CORNEROTTE André. [Belgique]

Par Georges Grinberg, Luc Voets, Benoît Cornerotte, Annette Tondeur

Gérouville (aujourd’hui commune de Meix-devant-Virton, pr. Luxembourg, arr. Virton), 12 décembre 1933 − Uccle (Région de Bruxelles-Capitale), 17 février 2022. Prêtre ouvrier puis employé au bureau d’étude de la Fédération générale du travail de Belgique (FGTB), délégué syndical du personnel de la FGTB.

André Cornerotte, s.l., années 1970 (collection personnelle de Benoît Cornerotte).
André Cornerotte, s.l., années 1970 (collection personnelle de Benoît Cornerotte).

André Cornerotte est le quatrième des cinq garçons d’une famille modeste : son père est bûcheron, sa mère femme au foyer. Persuadé des capacités intellectuelles de son enfant de chœur, le curé de Gérouville, village proche de l’abbaye Notre-Dame d’Orval (aujourd’hui commune de Florenville, pr. Luxembourg, arr. Virton), va trouver la mère d’André pour qu’elle accepte que ce dernier fasse des études pour devenir prêtre. André Cornerotte sera le seul de sa fratrie à entreprendre des études supérieures. C’est ainsi qu’il effectue ses études secondaires à Dampremy (aujourd’hui commune de Charleroi, pr. Hainaut, arr. Charleroi) puis, en internat, à l’Athénée de Velaines (aujourd’hui commune de Celles, pr. Hainaut, arr. Tournai-Mouscron), établissement dépendant de la congrégation des Frères Oblats. Il effectue ensuite sept années d’études supérieures réparties entre trois années de philosophie, dont deux candidatures à l’Université catholique de Louvain (UCL – Leuven, aujourd’hui pr. Brabant flamand, arr. Louvain) et quatre années de théologie, puis complète sa formation à Rome (Italie). Au terme de ce parcours, en 1958, il est ordonné prêtre.

André Cornerotte gagne la capitale belge à la fin des années 1950. Il y rejoint la communauté de La Poudrière, une section d’Emmaüs (mouvement fondé en France par l’abbé Pierre en 1949), créée en 1958. La Poudrière est une communauté de vie et de travail composée de compagnons qui déploient leurs activités dans le domaine de l’économie sociale. Au cours des années passées au sein de cette communauté, soucieux de partager les conditions de vie de la classe ouvrière, il suit une formation d’ajusteur. Prêtre ouvrier engagé, il se fait embaucher sous le statut d’ouvrier puis d’employé à EMAC, une entreprise de menuiserie, le 1er juin 1966, au Taxi orange, le 29 novembre 1967, à la Sabena, le 10 février 1969, dont il démissionne le 27 décembre 1970.

Les années 1950 et 1960 sont marquées par de multiples événements qui traduisent des fractures profondes au sein de la société belge, s’exprimant notamment au travers d’importants mouvements sociaux et des multiples tensions au sein de la gauche politique et syndicale. Au plan international, la guerre froide et la décolonisation impriment leurs marques dans les débats et les actions des militants de gauche. Profondément attaché à la justice sociale, au droit des peuples à disposer d’eux-mêmes, à la défense de la cause ouvrière, André Cornerotte fréquente les membres de la Revue Esprit et la section bruxelloise de la Jeune garde socialiste (JGS) à partir de 1966-1967. C’est au sein de cette dernière qu’il rencontre Annette Tondeur qu’il épouse en 1971, union dont naît un fils, Benoît, en 1972. Il collabore également, sous un pseudonyme collectif, à la revue Mai, animée par Marcel Liebman*.
À la JGS, André Cornerotte rencontre René De Schutter* et Roger Piette*, deux militants actifs de la Fédération générale du travail de Belgique (syndicat interprofessionnel socialiste – FGTB), dont il devient proche. Par l’intermédiaire de Roger Piette, coordonnateur du bureau d’études de la FGTB, il a des entretiens avec André Genot*, secrétaire national et leader wallon de la FGTB, et Georges Debunne, secrétaire général de la FGTB-ABVV (Algemeen belgisch vakverbond) depuis 1968. Ces entretiens se concluent par l’engagement d’André Cornerotte au bureau d’études le 10 janvier 1971.
André Cornerotte seconde désormais Roger Piette dans la gestion de la liaison des salaires et des allocations sociales au coût de la vie, par le jeu de l’indexation. Le suivi de ce dossier recouvre maints aspects techniques qui font l’objet de discussions régulières, à haute portée politique, entre les fonctionnaires de l’administration des affaires économiques et les représentants des organisations patronales et syndicales. Les décisions prises influent directement sur la préservation du pouvoir d’achat du monde du travail. Ces aspects techniques portent notamment sur :
-  la composition du panier de produits et de services dont l’évolution des prix mesure l’augmentation du coût de la vie ;
-  la pondération accordée dans le panier global aux différentes catégories qui le composent ;
-  les règles d’application pour l’adaptation des salaires et allocations au coût de la vie ;
-  le calcul du taux de conversion en cas de changement de l’année de référence du suivi de l’évolution des prix.
Le signe le plus visible de la rupture qui modifiera les équilibres d’après-guerre − entre le monde patronal et le monde syndical − ainsi que le mode d’intervention des gouvernements successifs dans les relations sociales est, sans conteste, le premier choc pétrolier de 1973. La hausse du prix de l’énergie se répercute sur les salaires par le biais de l’indexation automatique. Cette spirale prix-salaire alimente les tensions entre les mondes syndical et patronal. Ce dernier demande de revoir l’automaticité de l’indexation. La FGTB s’y oppose. En ces années marquées par des tensions communautaires, des membres francophones du bureau d’études nouent des relations informelles avec des homologues du bureau d’études de la Confédération des syndicats chrétiens (CSC) pour évaluer le degré de résistance du front commun face aux menaces d’une remise en cause du modèle social existant. Dans le contexte de l’élargissement de la Confédération européenne des syndicats (CES - 1973) aux organisations d’obédience démocrate-chrétienne, des contacts sont noués entre la FGTB et la Confédération française démocratique du travail (CFDT) et ont, entre autres retombées, la prise de connaissance des travaux sur l’inflation de Robert BOYER, proche de la CFDT. André Cornerotte va être fortement influencé par ces analyses de Boyer qui remettent en question les analyses dominantes de la crise, perçue comme strictement conjoncturelle, alors que, pour Boyer, l’inflation a démarré dès les années 1960, marquées par une dégradation massive de la rentabilité du capital. En cette période, la croissance de l’économie et la revalorisation des salaires ne reposent pas sur une augmentation significative et soutenue de la productivité. Le report sur les prix du recul de la rentabilité et de la hausse des coûts alimente durablement le processus inflationniste. La FGTB soulignera le caractère structurel de la crise pour s’opposer dans tous les lieux de concertation à des mesures portant sur le blocage de l’indexation et la baisse du coût salarial. André Cornerotte participe à l’époque aux discussions préparatoires et à la rédaction de notes transmises par le bureau d’études à Georges Debunne et à André Genot. C’est dans ce contexte que, à la suite de la nomination de Roger Piette à la direction de l’Institut de formation francophone de la FGTB-ABVV, André Cornerotte se voit confier en 1976 la gestion du dossier de l’indexation.

