CHAPELIER Émile [Dictionnaire des anarchistes]

Par Guillaume Davranche

Né à Bande (Belgique) le 9 septembre 1870, mort le 17 mars 1933 à Bruxelles ; cordonnier, maçon, mineur puis libraire ; néomalthusien, espérantiste, anarchiste puis socialiste et syndicaliste.

Émile Chapelier vers 1910
Émile Chapelier vers 1910
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Émile Chapelier fut un des principaux animateurs du mouvement libertaire belge dans les années 1890-1900, avant qu’une expérience en « milieu libre » l’en éloigne. Il évolua alors vers le socialisme, tout en restant antiparlementaire et partisan de l’action directe.

Fils d’un ouvrier illettré et d’une mère décédée encore jeune, Émile Chapelier vécut pauvrement son enfance avec son grand-père et sa tante. À l’âge de 13 ans, après n’avoir été que neuf mois à l’école, il partit à Liège pour devenir aide-maçon, cordonnier, puis mineur.

Ce n’est qu’à l’âge de 20 ans qu’un mineur anarchiste éveilla en lui le goût de l’étude et des idées libertaires. Il apprit alors l’orthographe et la grammaire en autodidacte, et entra dans le mouvement libertaire.

Propagandiste révolutionnaire

C’est lors de la grève générale de 1893 que Chapelier, membre du groupe La Jeune Garde, à Liège, apparut comme un bon orateur dans les meetings ouvriers.

Ayant perdu son emploi à cause de son activité politique, il gagna Bruxelles en 1894, et fut condamné à 1000 francs d’amende pour des propos tenus dans un meeting antimilitariste. Au mois de juillet de la même année, la cour d’assises du Hainaut le condamna à deux peines pour propagande anarchiste : 9 mois de prison et 500 francs d’amende, puis 3 mois de prison et 100 francs d’amende.

En mai 1896, il tenta de lancer un journal, L’Insurgé, qui n’eut que 3 numéros, et auquel collabora Georges Thonar. Il récidiva en octobre avec Le Cri des opprimés, qui n’eut que 2 numéros. Il habitait alors au 15, rue du Comptoir, à Charleroi et travaillait comme manœuvre de maçon.

Suite à ses interventions dans des meetings anarchistes à Jumet et Morlanwelz il fit l’objet fin octobre d’un signalement de la police. Un mandat d’amener fut délivré contre lui pour émission de fausse monnaie, et il préféra quitter la Belgique. Il donna quelques conférences sous le nom de Prosper Adam à Mouscron, Tourcoing et Roubaix puis, la demande du gouvernement belge, la France l’extrada le 9 février 1897 et il fut condamné à cinq ans de prison, le 11 mai 1897 à Mons.

Libéré en 1900, Émile Chapelier donna, le jour même de sa sortie, une conférence au Groupe d’études sociales de Bruxelles. Dès lors, il donna d’innombrables conférences et participa à divers journaux souvent tenus par Georges Thonar comme L’Effort éclectique (1900-1901) puis L’Émancipation (1901-1902) et L’Insurgé (1903-1909). Il fut arrêté à deux reprises, en 1901 et en 1902, sous l’accusation de participer à un complot contre le roi Albert, mais fut relâché à chaque fois.

Émile Chapelier participa au congrès de Charleroi en octobre 1904 et adhéra à la Fédération amicale des anarchistes de Belgique (voir Georges Thonar) ainsi qu’à l’Union des travailleurs bruxellois (voir Henri Fuss-Amoré) qui en furent issues.

Pivot du milieu libre L’Expérience

Le 3 avril 1905, Émile Chapelier cofonda, avec sa compagne Valentine David, la colonie L’Expérience à Stockel-Bois, un hameau proche de la forêt de Soignes, au bout de l’avenue de Tervueren. L’Expérience rassemblait une dizaine de personnes et fut un des groupes fondateurs du Groupement communiste libertaire (GCL, voir Georges Thonar). A partir de juillet 1905, Chapelier collabora à L’Action directe, organe de l’Union des travailleurs bruxellois.

Lors du congrès du 22 juillet 1906 à Stockel-Bois, il fut décidé que le journal du GCL, L’Insurgé, jusque là réalisé par Thonar, serait rebaptisé L’Émancipateur, et que sa rédaction serait confiée à Émile Chapelier, à Stockel-Bois, Georges Thonar continuant à l’imprimer. L’Émancipateur capota cependant dès le mois de décembre suite à une polémique : on lui reprochait d’être davantage l’organe de la colonie L’Expérience que du GCL. Dès novembre, Thonar reprit le contrôle de L’Émancipateur. Fâché, Chapelier démissionna de la rédaction.

