LABÉRENNE Paul, Fabien, Ferdinand

Par Jean Maitron

Né le 5 septembre 1902 à Orléans (Loiret), mort le 9 août 1985 à Paris (XVIIIe arr.) ; professeur agrégé de mathématiques ; militant syndicaliste ; militant communiste.

Paul Labérenne au lycée Henry IV
Paul Labérenne au lycée Henry IV
Communiqué par sa fille

D’origines paysannes gasconnes du côté paternel et artisanales cévenoles du côté maternel, Paul Labérenne naquit de Simon Labérenne, professeur de mathématiques à Orléans et de Marie-Louise née Gastaud, directrice du lycée de jeunes filles en cette même ville.

Après des études secondaires à Orléans (baccalauréat en 1919) puis au lycée Saint-Louis de Paris, Paul Labérenne fut reçu à l’École normale supérieure de la rue d’Ulm en 1922 et en sortit agrégé de mathématiques en 1925. Il témoignait ainsi sur cette période :

« J’ai eu la chance d’avoir eu en classe de première, comme professeur d’histoire (avec au programme la Révolution française), Georges Lefebvre. Sans jamais prononcer le nom de Marx, ni parler de matérialisme historique, ce maître extraordinaire m’a fait comprendre les causes économiques des événements politiques.

A l’ENS j’ai subi de nouvelles influences plus ouvertement marxistes. La vie politique était très intense, avec Georges Cogniot à sa tête jusqu’en 1924, était fort active, quoiqu’assez peu étoffée. Mais ce fut plus encore peut-être la lecture des œuvres de Lénine - et notamment de L’Impérialisme, stade suprême du capitalisme, dont le caractère scientifique me séduisit - qui précipita mon évolution. Dans ma dernière année d’école, je pris la décision de contacter la cellule communiste dont le secrétaire était alors [René Joly_>89589], mort en 1974. Ne me sentant pas encore assez mûr pour entrer dans le Parti, je marquai néanmoins ma volonté de m’affirmer comme sympathisant actif, en adhérant, dans les derniers mois de 1924, à la CGTU.

Je participai également à cette époque, aux travaux du groupe d’études marxistes que Marcel Fourrier qui venait de remplacer Barbusse à la direction de Clarté, avait organisé à l’École normale avec l’aide de Georges Friedmann »

Après avoir accompli son service militaire dans l’artillerie à l’école d’application de Fontainebleau, en 1925-1926, comme sous-lieutenant, Paul Labérenne passa deux années comme professeur au lycée français Chateaubriand de Rome, durant lesquelles il fut en rapport avec les mathématiciens italiens Volterra, Levi-Civita, Enriques, collabora à la revue de philosophie des sciences Scientia, traduisit en français, en 1930, les Leçons de Géométrie projective de Federigo Enriques et publia, dans une revue italienne, un mémoire sur certaines fonctions discontinues.

Nommé en 1928 professeur à Châteauroux (Indre), Paul Labérenne adhéra au syndicat des personnels de l’enseignement secondaire et reprit en même temps sa carte au syndicat unitaire départemental de l’enseignement où il eut la naïveté, selon Georges Cogniot (Parti pris, t. 1, p. 172), de se réclamer de son amitié pour lui auprès des enseignants trotskystes « qui avaient la haute main sur le syndicat, ce qui lui valut [...] un accueil plus que froid ».

L’année suivante, Paul Labérenne était nommé au lycée Marceau de Chartres, ville où n’existait alors aucun syndicat unitaire de l’enseignement. Il milita donc à la section du SPES dont il devint l’un des secrétaires. Il précisait plus tard « Mais je travaillai aussi dans la section des professeurs et assimilés de la Fédération unitaire de l’enseignement, collaborant en particulier, à L’Université syndicaliste, avec Georges Cogniot, Jean Bruhat, Marcel Cohen*, Maurice Husson, Marcel Prenant*, Henri Wallon* et bien d’autres, et participant aux réunions qui avaient lieu dans le sous-sol de la Maison des Syndicats du XIIIe. J’intervins, par ailleurs, dans divers congrès du SPES à Paris. Enfin, en 1931, je pris part à la Conférence nationale de Limoges de la Fédération unitaire de l’enseignement où la tendance communiste était minoritaire et présentai un rapport sur l’enseignement technique au nom de la section des professeurs et assimilés. En mars 1932, je créai en Eure-et-Loir avec Marcel Bonin* un syndicat unitaire de l’enseignement ». Cette même année, il collecta pour le congrès d’Amsterdam auquel il assista en août 1932, et dont il fit trois mois plus tard un compte-rendu dans une réunion publique à Dreux, le 27 novembre. Selon le rapport de police, après une réunion syndicale à Chartres, le 3 mars 1932, il serait défendu d’être communiste et il « reste et restera dans le domaine syndicaliste ».

