LIN Boqu 林伯渠 (LIN Zuhan)

Par Yves Chevrier

Né en 1882 (ou 86) dans le xian de Lingling, au Hunan ; mort à Pékin le 29 mai 1960. L’un des premiers membres du Tongmenghui (en 1905) et du P.C.C. Président du gouvernement de la région-frontière du Shenxi-Gansu-Ningxia (Shenganning) (1937-1948). Membre du C.C. du P.C.C. à partir de 1938, du B.P. à partir de 1945.

C’est son père, propriétaire foncier et maître d’école du Hunan, qui enseigne les classiques à Lin, avant de l’envoyer compléter ses études au Japon. A 23 ans, en 1905, il y devient l’un des premiers membres du Tongmenghui et noue avec Sun Yat-sen (孫逸仙) (et peut-être Liao Zhongkai (廖仲愷)) des liens étroits qui feront de lui, même après la mort de ses partenaires, l’un des interlocuteurs privilégiés du G.M.D. Revenu au Hunan dès 1908 afin d’y organiser des soulèvements contre les Mandchous, Lin participe à la révolution de 1911 et entre au gouvernement républicain de sa province, aux côtés de Tan Yankai et Cheng Qian. La « seconde révolution » (1913), provoquée par la rupture définitive entre Sun Yat-sen et le Président Yuan Shikai, le contraint à l’exil. Mais il est de retour dès 1915. Trois ans durant, avec Cheng Qian, il va tenter d’arracher sa province natale aux seigneurs de la guerre. Vainement.
Ce nouvel échec l’incite à changer de tactique. A Shanghai où il séjourne à partir de 1918, sous l’influence conjuguée de Li Dazhao (李大釗) et de Chen Duxiu (陳獨秀), il découvre une nouvelle espèce de révolution. Pour lui, toutefois, le marxisme doit servir l’unification politique de la Chine ; Quant à la doctrine économique, le minsheng, troisième principe du Peuple, s’en accommode fort bien. C’est donc en partisan convaincu de Sun Yat-sen et du triple-démisme qu’il adhère au P.C.C. en juillet 1921. (Il n’est pas sûr qu’il ait pris part aux travaux du 1er congrès du P.C.C. à Shanghai en juillet 1921. Certaines sources datent son adhésion des lendemains du congrès). La confusion de l’idéal nationaliste avec le communisme est alors chose plus fréquente que l’appartenance simultanée au P.C.C. et au G.M.D. : tout en anticipant sur le fond les « trois grandes politiques » de Sun Yat-sen, Lin Boqu préfigure, pour la forme, la « double appartenance » qui sera le fondement organisationnel du Front uni (voir Maring).
Ses excellentes relations personnelles avec Sun lui permettent justement de jouer un rôle capital dans le rapprochement entre le G.M.D. et le Komintern, qui s’esquisse dès 1921 : Li Dazhao recourt aux bons offices de Lin afin de persuader Sun du bien-fondé de l’alliance, et pour le mettre en relation avec l’envoyé du Komintern, Maring. En 1922 et 1923, Lin Boqu prépare la réorganisation du parti nationaliste. Dans le G.M.D. réorganisé, les fonctions multiples qu’il occupe (notamment au C.E.C.) témoignent d’une influence comparable à celle de Li Dazhao ou de Tan Pingshan (譚平山). Il dirige le Département paysan (Nongminbu) à sa création en 1924 (de janvier à avril), puis de nouveau en 1926. A ce titre, il a pour subordonnés Peng Pai (澎湃) et Mao Tse-tung (毛澤東). Lorsque (après le coup du 20 mars) Chiang-Kai-shek obtient de Borodine la réduction de l’influence communiste à Canton, Lin perd le Département paysan (au profit de Gan Naiguang (甘乃光)), mais il participe à la rédaction des nouveaux statuts du G.M.D., afin de bien marquer l’agrément — ou la soumission — du P.C.C. (voir Borodine).
Lin était aussi instructeur politique à l’Académie militaire de Huangpu (Whampoa, voir Blücher) ; lors de la Beifa, il devient commissaire politique du 6e corps de l’Armée nationale révolutionnaire commandé par Cheng Qian). La prise de Nankin, le 24 mars 1927, ayant été marquée par de violents « incidents » anti-impérialistes, Chiang Kai-shek blâme publiquement Lin Boqu (ainsi que Li Fuchun (李富春), qui remplit des fonctions semblables à celles de Lin dans la 2e Armée). Lin quitte le front au moment de la rupture entre la gauche et la droite du G.M.D. et devient ministre des Finances du gouvernement de la gauche à Wuhan. Après l’expulsion des communistes du gouvernement de Wuhan (juillet 1927), il s’enfuit à Nan-chang où, lors de l’insurrection du 1er août, il fait partie du comité révolutionnaire et préside le comité des Finances (voir Ye Ting (葉挺) et He Long (賀龍)).
L’insurrection étant rapidement écrasée, Lin suit l’armée Ye-He qui se replie sur le Guangdong, puis se réfugie au Japon. Mais c’est pour gagner Moscou. Il y assiste, en 1928, au VIe congrès du P.C.C. Lin Boqu demeure quatre années en Union soviétique. Jusqu’ici parallèle à celle d’un Tan Pingshan, sa carrière se renouvelle à la suite de ce séjour. L’éloignement le met à l’abri des luttes qui divisent alors le P.C.C. et contribue à effacer l’homme politique, l’homme d’action qu’il était, au profit du gestionnaire et de l’administrateur qu’il devient.
