NANCY Jean-Luc, Roland, Louis

Par Léon Strauss

Né le 26 juillet 1940 à Caudéran (Gironde), mort le 23 août 2021 à Strasbourg (Bas-Rhin) ; philosophe, professeur de philosophie à Colmar (Haut-Rhin) de 1964 à 1968, puis universitaire à Strasbourg (Bas-Rhin) de 1968 à 2002 ; militant de la JEC, de l’UNEF, du SGEN-CFDT jusqu’en 1967 , du PSU en 1962-1963, acteur important des événements de 1968 à Colmar et à Strasbourg, auteur de nombreux textes sur le politique.

Jean-Luc Nancy
Jean-Luc Nancy

Fils de Roger Nancy, ingénieur général du Service des Poudres, et de Jacqueline Gendronneau, Jean-Luc Nancy fit ses études secondaires au lycée Charles de Gaulle à Baden-Baden (Allemagne occupée) puis au collège Henri IV de Bergerac, au lycée Louis-le-Grand à Paris et au lycée Lakanal à Sceaux. Il suivit ses études supérieures à la Sorbonne.

Agrégé de philosophie en 1964 , docteur d’État (Toulouse, 1987), il enseigna au lycée Bartholdi de Colmar de 1964 à 1968, puis à l’Université de Strasbourg de 1968 à 2002 tout en ayant une importante activité nationale et internationale. Sa jeunesse fut marquée par la JEC (Jeunesse étudiante chrétienne) où il milita et découvrit la politique de gauche non communiste surtout à l’occasion de la guerre d’Algérie (au cours de laquelle il participa à l’organisation de stages clandestins pour des enseignants du futur pays indépendant) en même temps que la politique sociale qui allait conduire à la déconfessionnalisation de la CFTC en CFDT (1964). En 1955, le mouvement était divisé par une condamnation épiscopale et Nancy le quitta en 1956 (il s’éloigna entièrement de l’Église quelques années plus tard). Étudiant, il participa à l’UNEF et au groupe « Reconstruction » de la CFDT, minorité qui proposait l’évolution de la CFTC. Il collabora à Esprit par des articles philosophiques. L’actualité de sa discipline le détacha progressivement de ces collaborations. En 1962 il s’inscrivit au PSU, qu’il quitta au bout d’un an, ne s’adaptant plus à l’esprit d’organisation (il quitta le SGEN-CFDT en 1967). En 1967, il rencontra Philippe Lacoue-Labarthe (avec qui il se trouvait avoir pour ami commun Daniel Joubert).

Dès 1967 s’amorçait une coopération à la fois philosophique et politique qui devait durer longtemps. En 1968, avec notamment Joubert, Théo Frey (exclu de l’Internationale Situationniste en 1967) et Paul Kobisch, le quatuor participa activement aux évènements, dans un esprit partagé entre marxisme non-communiste et situationnisme. Nancy se montra légèrement moins « situ » et plus « marxiste » - termes à manier ici avec précautions, de même que par la suite il fut plus sensible aux nécessités institutionnelles qu’aux représentations conseillistes qui avaient la faveur de Lacoue-Labarthe. Dans les années suivantes, parmi un ensemble de recherches collectives dans l’Université, le duo poursuivit des cours communs sur la politique chez Freud (cf. La panique politique, 2013, republication d’articles de l’époque), chez Bataille*, chez Marx, chez Heidegger, dont les effets se traduisirent dans plusieurs publications ultérieures. En 1981, sur une proposition de Jacques Derrida, ils fondèrent à l’ENS-Ulm le Centre de recherches philosophiques sur le politique qui rassembla jusqu’en 1985 de nombreux chercheurs (entre autres Badiou*, Balibar, Ferry, Kambouchner, Kofman, Lefort, Rancière, Rogosinski). Deux volumes collectifs furent publiés (Rejouer le politique 1981, Le Retrait du politique, 1982). Lacoue-Labarthe et Nancy décidèrent de fermer le Centre en 1984, estimant sa vocation détournée par une tendance croissante favorable à un repli sur la « société civile » selon un modèle inspiré de Solidarnosc (fondé en 1980). En 1980, à l’invitation du Comité d’information sur l’holocauste de Schiltigheim, les deux philosophes avaient prononcé une conférence (publiée dans les actes du colloque en 1981, Les Mécanismes du fascisme) ensuite reprise en versions et éditions successives sous le titre Le Mythe nazi. De 1991 à 1993 ils participèrent au Carrefour des littératures européennes dirigé par Christian Salmon (Penser l’Europe à ses frontières, 1992) et à la fondation du « Parlement international des écrivains ».

