Par Jacques Droz
Né le 28 août 1808 à Delitzsch (Saxe), mort le 29 avril 1883 à Potsdam ; économiste libéral intéressé par la question sociale.
Après des études juridiques, Hermann Schulze-Delitzsch devint membre de la cour d’appel de Berlin, puis juge patrimonial dans sa ville natale. En 1848, les expériences de l’Arbeiterverbrüderung ne passant pas inaperçus à ses yeux, il fut élu à l’Assemblée prussienne puis au Landtag de Prusse, enfin au Reichstag de la Confédération de l’Allemagne du Nord et au Reichstag allemand. Comme député prussien, il appartint au centre gauche et joua un rôle considérable dans la formation du Nationalverein et du Parti allemand du progrès (Fortschrittspartei) où il prit une position anti-bismarckienne.
La révolution de 1848 avait fait comprendre à Schulze-Delitzsch, comme à beaucoup d’autres Allemands, que la voie des réformes n’était pas à chercher sur le plan politique, mais social et économique. Partisan d’une économie libérale de marché dominée selon lui par des lois inflexibles, il pensait que le sort des artisans, qu’il connaissait bien et auxquels il était très attaché, ne pouvait être soulagé que dans le cadre d’un régime coopératif qui leur permettrait, en rassemblant leur avoir et sur la base du self-help, de surmonter leur faiblesse matérielle. Hostile à toute intervention de l’État, mais influencé par Lassalle, il estimait que les petites entreprises pourraient ainsi assurer leur existence et disposer des mêmes moyens que les grandes entreprises capitalistes. Il voyait également dans le développement des coopératives une arme contre l’égoïsme et le matérialisme, ainsi qu’un instrument de l’éducation ouvrière à laquelle il attachait une grande importance et pour laquelle il créa en 1871 une Société pour l’élargissement de la culture populaire. Il jugeait enfin que les coopératives fusionneraient les intérêts souvent divergents entre les ouvriers et les artisans et contribueraient à la création d’un puissant Mittelstand (classes moyennes), garant de la paix sociale.
Après avoir créé des associations coopératives de menuisiers et de cordonniers capables d’acheter du matériel brut, Schulze-Delitzsch constitua une société destinée à faire des avances financières (Vorschussverein) aux petites entreprises. Au cours des années cinquante et soixante, il poursuivit sa propagande dans les journaux (Die Grenzboten, Die Zukunft), dans les congrès d’économistes et à la tribune du Landtag prussien où il attaqua durement la politique de Bismarck, En 1873, Schulze-Delitzsch reçut de l’Université de Heidelberg le titre de docteur honoris causa. Son influence ne fut pas négligeable : l’idée des coopératives fut reprise par de nombreux économistes conservateurs (Huber, Ketteler) et libéraux (Harkort, Schmoller, etc.) ; les sociétés de consommation Hirsch-Duncker s’inspirèrent de ses idées. Mais son rayonnement ne fut guère sensible que dans la petite bourgeoisie — les ouvriers ayant été séduits par la propagande lassallienne et les paysans s’enrôlant dans les sociétés dirigées par Raiffeisen —, qui lui devait beaucoup, mais pour qui les considérations caritatives et religieuses étaient essentielles. Il n’est pas possible de dire que Schulze-Delitzsch avait réussi à convertir au libéralisme ne serait-ce qu’une partie de la classe des travailleurs.
Par Jacques Droz
ŒUVRE : Schriften und Reden, prés, par H. Thorwart, 5 vol., 1909-1911.
SOURCES : W. Conze, Möglichkeiten und Grenzen der liberalen Arbeiterbewegung in Deutschland. Das Beispiel Schulze Delitzschs, Heidelberg, 1965. — B. Schulze, « Zur linksliberalen Ideologie und Politik. Ein Beitrag zur politischen Biographie Schulze-Delitzschs », in H, Barthel, E. Engelberg, Die grosspreussisch-militaristische Reichsgründung 1871. Voraussetzuhgen und Folgen, 2 vol., Berlin-Est, 1971. — J.J. Sheehan, German Liberalism in the Nineteenth Century, Chicago, 1978. — T. Ottermann, Arbeiterbewegung und liberales Bürgertum in Deutschland 1850-1863, Bonn, 1979. — Rita Aldenhoff, Schulze-Delitzsch : ein Beitrag zur Geschichte des Liberalismus zwischen Revolution und Reichsgründung, Baden-Baden, 1984.