Par Jean Maitron, Claude Pennetier
Née le 13 mars 1878 à Montargis (Loiret), morte le 4 mars 1962 à Pontoise (Seine-et-Oise) ; institutrice ; syndicaliste ; féministe ; dirigeante socialiste puis communiste ; membre du Comité directeur du Parti communiste en 1921 et 1922 ; secrétaire du Comité féminin du PC ; membre du Comité de l’École marxiste ; oppositionnelle de gauche à partir de 1924, quitte le PC en 1926 ; collaboratrice de la Révolution Prolétarienne.
Fille d’un boulanger travaillant à Montargis puis à Paris, Marthe Bigot avait deux sœurs qui devinrent institutrices. Elle fut admise à l’École normale des Batignolles et débuta en septembre 1896 à l’école publique des filles de l’impasse Guéménée (IVe arr.), où elle resta presque toute sa carrière. Elle s’installa la même année, 14, rue Rottembourg dans le XIIe arr. et y accueillit plus tard sa sœur Antoinette, sa cadette de huit ans. Des témoins la présentaient comme une « très bonne pédagogue, aimant son métier, appréciée de ses chefs » mais refusant « la sélection arbitraire » des enfants (A.-M. Sohn, op. cit., p. 324). Féministe convaincue dès les années 1900, elle refusa toutes les demandes en mariage, fit l’apologie de l’union libre et de la maternité hors mariage que sa sœur Antoinette pratiqua. Elles élevèrent ensemble l’enfant prénommé Pierre.
Nous ignorons les dates d’adhésion de Marthe à la Fédération de l’Enseignement comme au Parti socialiste. Son nom apparut dans la presse à partir de 1912 - elle écrivait alors dans la Tribune féministe de l’École émancipée - mais son militantisme devait être bien antérieur, car Marthe Bigot répugnait à se mettre en avant, intervenait peu dans les réunions et ne prenait la plume que sollicitée. Il fallait des circonstances particulières pour que ses qualités militantes soient reconnues de tous.
Son rôle s’affirma pendant la Première Guerre mondiale. En 1916 les rapports de police la présentaient comme une des militantes les plus actives du syndicat des membres de l’Enseignement laïque de la Seine et comme l’adjointe d’Hélène Brion. Au congrès fédéral des 14-15 juillet, dont elle présida la deuxième séance, Marthe Bigot intervint dans la discussion sur la motion Chassagne interdisant aux instituteurs syndiqués de participer aux œuvres de guerre. Elle approuva le principe mais suggéra un amendement autorisant quelques exceptions en faveur des œuvres destinées à secourir les « victimes innocentes », femmes et enfants. Son pacifisme et son féminisme la conduisirent à assurer, en 1916 le secrétariat provisoire de la section française du Comité international des femmes pour la paix permanente, puis le secrétariat adjoint (1916) et le secrétariat (1917) de la Fédération féministe universitaire (FFU) et la direction du groupe du XIIe arr. de l’Union française pour le suffrage des femmes. Elle était gérante du journal de la FFU l’Action féministe, imprimé à Cahors (Lot) et publié à Paris, écrit avec la collaboration de Jeanne Méo et Marthe Pichorel.
Membre du Comité pour la reprise des relations internationales, Marthe Bigot assistait aux réunions sans y prendre la parole. Dans le Parti socialiste, elle soutenait le courant zimmerwaldien. Elle était en 1916, secrétaire adjointe de la 12e section et trésorière adjointe de la Fédération de la Seine. Sa qualité de socialiste la fit choisir par le congrès fédéral de l’Enseignement, réuni à Paris le 3 août 1917, comme porte-parole auprès du groupe socialiste parlementaire : « Marthe Bigot expos(a) les tribulations des congressistes depuis leur arrivée et dit les tracasseries policières subies par les Mayoux et Hélène Brion. Elle demand(a) que ces questions soient portées à la tribune de la Chambre [...] la délégation se retir(a) avec l’impression que sa démarche (était) parfaitement vaine. D’ailleurs Raffin-Dugens résum(a) d’un mot les pensées de tous : « Il ne faut pas compter sur eux » (L’École, n° 46, 25 août 1917, cité dans Le Syndicalisme dans l’Enseignement, op. cit., t. 2, p. 58). Marthe Bigot collaborait alors à de nombreux journaux : l’Equité, « organe socialiste du prolétariat féminin », La Paix organisée, Le Pays, Le Populaire. Le procès d’Hélène Brion tenu devant le conseil de guerre de Paris du 25 au 31 mars 1918, contraignit Marthe Bigot à assurer des responsabilités de plus en plus importantes. L’administration la blâma, avec sept autres militants et militantes, pour avoir envoyé au personnel une lettre protestant contre les poursuites intentées à Hélène Brion.
Militante de la minorité du Parti socialiste, Marthe Bigot entra au conseil d’administration de l’Humanité au congrès d’octobre 1918. En janvier 1920, elle fut élue à la commission exécutive du Comité pour la reconstruction de l’Internationale, mais elle s’en sépara bientôt pour soutenir la motion dite Cachin-Frossard favorable à la IIIe Internationale.
