Par Nicolas Aubin
Né le 19 octobre 1901 à Sotteville-lès-Rouen (Seine-Inférieure, Seine-Maritime), fusillé comme otage le 23 mai 1942 au Mont-Valérien, commune de Suresnes (Seine, Hauts-de-Seine) ; instituteur ; militant syndical ; dirigeant communiste de Seine-Inférieure (Seine-Maritime) ; secrétaire régional du Parti communiste ; résistant du Front National.
André Pican demeure la figure emblématique communisme haut-normand. Cet instituteur devenu cadre du Parti communiste renvoie à l’image du hussard de la République au poing rouge.
Fils d’Eugène Pican, employé d’administration, et de Marie Juliette Larrue, institutrice, il grandit dans la banlieue industrielle rouennaise et perpétua la tradition familiale. En 1917, il entra à l’École normale d’instituteurs de Rouen où il rencontra Germaine Morigot qu’il épousa le 24 septembre 1923 à Malaunay (Seine-Maritime). Qu’il enseigne dans un quartier populaire d’Elbeuf ou dans les communes rurales de Robertot et de Hautot le Vatois, il inspirait la même confiance ; il développa de remarquables qualités humaines d’éducateur. Passionné, sa carrière et sa vie s’apparentent au parcours classique d’un instituteur brillant et proche des gens. Il s’occupa du secrétariat de deux mairies rurales et adhéra, avec son épouse, au Syndicat des membres de l’enseignement laïc (CGTU) puis, après 1936, au Syndicat national des instituteurs. Il fut élu membre du conseil syndical de la section départementale en 1937, et lors de l’assemblée générale de celle-ci en mai 1937, déposa un ordre du jour demandant la reconnaissance du Premier mai comme fête légale. Gréviste le 30 novembre 1938, il démissionna du conseil syndical en avril 1939.
Sympathisant du Parti communiste dès l’origine, il ne prit pas pour autant sa carte. En 1934, conscient du danger fasciste, témoin des difficultés que traversaient les ouvriers du textile elbeuvien ou les journaliers du plateau, il adhéra au Parti communiste en décembre, « par affinité », sans avoir été recommandé, ne connaissant pas de militants. Ce fut donc un choix personnel mûrement réfléchi, d’autant qu’adhérer au PCF alors qu’il résidait au plus profond des campagnes du plateau de Caux, n’était pas chose aisée. Tous les jeudis, il se rendait à Rouen, à quarante kilomètres, pour assister à des réunions. Il se vit confier la tâche de monter une cellule communiste à Yvetot.
André Pican commença son travail en constituant et en faisant agir un comité Amsterdam-Pleyel. Il édita un petit journal ronéotypé à deux mille exemplaires qui fut non seulement distribué dans les rues, mais aussi démarché à domicile. À la conférence régionale de fin décembre 1935, l’instituteur de campagne fut remarqué par le délégué du Comité Central, Léon Mauvais :
« De l’intervention du camarade A. Pican, instituteur à Yvetot, il ressort que, s’il y a six mois, nous n’avions rien dans cette commune – il y a eu au contraire une certaine hostilité – nous avons maintenant pris pied. Nous avons une cellule de dix membres et des liaisons avec des camarades à Caudebec, centre d’aviation avec quatre camarades, à Gravenchon (pétrole) avec quelques camarades et enfin de bons rapports avec les camarades SFIO à Yvetot et à Lillebonne. » Signe de l’influence personnelle d’André Pican à son départ, la cellule d’Yvetot disparut.
En octobre 1936, il s’installa à Maromme dans la banlieue textile de Rouen et fut nommé secrétaire de la section des vallées du Cailly et de l’Austreberthe. Dans ce nouveau milieu, il se dépensa sans compter et l’implantation communiste prit une nouvelle dimension. Il lui manqua deux cents voix pour être élu aux cantonales de 1937. Ses qualités éminentes d’organisateur lui valurent d’être désigné responsable régional à l’éducation et au Comité de presse. Il donna à la diffusion de l’Avenir normand un nouvel élan et créa l’Informateur populaire, journal de la section des vallées. À tous les échelons, il organisa de multiples écoles du parti. Avec l’aide de la maison du Peuple de Maromme, il mit sur pied une cérémonie pour le cent-cinquantenaire de la Révolution de 1789. Enfin, André Pican multiplia les fêtes populaires.
