Lecanuet mais sans étiquette –, Jean-Marie Huret fut élevé dans la tradition catholique bien que sa mère, née Marguerite Berckel, profondément religieuse, fût d’origine protestante. Sa famille, dont il rappellera souvent qu’elle était bourgeoise, l’envoya au collège libre de Rouen. Il songeait depuis l’enfance à devenir prêtre et animait le patronage de son quartier. Les séjours qu’il fit entre 1942 et 1944 à l’abbaye cistercienne de Saint-Wandrille (Seine-Inférieure) le confirmèrent dans sa vocation sacerdotale. Hésitant sur la formation qu’il souhaitait recevoir, rejetant celle que son diocèse dispensait, il trouva dans la brochure La Mission de France qu’un moine de l’abbaye, le père Tierce, lui avait communiquée, un écho à ses aspirations. La lecture de cette brochure, signée du supérieur Louis Augros qui cherchait à faire connaître la fondation d’un nouveau séminaire destiné à former des prêtres missionnaires, fut décisive.

En novembre 1944, Jean-Marie Huret entrait au séminaire de la Mission de France à Lisieux (Calvados) où, écrira-t-il en 1966, il découvrit « tout et surtout le monde par les contacts multiples avec d’autres milieux sociaux très diversement et richement représentés par les séminaristes d’abord et aussi par la multitude de passages de gens, de personnalités de toutes sortes qui faisaient entrer au séminaire des tas de problèmes et provoquaient un bouillonnement d’idées assez intense ». En 1947, à la fin de l’année scolaire, il fut envoyé dans l’équipe de prêtres de la paroisse Saint-Louis à Marseille pour faire un stage ouvrier. Embauché comme manœuvre dans une usine à gaz pendant deux mois, il devint ensuite receveur à la Compagnie des tramways. « Ce premier plongeon dans la vie ouvrière à Marseille » l’ébranla profondément : « ce fut une épreuve très dure dont j’attendais fin comme un cauchemar », dira-t-il. Jean-Marie Huret réintégra le séminaire, y passa un an et fut à nouveau envoyé en stage, un peu contre son gré. Accueilli par l’équipe de Graville au Havre (Seine-Inférieure), il trouva du travail comme OS dans une usine métallurgique. Habitant dans un quartier sous-prolétaire de la banlieue du Havre, il vécut cette fois son insertion ouvrière positivement, s’initiant au syndicalisme et participant aux loisirs de ses camarades qui l’entraînèrent aux Auberges de la jeunesse, dont la section était de tendance anarchiste. De retour à Lisieux en octobre 1949, il acheva ses études dans un climat où déjà des menaces romaines commençaient à peser sur le séminaire de la Mission de France. Ordonné prêtre en 1951, il fit partie de ceux qui n’obtinrent pas l’autorisation de devenir prêtres-ouvriers et furent nommés vicaires de paroisse.

En août 1951, Jean-Marie Huret rejoignit l’équipe de la Mission de France à Harfleur (Seine-Inférieure, Seine-Maritime). N’ayant jamais souhaité être prêtre de paroisse, il se sentit rapidement en porte-à-faux dans ses fonctions dont il percevait les limites. « Maladroit, n’habitant pas mon personnage, déconcertant et déconcerté », selon ses termes, il était d’autant plus mal à l’aise que la répression romaine compromettait tout espoir de passer au travail : limogeage du supérieur de la Mission de France, fermeture de son séminaire, mise à l’écart des dominicains Chenu, Féret, Congar, Boisselot et interdiction aux prêtres-ouvriers de poursuivre leur sacerdoce. Ce fut dans ce contexte et en estimant qu’il était arrivé au terme des trois ans pour lesquels il s’était engagé à être vicaire, qu’il fit le choix de quitter Harfleur en juillet 1954 pour rejoindre l’équipe de prêtres-ouvriers du Havre qui, le 1er mars 1954, étaient restés au travail. Alors qu’il n’avait pas été directement touché par le diktat romain, il allait désormais compter parmi les prêtres-ouvriers « insoumis ».

Successivement manœuvre sur un chantier du front de mer (chargement et déchargement des camions), aide monteur dans une petite entreprise d’électricité, chauffeur-livreur chez un artisan (staff et taille de marbre), Jean-Marie Huret entra le 6 février 1956 comme OS dans une grande usine de métallurgie havraise, à l’atelier de tronçonnage où étaient entreposés les métaux en barres destinés à l’usinage. Il allait y rester jusqu’en 1970. Il s’intégra dans ce milieu quotidien de l’usine, se syndiqua et participa à l’action militante. Élu délégué CGT du personnel en 1958, puis du comité d’entreprise, il en devint secrétaire jusqu’en 1970. Il siégeait également au comité d’hygiène et de sécurité (CHS) comme délégué ouvrier.