Présente au congrès de Tours (25-30 décembre 1920) comme déléguée de la Seine, elle fut élue suppléante au Comité directeur communiste et quelques jours plus tard, le 4 janvier 1921, nommée membre de la commission de propagande du nouveau Parti communiste. Tous les dirigeants du Parti signèrent un manifeste protestant contre le rappel de la classe 1919. Le gouvernement saisit l’occasion pour demander la révocation de trois instituteurs membres du Comité directeur : Loriot, Treint et Marthe Bigot. Les deux derniers comparurent devant le conseil départemental de la Seine le 2 juillet. Treint fut révoqué par dix-huit voix contre dix et un bulletin blanc, tandis que Marthe échappait à cette sanction par quinze voix contre quatorze. Le ministre passa outre et prononça sa révocation en septembre 1921. La direction du Syndicat national, organisation concurrente de la Fédération de l’Enseignement, s’émut de cette atteinte au pouvoir des conseils départementaux, et, en décembre 1921, lança un mot d’ordre de démission des conseils, largement suivi, mais sans conséquence immédiate sur le sort de Marthe Bigot.
Elle avait siégé au conseil du syndicat de l’Enseignement de la Seine de 1918 à 1920 et participé au congrès syndical de Paris (août 1920) qui se prononça pour le ralliement à l’Internationale de Moscou. Élue à la commission administrative de la CGT en janvier 1920, elle en démissionna aussitôt pour protester contre la faible représentation du courant révolutionnaire. Elle conserva après sa révocation des activités syndicales. Georges Cogniot, dans ses mémoires, indique qu’elle était secrétaire pédagogique du syndicat de la Seine à la fin de l’année 1922 (op. cit., t. 1, p. 85).
Marthe Bigot, plus tentée par l’action politique que par le syndicalisme, consacra l’essentiel de son activité au Parti communiste. Elle se situait dans la gauche du Parti ; aussi au congrès national de Marseille (25-30 décembre 1921) protesta-t-elle contre la non-réélection de Boris Souvarine au Comité directeur. Élue elle-même comme titulaire, elle devint secrétaire appointée (1 000 francs par mois) pour la propagande féministe. Elle était depuis octobre 1921, secrétaire provisoire de la commission d’études pour l’organisation de la propagande féministe. En février 1922, Marthe Bigot prit le titre de secrétaire de la commission centrale du Parti communiste pour le travail parmi les femmes. Elle obtint quelques succès, imposant en particulier l’idée des candidatures féministes aux élections. Elle-même se présenta aux élections municipales du 26 mars 1922 dans le quartier des Enfants-Rouges (IIIe arr.).
Elle créa en avril 1922 le journal l’Ouvrière. Mais les obstacles ne manquèrent pas, en raison de son appartenance à la Gauche et de la nature de ses responsabilités. Dans le Comité directeur elle défendit constamment les positions de son courant : elle signa la résolution de la Gauche sur la commission des conflits en juin 1922, fut nommée le 4 juillet à la commission chargée de rédiger les textes pour le congrès national (sauf pour la résolution syndicale), elle siégea seule de la Gauche à la réunion du CD le 15 août 1922. Le congrès de Paris (15-19 octobre 1922) l’élimina du Comité directeur et du secrétariat du Comité féminin. Marthe Bigot démissionna aussitôt de son poste de rédactrice au journal l’Humanité en signe de protestation. En novembre, elle partit à Moscou assister à l’Exécutif élargi de l’Internationale communiste. Elle représenta la Gauche au IVe congrès de l’IC en novembre-décembre. Le congrès la désigna le 2 décembre comme membre suppléant au Comité directeur français, toutefois, pour des raisons inconnues, les procès-verbaux et le compte rendu de l’Humanité ne mentionnèrent pas son nom.
Elle obtint le rétablissement du secrétariat féminin lors du conseil national de Boulogne, en janvier 1923. Le mois suivant, le CD - dont elle n’était pas membre - la confirma dans ses fonctions. Il entendit son rapport sur les questions féminines à la réunion du 21 novembre 1923 et la chargea d’un exposé pour le congrès de Lyon (20-24 janvier 1924). Marthe Bigot y réaffirma avec force sa volonté de donner à son parti une attitude « différente de celle des anciens partis socialistes qui croyaient avoir tout fait, quand une ligne concernant les femmes figurait à leur programme » (L’Ouvrière, cité par J. Rabaut, op. cit., p. 289). Le congrès ne la maintint pas au secrétariat du Comité féminin et ne l’élut pas au CD. Une nouvelle fois le Comité directeur la rétablit après coup dans ses fonctions. La réorganisation du comité pendant l’été 1924 modifia son titre en secrétaire de la commission centrale féminine.
Marthe Bigot venait d’entrer en opposition avec les directions du Parti et de l’Internationale communiste en participant à la publication de la brochure Cours nouveau (Trotsky) par Boris Souvarine. Elle donna sa démission de sa fonction de secrétaire permanente mais, le Bureau politique réuni le 30 juillet 1924 refusa cette démission. Il émit de sévères critiques sur l’action en milieu féminin : mauvaise préparation de la semaine internationale, caractère « petit-bourgeois » du journal l’Ouvrière. La dureté de ces critiques renforça Marthe Bigot dans son opposition qui se transforma vite en rejet de la politique du Parti communiste.