Il éleva une pupille de l’Assistance publique et accueillit une réfugiée espagnole et son enfant de dix ans, ce qui lui donna une autorité indéniable quand il appela à l’aide pour les réfugiés espagnols. En 1938, il entra au bureau régional dont le secrétaire Georges Déziré était son meilleur ami.
À la mobilisation, sans affectation militaire, André Pican en profita pour reprendre en main la direction régionale malmenée par les répercussions du Pacte et la mobilisation. Le 27 septembre 1939, le PCF fut dissous. Promu en l’absence de Déziré, membre du triumvirat régional et responsable à la propagande, il composa, à l’aide d’une ronéo, une édition régionale de l’Humanité clandestine et aussi un journal local, La Vérité. Il s’imposa comme l’élément moteur et incontournable de la direction régionale.
Appelé sous les drapeaux en janvier 1940, classé « Propagandiste Révolutionnaire », il fut caserné à Rouen d’où il put rentrer chaque soir chez lui ; soirs qu’il occupa à la rédaction de tracts et à la réunion des dirigeants locaux. Avec la plongée dans la clandestinité du secrétaire régional, Lucien Vallée, André Pican vit sa position renforcée. Mais la répression le rattrapa et l’armée le muta, le 20 mars 1940, en camp surveillé à Meuvaines dans le Calvados où il se chargea de faire connaître l’évolution du procès des députés communistes. En congé maladie, convoqué par l’inspecteur d’Académie, il refusa de désavouer le Pacte germano-soviétique et fut suspendu de ses fonctions le 13 avril 1940. C’est à Meuvaines qu’il fut arrêté le 13 avril, conséquence de l’arrestation de Lucien Vallée. Emprisonné à la prison Bonne-Nouvelle à Rouen, il fut transféré au bagne de Beaulieu dans les conditions dramatiques de l’exode ; bagne dont les portes s’ouvrirent à l’arrivée des Allemands.
André Pican rentra à Rouen où il retrouva Georges Déziré et s’attela une nouvelle fois à la réorganisation d’un parti démantelé. Il fut le principal rédacteur des publications communistes régionales.
Le 22 juin 1941, les communistes apprirent l’opération Barbarossa par un vaste coup de filet de la Gestapo aux domiciles des militants. La femme d’André, Germaine, responsable active au sein du bureau régional, fut arrêtée. La résistance idéologique bascula dans la lutte armée. André Pican, devenu secrétaire régional clandestin, cumula les responsabilités d’organisateur des actions armées et de propagandiste. En Seine-Inférieure, il devint l’homme à abattre pour la police et la Gestapo. La police libéra Germaine en novembre 1941, se servant d’elle comme d’un hameçon, sans succès. Sa tête fut mise à prix dans le Journal de Rouen. Le département devint un séjour impossible. Fin janvier 1942, Marcel Dufriche lui succéda comme secrétaire régional. André Pican, promu instructeur interrégional pour la Manche et l’Indre-et-Loire, monta à Paris, comme adjoint de Félix Cadras, responsable national à l’organisation.
Le 15 février 1942, filé depuis dix jours par onze inspecteurs de police de la BS1, il fut arrêté en même temps que sa femme venue assurer une liaison. D’abord emprisonné au Dépôt, quai de l’Horloge, il fut transféré à la Santé. Durant le trajet, il échappa à ses gardiens mais sa fuite se termina transi de froid dans la Seine. Torturé, ayant tenté une nouvelle évasion sans succès, il a été fusillé comme otage, le 23 mai 1942 au Mont-Valérien, en même temps que Georges Politzer et huit autres victimes (Jacques Solomon, Claude Gaulué, Marcel Engros, Édouard Bidaud, Roger Brun, Albert Hervé, Jean-Claude Bauer, Georges Dudach.
Sa femme (Germaine née Morigot) qui put le voir brièvement le jour de son exécution, fut déportée à Auschwitz le 24 janvier 1943 par le convoi dit des "31 000" (matricule 31679). Elle fut transférée à Ravensbruück le 4 août 1944, puis partit dans le convoi du 2 mars 1945 à Mauthausen, où elle fut libéré le 22 avril 1945. Revenue des camps, elle siégea au Conseil de la République après la Seconde Guerre mondiale. Ils avaient deux filles. André Pican fut inhumé à Colombes puis, le 14 avril 1946, solennellement, à Maromme. Il fut homologué Interné résistant.