Nommé en 1932 au lycée Rollin, aujourd’hui Jacques-Decour, Paul Labérenne y resta de 1932 à 1935, puis professa au lycée Henri IV de 1936 à 1939. A Rollin, il se lia d’amitié avec Jean Baby*. A Henri IV, il retrouva René Maublanc* qu’il avait connu à l’ENS où il travaillait alors au Centre de documentation sociologique créé par Célestin Bouglé.

Dans cette période qui précéda immédiatement la guerre, son activité militante fut la plus grande. Il continua à écrire dans L’Université syndicaliste et collabora à L’Internationale de l’enseignement, revue de l’organisation de même nom dont Georges Cogniot était le secrétaire, notamment en novembre 1933 avec un article sur « L’École en URSS ». Il écrivit aussi dans La Lutte antireligieuse et prolétarienne avec le docteur Georges Galpérine, Baby et quelques surréalistes, dans Le Monde, dans l’Humanité et dans L’Almanach ouvrier et paysan, avec des articles généralement consacrés aux sciences et à leur histoire ou à la lutte contre l’irrationalisme, dans Regards, Notre Jeunesse, Commune, dans Europe enfin, avec notamment une étude sur « Descartes savant » dans le numéro spécial de 1937.

Professeur à l’Université ouvrière dès sa fondation dans l’année scolaire 1933-1934, Paul Labérenne fut chargé jusqu’à la guerre d’un cours sur « L’Origine et la fin des mondes », étude historique marxiste des problèmes cosmogoniques. Il reprit ce thème dans de nombreuses conférences, à l’extérieur de l’UO et à l’Institut antireligieux en 1934, peu avant sa disparition. Son cours, enrichi d’un certain nombre de compléments, fut publié en 1936 aux Éditions sociales internationales sous le titre raccourci L’Origine des mondes. Le livre eut plusieurs éditions, la dernière en 1953, et connut de nombreuses traductions. Son tirage total en France a dépassé 25 000 exemplaires.

En 1937, Paul Labérenne collabora au « Cours de marxisme » organisé par Baby à la Mutualité, qui fut répété dans plusieurs villes de province. Il fit partie du petit groupe de professeurs et de chercheurs qui, au sein du Cercle de la Russie neuve fondé par Gabrielle Duchêne en 1927-1928, devenu en 1936 l’Association pour l’étude de la culture soviétique, voulurent étudier le marxisme comme méthode scientifique en sympathie avec l’expérience soviétique. Il milita à la section scientifique animée par Paul Langevin et Henri Wallon* ; il y fit trois conférences dont trois d’entre elles, « Les Mathématiques et la technique », « Le Matérialisme dialectique et les sciences », faites en 1933-1934 et « Efficacité politique et sociale du positivisme et du marxisme » donnée un an plus tard, furent publiées dans les recueils A la lumière du marxisme aux ESI.

Quelques années avant la guerre (le premier projet date de 1933) J.-M. Lahy et Paul Langevin fondèrent le « Groupe d’études matérialistes » où ils rassemblèrent un certain nombre de savants et d’universitaires intéressés par le matérialisme dialectique. Paul Labérenne y participa et fit un exposé sur les tendances modernes des mathématiques en collaboration avec Jacques Chapelon, professeur à l’École polytechnique. A partir des travaux de ce groupe, Paul Langevin envisagea en 1938, avec Georges Cogniot, de publier une nouvelle revue La Pensée. Paul Labérenne collabora au premier numéro paru en 1939 à la veille de la guerre, avec quelques pages sur les mathématiques et reprendra sa collaboration dès la reparution de la revue après la guerre.

