BASCH Victor

Par Nicole Racine

Né le 18 août 1863 à Budapest (Empire austro-hongrois) dans une famille hongroise ; exécuté sommaire le 10 janvier 1944 à Neyron (Ain) ; professeur d’esthétique et de science de l’art à la Sorbonne ; président (1926) de la Ligue des droits de l’homme ; président du Comité national du Rassemblement populaire (1935).

8 rue Huysmans. Paris VIe arr.
8 rue Huysmans. Paris VIe arr.

Victor Basch fit ses études (lycée Condorcet, Faculté des lettres) à Paris où son père, Raphaël Basch, correspondant du journal de Vienne Die Neue Freie Press, s’était fixé avec son épouse Fanny Françoise Weissweiler. Agrégé d’allemand en 1885 (après s’être d’abord orienté vers l’agrégation de philosophie), il fut nommé chargé de cours à la Faculté des Lettres de Nancy (littérature étrangère), puis à la Faculté des lettres de Rennes en 1886. Il commençait les deux thèses qui allaient lui demander dix ans de travail, La Poétique de Schiller et L’Esthétique de Kant. Sa vie publique commença avec la conviction qu’il eut en 1897 de l’innocence de Dreyfus. « Il se produisit alors en moi - rappela-t-il au congrès de la Ligue des droits de l’homme, en 1933 - un phénomène étrange. Moi qui, jusqu’alors, n’avais, à proprement parler, éprouvé aucun sentiment social, qui n’avais vécu que pour moi-même, pour mon enseignement, pour mes livres et pour ma famille, qui étais encore moi-même, je me sentis transformé. » Il donna immédiatement son adhésion à la Ligue des droits de l’homme, constitué e en juin 1898 et créa à Rennes en janvier 1899 la première section de province de la Ligue et en devint le président en 1905. Lors du second procès de Dreyfus à Rennes qui s’ouvrit le 7 août 1899, sa maison devint le lieu de rencontre des témoins de la défense ; il fut souvent molesté, à ce titre, par les étudiants nationalistes. L’affaire Dreyfus fit de V. Basch un militant et un militant socialiste. Il a évoqué en 1938 pour le 40e anniversaire de la Ligue comment il était alors entré en contact avec les organisations ouvrières : « Nous sentions bien que ce n’étaient pas les quelques intellectuels que nous étions qui pouvaient affronter victorieusement les haines contre nous conjurées de toute une ville. Il fallait, pour que nous puissions résister et finalement l’emporter, que nous recourrions aux forces ouvrières. J’ai raconté, pour le dixième anniversaire du procès de Rennes, comment Henri Sée et moi nous avons tenté une démarche auprès de la Bourse du Travail ; comment ce n’est pas sans appréhension que, pour la première fois, je suis entré en rapports avec des représentants de la classe ouvrière organisée ; comment nous parvînmes à les convaincre du devoir qu’ils avaient de s’associer à notre mouvement ; comment à partir de ce moment, les petites réunions que nous avions organisées s’élargirent, comment les étudiants nationalistes qui venaient, presque tous les soirs, faire des manifestations devant mes fenêtres, trouvèrent des adversaires de taille et comment, enfin, durant tout le procès de Rennes, une équipe ouvrière protégea les témoins dreyfusards et nous accompagna, quatre fois par jour, Jaurès, Labori et moi-même, de ma maison au Conseil de guerre et du Conseil de guerre à ma maison » (cité par Émile Kahn, Cahiers des Droits de l’Homme, février-mars-avril 1954).

Appelé à la Sorbonne en 1906 à la chaire de littérature allemande, V. Basch fut chargé en 1918 d’un cours d’esthétique et de science de l’art et nommé professeur d’esthétique en 1921. Attiré par Jaurès, il donna son adhésion au Parti socialiste.

Partisan de la paix par le droit et convaincu des responsabilités de l’Allemagne et de l’Autriche, Basch se rallia à l’Union sacrée. En 1915, il écrivit La guerre et le droit où il soulignait le rôle de l’Autriche-Hongrie dans le déclenchement du conflit. En 1916, il fit un voyage aux États-Unis afin de persuader les Juifs américains de hâter l’entrée en guerre de leur pays contre l’Allemagne.

