Par Rachel Mazuy
Né en 1904 à Breslau (Wroclaw, Pologne), mort en 1974 ; militant antifasciste d’origine polonaise, naturalisé français en 1945 ; traducteur et interprète ; critique de théâtre et de cinéma et journaliste politique antifasciste lié au Parti communiste français dans les années trente ; secrétaire de rédaction et critique dramatique de Monde ; critique de théâtre pour L’Humanité ; membre de la Commission exécutive de la FTOF ; interprète pour les Nations Unies et professeur à l’École supérieure des Interprètes et traducteurs après 1945.
Fils de la cantatrice d’origine juive polonaise naturalisée française Marya Freund (1876-1966) et du pédiatre Walter Freund, Stefan Freund quitta très tôt sa Silésie natale. En effet, il suivit sa mère dans ses séjours à Bruxelles Lausanne, Milan, et Paris. Il apprit ainsi le français, l’italien, l’anglais qui s’ajoutèrent à l’allemand et au polonais. Il fit ses études à Paris et à Pérouse. Il rencontra et côtoya alors des artistes, des écrivains et des politiciens comme Jean Cocteau et Jacques-Emile Blanche, Marc Chagall, Anna de Noailles et Paul Painlevé.
Au début des années trente, il était marié à Philomena Nitti (1909-1994), la fille de Francesco Nitti, démocrate libéral et antifasciste italien, amis de Jean-Richard Bloch. De ce fait, il fut très actif auprès des Bloch dans les semaines qui précédèrent leur voyage en URSS pour le Congrès des écrivains soviétique. Il leur fit notamment rencontrer des personnes qui leur seront utiles pendant le voyage jusqu’à Moscou. Il voyait aussi Jean-Richard Bloch* à des réunions de l’AEAR, notamment celle du 6 juillet 1933.
Au début des années trente, du fait de ses liens personnels (avec Francesco et Vincenzo Nitti) ou amicaux (avec Carlo Rosseli, Arturo Labriola, Bruno Buozzi ou l’historien Gaetano Salvamini). il traduisit plusieurs ouvrages d’émigrés antifascistes italiens, tous publiés aux Éditions de Valois. Il fut également le traducteur en français des paroles de La Varsovienne. À ce titre, on retrouve sa collaboration mentionnée pour un disque de Chants révolutionnaires du monde (sans date) et pour une partition éditée en 1948 aux éditons Le Chant du monde [1948, anniversaire des journées glorieuses de février-juin 1848]. Il traduisit par ailleurs des textes de l’anglais et de l’allemand.
À cette même époque, il écrivait aussi sur le théâtre. En 1932, il avait recueilli les propos d’Aleksandr Tairov [Aleksandr Âkovlevitch Tairov] (Quelques mots d’Alexandre Taïroff sur le théâtre, 1932). En 1933, membre de la Commission exécutive de la Fédération du Théâtre Ouvrier Français, il faisait régulièrement (au moins depuis 1931) des conférences ou des causeries, au départ dans le cadre de la Section théâtrale du Salon d’automne (l’Humanité, 10 décembre 1931, p. 2) puis à l’Université ouvrière et avec la FTOF [l’Humanité, 31 mai 1931, p. 2 et 28 février 1933, p. 4, 1er décembre 1933, p. 6 ; l’Humanité, 12 avril 1935, p. 4 : débats sur le théâtre organisé par la FTOF avec Jean-Jacques Bernard, Paul Gsell, Sylvain Itkine, et Jean-Richard Bloch).
Il est annoncé comme collaborateur de la page « Les lettres et les arts » dans L’Humanité à partir de décembre 1935 (15 décembre 1935, p. 8), même si on ne trouve pas d’article signé à son nom avant décembre 1936 [l’Humanité, « ’’Un homme comme les autres’’, par Armand Salacrou. Théâtre de l’Oeuvre », 17 décembre 1936, p. 8]. C’est la première critique théâtrale d’une longue série pour le quotidien communiste.
Il rédigea aussi des articles et des reportages dans différentes publications moins engagées à gauche comme Le Petit journal, Les Nouvelles littéraires, L’Art vivant, Art et Décoration, Lu. Mais, à cette époque, il collaborait de plus en plus à des périodiques de la presse communiste et antifasciste comme Monde (où il fut secrétaire de rédaction et critique dramatique), Regards (critiques de cinéma et de théâtre), Europe, Vu et La Défense (l’organe de la Section française du Secours Rouge international).
En effet, journaliste de théâtre, l’antifasciste émigré était aussi un journaliste politique. Il a assisté au procès Matyas Rakosi en Hongrie en 1924, qu’il le raconta dans l’Humanité en 1935 (l’Humanité [4 avril 1935, p. 4, annonçant pour le 5 une conférence sur « Ce que j’ai vu au procès Rakosy », dans le cadre de l’Exposition internationale sur le fascisme]. Mais surtout, en juin 1934, envoyé à Berlin pendant 16 jours avec Charles Vildrac* par le Comité d’aide aux victimes du fascisme, il réussit à suivre le procès contre les communistes - procès de Kuntz dit procès de Bulowplatz (l’Humanité, 27 juin 1934, p. 4), sans cependant pouvoir voir celui d’Ernst Thaelmann. À son retour, il publia dans Europe en 1934 un récit sur le camp d’Orianenbourg [« Une journée dans un camp de concentration hitlérien », Europe, 15 août 1934]. Plus tard, en 1936, il partit en Roumanie assister aux procès des antifascistes roumains, écrivant en juin des reportages dans Le Petit journal et dans Les Nouvelles littéraires . En juillet, il donna aussi ses impressions sur les procès de ces 19 antifascistes dans L’Humanité (9 juillet) et dans Regards (23 juillet) notamment. Il fit également un voyage en Finlande pour les mêmes raisons. Il publia d’ailleurs la même année 1936, trois ouvrages sur ces procès politiques » : Au nom de la loi ! aux Éditions sociales internationales ; Ce que j’ai vu au procès Anna Pauker et (en allemand) Albert Kuntz, Matyas Rakosi et Toivo Antikain [ Im Namen des Gesetzes ! Ernst Thälmann, Albert Kuntz, Mathias Rakosi, Toivo Antikain (aux Éditions universelles).
