AUBRAC Lucie [BERNARD Lucie, épouse SAMUEL, dite AUBRAC dans la Résistance]

Par Corinne Bouchoux

Née le 29 juin 1912 à Mâcon (Saône-et-Loire), morte le 14 mars 2007 à l’hôpital suisse d’Issy-les-Moulineaux (Hauts-de-Seine) ; professeure ; un temps militante des Jeunesses communistes ; résistante ; pédagogue de la mémoire ; militante antiraciste proche du Parti socialiste et du Mouvement des Citoyens ; épouse de Raymond Aubrac.

Lucie Aubrac
Lucie Aubrac
Photo Assemblée nationale

Lucie Bernard, épouse Samuel, garda au lendemain de la Deuxième Guerre mondiale le nom de Aubrac, un des pseudonymes utilisés par son mari pendant la résistance. Née en 1912 tout à fait fortuitement à Paris, bien qu’issue d’une famille de modestes vignerons mâconnais, Lucie Aubrac grandit dans un milieu où la rudesse du quotidien allait de pair avec une ambiance où tout la poussait au pacifisme. Républicain, son père, grand blessé pendant la guerre de 14-18, lui transmit sûrement son amour du vignoble et des valeurs (dont le sens de l’effort) typiques de la France rurale de ce début de siècle. Plus originale fut l’influence de sa mère, très ambitieuse pour sa fille, et convaincue qu’un mariage avec un voisin paysan ne lui correspondait pas.

Une jeune sœur, dont Lucie se sentit toujours responsable, lui conféra une maturité précoce. Ensuite un parcours scolaire classique conduisit Lucie Aubrac à réussir le concours de l’École normale d’instituteurs à Paris. Première volte-face d’une forte personnalité aimant son autonomie, Lucie démissionna de cette école qu’elle imaginait trop aliénante pour sa liberté d’esprit et son ambition intellectuelle déjà très affirmée. Elle se mit au travail, à la plonge dans un restaurant, avant de rencontrer des professeurs de lycée qui l’encouragèrent à passer son baccalauréat et à entamer des études à la Sorbonne, en histoire.

Lucie commença alors à militer dans les rangs des Jeunesses (elle dirigeait en 1933 la cellule locale du 5e et elle suivit une école élémentaire de rayon en 1933) et des Étudiants communistes à Paris, où elle se lia d’amitié avec André Marty. Militante active, elle fut sollicitée vers la fin 1935 pour suivre les cours de l’École du KIM à Moscou, stage de six mois dans le cadre de l’École léniniste internationale, mais avec un recrutement moins ouvriériste. Son acceptation suivie de son renoncement, contribua à la tenir hors des postes de responsabilité. C’est avec une amie qu’elle se rendit en Catalogne, proposant ses services aux milices liées au POUM qui n’en voulurent pas, puis auprès d’André Marty qui la renvoya à ses études. Elle participa à l’aventure des premières auberges de jeunesse et fit de la randonnée. Cette autonomie, peu commune à l’époque, la conduisit à accepter un remplacement comme professeur, à Amiens, et à trouver la vocation de sa vie : enseigner.

C’est pendant l’année scolaire 1938-1939 que Lucie rencontra un jeune ingénieur des Ponts et Chaussées qui faisait son service militaire à Strasbourg alors qu’elle prenait son premier poste de jeune agrégée d’histoire. Raymond Samuel (voir Raymond Aubrac) venait de passer un an aux États-Unis, fait peu banal à l’époque, et devait renseigner Lucie dont le départ pour l’Amérique était programmé l’année suivante, en vue d’une thèse. Ils se marièrent civilement en décembre 1939.

Le début de la guerre amena Lucie Aubrac à annuler in extremis son départ. Dès ce moment, leur décision fut prise de rester en France et de s’opposer, par tous les moyens possibles, au cours des choses. Lucie fut à l’origine, dès l’automne 1940, de la création du mouvement Libération sud, où elle occupa des rôles multiples : stratège participant à la rédaction du journal, parfois agent de liaison pour acheminer les informations d’un point à un autre, parfois chef de bande, notamment sous le pseudonyme « Catherine ». Cette vie de résistance, où Lucie cumula le rôle de professeur de lycée à Lyon, mère de famille d’un fils né en 1941, fut la mise en pratique d’une réaction très forte au nazisme.

Par deux fois, Lucie parvint à rendre la liberté à Raymond : en juillet 1940, alors qu’elle ne l’avait pas vu depuis six mois, elle aida son mari, prisonnier de guerre à Strasbourg, à s’évader. Plus célèbre fut la seconde évasion : le 21 octobre 1943, Raymond fut libéré des mains de Klaus Barbie après une mise en scène rocambolesque et périlleuse qui inspira le film Lucie Aubrac réalisé par Claude Berri (1997), avec Carole Bouquet et Daniel Auteuil dans le rôle des Aubrac. Lucie Aubrac fit croire à Barbie qu’elle était enceinte de Raymond et voulait obtenir un mariage afin que l’enfant qu’elle portait ne soit pas sans père. Arrêté à Caluire, en même temps que Jean Moulin, Raymond risquait la condamnation à mort. Avec un groupe-franc, organisé par Serge Ravanel, Lucie enceinte de six mois, participa à l’opération : « À 17 h 30, je suis à ma place, sur la banquette arrière de la traction, derrière le chauffeur, et j’aperçois les deux soldats allemands qui règlent la circulation sur l’avenue. Christophe, notre chauffeur, démarre afin de suivre le camion où Raymond a pris place. En apercevant le boulevard des Hirondelles, je fais signe à nos gars. Puis nous arrivons à la hauteur de la cabine. Comme prévu, Daniel se sert de la mitraillette équipée du silencieux pour tirer sur le chauffeur. Le camion ralentit avant de s’arrêter au bord du trottoir. À cet instant précis, les policiers allemands bondissent armes au poing. Tous les gars vident alors leurs chargeurs sur eux. Les Allemands sont tués, c’est plus long à raconter qu’à faire » (Cette exigeante liberté, p. 113). Lucie Aubrac a relaté cette évasion dans son récit, publié en 1984, Ils partiront dans l’ivresse, qui se concentre sur les neuf mois de sa grossesse de mai 1943 à février 1944. Reconstruction après coup, ce texte constitue néanmoins un témoignage vivant sur le rôle des femmes durant l’Occupation. À Londres, elle participa activement aux émissions de Radio-Londres, pendant que Raymond gagnait Alger.

