KREBS Robert

Par Peter Huber

Né le 23 juin 1898 à Bienne (canton de Berne), mort le 25 juillet 1982 à Bâle ; élève à la KUNMZ (Université communiste pourles minorités nationales d’Occident) (19231926), délégué au VIe congrès du Komintern (1928) ; membre du bureau politique du Parti communiste suisse (PCS) en 1929 ; rédacteur au Vorwärts de 1953 à 1976.

Apprenti-serrurier à Bienne jusqu’en 1916, Robert Krebs alla travailler à Altdorf (canton d’Uri) à la fabrique de munitions et y adhéra à la Fédération suisse des ouvriers sur métaux et horlogers (FOMH). Rentré à Bienne au printemps 1918, il milita à la Jeunesse socialiste et fréquenta à la fois le cercle des Altkommunisten, groupe d’anciens socialistes de gauche exclu du PS dans les années 1917-1918 avant même la fondation du PCS (1921). Il habita alors chez l’imprimeur F. Jordi fondateur des Éditions Promachos qui travaillèrent pour la mission diplomatique soviétique de Jan A. Berzine, à Berne. Arrêté à Bienne lors d’une émeute en juillet 1918, il passa quatre mois en détention préventive. Élu président des Jeunesses socialistes (région de Bienne) peu après sa sortie de prison, il fut l’objet, en mai 1919, d’une instruction militaire pour instigation à la désobéissance qui lui valut quatre mois de prison ferme.

Krebs quitta Bienne au début de l’année 1921 pour commencer un apprentissage de jardinier à Berne. Devenu président de la Jeunesse communiste de cette ville en mai 1922 il fut licencié et choisi par le Parti pour être envoyé, en février 1923, à Moscou. Membre du parti russe, avec B. Ensner de Bâle et J. Jäggin de Zurich, il fut parmi les trois premiers « étudiants ouvriers » du PCS à recevoir une formation politique en Union soviétique. Il put assister, en tant qu’invité, au Ve congrès du Komintern (1924). Revenu à Berne à la fin de l’année 1926, il fut chargé par la « commission pour la formation » du PCS de donner un cycle de conférences sur la construction du socialisme en Union soviétique. Krebs sillonna la Suisse pendant l’hiver et le printemps 1927, ce qui n’échappa pas aux inspecteurs du ministère public. Ils découvrirent en Krebs un agitateur habile disposant d’une solide formation théorique.

Krebs retourna à l’usine pendant l’été 1927. Il s’établit à Zurich et trouva un poste de manœuvre à « Escher-Wyss », la plus grande entreprise de construction mécanique de cette ville, et haut-lieu des luttes ouvrières. Il fut membre du bureau de la direction cantonale du PC et, au niveau national, responsable de la section syndicale. Fin juin 1928 il partit avec J. Wildberger de Schaffhouse et M. Bodenmann de Bâle pour Moscou et y représenta le PCS au VIe congrès du Komintern.
Rentré à Zurich après un séjour bien plus long que prévu il fut licencié pour absence injustifiée. Devenu un cadre politique expérimenté, il fut engagé par le Parti comme rédacteur au quotidien zurichois Der Kämpfer où, très vite, il se fit connaître comme un défenseur de la nouvelle ligne politique. En mars 1929, lors des préparatifs pour les élections du gouvernement cantonal, ce fut Krebs qui défendit devant l’assemblée des délégués du Parti la proposition majoritaire de ne plus soutenir les candidats socialistes ; la presse socialiste le surnomma « l’homme de Moscou ». Deux mois plus tard, le comité central élargi, orchestré par les émissaires du « Bureau pour l’Europe occidentale » (BEO) l’élut au bureau politique comme représentant de la « nouvelle ligne » et le confirma en tant que rédacteur. L’ascension de Krebs dans le Parti fut l’exemple d’une politique de cadre réussie, ce qui ne fut pas toujours la règle, comme le démontra, début 1929, la défection des trois élèves récemment rentrés de Moscou, P. Thalmann-, E. Illi et H. Erb. En 1930, l’activité de Krebs se déplaça à Bâle, où il devint rédacteur au Basler Vorwärts, remplaçant ainsi le « droitier » F. Wieser. En 1931, il fut nommé secrétaire cantonal et responsable politique de la section la plus forte du PCS, fonction qu’il put maintenir de manière presque continue durant une décennie. Cependant, il ne jouit pas dès le début de la confiance unanime des émissaires : en avril 1930, E. Grube, l’envoyé du BEO auprès du PCS le qualifia, dans un rapport destiné à Berlin, de camarade « encore peu aligné » qui deviendrait, néanmoins, un bon travailleur de parti. Installé au Secrétariat national du Parti en 1930, il survécut à toutes les crises qui secouèrent la direction du PCS en 1931-1932 et se soldèrent par l’éviction successive des secrétaires S. Bamatter, Th. Dunkel et M. Pfeiffer, ainsi que par la disgrâce partielle de Jules Humbert-Droz. Mais en automne 1933, Krebs faillit être emporté dans la tourmente. Plusieurs lettres du Secrétariat politique du Komintern au PCS, ainsi qu’un article de l’instructeur H. Jakobs dans Die Kommunistische Internationale reprochèrent au Parti des « inconstances » dans l’application de la ligne. Étaient notamment visés les deux rédacteurs du Basler Vorwärts, Krebs et E. Arnold, tous deux accusés d’opportunisme envers le Parti socialiste, et sommés de faire leur autocritique. Après une « discussion interne » de plusieurs semaines, Krebs présenta son autocritique devant une assemblée de délégués du Parti, ainsi que dans les colonnes du Basler Vorwärts, et sauva ainsi son poste.

