BRUNEL Alain

Par Serge Cordellier

Né le 16 février 1948 à Marseille (Bouches-du-Rhône), mort le 23 juillet 2004 à Toulouse (Haute-Garonne) ; ingénieur agronome ; syndicaliste paysan ; cofondateur de l’AFIP et initiateur à ce titre de son réseau national de centres de formation de militants et responsables paysans ; enseignant, militant de l’action éducative.

Alain Brunel naquit en 1948 dans un quartier populaire de Marseille, d’une mère d’origine modeste, Mireille Constantin, et d’un père travaillant chez Alsthom en tant qu’ingénieur « maison », Lucien. Tous les deux étaient nés en 1907 et sont décédés en 1993. Alain Brunel est le plus jeune de sa fratrie (une sœur et un frère aînés). Il passe son bac Math élém en 1965 puis intègre l’École nationale supérieure agronomique de Grignon en 1967, après une année MPC (Maths-Physique-Chimie) à la fac de Marseille et une année de prépa à Paris au lycée Janson-de-Sailly.
Il participe pleinement au mouvement de Mai 68 et en vit ensuite les espoirs et les utopies avec sa compagne Catherine (Cathy), née en 1950 à Paris. Cette dernière est étudiante en Lettres modernes à la Sorbonne. Alain Brunel et Catherine se rencontrent à l’été 1968 et se revoient. Puis ils vivent ensemble et se marièrent en 1975. Catherine avait pour père Jean Pronteau (1919-1984) qui fut résistant (lieutenant-colonel FFI) puis dirigeant du Parti communiste et, à partir de 1973, du Parti socialiste.
Alain Brunel a été fugitivement tenté par l’extrême-gauche. À l’heure où les mirages révolutionnaires se dissipent, certains rêvent de « retour à la terre ». Après recherches et tâtonnements, partagés notamment avec Jean-Louis Renoux, le couple s’installa définitivement à Bouloc au milieu des années 1970, en Haute-Garonne, sur une petite exploitation viticole du Frontonnais. Un chai est loué dans la commune. Alain Brunel ne renie rien de ses convictions. Il rêve de projets collectifs et reste convaincu qu’il faut transformer l’ordre social.
Il attrapa vite le virus du syndicalisme agricole et s’engagea activement au sein du CDJA (Centre départemental des jeunes agriculteurs). Il en devint secrétaire général, dans une équipe soucieuse de « faire bouger les choses » et de bousculer les conservatismes, soient-ils de gauche. C’est le temps des « camarades-syndiqués » (Alain Tapiau, Yves Soudais, Giselle Bressoles, René Baissas, Patrick Lemasle, Marie-Rose Delavergne (Daran), etc. François Féron est animateur-salarié du CDJA, en succession de Jean-Louis Renoux et d’André Badie.
Au titre du CDJA, Alain Brunel siègea à la Chambre d’agriculture, à la Safer (Société d’aménagement foncier et d’économie rurale) et dans d’autres institutions. Cette organisation fut au nombre des « CDJA non alignés », opposition interne à la direction du CNJA (Centre national des jeunes agriculteurs, qui se rebaptisera JA en 2001), organisation « jeunes » de la FNSEA (Fédération nationale des syndicats d’exploitants agricoles). Selon l’historien Jean Vercherand, cette tendance ne comptait plus, à la fin des années 1970, qu’à peine une dizaine de structures départementales (contre plus d’une trentaine en 1971), résultat d’un travail de reprise en main très efficace de l’appareil. La plupart de ces CDJA étaient très militants et pour l’essentiel basés dans Grand-Ouest, le Centre-Est, Rhône-Alpes, Poitou-Charentes (avant, pour cette dernière région, leur auto-sabordage en 1972 par leurs cadres pour rejoindre le mouvement Paysan-Travailleur, mais un CDJA d’opposition se maintint avec des équipes successives en Deux-Sèvres pendant une dizaine d’années).
Alain Brunel et le CDJA de Haute-Garonne étaient liés à cette coordination dissidente des « CDJA non alignés » dont les équipes de direction s’associèrent ensuite généralement dans l’Interpaysanne créée en 1981 (tendance oppositionnelle commune au CNJA et à la FNSEA), animée notamment par Guy Le Fur. La plupart des forces vives de cette tendance, dont l’équipe du CDJA 31 (avec Alain Brunel) démissionnaire du CNJA (avril 1982), fondera cette même année la FNSP (Fédération nationales des syndicats paysans). Cette dernière sera en 1987, avec la CNSTP (Confédération nationale des syndicats des travailleurs paysans), l’une des deux principales composantes de la création de la Confédération paysanne.
La FDSEA (Fédération départementale des syndicats d’exploitants agricoles) de Haute-Garonne avait pour sa part connu une histoire singulière et une trajectoire professionnelle un peu agitée au plan politique. Au tout début des années 1950, en pleine guerre froide, elle avait été exclue par la FNSEA, de même que celles des Landes ou de Charente, deux départements où les communistes occupaient une place prépondérante. Dans les départements où la fédération départementale avait été exclue, des organisations concurrentes avaient été mises en place ou reconnues par la FNSEA.
La fédération de Haute-Garonne exclue fut réintégrée en 1961 et la FDSEA ainsi unifiée. Temporairement avaient donc existé deux fédérations syndicales. L’une d’entre elles, historiquement la plus légitime, avait été créée en 1946 dans le cadre de la CGA (Confédération générale de l’agriculture, organisation unitaire issue de la Résistance), comme ce fut souvent le cas en France. Elle était présidée par le communiste Jean-Baptiste Doumeng (1919-1987), qui avait été secrétaire général de la CGA départementale en 1944 et, quelque temps, trésorier national adjoint de la CGA (1946-1947). L’autre, par le socialiste Bernard Audigé (1922-2004) auquel succéda Pierre Teysseyre (1928-2010). Ils se succédèrent également à la présidence de la Chambre d’agriculture où P. Teysseyre exerça ce mandat pendant un quart de siècle, de 1966 à 1991. Lors de la réunification de 1961, J.-B. Doumeng était devenu, de même que P. Teysseyre, co-secrétaire général de la nouvelle fédération présidée par B. Audigé.