En février 1907, V. Basch était entré au comité central de la Ligue des droits de l’homme ; en juin 1909, il devenait vice-président de la Ligue aux côtés des présidents Francis de Pressensé et Ferdinand Buisson et, en novembre 1926, il était élu président de la Ligue, à la retraite de F. Buisson. Pendant plus de trente ans Victor Basch se consacra à la Ligue, multipliant les conférences, les voyages à l’étranger, les visites des Fédérations. Il se donna à de multiples causes : défense de Caillaux, lutte pour la paix, lutte pour une politique de réconciliation avec l’Allemagne de Weimar, lutte contre l’antisémitisme et défense d’un sionisme modéré. En 1920, il fut un des 158 signataires de la motion « pour l’unité internationale » (cf. > Le Congrès de Tours, op. cit., p. 154). Il n’hésita pas à aller prendre la parole en 1923 à Potsdam, citadelle des organisations nationalistes allemandes. Jusqu’en 1933, il travailla à établir des liens avec les dirigeants de la Ligue allemande des droits de l’homme. Après 1933, il proclama la nécessité de lutter contre le fascisme, aussi bien à l’intérieur qu’à l’extérieur. En de nombreux articles et interventions, il dénonçait la menace que l’hitlérisme faisait peser sur l’Europe, s’opposant à ses collègues « pacifistes » de la Ligue. Il s’opposa à la politique de non-intervention en Espagne, présida avec P. Langevin le Comité d’aide à l’Espagne républicaine, alla à Londres réclamer de l’aide pour les républicains. Il offrit l’asile de la Ligue à de nombreux exilés italiens, allemands, autrichiens, fit de Von Gerlach et de Campolonghi des délégués permanents à la propagande de la Ligue. Il alla en Autriche réclamer du chancelier Schuschnigg le respect des droits de la défense, se faisant le mandataire des socialistes autrichiens.

Après les premiers procès de Moscou de l’été 1936, les membres pacifistes de la Ligue critiquèrent vivement la politique de la LDH vis-à-vis de l’URSS. Le comité central avait désigné une commission de trois membres, chargée d’enquêter sur les procès (composée de Victor Basch, Me Raymond Rosenmark, Boris Mirkine-Guetzévitch). Le 15 novembre 1936, les Cahiers des droits de l’homme publièrent le rapport Rosenmark qui concluait à la validité des aveux et à la culpabilité des accusés. La rédaction des Cahiers refusa de publier les ripostes au rapport Rosenmark notamment le texte adressé par Léon Sédov (le fils de Trotsky) au comité central le 5 janvier 1937 et quelques mois après les seconds procès, un article de Magdeleine Paz dénonçant la complicité de la Ligue. Les minoritaires n’étant pas parvenus à faire discuter la question au comité central, la crise éclata au congrès de Tours de juillet 1937 : 7 membres du comité central démissionnèrent, parmi lesquels Michel et Jeanne Alexandre, Félicien Challaye* et Francis Delaisi*. La majorité de la Ligue, qui était entièrement mobilisée par l’affaire espagnole, approuva l’action du comité central. Victor Basch avait cependant invité Victor Serge à venir s’entretenir avec lui des procès.

À la veille du 6 février 1934, il rencontrait Jouhaux avec Émile Kahn, secrétaire général de la Ligue ; au lendemain du 6 février, il voulut engager la Ligue dans la riposte républicaine. La majorité de la Ligue refusant de s’associer collectivement à la manifestation prévue pour le 12 février, il réserva les droits individuels des membres, faisant savoir qu’il se rendrait à la manifestation. Les Cahiers des Droits de l’Homme consacrèrent deux numéros spéciaux aux événements du 6 février (« Le coup de main fasciste et la riposte républicaine », 20 février-10 mars ; « Le Six Février (après l’enquête). Rapport et conclusion de la Commission spéciale de la Ligue des droits de l’homme », 10 octobre 1934).

Victor Basch devint un des instigateurs de l’unité d’action des forces de gauche. Le 18 janvier 1935, il présidait un meeting commun au Parti socialiste, Parti communiste, à la Fédération de la Seine du Parti radical, au Parti radical Camille Pelletan, à la Ligue des droits de l’homme, à la CGTU, à la CGT. Il présida le Comité national du Rassemblement populaire et fut, avec Émile Kahn, un des organisateurs du Comité d’organisation du 14 juillet 1935. Le 18 juin 1935, il avait avec Paul Rivet rendu visite à Édouard Herriot pour demander au président du Parti radical, au nom de la Ligue des droits de l’homme et du CVIA, de s’associer à la manifestation populaire d’action républicaine prévue pour le 14 juillet. Le 14 juillet 1935, il présida au Vélodrome Buffalo les « Assises de la Paix et de la Liberté », au cours desquelles fut prêté le fameux serment. V. Basch prit la parole et son intervention fut publiée en même temps que la plupart des autres interventions par le numéro des Cahiers des Droits de l’Homme du 10 août 1935.