En octobre 1906, la colonie déménagea au 57, rue Verte, à Boitsfort. Fin avril 1907, elle fit l’acquisition d’une imprimerie et put dès lors éditer ses propres publications : cartes postales, brochures souvent rédigées par Émile Chapelier ainsi qu’un périodique, Le Communiste. Lancé en juin 1907, il devait survivre jusqu’en août 1908, quelques mois après la dissolution, en mars, de la colonie (voir Eugène-Gaspard Marin).

Du 25 au 31 août 1907, Émile Chapelier participa au Congrès anarchiste international d’Amsterdam, pour lequel il présenta deux rapports : « L’association productrice et l’anarchisme » (avec le Néerlandais Samson) et « Les libertaires et la langue mondiale », corédigé avec Eugène-Gaspard Marin. Émile Chapelier était en effet un espérantiste militant et, dès 1904, il avait donné des conférences sur la langue internationale. À Amsterdam, il échoua cependant à faire adopter par les congressistes une résolution favorable à l’espéranto.

Pendant la durée de la colonie L’Expérience (avril 1905-février 1908), Émile Chapelier ne cessa pas la propagande, par des conférences, mais aussi par des pièces de théâtre qu’il écrivait lui-même, et dans lesquelles les colons se faisaient acteurs.

Pour le reste, la colonie L’Expérience semble avoir concentré toutes les difficultés rencontrées d’ordinaire par les « milieux libres » : misère économique, promiscuité et discordes persistantes, la conception que se faisait Émile Chapelier de l’amour libre n’étant pas des plus égalitaires — il voulait par exemple pouvoir convoler avec une autre femme, mais refusait que Valentine David le quitte. Le climat délétère qui s’ensuivit conduisit à la dissolution de la communauté en février 1908.

Par la suite, Émile Chapelier ne fut plus en odeur de sainteté dans la mouvance individualiste bruxelloise qui s’était développée sur les ruines du GCL et de la colonie L’Expérience. En mars 1909, le numéro unique d’un journal réalisé par Rhillon et Marin, Le Démolisseur, attaqua Chapelier.

Socialiste antiparlementaire et d’action directe.

Dans le courant de l’année 1908, après avoir quitté le milieu libre, Émile Chapelier avait adhéré au Parti ouvrier belge (POB), où il se classa dans la minorité antiparlementaire. Désormais gérant d’une librairie saint-gilloise, il adhéra en 1909 au Syndicat des employés socialistes de Bruxelles, qui fournissait à la gauche du POB ses principaux porte-parole, comme Raphaël Rens et Joseph Jacquemotte, le futur leader communiste. Avec eux, Chapelier contribua à affermir l’orientation révolutionnaire du syndicat en publiant un Catéchisme syndicaliste qui connut un certain succès.

Il réédita également nombre des brochures qu’il avait réalisées à l’époque de la colonie L’Expérience. À la même époque, toujours néomalthusien, il collaborait à Génération consciente, d’Eugène Humbert. Les 28 et 29 août 1910, il participa d’ailleurs probablement au congrès international néomalthusien à La Haye, aux Pays-Bas.

À son congrès d’août 1910, l’ensemble de la Fédération nationale des employés socialistes se rallia au syndicalisme révolutionnaire en votant une motion préparée par Georges Petit-Disoir, Jacquemotte et Chapelier.

En mars 1911, ce dernier lança le bimensuel L’Exploité, « organe socialiste d’action directe », avec la collaboration de Jacquemotte, Rens et Petit-Disoir. L’Exploité s’arrêta le 5 novembre 1911.

Au congrès d’avril 1913 du POB, Émile Chapelier et Joseph Jacquemotte déposèrent une motion antimilitariste et antipatriote d’opposition à la guerre.

Délégué au XIIIe congrès de la Commission syndicale, le 24 décembre 1911, il apparut qu’Émile Chapelier n’était plus frontalement hostile à l’action parlementaire, mais qu’il considérait qu’elle devait être subordonnée à l’action directe ouvrière.