La longévité politique de Krebs fut exceptionnelle. Appartenant à la première génération du PCS, il siégea tout au long des années 1930 au bureau politique et au comité central. Entré comme député au Grand Conseil de Bâle-Ville en 1932, il conserva son mandat jusqu’en 1940, année de l’interdiction du PCS. Il siégea à nouveau au Grand Conseil de 1947 à 1968 et de 1972 à 1976, en tant que représentant du Parti du Travail. Il survécut au tournant du Front populaire. Il occupa l’avant-scène lors du 6e congrès du PCS (mai 1936) en se faisant élire au Présidium du congrès, puis à la commission permanente d’agitation et de propagande du Parti et, lors du 7e congrès (mai 1939), en participant à la commission politique.

Depuis sa première arrestation en juillet 1918, Krebs avait l’habitude des enquêtes judiciaires et des condamnations. En tant que rédacteur à l’organe officiel du PCS, il subit, dans les années 1930, plusieurs procès pour atteinte à l’honneur. Responsable politique du PC à Bâle, chargé, avec R. Frei, ancien étudiant à l’École léniniste à Moscou, de mettre sur pied le réseau clandestin d’acheminement des volontaires, il figura tout naturellement parmi les accusés du procès de l’automne 1937 contre la direction du PCS, pour avoir enrôlé des Suisses pour l’Espagne républicaine. Le Parti calcula plus tard que son activité politique aurait coûté à Krebs deux années de prison. De ses camarades, Krebs attendait non seulement un dévouement au Parti, un engagement désintéressé, mais aussi un train de vie correspondant à celui du militant bolchevique. Un document tiré des archives de Moscou permet de mieux situer ce côté très « exigeant » de Krebs. En août 1936, tout au début des procès de Moscou, le Komintern demanda à Krebs de donner une appréciation politique d’André Wats, apatride réfugié à Moscou, et ancien réfugié clandestin à Bâle où il aida le secrétariat du PC en 1934. Dans sa réponse à Moscou, Krebs souligna la soif d’activité de Wats durant cette période bâloise, avant d’ajouter des éléments qui lui semblèrent essentiels pour qu’aucun poste de responsable ne lui soit attribué : « Il nous semble qu’André ne possède pas non plus une véritable idéologie prolétaire de classe ; il se donne de grands airs ; en effet, il aimait travailler pour le Parti, pourtant, chaque fois que l’occasion se présentait, il ne fit aucun effort pour trouver un travail salarié. Il disait qu’il ne voulait pas se faire exploiter par un capitaliste. C’est pour ça que les camarades dans les usines le prenaient un peu pour un gitan. »

Après l’interdiction du Parti (1940), Krebs participa au travail clandestin, puis à la fondation du Parti suisse du Travail. Durant la guerre, Krebs accompli 1500 jours dans une compagnie de travail, avant de trouver, à la sortie de la guerre, un emploi à sa convenance à la bibliothèque de l’Université de Bâle. Il perdit son travail pour raisons politiques en 1953, ce qui l’amena à entrer à nouveau au service du Vorwärts, quotidien du Parti de langue allemande.

Krebs fut un enfant de la Première Guerre mondiale et de la Révolution d’Octobre. Il resta toute sa vie fidèle au Parti, même s’il connut de dures épreuves comme celle de l’écrasement de la révolution hongroise par l’armée soviétique en 1956. Cet événement eut des conséquences désastreuses pour le Parti, qui se définissait, contre vents et marées, comme ami du projet soviétique. Krebs fut particulièrement ébranlé par la défection de son compagnon de longe date, E. Arnold, issu, comme lui, du mouvement antimilitariste de la période de la Révolution d’Octobre.

Spécialiste des Assurances sociales, doyen du Grand Conseil bâlois, il présida durant 15 ans l’Association cantonale des caisses-maladies bâloises. En 1972, dans son discours d’ouverture de législature, en présence des députés de la nouvelle gauche alternative, issue de la mouvance de 1968, Krebs salua les « nouvelles troupes d’assaut » et donna aux députés une leçon de dialectique matérialiste : « La Société est divisée car de nouvelles forces émergent auxquels le vieux [vieil] ordre des forces périmées aimerait barrer la route. Ce conflit manifeste est à l’origine de la contestation de la jeunesse. À nous, la génération antérieure, de les comprendre. »

En 1976, âgé de soixante-dix-huit ans, Krebs ne se représenta plus, et se retira de la rédaction du Vorwärts.

Pour citer cet article :
https://maitron.fr/spip.php?article75598, notice KREBS Robert par Peter Huber, version mise en ligne le 31 décembre 2009, dernière modification le 4 septembre 2016.

Par Peter Huber

SOURCES : RGASPI, 493 1 633b, 495 91 63. — ARF, Dossier personnel, E 21 9065. — R. Krebs, Dossierpersonnel, Studienbibliothek zur Geschichte der Arbeiterbewegung, Zurich. — Basler Vorwärts, 26 août 1933. — Vorwärts (Basel) 21 juin 1973, 29 avril 1976, 29 juillet 1982. — P. Stettler, Die Kommunistische Partei der Schweiz (1921-1931), Berne, Francke Verlag, 1980, p. 509. — W. Gerster, Die Basler Arbeiterbewegung zur Zeit der Totalkonfrontation zwischen Sozialdemokraten und Kommunisten (1927-1932). Von der Einheitsfrontpolitik zur Sozialfaschismustheorie, Basel, Rotpunktverlag, 1980, p. 314-315. — P. Huber, Kommunisten und Sozialdemokraten, op. cit., p. 346-347.

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