Victor Basch fit jouer à la Ligue des droits de l’homme un rôle de conciliation au Comité du Rassemblement populaire, notamment dans l’élaboration du programme. « Si le Rassemblement populaire a été créé, - écrit Jacques Kayser (Cahiers des Droits de l’Homme, février 1959) - s’il ne s’est pas disloqué au cours des premières années de son existence, je porte ici témoignage que c’est à Victor Basch qu’on le doit. C’est lui qui, avec Paul Rivet a arraché les adhésions résignées d’illustres réticents, adhésions qui permirent le merveilleux triomphe du 14 juillet 1935 ; c’est lui, Émile Kahn à ses côtés, qui, avec une patience qu’on n’aurait pas soupçonnée chez lui - mais l’enjeu était tel qu’il faisait violence à ses impulsions - calmait les irritations, entreprenait de délicates négociations, rapprochait les points de vue et aussi les hommes et parvenait à maintenir pendant plus de deux années ce qui fut, au-delà d’un rassemblement occasionnel, une communion du peuple français dans un même espoir pour un même idéal. » Le janvier 1936, V. Basch présentait dans L’Œuvre le programme commun du Rassemblement populaire. En 1938, il s’opposa à l’accord de Munich (Cahiers des Droits de l’Homme, 1er novembre 1938) ; en 1939, il protesta contre la volte-face de l’URSS en signant l’Appel de l’Union des intellectuels français (l’œuvre, 30 août 1939).

Pendant l’Occupation, il se réfugia à Lyon avec sa femme, Hélène Furth, (ils avaient cinq enfants). Les Allemands avaient, dès les débuts de leur entrée à Paris, saccagé son appartement et sa bibliothèque. Refusant de se cacher, il était en contact à Lyon avec le Front national. Dans la nuit du 10 janvier 1944, sa femme âgée de quatre-vingt-deux ans, et lui-même, âgé de quatre-vingt-un ans, malade, étaient arrachés de leur domicile par un commando de miliciens et de soldats allemands, dirigé par le chef régional de la milice Joseph Lécussan, Henri Gonnet, chef départemental du deuxième service de la milice et le lieutenant A. Moritz, membre du SIPO-SD allemand à Lyon. On retrouvait leurs corps criblés de balles sur une petite route à Neyron, dans l’Ain.

La Ligue des droits de l’homme commémora la mort de V. Basch le 9 janvier 1945 à la Sorbonne et consacra deux numéros des Cahiers des droits de l’homme à sa mémoire. Dans le cadre du centenaire de l’affaire Dreyfus, et dans le contexte du procès Touvier, la LDH rendit hommage à son ancien président le 10 janvier 1994. Une salle Victor Basch fut inaugurée le 16 mars 1994 à l’Université de Paris I (Panthéon-Sorbonne).

Pour citer cet article :
https://maitron.fr/spip.php?article15837, notice BASCH Victor par Nicole Racine, version mise en ligne le 20 octobre 2008, dernière modification le 23 novembre 2022.

Par Nicole Racine

Victor Basch
Victor Basch
Le mémorial dédié à Victor et Hélène Basch fut érigé en 1945, à l’époque à l’emplacement précis de leur exécution. Il a été déplacé sur son emplacement actuel lors de la construction du viaduc.
Il se trouve aujourd’hui au lieu-dit Combe de Crépieux1, au niveau du 11, chemin de Barry, sous le viaduc Hélène-et-Victor-Basch, localisé en partie à Neyron (Ain).
Jean-Pierre Ravery
8 rue Huysmans. Paris VIe arr.
8 rue Huysmans. Paris VIe arr.

ŒUVRE CHOISIE : L’individualisme anarchiste, Max Stirner, F. Alcan, 1904, VI-294 p. — La Guerre de 1914 et le droit, Rivière, s.d., 111 p. — Les Doctrines politiques des philosophes classiques de l’Allemagne — Leibnitz, Kant, Fichte, Hegel, F. Alcan, 1927, IX-336 p. — Coup de main fasciste. Riposte républicaine [Précédé de : Le Fascisme ne passera pas ! par Victor Basch], Paris, Bibliothèque des droits de l’homme, 6 février 1935, paginé 99-154.

SOURCES : Françoise Basch, Victor Basch ou la passion de la justice. De l’affaire Dreyfus au crime de la milice, Plon, 1994. — Le Congrès de Tours, édition critique, op. cit. — Victor Basch, 1863-1944 par Paul Langevin, Gustave Roussy, Henri Wallon, Émile Terroine, Albert Bayet, Madeleine Braun, Émile Kahn, Ligue des droits de l’homme, s.d. [1945], 28 p. — « Anniversaires. Victor Basch », Cahiers des Droits de l’Homme, février-mars-avril 1954 [article d’Émile Kahn, G. Gombault ; textes politiques de V. Basch]. — « Double anniversaire, Victor Basch, Émile Kahn », Cahiers des Droits de l’Homme, février 1959 [article de Jacques Kayser]. — Victor Basch, la passion de la justice, colloque, 24-25 septembre 1998, Paris. — Sous la direction de Françoise Basch, Liliane Crips, Pascale Gruson, Victor Basch 1863-1944, un intellectuel cosmopolite, Berg international éditeur, 1999. — André Hélard, L’honneur d’une ville. La naissance de la section rennaise de la Ligue des droits de l’homme, Rennes, Éditions Apogée, 2000.

ICONOGRAPHIE : A. Guérin, La Résistance, chronique illustrée, 1930-1950, Paris, 1972-1976, tome 3, p. 183. — Françoise Basch, Victor Basch..., op. cit.

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