J.-B. Doumeng, militant communiste issu de la Résistance, avait ainsi occupé des responsabilités de tout premier plan à la CGA et à la FDSEA départementales. Il deviendra pour certains médias le « milliardaire rouge » quand il aura bâti un conglomérat agro-alimentaire considérable très orienté sur l’export (Interagra, créé en 1949) grâce à ses relations commerciales privilégiées avec les États du bloc soviétique. Le conglomérat ne survivra pas à la disparition dudit bloc.
En revanche, contrairement à une légende, J.-B. Doumeng n’a jamais occupé de fonction au Modef (Mouvement de défense des exploitants familiaux) créé en 1959 au plan national et dont la direction était principalement procommuniste. Il est vrai cependant qu’à la création du Modef, ce dernier avait été appuyé matériellement [et financièrement] par la FDSEA exclue de Haute-Garonne (témoignage de Frédéric Lindenstaedt en 1984, secrétaire général national du Modef à l’époque). Après 1959, la sensibilité Modef est restée interne à la FDSEA 31, avec un poste de vice-président dédié, occupé par l’un des membres du bureau national du Modef. La fraction communiste a été notamment représentée par Roger Fargues, secrétaire général adjoint de la FDSEA et Rémy Casties, président de sa section des fermiers et métayers.
La FDSEA de Haute-Garonne était en effet, comme huit autres, une fédération dite « unifiée » à gouvernance partagée entre socialistes, dominants dans ce département, et communistes (et dans certains cas radicaux-socialistes) selon un pacte passé entre partis. Ce pacte tiendra jusqu’au début des années 1980. En 1983, la minorité procommuniste soutenait encore la liste FDSEA aux élections aux chambres d’agriculture contre celle de la FDSP (Fédération départementale des syndicats paysans). Ultérieurement se constituera un syndicat Modef.
Après rupture en 1982 avec le CNJA (Centre national des jeunes agriculteurs) et sa maison-mère FNSEA, l’équipe du CDJA avait en effet constitué en 1982 l’ossature de la FDSP. Zéphirin Espagne, de quelques années plus âgé, exerce des responsabilités de premier plan dans cette restructuration syndicale. Il fait partie en 1982 du Secrétariat national (cinq membres) de la toute nouvelle FNSP, avec notamment Marcel Louison (Loire, 1924-2002), Amand Chatellier (Loire-Atlantique), Jean Trohel (Mayenne, 1938-2012) et Paul Philippe (Puy-de-Dôme).
À partir de 1980, Alain Brunel s’engagea très activement dans le projet de l’AFIP (Association pour la formation et l’information paysannes), plate-forme d’échange et de collaboration de syndicalistes, coopérateur et, responsables associatifs progressistes de diverses obédiences, ainsi que des chercheurs, dont il devint l’un des six administrateurs nationaux fondateurs aux côtés notamment de Jo Guénanten (Morbihan), Marcel Louison (Loire), Bernard Thareau (Loire-Atlantique, 1936-1995), Jo Bourgeais (Maine-et-Loire), Bernard Bégaud (Charente-Maritime). Guy Le Fur (Finistère), Amand Chatellier (Loire-Atlantique) et quelques autres, dont Antoine Planèze (Tarn-et-Garonne, 1922-2010) ou Pierre Chambon auront aussi tenu un rôle essentiel dans le développement initial de l’association nationale et dans la définition de sa stratégie.
Alain Brunel crée une association régionale en Midi-Pyrénées, le Centre régional de formation paysanne (CRFP) qui inaugura un réseau de « centres régionaux correspondants » de l’AFIP et qui prendra ultérieurement le nom de « FoRuM » (Formations rurales en Midi-Pyrénées). Il sut nouer à cette occasion des partenariats efficaces, non seulement avec les sensibilités syndicales les plus proches de cette démarche (« syndicats paysans » et « syndicats de travailleurs-paysans »), mais aussi avec les Cuma (coopératives d’utilisation de matériel agricole), les Civam (centres d’information et de vulgarisation pour l’agriculture et le milieu rural), en collaboration étroite avec Bernard Mondy (enseignant-chercheur), ou encore avec des institutions diverses.
Le CRFP-FoRum, créé dans le cadre de l’AFIP, s’affilia ainsi à la Fédération nationale des Civam. C’est un choix stratégique. Il noua également des relations confraternelles avec le courant du Modef (Mouvement de défense des exploitants familiaux) qui est en recherche d’alliances syndicales et professionnelles, autour d’Antoine Planèze. Outre ce dernier, qui est alors président régional du Modef Midi-Pyrénées, et qui devient président du CRFP-FoRum, Bertrand de Galard (Gers, 1927-2011), secrétaire général, Robert Paillet (Haute-Garonne), Bernard et Jeanne-Marie Allix (Ariège) ou encore Alice Monier (Aveyron) du Centre d’initiatives rurales de Millau (CIR) sont au nombre des administrateurs, de même que des chercheurs comme l’économiste Hervé Ossard (INRA) ou le géographe Jean Pilleboue (Université du Mirail [rebaptisée Jean-Jaurès], Toulouse).
En 1982, Alain Brunel abandonna son statut de paysan et devint animateur-formateur, salarié à plein-temps de l’association régionale de l’AFIP, bientôt épaulé par Édith Cathonnet. Il se reconnut pleinement dans la tradition de l’éducation populaire et de la formation de militants et responsables.
Il quitta ce poste fin 1986 pour devenir enseignant, nouveau métier. Il a attrapé le virus de l’action éducative et de la pédagogie. Il enseigna d’abord à la petite école, puis est professeur de maths en collège. Ce choix professionnel avait nécessité de repasser par la case de l’école normale d’instituteurs à près de 40 ans, puis de préparer (par correspondance) et de réussir le concours du CAPES de Maths.
Alain Brunel décèda en 2004 à Toulouse à l’âge de 56 ans, d’un cancer du poumon.
Il aurait aisément pu exercer d’importantes responsabilités, notamment dans le domaine professionnel agricole, mais aussi dans la formation continue. Il aurait pu par exemple ambitionner de succéder à Pierre Teysseyre (déjà évoqué), de formation assez comparable à la sienne et qui a fait une très longue carrière dans la profession agricole. Mais il avait choisi d’autres chemins faits de ruptures, de remises en cause et d’exigences personnelles.
Cathy et Alain Brunel ont eu deux filles, Claire (née en 1981) et Marianne (1985).