En 1983, répondant à une invitation de Jean-Christophe Bailly, Nancy publia dans Aléa un article – « La Communauté désœuvrée » - auquel Blanchot répondit la même année par La Communauté inavouable. Le motif du « commun » puis de l’« être-avec » (modulé en « comparution » dans le livre homonyme avec J.-C.Bailly en 1991) occupa beaucoup de place dans ses travaux ultérieurs (La Communauté désœuvrée, devenu livre en 1985, Le Sens du monde, 1993, Être Singulier Pluriel, 1996, La Communauté affrontée, 2001, Vérité de la démocratie, 2008, Politique et au-delà, 2011 – et de nombreux articles, en particulier dans les collectifs La démocratie, dans quel état ? 2009 et L’idée du communisme, 2009 ou dans les revues Lignes ou Actuel Marx). Son travail dans ce domaine évolua de plus en plus vers une interrogation sur le sens aujourd’hui possible du mot « politique ». En 2013, il travaillait à un réexamen critique du livre de Blanchot sur la communauté, après avoir publié en 2012, Maurice Blanchot, passion politique où se trouve consigné un épisode notable du travail commun avec Philippe Lacoue-Labarthe, au sujet de la politique de Blanchot dans les années 1930.

Marié avec Claire Matet, professeur de lettres, père de deux filles, il se remaria en 1985 avec Hélène Sagan, professeur de philosophie et eut un fils.

Pour citer cet article :
https://maitron.fr/spip.php?article145672, notice NANCY Jean-Luc, Roland, Louis par Léon Strauss, version mise en ligne le 20 mars 2013, dernière modification le 25 janvier 2022.

Par Léon Strauss

Jean-Luc Nancy
Jean-Luc Nancy

SOURCES : Notes de Jean-Luc Nancy. — J. Nida-Rümelin (dir.), Philosophie der Gegenwart in Einzeldarstellungen von Adorno bis v. Wright , 2e éd., Stuttgart, 1999. — J. Derrida, Le toucher, Jean-Luc Nancy, Paris, 2000. – F. Guibal et J.-C. Martin (dir), Sens en tous sens, autour des travaux de Jean-Luc Nancy, Paris, 2004. – B.C. Hutchens, Jean-Luc Nancy and the future of philosophy, Bucks, 2005. — Libération, 11 août 2005. – Jean–Clet Martin, 100 mots pour philosopher de Héraclite à Derrida, Paris, 2005. — Nouveau Dictionnaire de Biographie alsacienne , n° 47, Strasbourg, 2006. — Europe, n° 960, avril 2009, p. 202-299. — Philip Armstrong, Reticulations – Jean-Luc Nancy and the Networks of the Political, University of Minnesota Press, 2009. — Fausto de Petra, Comunità, comunicazione, comune ; Da Georges Bataille a Jean-Luc Nancy, Rome, 2010. — Dictionnaire des philosophes, PUF. — Pierre-Philippe Jandin, Jean-Luc Nancy. Retracer le politique, Paris, 2012. — Benjamin Hutchens (dir.), Jean-Luc Nancy. Justice, Legality and World, Londres-New York, 2012 .

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