Après la guerre, Émile Chapelier adhéra quelque temps au Parti communiste belge avant de reprendre son indépendance. Il participa à la fondation de la Libre-Pensée prolétarienne, dont il était encore le président vers 1930. Il continuait à propager l’espéranto, en collaborant au journal Liber pensula et à la Internacia Socia Revuo. Il publia encore diverses brochures sur ses sujets favoris : le néomalthusianisme, l’anticléricalisme, la propriété. Dans l’Entre-deux-guerres, il aurait adhéré au Cercle Marx-Engels. Durant cette période, il écrivit épisodiquement des articles pour le périodique Le Réveil syndicaliste et participa aux manifestations qui eurent lieu en faveur de Nicolas Lazarévitch et de Victor Serge, alors détenus en Russie.

Voir aussi sa notice par Jean-Paul Mahoux dans le Dictionnaire Belgique,
https://maitron.fr/spip.php?article164077

Pour citer cet article :
https://maitron.fr/spip.php?article155260, notice CHAPELIER Émile [Dictionnaire des anarchistes] par Guillaume Davranche, version mise en ligne le 9 mars 2014, dernière modification le 15 juillet 2021.

Par Guillaume Davranche

Émile Chapelier vers 1910
Émile Chapelier vers 1910
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ŒUVRE : Réponse à l’encyclique du pape ou Les Crimes obligatoires de l’Église romaine, chez l’auteur, coll. Petite Bibliothèque anticléricale, Bruxelles, (1901) ― Une Colonie communiste : comment nous vivons et pourquoi nous luttons, préface d’Emmanuel Tesch, Bruxelles, Bibliothèque de la colonie communiste L’Expérience, impr. Fraigneux, 1906 ― Le Communisme et les paresseux, Bibliothèque de la colonie communiste libertaire L’Expérience n° 2, Boitsfort (Belgique), 1907 ― Les Libertaires et la langue internationale espéranto, chez l’auteur, Saint-Gilles-Bruxelles (Belgique), s.d. [1907] ― La Nouvelle clairière : drame social en 5 actes, Bibliothèque de la colonie communiste L’Expérience n° 3, [1906] ― Lettre ouverte au joyeux curé de Dolhain(« suivie de quelques réflexions sur l’enseignement des prêtres »), Bibliothèque de la colonie communiste libertaire L’Expérience, n° 5, s.l., s.d. [1907] ― Au confessionnal (vaudeville en 1 acte), chez l’auteur, Bruxelles [1910, pièce créée en 1907] ― Ayons peu d’enfants ! Pourquoi ? Comment ? Chez l’auteur, Ixelles (Belgique), s.d. [1908] ― Limitons les naissances ! Réponse au cardinal Mercier, chez l’auteur, Bruxelles, 1909 ― Pourquoi l’Église a tué Ferrer (« Discours prononcé au meeting de la Libre Pensée des disciples de Berthelot à Seraing, le 1er novembre 1909 »), chez l’auteur, Bruxelles, 1909 ― La Procréation consciente. Débats du Congrès international tenu à La Haye, les 28, 29 juillet 1910, chez l’auteur, Bruxelles, 1910 ― Entre propriétaire et locataire, chez l’auteur, Bruxelles, s.d., [1910] ― Catéchisme syndicaliste en six leçons (suite à Entre propriétaire et locataire), chez l’auteur, Bruxelles, 1910 ― Pourquoi je ne crois plus en Dieu, Groupe de propagande par la brochure, La Brochure mensuelle, n° 55-56, Paris, 1927 ― La Libre pensée prolétarienne contre la libre pensée bourgeoise, éd. de la Ligue matérialiste de Belgique, Bruxelles, 1929.

SOURCES : Arch. Nat. F7/13065. ― Maxime Steinberg, À l’origine du communisme belge : l’extrême gauche révolutionnaire d’avant 1914, Fondation Joseph Jacquemotte, 1985. ― Jan Moulaert,Le Mouvement anarchiste en Belgique 1871-1914, Quorum, 1996. ― Ariane Miéville et Maurizio Antonioli, Anarchisme et syndicalisme. Le congrès anarchiste international d’Amsterdam (1907), Nautilus/Le Monde libertaire, 1997. ― Jacques Gillen, « Les activités en Belgique d’un anthropologue anarchise : Eugène-Gaspard Marin (1883-1969) »,mémoire de licence, université libre de Bruxelles, 1997. ― René Bianco, Cent ans de presse, op. cit.

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