Paul Labérenne se maria le 18 juin 1935 à Paris (XIVe arr). Le couple eut trois enfants.

Mobilisé à la fin d’août 1939, Paul Labérenne fit toute la guerre sur la Ligne Maginot comme lieutenant observateur. Fait prisonnier le 2 juillet 1940, il passa cinq années en captivité : août 1940- août 1942 à l’Oflag IIIC de Lübben, août 1942-août 1944 à l’Oflag VID de Münster, 1944-1945 à l’Oflag XC, Sonderlager (camp spécial) de Lübeck, réservé aux officiers qualifiés de « d.f. « (deutschfeindlich) : juifs, gaullistes, communistes, récidivistes de l’évasion, etc. Dans ce dernier camp avait séjourné le fils aîné de Staline et il rencontra, entre autres, Robert Blum*, le fils de Léon Blum, Max Lejeune et Georges Gosnat. Dans les deux premiers camps, il continua à avoir une activité universitaire se consacrant surtout à la préparation de ses camarades de captivité aux examens (baccalauréats, certificats de licence, cours de probabilité, d’astronomie, calcul, et même agrégation). Il fut ainsi « doyen » de la Faculté des sciences de l’Université du camp de Münster dont le « recteur » était Pierre-Henri Simon, un de ses anciens camarades de l’ENS. Il fut libéré par les anglais à Lubeck.

Au point de vue politique, Paul Labérenne organisa, dans le camp de Lübben, le regroupement des éléments communistes ou sympathisants. Ceci aboutit à la création d’un groupe, puis d’une organisation structurée (au camp de Münster en 1942) avec deux cellules, une cellule d’officiers et une cellule de soldats (ordonnances), organisation dont il était le responsable. De cette époque, datait son adhésion au Parti communiste.

Son action, en dehors de l’enseignement de la théorie marxiste, comprenait la lutte contre les collaborateurs et, d’abord contre ceux qui voulaient amener les officiers à travailler volontairement pour les Allemands, l’organisation de l’écoute des radios alliées, l’aide (à Münster) aux prisonniers soviétiques d’un camp voisin qui souffraient de la faim, l’envoi d’argent au Secours rouge en France et la préparation d’évasions, de plus en plus difficiles à réussir. En 1944 le groupe décida d’adhérer individuellement au « Groupe d’Alger » (groupement gaulliste du camp de Münster). A côté de l’organisation communiste, il anima le « Groupe laïque » au côté de son président René Passeron*, professeur de philosophie et également membre de la cellule, qui réunissait un nombre beaucoup plus grand d’officiers, sympathisants communistes, socialistes, radicaux, etc. généralement membres de l’enseignement. Il comptait notamment dans ses rangs René Billières*. Ces activités qui, bien qu’en partie clandestines, étaient néanmoins connues ou soupçonnées par les Allemands qui le firent envoyer en août 1944, avec plusieurs dizaines de camarades de captivité, au Sonderlager de Lübeck. Membre de l’organisation de résistance de ce dernier camp, il milita principalement dans le groupe communiste dirigé par Georges Gosnat et [Robert Bouvier-<17703] et fit notamment un cours sur la théorie économique marxiste.

A son retour de captivité, Paul Labérenne professa dans les lycées Condorcet (1945-1947, classe de préparation à Saint-Cyr), Jeanson de Sailly (1947-1960), Chaptal (1950-1968, classe préparatoire à l’École de physique et chimie puis aux ENSI, mathématiques spéciales à partir de 1964) où il finit sa carrière comme professeur d’une classe préparatoire à Centrale. Rentré très fatigué de captivité, bientôt père de trois enfants et chargé à partir de 1950, de classes demandant une préparation absorbante, ses activités extra-universitaires furent un peu moins importantes qu’avant-guerre. Cependant il continua à militer dans les syndicats et les cellules communistes de ses lycées successifs. Il fit des conférences à l’Université nouvelle qui avait remplacé l’Université ouvrière sur « L’Origine des mondes », puis sur l’histoire des sciences, jusqu’en 1967. Il donna pendant quelques années et jusqu’en 1952, des conférences sur « L’Origine des mondes » à l’école centrale du Parti communiste français ; toujours sur le même sujet, il parla à France-URSS.