Il fit partie du comité qui assista au départ d’URSS des Vildrac* le 28 septembre 1935 en compagnie de fonctionnaires de la VOKS, de Suzanne Téry et d’Ary Sadoul. Par ailleurs, peu avant sa mort, il interviewait Henri Barbusse à Moscou [L’Humanité, « Dernière interview de Barbusse. Quinze jours avant sa mort », 28 août 1937, p. 8. - extraits publiés dans un hommage à Barbusse, deux ans après sa mort]. L’année suivante, il participa aussi avec Paul Gsell au Festival théâtral de l’URSS à Moscou (l’Humanité, 20 septembre 1936, p. 8). Il avait en effet séjourné en URSS plus d’un an, collaborant au Journal de Moscou notamment, ainsi qu’à des journaux et des revues parisiens (sur le théâtre). C’est sans doute à cause de ce séjour qu’il aida André Mazon* dans ses recherches pour les articles de la revue russe L’Héritage littéraire (Literaturnoe nasledstvo), liée à l’Académie des Sciences et à l’Institut Gorki de littérature mondiale [Institut de France, Ms 6779 / Feuillets 160-355 et, sur la revue, Catherine Depretto, « L’étude de la littérature dans la Russie contemporaine », La Revue russe, année 2000, vol. 17, N°1, p. 9].
De retour en France, de 1937 à 1939, le gouvernement de la République Espagnole où il comptait des amis, lui avait confié le poste de rédacteur en chef de l’Agence Espagne, le service officiel de presse des républicains espagnols à Paris. Il fit par ailleurs une série de conférences pour le Comité international d’aide à l’Espagne républicaine [l’Humanité, 20-22 décembre 1937 et 19 janvier 1938]. Il était alors l’ami de Romain Rolland, Henri Barbusse, Paul Langevin, Léon Moussinac et Paul-Vaillant Couturier, ainsi que du journaliste soviétique Mikhail Koltsov et de Vsevolod Meyerhold.
Avec la guerre, même si les autorités ne se doutèrent pas de ses origines juives, il fut arrêté en 1941 et se retrouva interné au Camp du Vernet dans l’Ariège, puis dans les prisons de Figueras de Jaraba en Espagne. Avec l’aide de ses amis, il lui fallu onze mois pour être libéré et débarquer à Alger (en 1944) où il s’engagea dans les Forces françaises libres.
Il obtint de ce fait la nationalité française en 1945. En février 1946, à peine démobilisé et de retour à Paris, le commandant Jean Mayer, lui proposa de devenir interprète au procès de Nuremberg, sous la houlette du Colonel Léon Dostert, professeur français naturalisé américain, chef du service linguistique américain du Procès. Il travailla ensuite aux Nations Unies. Pionnier de cette profession, il enseigna plus tard à l’École supérieure des Interprètes et traducteurs.
Par Rachel Mazuy
Principales publications : Traductions : Carlo Rosselli, Socialisme libéral, Paris : Valois, Suite politique italienne, n° 6, 1930. --- Bruno Buozzi, Vincenzo Nitti, Fascisme et syndicalisme, Paris : Valois, suite politique italienne,N° 2, 1930. — Arturo Labriola. Au delà du capitalisme et du socialisme, Valois, Bibliothèque économique universelle, N° 10, 1932 ; — Nitti Francesco Saverio, Francesco Nitti. L’Inquiétude du monde. La crise, la guerre et l’État, Éd. Denoël et Steele, 1934. — Traduction de la Varsovienne dans 1948, anniversaire des journées glorieuses de février-juin 1848, Paris, Les Editions le Chant du monde, 1948. — Recueil de documents ou de témoignages : Aleksandr Âkovlevich Tairov, Quelques mots d’Alexandre Taïroff sur le théâtre, 1932. — Dossiers biographiques Boutillier du Retail. Documentation sur Roger Vitrac (avec Rageot, Gaston, Kemp, Robert), Édit2 par Boutillier du Retail, 1934-1940. — Ouvrages : Au nom de la loi !, Editions sociales internationales, 1936. — Ce que j’ai vu au procès Anna Pauker, Paris, Impr. "Coopérative Étoile", Éditions universelles, 1936. — Im Namen des Gesetzes ! Ernst Thälmann, Albert Kuntz, Mathias Rakosi, Toivo Antikain, Paris, Editions universelles, 1936. — L’Interprète de conférence, cet inconnu, Vence, 1974 (Manuscrit repris et numérisé par Helga Priacel avec la collaboration de Anne et Matthieu Freund-Priacel, Janvier 2016). En ligne. — Les années pour rien, chronique non éditée, Paris, 1965.
SOURCES : Sophie Coeuré, Rachel Mazuy, Cousu de fil rouge..., op. cit.. — Rachel Mazuy, Ludmila Stern, Moscou-Caucase, Été 1934, Lettres de voyage en URSS de Marguerite et Jean-Richard Bloch, (à paraître aux Éditions du CNRS en 2017). — BNF, Fonds Jean-Richard Bloch, NAF 28222 (180). Institut de France, Fonds André Mazon, Ms 6779. — Stefan Priacel, "L’interprète de conférence, Cet Inconnu". aiic.net. April 26, 2016 ( En ligne).