ALTROFF Salomon, G.

Par Madeleine Rebérioux

Militant socialiste de la Haute-Garonne.

Ami de Charles De Fitte, Altroff, qui semble avoir joui d’une certaine fortune personnelle, fit partie du groupe socialiste toulousain dit de l’Union républicaine socialiste dont la majorité en 1891 adhéra au Comité révolutionnaire central. Ce ne fut pas son cas, ou, alors, pour peu de temps. La lecture du journal qu’il fonda et dirigea à partir du 7 mai 1893, à Toulouse, Le Quatrième État, le montre se rapprochant constamment des allemanistes, pourtant peu nombreux à Toulouse. Il adhéra bientôt au groupe allemaniste de « La Chambrée toulousaine » et son journal, dès décembre 1900, apparaît comme l’organe du POSR dans le Sud-Ouest. Il le deviendra officiellement en novembre 1902 et le restera jusqu’à l’unité.

C’est en direction des syndicats ouvriers qu’Altroff, dès 1893, fit porter l’essentiel de son effort. Le temps n’était plus, écrivait-il, des « sanglants combats », il fallait organiser et étudier dans le monde entier les « moyens pratiques pour que le même jour, presque à la même heure, malgré les rois, les frontières et les mers », on puisse « proclamer dans le monde entier l’avènement du Quatrième État » (Le Quatrième État, 7 mai 1893). Il proposait, d’ailleurs, de faire désigner les candidats socialistes par un congrès des chambres syndicales : attitude héritée de la mentalité ouvrière toulousaine, mais peu conforme à ce qui était en train de devenir le socialisme dans la métropole aquitaine.

Sur cette lancée, Altroff qui, en 1893, faute de mieux, appelait encore à voter pour un radical comme Leygue, devint bientôt ferme partisan, au plan municipal, d’une séparation complète entre socialistes et radicaux toulousains : il prit publiquement position en octobre 1896 pour qu’aux élections municipales qui se préparaient les socialistes, contrairement à ce vers quoi ils penchaient et à ce que leur conseillait Jaurès, refusent de figurer sur une liste radicale destinée à battre la municipalité opportuniste : il rapporta sur ce point au « congrès » (en fait une réunion publique) socialiste toulousain qui se tint le 15 octobre 1896 et il signa le manifeste « républicain socialiste » qui annonçait la rupture avec les radicaux.

Au printemps de 1897, il fut avec son groupe à la tête du mouvement philhellène à Toulouse et c’est lui qui se rendit fin avril à Marseille pour porter aux Grecs les fonds recueillis et, au besoin, « se battre avec eux » (rapport du commissaire spécial, Arch. Dép. Haute-Garonne, 4 M 107). Il avait en particulier de bons contacts avec la Jeunesse socialiste révolutionnaire de Toulouse fondée en 1893 et où se retrouvaient beaucoup de fils des militants blanquistes : en 1898 encore, il y jouait un rôle important.

Lorsqu’éclata l’affaire Dreyfus, Altroff, que les rapports du commissaire spécial désignent dès lors comme « sujet israélite » et qui, en novembre 1894, avait refusé d’englober tous les israélites dans ce « crime », cette « trahison » pour lesquels il n’y avait « pas de châtiment assez sévère » (Le Quatrième État, 24 novembre 1894), adhéra à la jeune Ligue des droits de l’Homme et se rapprocha de Jaurès. Il tenta, mais en vain, d’organiser en janvier 1899 une conférence de Jaurès sur l’Affaire (Arch. Dép. 4 M 113) et poursuivit en justice la section toulousaine de la Ligue de la Patrie française, lorsque celle-ci se constitua. Sa reconnaissance envers Jaurès était si grande que, malgré la présence de Galliffet dans le ministère Waldeck-Rousseau, encouragé par le député de Carmaux, il fit voter au début d’avril par « La Chambrée toulousaine » un message à Jaurès, dont le nom avait été hué au meeting guesdiste du 18 mars, en sa présence (Arch. Dép. 4 M 114) : « Malgré les attaques multiples de nos adversaires et même de quelques-uns de nos amis, nous disons que tu es un socialiste convaincu, que la tâche assumée par toi sera profitable au prolétariat international et que nous sommes heureux de te proclamer comme un des meilleurs propagandistes révolutionnaires » (Le Quatrième État, 7 avril 1900).

Son attitude évolua pendant l’année. « La Chambrée toulousaine » le délégua au deuxième congrès général des organisations socialistes, en septembre 1900, à Paris, Il en revint, hostile aussi bien à Jaurès qu’à Guesde ou plutôt à « leurs petites luttes entre eux qui à nos yeux les diminuent et vont à l’encontre du but poursuivi » (Le Quatrième État, 30 novembre 1900). En 1901, la tension se fit plus vive : Altroff devant être défendu par Briand dans son procès contre la section toulousaine de la Ligue de la Patrie française prévu pour le 7 décembre 1901, la Ligue des droits de l’Homme proposa que tous les groupes socialistes de Toulouse organisent à cette occasion un grand meeting, et le groupe d’Altroff refusa en arguant du ministérialisme de Briand.

Nous ignorons si Altroff adhéra à l’unité socialiste. La chose est vraisemblable, mais il ne milita pas activement à la SFIO. Il dirigeait toujours son journal, sous-titré maintenant « ancien organe du POSR » et « journal syndical et politique ». Très proche du syndicalisme révolutionnaire, le Quatrième État n’en apparaissait pourtant pas comme l’organe officiel. C’eût été d’ailleurs difficile à Toulouse.

En 1914, Altroff continuait à publier Le Quatrième État, journal qu’il avait créé le 7 mai 1893. Après 1905, il avait collaboré au Midi socialiste puis les dirigeants socialistes toulousains l’en écartèrent. Au début de la guerre les rapports de police le présentaient comme un « anarchiste » pittoresque, de moralité douteuse, mais peu dangereux car sans influence. La violence de ses attaques anticléricales, antimilitaristes, valurent au Quatrième État seize saisies et plusieurs suspensions. Cependant son audience croissante lui permit d’être reçu, à diverses reprises, par le Préfet et le général commandant la région militaire.

En juin 1917, Altroff prit une part active dans le déclenchement des grèves à Toulouse. Les autorités militaires donnèrent pour consigne à la censure d’agir avec prudence à l’égard de son journal en raison de l’importante audience qu’il avait acquise dans les milieux ouvriers. En 1918, le directeur et unique rédacteur du Quatrième État, soutint la Révolution russe. Son journal parut jusqu’en 1931.

Pour citer cet article :
https://maitron.fr/spip.php?article89756, notice ALTROFF Salomon, G. par Madeleine Rebérioux, version mise en ligne le 17 octobre 2010, dernière modification le 26 septembre 2022.

Par Madeleine Rebérioux

SOURCES : Arch. Dép. Haute-Garonne, 4 M 107, 113, 114. — J. Pradelle, Historique de la Bourse du Travail de Toulouse (voir Pradelle). — N. Dyonet, Le Socialisme à Toulouse de 1878 à 1893, DES, Toulouse, 1963. — Le Quatrième État, mai 1893-octobre 1908 (la collection de la Bibl. Nat. est lacunaire et s’arrête en octobre 1908. La collection du Quatrième État (1893-1931) est déposée aux Arch. Dép. de Haute-Garonne. — Le Socialiste de Toulouse et de la région, 22 août-12 décembre 1896. — Bouyoux P., L’opinion publique à Toulouse, 1914-1918, Microfiches AUDIR 1973.

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