VOGLET Prosper, Justin. [Belgique]

Par Jean Puissant

Bruxelles (pr. Brabant, arr. Bruxelles ; aujourd’hui Région de Bruxelles-Capitale), 27 juillet 1824 − Bruxelles, 22 décembre 1892. Chansonnier, chanteur ambulant socialiste et rationaliste, fils de Joseph Voglet et de Jeanne Costaguja.

Dans L’hydre du socialisme, gravure de 1879 représentant les principaux représentants de la mouvance socialiste de l’époque, le regard est attiré par le portrait d’un vieillard chenu, au front dégarni et à la barbe blanche. Il tient de la main gauche un violon qu’il sort d’un sac rapiécé tandis qu’en contrepoint, un évêque mitré, d’effroi, lâche son goupillon. Il s’agit de Prosper Voglet, chanteur de rue depuis 1841, aveugle, auteur de chansons démocratiques et anticléricales.

Issu d’une famille d’imprimeurs démocrates de Bruxelles, Prosper Voglet est le fils de Joseph Voglet (Paris, 1799 − Bruxelles, 1843) et de Jeanne Costaguja (Bruxelles, 1801 − 1880). Il a quatre frères et une sœur. En raison de son handicap, il ne peut (et ne peut l’avoir) pratiquer l’activité de sa famille. La légende raconte que c’est lors de son baptême qu’il serait devenu aveugle. Se non e vero… Il est déjà cité comme aveugle méritant dans un ouvrage paru en 1837. Dans un témoignage, il dit avoir commencé ses activités de chanteur ambulant à l’âge de seize ans (confirmé par le recensement de 1842). Il chante toujours en 1880.

Prosper Voglet apparaît, pour la première fois, dans les rapports de police, en 1866, à l’occasion d’un banquet pour l’anniversaire de la Révolution de 1848, organisé par Désiré Brismée. Pourtant, dans l’organe des Solidaires, La Tribune du Peuple du 7 janvier 1863, il répond à une brève du catholique Journal de Bruxelles, datée du 21 décembre 1862, qui le qualifie « de crapuleux aveugle qui gagne péniblement sa vie à courir les estaminets où il chante d’une voix enrouée des chansons que je ne qualifierai pas. » Il réplique : « Voilà 22 ans que je suis chanteur ambulant… Si je n’ai pas le loisir de gagner ma vie en serre chaude, si je procure péniblement le pain à mes enfants par les chansons de ma voix enrouée, je suis en tout semblable aux milliers d’exploités. »

Prosper Voglet ne se contente pas de chanter. Il « écrit » également des textes qui paraissent dans les organes de presse à partir de 1861. Il est en effet mentionné, dès sa création, comme rédacteur de La Tribune du Peuple, organe de l’Association, Le Peuple issu des Solidaires, dont il est membre du Comité en 1868. Il représente la Société des libres penseurs au troisième Congrès de l’Association internationale des travailleurs (AIT) à Bruxelles en 1868. Il est assidu à diverses réunions jusqu’en 1880 certainement. Et il n’hésite pas à manifester ses talents musicaux. Désiré Brismée, en voyage en Suisse, dépeint, dans une lettre à sa femme, sa nostalgie de sa famille et de son domicile … « Au moins quand Prosper ne tient pas séance, on peut faire à son aise. » Ces textes sont d’inspiration démocratique, anticléricale et antimilitariste (Assez de maîtres, Le chant des conscrits, Guerre au ciel, La Marseillaise de 1870, comme cette Fédérale chantée sur l’air de la Plébéienne, écrite à l’occasion de l’anniversaire de la Chambre du travail de Bruxelles qui cherche à réunir tous les syndicats de la ville :

« Assez de maux, de larmes d’infortunes

Groupes épars de vaillants travailleurs,

Fédérons-nous, qu’une action commune

Nous ouvre enfin l’ère des temps meilleurs. »

Prosper Voglet publie quelques textes dans La Voix de l’ouvrier de Louis Bertrand.

Prosper Voglet, excepté en 1880, où le rapprochement de la vieille AIT, avec Brismée notamment, avec l’extrême gauche, y compris anarchiste, pour faire pièce aux modérés qui l’emportent à l’époque, peut faire illusion, n’a jamais côtoyé les milieux anarchistes. Il ne peut en aucun cas être considéré comme tel.

Prosper Voglet est marié à Pauline Junes. Il est le père de quatre enfants dont une fille qui vit en 1873 en concubinage avec le communard Gustave Mondet (né en 1839), typographe originaire de Rouen. Il est le frère de Philippe (né en 1821 ?), fondeur en caractères en 1842, de François-Désiré (né en 1826), typographe, de Joseph (né en 1835 ?), typographe chez Désiré Brismée, et d’Adolphe (né en 1839 ?), typographe. Plusieurs d’entre eux sont mêlés aux organisations laïques et démocratiques, certains apparaissent parmi les responsables du syndicat. Cela fait une sacrée tribu autour de Désiré Brismée, devenu leur beau-père qui a leur âge ou est de peu leur aîné, souvent leur patron. Excepté Désiré mais sans doute (comme Jules d’ailleurs), s’agit-il plutôt d’un fils de Prosper, qualifié parfois de Voglet fils, alors que Prosper est appelé « Voglet père », qui a fréquenté les Solidaires mais surtout Emmanuel Chauvière et les anarchistes en 1879-1880 - la Ligue collectiviste anarchiste mais sans y avoir aucune responsabilité et sans y prendre la parole -, tous évoluent dans la mouvance social-démocrate symbolisée par Désiré Brismée.

Prosper Voglet figure dans L’hydre du socialisme en Belgique, caricature parue dans La Bombe du 21 juin 1879.

Pour citer cet article :
https://maitron.fr/spip.php?article142365, notice VOGLET Prosper, Justin. [Belgique] par Jean Puissant, version mise en ligne le 12 octobre 2012, dernière modification le 6 décembre 2023.

Par Jean Puissant

ŒUVRE : Le Progrès, poème en 4 chants, Bruxelles, Imprimerie Brismée, 1863 − Les Jésuites. Lamentations et imprécations (affaire De Bück), Bruxelles, Imprimerie Brismée, 1864.

SOURCES : MANFREDONIA G., La chanson anarchiste en France des origines à 1914, Paris, 1997, p. 346 − PUISSANT J., « Prosper Voglet, musicien ambulant aveugle », La vie en musique, Cahiers de la Fonderie, n° 25, mai 2001, p. 84-86 − Site : www.demercollectief.be.

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