En février 1925, Marthe Bigot signa la Lettre des 80, affirmant son opposition à la bolchevisation. Elle était alors membre de la cellule du PC n° 1090.
Elle signa, en octobre 1925, la lettre des oppositionnels au Comité exécutif de l’Internationale communiste dite lettre des 250 - cf. t. 16 du Dict. On ignore si elle démissionna ou si elle fut exclue en janvier 1926.
Sur le plan international, fonctionnait l’Internationale des travailleurs de l’Enseignement en liaison avec l’Internationale des syndicats rouges. Un de ses objectifs était la réalisation d’une pédagogie révolutionnaire dont la réalisation était confiée à un secrétariat pédagogique de cinq enseignants français, dont Marthe Bigot, et d’un russe en 1925.
La victoire du Cartel des gauches permit sa réintégration dans l’enseignement en octobre 1924. Elle s’occupa de la Fédération des enfants ouvriers et paysans tout en reprenant une part active à la vie syndicale. Elle appartint à la tendance Ligue syndicaliste qui mena, en 1926, une violente campagne contre la majorité communiste de la Fédération unitaire de l’Enseignement. Marthe Bigot fit partie des neuf militants qui soumirent au congrès fédéral du 6 avril 1928, une motion contre la répression touchant les communistes en URSS et rappelant « le rôle glorieux de Trotsky et de ses camarades et la part qu’ils ont prise à la lutte pour la Russie révolutionnaire en péril » (Le Syndicalisme dans l’Enseignement, t. 3, p. 64). Marthe Bigot, qui connaissait personnellement Trotsky, se mettait en colère lorsqu’on l’attaquait en sa présence. Elle lui rendit visite au début de l’été 1929 lors de l’exil du dirigeant bolchevique à Prinkipo.
D’octobre 1927 au milieu de l’année 1928, elle avait siégé au comité exécutif du Cercle Marx-Lénine de Boris Souvarine. Trotsky la convainquit d’entrer, en août 1929, au comité de rédaction de La Vérité. Elle en signa le Manifeste aux ouvriers révolutionnaires mais rejoignit très vite La Révolution Prolétarienne de Pierre Monatte, avec qui elle avait toujours entretenu de bonnes relations, surtout depuis février 1926. Elle y soutint la perspective de la réunification syndicale - elle-même possédait la carte des deux confédérations. Sa dernière fonction connue fut celle de trésorière du Bureau de la région parisienne de la Fédération générale des retraités, déclaré à la préfecture de police le 22 juillet 1936. Elle soutint la revue La Révolution Prolétarienne au-delà de la Deuxième Guerre mondiale. En février 1957, puis en septembre 1960, elle y publiait encore des articles.
Marthe Bigot a laissé le souvenir d’une militante de qualité, combative, convaincue mais modeste, selon la formule de l’historienne A.-M. Sohn : « une femme toute en finesse et profondeur, un exemple d’équilibre discret ». Ainsi son féminisme « radical » ne fut jamais « provocateur » et, à la différence de celui de son amie Hélène Brion, resta exempt d’antimasculinisme.
Les principales féministes dans le Maitron : https://maitron.fr/spip.php?mot192
Par Jean Maitron, Claude Pennetier
ŒUVRE : Collaboration aux journaux cités dans la biographie et à La Voix des femmes et L’Internationale. — La Servitude des femmes, brochure, 1921 ; réédit. en 1924. — Bulletin communiste, n° 13, 15 janvier 1926, « La nouvelle crise russe et la situation en France ». — « Cent ans de féminisme », La Révolution Prolétarienne, août 1948.
SOURCES : Arch. Nat. F7/13090, F7/13096, F7/13264, F7/13574, F7/13744. — Arch. PPo. 50, juillet 1922. — RGASPI, ITE, 534 6 106. — Arch. Jean Maitron. — I.M.Th., bobines 14, 38, 45, 52, 64, 135, 295, renseignements recueillis par Jacques Girault. — Le Bulletin communiste, 1922. — Contre le courant, 1928. — La Révolution Prolétarienne, février 1926, mars 1962. — Rapport du secrétariat général au Ier congrès du Parti communiste, Marseille, 25-29 décembre 1921. — G. Cogniot, Parti pris, op. cit., t. 1. — Anne-Marie Sohn, Féminisme et syndicalisme. Les institutrices de la Fédération unitaire de l’enseignement de 1919 à 1935, thèse de 3e cycle, Nanterre, 1973. — L. Trotsky, Le Mouvement communiste en France, notes de P. Broué, Paris, 1967. — Le Syndicalisme dans l’Enseignement, op. cit. — Jean Rabaut, Histoire des féminismes français, Paris, 1978. — Notes de Jacques Girault et de Julien Chuzeville. — J. Chuzeville, Fernand Loriot, le fondateur oublié du Parti communiste, L’Harmattan, 2012.