De 1928 à 1930, il étudie à l’Université Sun Yat-sen de Moscou (voir Mif) en compagnie de Xu Teli (徐特立) et de Wu Yuzhang (吳玉章), avec lesquels il s’intéresse à la réforme de l’écriture chinoise. De 1930 à 1932, toujours en compagnie de Wu, il enseigne à des travailleurs chinois en Extrême-Orient soviétique. A Vladivostok, en septembre 1931, il prend part aux travaux de la Ire conférence sur la romanisation du chinois. Lorsque le P.C.C. fait de nouveau appel à lui, en 1932, il a cinquante ans.
Rentré en Chine, il succède à Deng Zihui (鄧子恢) (compromis dans l’affaire Luo Ming (羅明)) au poste de commissaire aux Finances dans le gouvernement central de la République soviétique chinoise, à Ruijin, Jiangxi. Pendant la Longue Marche, il s’occupe du ravitaillement. Après l’installation de Mao Tse-tung dans la nouvelle « base rouge » du nord-Shenxi, il devient (en 1937) président du gouvernement de la région-frontière Shenxi-Gansu-Ningxia (Shenganning). Dans cette fonction, qu’il occupe jusqu’en 1948, il contribue à renforcer l’autorité du C.C. sur les cadres locaux issus, tel Gao Gang (高崗), de la guérilla rurale. Parallèlement, sa longue expérience du G.M.D. lui vaut de seconder Zhou Enlai dans les négociations avec Chiang Kai-shek, à Xi’an, en décembre 1936, puis à Hankou en 1937. Pendant la guerre contre le Japon, partageant son temps entre Yan’an et Chungking, il fait partie de la mission de liaison que Zhou dirige dans la capitale nationaliste.
A l’échelle régionale son influence est prépondérante jusqu’en 1942. Mais, porte-parole d’une version formelle, voire bureaucratique du Front uni et de la « nouvelle démocratie », il est supplanté par le chef du Bureau du P.C.C. pour le Nord-Ouest, Gao Gang, à l’occasion du mouvement de rectification (zhengfeng) déclenché par Mao Tse-tung en janvier 1942. Toutefois, il ne semble pas que cette péripétie ait affecté sa carrière : nommé au C.C. dès octobre 1938, il accède au B.P. et au sommet de la hiérarchie (derrière Mao, Zhu De (朱德), Liu Shaoqi (劉少奇), et Ren Bishi (任弼時)) lors du VIIe congrès du Parti (1945).
Resté dans le Shenxi, il participe à l’organisation du nouveau régime dès la prise du pouvoir en 1949 comme membre de nombreuses « associations de masse » et de la C.P.C.P.C. De 1949 à 1954, il remplit les fonctions peu voyantes mais fort importantes de secrétaire général du Conseil du gouvernement populaire central, organisme suprême présidé par Mao Tse-tung. Il s’identifie parfaitement avec l’esprit moderniste des réformes que décide le Conseil. La mise en place d’institutions nouvelles en 1954 correspond pour Lin à une semi-retraite encombrée de fonctions des vice-présidences — surtout honorifiques : vice-présidence de l’Association pour l’amitié sino-soviétique, de l’Association pour la réforme de la langue chinoise, du comité permanent de l’A.N.P. Le VIIIe congrès du P.C.C. le confirme cependant au C.C. et surtout au B.P., où il obtient même une promotion qui le fait passer du 9e au 8e rang de la hiérarchie et fait de lui, derrière les « grands » du régime, le premier des dirigeants d’importance moyenne. Peu avant sa mort, il approuve (du bout des lèvres seulement) le mouvement anti-droitier qui fait suite aux Cent Fleurs et semble avoir soutenu, mais prudemment encore, l’offensive anti-maoïste de Peng Dehuai (彭德懷).
Aux yeux de ses contemporains, la longue et riche carrière de Lin Boqu, depuis l’adhésion au Tongmenghui dès 1905, se confond avec l’histoire de leur révolution. Il est, avec Wu Yuzhang, Xu Teli, Dong Biwu (董必武) et Xie Juezai, l’un des « Cinq Anciens » (wu lao), vétérans prestigieux, aimés et respectés. Au cours de chacune des époques de la révolution chinoise, il est parvenu à se hisser près du sommet. Car son entêtement se double d’habileté : il a toujours préféré travailler à l’ombre de plus grand que lui. Il n’y avait en lui ni l’amertume d’un Tan Pingshan, ni l’ambition d’un Gao Gang, mais le sûr instinct d’un Zhou Enlai. Ses dernières prises de position, cependant, semblent indiquer que la raison commençait à l’emporter sur l’instinct à mesure que le maoïsme se faisait plus délirant. Salué par Mao Tse-tung, Liu Shaoqi et Deng Xiaoping (鄧小平), Lin Boqù aura quitté la scène comme un grand commis modèle de longévité bureaucratique, mais juste à temps.

Pour citer cet article :
https://maitron.fr/spip.php?article182718, notice LIN Boqu 林伯渠 (LIN Zuhan) par Yves Chevrier, version mise en ligne le 14 décembre 2016, dernière modification le 15 novembre 2016.

Par Yves Chevrier

SOURCES : Outre BH et KC, voir  : MacFarquhar (1974 et 1983). — Selden (1971) et l’esquisse biographique rédigée par Wu Yuzhang in Zhongguo qingnian (La jeunesse chinoise) n° 12, 13-15 (16 juin 1960).

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