Par Jacques Droz
Né le 30 novembre 1812 à Weinbach (Hesse-Nassau), mort le 29 avril 1870 à Londres (Grande-Bretagne) ; leader socialiste, fondateur de la Ligue des communistes.
Issu d’une famille de pasteurs, Karl Schapper étudia l’exploitation forestière à l’Université de Giessen. Membre de l’union clandestine des Schwarzen, il fut arrêté après l’affaire du corps de garde de Francfort en 1833, bien qu’il n’eût pas participé au putsch. Émigré en Suisse, il prit part au mouvement mazzinien contre la Savoie et devint à Berne l’un des leaders de la Jeune Allemagne, à laquelle participaient de nombreux artisans émigrés. Avec l’appui du cordonnier Peter Jakob Dorn et de l’imprimeur Michael Roth, il organisa de nombreuses réunions, notamment en juillet 1834 à l’auberge du Steinhölzli, mais la police intervint massivement et à partir de l’automne 1834, le « club » bernois dut mettre fin à son activité. L’action des grandes puissances ayant en 1836 contraint les éléments politiquement actifs à quitter la Suisse, Schapper se rendit à Paris. Ce fut en grande partie sous son influence, ainsi que sous celle du tailleur Christian Weissenbach, que la Ligue des bannis (Geächteten) fit place à celle des justes (Gerechten) qui, tout en restant clandestine, se donna une organisation plus démocratique et moins autoritaire et mit au premier plan la question sociale. Schapper lui fournit ses structures : communes (Gemeinden), districts (Gaue), Chambre du peuple (Volkshalle), formés de militants élus pour un an et constamment révocables. La direction spirituelle fut confiée à Weitling, mais Schapper s’exprima dans un essai sur La Communauté des biens (1838), dans laquelle il voyait la condition de toute démocratie.
La Ligue eut des ramifications en Suisse, en Angleterre et en Allemagne — en particulier à Hambourg — où se forma le tailleur Karl Hoffmann. Cependant, sous prétexte d’avoir participé à la révolte des saisons (1839), Schapper, suivi de l’horloger Joseph Moll et du cordonnier Heinrich Mauer, se rendit à Londres où existaient depuis plusieurs années des sociétés d’émigrés allemands fort actives et où il reconstitua une section de la Ligue des justes. Il y donna également une forte impulsion à la Société communiste de formation ouvrière (Kommunistischer Arbeiterbildungsverein) qui devait devenir un centre du socialisme international mais qui, comme la Société démocratique française de Londres, était encore attachée au communisme utopique de Weitling ou à l’icarisme de Cabet et qui comptait sur la « seule raison » pour faire triompher ses idées. Les conversations qui se déroulèrent à Londres sur le contenu, les objectifs et la réalisation du communisme amenèrent Schapper et ses amis à réviser leur position politique : lié à Harney et aux Fraternal Democrats, influencé par des émigrés qui, comme le peintre Karl Pfander ou le tailleur Georg Eccarius, étaient au courant des travaux de Marx, Schapper rompit avec le socialisme philosophique et sentimental qui avait été le sien. Lors d’un congrès de la Ligue en juin 1847, qui avait été précédé d’une démarche de Moll auprès de Marx à Bruxelles, la Ligue des justes prit le nom de Ligue des communistes et substitua à sa devise « Tous les hommes sont des frères », celle de « Prolétaires de tous les pays, unissez-vous ». C’est sous ce slogan que Schapper publia la Kommunistische Zeitschrift qui donna à la classe ouvrière ses directives en cas de révolution. En décembre se tint, sous la présidence de Schapper et en présence d’un grand nombre de militants comme Harney pour l’Angleterre et Tedesco pour le district de Liège, un second congrès de la Ligue, auquel participèrent Marx et Engels ; ceux-ci réussirent, non sans difficulté, à substituer aux théories utopiques leur conception d’un socialisme scientifique et furent invités à rédiger le Manifeste communiste.
Lors de la révolution de 1848, Schapper regagna Paris où il s’occupa pendant un temps du secrétariat de la Ligue des communistes. Il travailla à la Neue Rheinische Zeitung à partir de juin et fut désigné comme président de l’Arbeiterverein colonais où il fit triompher les idées de Marx, qui l’envoya siéger à la Commission des associations démocratiques rhénanes. Arrêté en juin 1849 à Wiesbaden, il fut déclaré innocent par un tribunal d’assises et put travailler aux côtés de Friedrich Lessner à la reconstitution des communautés de la Ligue. Définitivement expulsé d’Allemagne en juin 1850, il retourna à Londres où, aux côtés de Willich, il prit position contre l’attitude de Marx, enclin à une pause dans l’action « conspiratrice ». Les conditions, selon Schapper, étaient favorables à une reprise de l’action révolutionnaire et la volonté d’une minorité agissante suffisait pour en assurer le succès ; thèse qui eut une certaine audience parmi les ouvriers de Londres et de Paris, ainsi que parmi les communautés suisses et qui lui permit de constituer une « contre-ligue ». Cependant, Schapper se brouilla rapidement avec Willich et se réconcilia avec Marx en 1856. En 1866, il entra au Conseil général de l’AIT et assista comme délégué de l’Arbeiterbildungsverein à la conférence de l’Internationale à Londres.
Par Jacques Droz
SOURCES : A.W, Fehling, Karl Schapper und die Anfange der Arbeiterbewegung bis zur Revolution von 1848, Diss. Rostock, 1922. — G. Becker, « Karl Schapper », in Männer der Revolution von 1848, I, Berlin-Est, 1970. — W. Schieder, Anfange der deutschen Arbeiterbewegung, Stuttgart, 1963. — J. Grandjonc, Waltraud Seidel-Höppner, M. Werner (éd.), W. Strähl. Briefe eines Schweizers aus Paris 1835-1836, Berlin-Est, 1988. — BLDG, op. cit.— Lexikon, op.cit. — Cr. de :Révolution de 1848 (= Publications de l’Ecole Pratique des Hautes Etudes), Mouton, Paris et La Haye 1969, 352 p. In Archiv für Sozialgeschichte, XII. Band, 1972, pp. 718-722