À l’équilibre fragile qui caractérise les années 1970, succède le basculement du début des années 1980. Inflation, chocs pétroliers, croissance ralentie, hausse et permanence du chômage, détérioration des finances publiques, paralysie du politique empêtré dans le conflit communautaire et les révisions constitutionnelles s’additionnent et figent, dans un équilibre précaire, les rapports de force entre capital et travail. Le basculement du Royaume-Uni et des États-Unis dans une politique de dérégulation néo-libérale brisera ce fragile équilibre. Les pressions exercées sur le franc belge conduisent à la dévaluation de la monnaie nationale en 1982 et à la prise de mesures par la coalition sociale-chrétienne - libérale (gouvernements Martens-Gol) visant à restaurer la compétitivité et à assainir les finances publiques. Les salaires et les cotisations sociales deviennent de façon croissante des variables d’ajustement de la politique macroéconomique. La part des salaires dans le revenu national diminue. Parmi ces mesures, plusieurs portent sur la liaison des salaires et prestations au coût de la vie : sauts d’index en 1984-1985 et 1986. Une nouvelle coalition gouvernementale voit le jour en 1988 pour laquelle la maîtrise des salaires demeure prioritaire. Elle se traduit par l’adoption de la loi sur la compétitivité (6 janvier 1989) et se prolonge par l’adoption du plan global en 1993, introduisant notamment l’indice santé.
André Cornerotte participe aux discussions relatives au changement apporté à la composition de l’indice des prix servant de référence à l’ajustement des salaires et prestations et aux modifications introduites dans les règles d’application de cet ajustement : indice santé, indice lissé, mode de calcul des indices-pivots, évaluation du saut d’index imposé par le gouvernement. Il se voit confier le dossier « Consommation et Environnement » par la FGTB. À ce titre, il siège au Conseil de la consommation, devient administrateur au Centre de recherche et d’information des organisations de consommateurs (CRIOC), membre du comité consultatif des consommateurs auprès de la Commission européenne et du bureau de ce comité. Dans son engagement à assurer la protection des consommateurs, André Cornerotte travaille en étroite relation avec Roger Ramaekers*, membre influent au sein de l’Action commune socialiste et président du secteur coopératif socialiste belge.
À l’époque du secrétaire général, Georges Debunne (1968-1982), sensible à la situation du personnel le moins qualifié de la FGTB (personnel d’entretien majoritairement d’origine espagnole et radicalement opposé au régime de Franco), André Cornerotte présente sa candidature aux élections sociales pour représenter le personnel. Élu membre de la délégation en 1975, il s’emploie à privilégier les salaires les moins élevés en application de la hausse des rémunérations obtenues dans la fonction publique, référence à l’échelle des salaires du personnel de la FGTB. Il siège également comme membre du comité exécutif de la section bruxelloise du Syndicat des employés, techniciens et cadres (SETCa).

André Cornerotte est admis à la retraite en 1995-1996. Privé partiellement d’autonomie, il passe les toutes dernières années de sa vie dans une résidence pour seniors. Il décède agnostique, et peut-être même athée, le 17 février 2022.

Pour citer cet article :
https://maitron.fr/spip.php?article252222, notice CORNEROTTE André. [Belgique] par Georges Grinberg, Luc Voets, Benoît Cornerotte, Annette Tondeur, version mise en ligne le 12 novembre 2022, dernière modification le 10 octobre 2023.

Par Georges Grinberg, Luc Voets, Benoît Cornerotte, Annette Tondeur

André Cornerotte, s.l., années 1970 (collection personnelle de Benoît Cornerotte).
André Cornerotte, s.l., années 1970 (collection personnelle de Benoît Cornerotte).

SOURCE : Papiers de la famille Cornerotte.

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