À travers cet itinéraire, nous pouvons tenter d’expliquer la délicate alchimie entre culture républicaine et culture militante perceptible chez des militants de la génération du Front populaire. Avec l’Occupation, la clandestinité qui isolait les fédérations, octroya une marge de manœuvre jusque-là inconnue. Résultat, dans ses publications, André Pican adopta parfois, à son corps défendant, une position en marge du Centre. L’auteur appela notamment début 1941 à la Révolution tout en multipliant les références à 1789. On n’efface pas une enfance de fils d’institutrice, une adolescence à l’École normale d’instituteur, des années d’enseignement par une simple prise de carte. André Pican est imprégné de l’imaginaire de 1789. Il est naturel pour lui de recourir à des références qu’il sollicite depuis son plus jeune âge. Cette sélection est d’autant plus légitime qu’elle n’entre pas en conflit avec sa culture militante ; le PCF s’étant fait l’héritier de Robespierre depuis 1935. Il s’agit aussi d’un militant convaincu ayant assimilé l’essentiel de la doctrine marxiste-léniniste, ce qui explique sa position orthodoxe : « Je me suis instruit moi-même en lisant des livres politiques, particulièrement de Jaurès depuis quelques années. Ces lectures me laissaient une impression assez confuse. J’ai heureusement étudié alors les brochures éditées par le CDLP... Marx, Engels, Lénine, Staline (collection des Eléments du Communisme, de l’ABC du Marxisme, de la petite bibliothèque Lénine...). Je reprends actuellement l’étude de ces publications et annote mes brochures, dans la mesure, hélas, où l’accomplissement de mes tâches me le permet. Je prends à ces révisions un intérêt infiniment plus grand, parce que je suis plus lié aux masses et que j’ai pu vérifier combien nos maîtres voyaient justes. [...] J’ai suivi les cours de l’école régionale de Rouen en septembre 1936 (Bouthonnier professeur). »
Chez l’auteur, messianisme révolutionnaire et identité républicaine agissent en synergie, s’alimentant l’une et l’autre et définissant une culture politique propre. Cet aspect est d’autant plus remarquable que sa fonction de responsable à la propagande en fait le dépositaire du message délivré à l’extérieur mais aussi à l’intérieur du Parti. C’est donc à travers le prisme de son interprétation que se construit, au niveau local, la stratégie communiste. Les militants se l’approprient à leur tour, diffusant les représentations d’André Pican dans l’ensemble de l’écosystème communiste normand. Cette biographie, outre son intérêt pour la connaissance de cette figure charismatique, permet donc de saisir l’intégration, l’assimilation et la mutation de la culture politique communiste par la périphérie.
Par Nicolas Aubin
SOURCES : AVCC, Caen (Notes Thomas Pouty). – Arch. Nat. F17/ 27433. – RGASPI, autobiographie d’André Pican du 30 mai 1937, 495/270,/4182, 517/1/1896 et 1908. – Arch. Dép. Seine-Saint-Denis, ex. BMP, bobine 740, Rapport du délégué du Comité central Léon Mauvais à la conférence régionale de la Basse-Seine, 28-29 décembre 1935. – Manuscrit André Pican (février-mars 1941) in N. Aubin, « Le manuscrit Pican », Communisme, no 55-56, 1998, p. 137-181. – N. Aubin, « Centre et périphérie. Les communistes en Seine-Inférieure pendant la drôle de guerre », Communisme, no 53-54, 1998, p. 93-117. – G. Weingartner, La vie héroïque d’André Pican, brochure de la fédération communiste de Seine-Maritime, 1992. – Hommage aux fusillés et aux massacrés de la résistance en Seine-Maritime, brochure de l’association départementale des familles de fusillés et massacrés de la résistance de Seine-Maritime, 1992. – Jean-Marc Berlière, Franck Liaigre, Liquider les traîtres. La face cachée du PCF 1941-1943, Paris, R. Laffont, 2007. – Presse syndicale. – Notes Jacques Girault. – État civil.