Collaborateur actif de La Pensée, Paul Labérenne devint membre du comité directeur de la revue à laquelle il donna de nombreux comptes rendus ou chroniques. Il participa aux conférences et colloques qu’elle organisa, sur Copernic en 1953, sur Lénine philosophe et savant, en 1954. Comme la plupart des intellectuels groupés dans l’équipe de La Pensée, il se tint à l’écart lors de l’affaire Lyssenko et de la théorisation des deux sciences. Selon son témoignage : « Le fait d’adhérer au PC et d’en respecter la discipline - qui constituait un engagement essentiel - ne m’a jamais privé de la faculté de juger [...]. Si j’ai pu subir, comme l’immense majorité de mes camarades à une certaine époque, l’influence des « dogmatiques », j’ai trouvé dès le début regrettable la « persécution » dont Marcel Prenant a été l’objet en France, à propos de l’affaire Lyssenko et je n’ai jamais, d’autre part, soutenu la théorie des deux sciences (science bourgeoise et science prolétarienne), développée en 1949-1950 » (lettre à Jean Maitron le 18 mars 1976). Il écrivit également occasionnellement dans l’Humanité, France Nouvelle, dans les Cahiers du communisme et dans les Cahiers de l’Institut Maurice Thorez. Il vérifia l’appareil de notes en 1971 de l’édition de l’ouvrage d’Engels, l’Anti-Dühring (ME Dühring bouleverse la science), traduit en français par Emile Bottigelli en 1950.

Dès son retour de captivité, Paul Labérenne fit partie de l’équipe réunie par Paul Langevin pour préparer l’Encyclopédie de la Renaissance française, projet que les changements politiques empêchèrent de mener à bonne fin. Il milita activement au lendemain de la guerre et pendant plusieurs années à l’Union rationaliste présidée alors par Langevin, puis par Joliot-Curie. Sous la présidence de ce dernier, il donna en 1947, dans le cadre de l’Union, une conférence à la Sorbonne que l’ « Évolution de l’Univers » qui fut publiée avec le concours du CNRS. En 1950, il concrétisa l’admiration qu’il portait à Paul Langevin qu’il avait eu souvent l’occasion d’approcher, en présentant sous le titre La Pensée et l’Action un recueil commenté des textes les plus importants du savant, recueil publié par les Éditions sociales et réédité en 1964. En 1974, il prit part au colloque qui lui a été consacré par le Centre d’études et de recherches marxistes en collaboration avec La Pensée.

Pour citer cet article :
https://maitron.fr/spip.php?article88090, notice LABÉRENNE Paul, Fabien, Ferdinand par Jean Maitron, version mise en ligne le 17 mai 2010, dernière modification le 20 août 2021.

Par Jean Maitron

Paul Labérenne au lycée Henry IV
Paul Labérenne au lycée Henry IV
Communiqué par sa fille
Paul Labérenne en 1971
Paul Labérenne en 1971

ŒUVRE CHOISIE : Paul Labérenne, « Les mathématiques et la technique », pp. 19-38 ; « Le matérialisme dialectique et les sciences », pp. 233-261 in A la lumière du marxisme, Éditions sociales internationales, 1935. – « Efficacité politique et sociale du positivisme et du marxisme », Éditions sociales internationales, 1937. « L’impérialisme » in Cours de marxisme. Deuxième année 1936-193, Bureau d’Éditions, 1937. - « Le Cercle de la Russie neuve (1928-1936) et l’Association pour l’étude de la culture soviétique (1936-1939) », La Pensée, juin 1979.

SOURCES : Arch. Nat., F17/28077 (Dossier Balliccionni), F17/ 29196. - Autobiographie de Paul Labérenne. - Georges Cogniot, Parti pris. Cinquante ans au service de l’humanisme réel. Tome I, D’une guerre mondiale à l’autre, Éditions sociales, 1976, 540 p. - Notes de Jacques Girault et de Nicole Racine.

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