Pour citer cet article :
https://maitron.fr/spip.php?article181450, notice BRUNEL Alain par Serge Cordellier, version mise en ligne le 7 juin 2016, dernière modification le 7 juin 2016.

Par Serge Cordellier

SOURCES : S. Cordellier, F. Féron, « Alain Brunel, un paysan pédagogue », Terroirs Demain. Journal d’informations de la Confédération paysanne de Haute-Garonne, n° 24, bimestriel, Toulouse, 2005. – L’Esclop (« Le Sabot »), périodique du CDJA puis de la FDSP de Haute-Garonne (dessins de Pierre Samson) pour la période considérée. – Rapports du CDJA de Haute-Garonne pour la période considérée. – Archives nationales FNSP, Centre d’histoire du travail (CHT) de Nantes (www.cht-nantes.org), 47 boîtes-archives incluant les archives de l’Interpaysanne et la collection Pays et paysans, magazine mensuel de la FNSP (rédaction en chef François Féron, dessins de Pierre Samson).− S. Cordellier, Contribution à l’histoire de l’AFIP dans la période 1980-1987, Paris, 2004, 36 f. Archives AFIP. − Frédéric. Lindenstaedt, Nous autres, Modef. 40 ans de luttes syndicales pour l’exploitation familiale et le 25e anniversaire du Modef, Éd. L’exploitant familial, Angoulême, 1984, multigraphié, 55 f. − S. Cordellier, « La gauche paysanne moderne et la cogestion » [cet article traite des rapports à l’État et à la Profession des courants pré-constitutifs de la Confédération paysanne], in Pierre Coulomb et alii (sous la dir. de), Les agriculteurs et la politique, Presses de la Fondation nationale de Sciences politiques (FNSP), Paris, 1990, pp. 189-196. − S. Cordellier, « Syndicalisme : du monopole au pluralisme », in « L’univers des organisations professionnelles agricoles », POUR, n° 196-197, avril 1998, pp. 137-150. Voir plus particulièrement le § « Aux origines de la Confédération paysanne », pp. 145-147. – S. Cordellier, Des syndicats paysans rouges de l’entre-deux-guerres à la gauche paysanne moderne, 2016, 44 f. (à paraître). − Archives générales AFIP (dont dossiers CFRP et FoRum).

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