Depuis son arrivée au Havre, Jean-Marie Huret faisait équipe avec deux autres prêtres-ouvriers insoumis, Jean Cottin et Joseph Lafontaine*, arrivés en 1952. Ensemble, ils participaient aux réunions générales des prêtres-ouvriers restés au travail, du moins jusqu’à celle du 18 décembre 1955 qui révéla le caractère illusoire de l’unité qui les rassemblait jusque-là. À partir de 1957, ils firent partie d’un petit groupe d’insoumis que Bernard Chauveau, OS chez Renault à Boulogne-Billancourt, initia. Convaincus que « ni l’activité politique, ni l’activité syndicale » ne remplissaient leurs vies, mais que la dimension religieuse y tenait « une place dominante », ils organisèrent régulièrement des rencontres thématiques. Celles-ci aboutirent en 1965 à la rédaction d’une Lettre aux pères du Concile et en 1966 à la série de textes Ruptures et découvertes.

Parallèlement, Jean-Marie Huret, qui avait réussi en 1953 à entraîner l’été vingt-cinq jeunes travailleurs d’Harfleur en « car-camping » jusqu’en Suisse, Autriche et Italie, perpétua cette initiative pendant douze ans. Il fit de « La Bertagne », située dans la campagne cauchoise, un centre de loisirs et culture pour des jeunes foyers qui inaugura d’autres lieux lorsque les comités d’entreprises subventionnèrent des foyers de jeunes travailleurs. Leur objectif était de promouvoir des activités culturelles bien avant que la Maison de la culture n’ouvrît ses portes en 1961. Jean-Marie Huret animait d’ailleurs des stages d’animation culturelle dans le cadre des CE et donnait aussi des cours sur l’histoire du mouvement ouvrier au sein de son syndicat (il appartenait à la commission « éducation »). Après Mai 68, la commission de coordination culturelle qui s’était constituée en décembre 1967 au sein de Tourisme et Travail lui proposa de devenir permanent. Il hésita : était-ce rompre avec son engagement initial ? Finalement, syndicalistes et jeunes foyers le persuadèrent qu’il servirait tout autant le mouvement ouvrier. Il quitta l’usine en novembre 1970 pour faire du château de Valmont (Seine-Maritime) un parc de loisirs, avec quarante CE du Havre et la section Tourisme et Travail du Havre. Il signa un appel de militants CGT « Pour la défense des libertés en Pologne », paru le 17 décembre 1981 dans Le Havre libre. Jusqu’en 1982, date de sa retraite, il fut responsable de l’animation : il organisa des expositions, des manifestations sportives, des fêtes et des concerts.

De 1982 à sa mort, Jean-Marie Huret fit quelques grands voyages, côtoya beaucoup ses amis mais, surtout, consacra davantage de temps aux réunions de prêtres-ouvriers insoumis qui réfléchissaient notamment aux notions d’« athéisme », de « sacré », de « révélation », de « pauvreté » et invitaient de temps en temps Michel Clévenot ou Jean Gray dont le manuscrit inédit, La traversée, les invita à réfléchir sur le sens qu’ils avaient voulu donner à leurs vies. Il écrivit lui-même en 1993 un livre autobiographique, Prêtre-ouvrier insoumis et accepta d’en faire un autre avec Maurice Combe à partir d’entretiens croisés qui eurent lieu au couvent de l’Arbresle et dont le titre, Fidèle insoumission, résume ce qu’ils avaient été, c’est-à-dire fidèles à eux-mêmes et à la conception qu’ils s’étaient faite de leur mission.

Jean-Marie Huret était cousin de Claude Huret, originaire de Boulogne-sur-Mer (Pas-de-Calais) – berceau de la famille –, lui aussi prêtre-ouvrier, appartenant à la Mission de France. Patrice Huret, frère de Jean-Marie, siégea comme leur père au conseil municipal de Rouen (1983-1989).

Pour citer cet article :
https://maitron.fr/spip.php?article88699, notice HURET Jean-Marie, Pierre par André Caudron, Nathalie Viet-Depaule, version mise en ligne le 13 août 2010, dernière modification le 23 janvier 2022.

Par André Caudron, Nathalie Viet-Depaule

ŒUVRE : Prêtre ouvrier insoumis, Le Cerf, 1993. – La question perdue, Desclée de Brouwer, 1998. – Fidèle insoumission, Le Cerf, 1999.

SOURCES : ANMT (Roubaix), 1993002/0007/0008. — Arch. de la Mission de France, 1997015 0136 ; 1996028 0062 ; 1996028 0267. — Unis pour, 30 janvier 1947. — Ruptures et découvertes, 1966. — Geneviève Poujol, Madeleine Romer, Dictionnaire biographique des militants, Paris, L’Harmattan, 1996. — Charles Suaud, Nathalie Viet-Depaule, Prêtres et ouvriers. Une double fidélité mise à l’épreuve 1944-1969, Paris, Karthala, 2004. — Tangi Cavalin, Nathalie Viet-Depaule, Une histoire de la Mission de France. La riposte missionnaire 1941-2002, Paris, Karthala, 2007. — Entretiens avec Jean-Marie Huret. — Courrier de Mme Dominique Lebeltel, service archives-documentation de la ville de Rouen, 6 juillet 2010.

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