L’après-guerre n’est pas synonyme, pour les Aubrac, de retour à une vie « normale ». Est-ce d’ailleurs possible après avoir connu ces années de Résistance en France puis à Londres en février 1944 ? Lucie Aubrac participa activement à la Libération : elle fut désignée comme membre de l’Assemblée consultative puis fonda un journal, Privilège de femmes, qui disparaît après treize numéros. Des chroniqueurs et journalistes renommés comme Madeleine Jacob, pour la chronique judiciaire, Gertrude Stein pour le théâtre, ou le père fondateur de la sécurité sociale, Pierre Laroque, ne purent empêcher l’échec commercial et politique de ce journal jugé trop « communiste » par les socialistes, et pas assez... aux yeux des communistes.

Après une pause en France où Lucie Aubrac vécut douloureusement le début des événements en Algérie, s’enchaînèrent les années marocaines (1958-1965) avec la vie d’enseignante et les charmes de la vie d’expatriés. L’étape romaine (1963) marqua la fin de la carrière administrative mais non l’arrêt de l’enseignement qui continua sous une autre forme, avec des conférences. Après une pause new-yorkaise, pendant laquelle Raymond Aubrac travaille à l’ONU, commença une retraite très active en France. Inlassablement, dès 1975, Lucie Aubrac sillonna les écoles, du primaire à l’université, pour raconter ce que furent l’Occupation et la Résistance. Ce combat pour la liberté et la mémoire fut l’œuvre de sa vie. Elle participa bien sûr chaque année au Concours national de la Résistance et la déportation qui permit d’entretenir le souvenir auprès des jeunes générations.

La célébrité médiatique, amorcée par la parution de son récit, Ils partiront dans l’ivresse, s’intensifia au moment du procès Barbie. En effet, l’avocat Jacques Vergès* entreprit d’orienter la défense de son client vers la piste d’une trahison interne à la Résistance, imputée aux Aubrac ! D’insinuations en allusions, de sous-entendus en allégations, une certaine presse et quelques auteurs en mal de publicité s’engouffrèrent dans toutes les variations des récits des Aubrac. Après de multiples dérapages (dont une « table ronde » organisée par le quotidien Libération exposant Raymond et Lucie Aubrac aux tirs croisés de plusieurs historiens), la condamnation du journaliste Chauvy pour son ouvrage Aubrac. L’affaire met un point final aux campagnes de presse. Reste la blessure face à la calomnie. Le couple Aubrac fit condamner Chauvy pour diffamation par la justice française, verdict que confirma la Cour européenne des Droits de l’homme le 29 juin 2004.

Lucie Aubrac traversa ce siècle en militante : résistante de la première heure sous l’Occupation, puis militante « de la paix » du côté des compagnons de route du Parti communiste (bien que non-membre du Parti mais proche à certains moments). Grande voyageuse, dotée d’une énergie hors du commun, d’un charisme et d’une maîtrise de la parole exceptionnels pour une femme de sa génération, Lucie Aubrac n’aura manqué qu’une dimension de l’engagement : le militantisme dans un parti politique. Elle avait l’envergure pour y jouer un grand rôle, en avait peut-être l’ambition (cachée), mais préféra après des années de tourment se consacrer à sa vie de mère et d’épouse. D’ailleurs son aversion pour les rapports hiérarchiques, son franc-parler, son sens aigu de l’autonomie et de la liberté, expliquent la forme d’engagement qu’elle a choisi.
En 2022, une station de la ligne 4 du métro prit le nom de Bagneux-Lucie-Aubrac suite à une consultation publique avec 30 000 participants.

Pour citer cet article :
https://maitron.fr/spip.php?article10383, notice AUBRAC Lucie [BERNARD Lucie, épouse SAMUEL, dite AUBRAC dans la Résistance] par Corinne Bouchoux, version mise en ligne le 10 octobre 2008, dernière modification le 6 juillet 2022.

Par Corinne Bouchoux

Lucie Aubrac
Lucie Aubrac
Photo Assemblée nationale

ŒUVRE : La Résistance, naissance et organisation, Robert Long, 1945. — Rome (collection « Les grandes villes du monde »), La Documentation française, 1970. — Ils partiront dans l’ivresse, Seuil, 1984. — Cette exigeante liberté. Entretiens avec Corinne Bouchoux, L’Archipel, 1997. — La Résistance expliquée à mes petits enfants, Seuil, 1999.
En 1997, le réalisateur Claude Berri avait fait le récit de sa vie dans le film Lucie Aubrac, avec Carole Bouquet et Daniel Auteuil. Son histoire avait inspiré deux autres films, L’Armée des ombres (1969) de Jean-Pierre Melville avec Simone Signoret et Boulevard des hirondelles (1991) de José Yanne avec Elizabeth Bourgine.

SOURCES : Entretiens avec Lucie Aubrac.— Paru depuis la rédaction de cette notice : Laurent Douzou, Lucie Aubrac, Perrin, 2009, 376 p.

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