Marsoulas (Haute-Garonne), 10 juin 1944

Par André Balent

Le 10 juin 1944, les éléments de la division SS Das Reich basés dans les villages de la basse vallée de l’Ariège (Haute-Garonne) — Vernet, Vénerque, Miremont, Lagardelle-sur-Lèze — avaient été désignés pour assurer une action répressive contre les maquis du piémont pyrénéen (Haute-Garonne, Ariège, partie orientale des Hautes-Pyrénées) et les populations civiles soupçonnées de les soutenir. Dès le premier jour, le maquis de Betchat (Ariège) fut la cible des Allemands. Des communes qui eurent ce jour-là des victimes (Marsoulas, Mazères-sur-Salat, Martres-Tolosane, Lafitte-Toupière (Voir Artigue Paul), Saint-Michel en Haute-Garonne ; Betchat, Fabas, Mercenac en Ariège), Marsoulas fut la plus éprouvée. En représailles à des coups de feu tirés par des résistants, les Allemands tuèrent vingt-sept villageois, tous des victimes civiles — la plus âgée, une femme née en 1879 et la plus jeune, un bébé de trois mois — et un des deux résistants (FTPF). Il y eut aussi quatre blessés parmi les victimes

MARSOULAS (Haute-Garonne) monument commémorant les victimes civiles du 10 juin 1944
MARSOULAS (Haute-Garonne) monument commémorant les victimes civiles du 10 juin 1944
Monument édifié en 1946, commémorant les victimes civiles du 10 juin 1944. Vue générale
cliché : André Balent, 26 juillet 2019

Marsoulas, un petit village du Comminges (Haute-Garonne) :

Marsoulas est limitrophe de Salies-du-Salat (Haute-Garonne) alors chef-lieu de canton (Voir Nougué Ferdinand) et de Betchat, dans l’Ariège, dont les forêts abritait un maquis des FTPF qui était surtout actif dans le Comminges. Le village agricole et forestier de Marsoulas est à quelques centaines de mètres de celui de Betchat. Il est situé sur un versant d’une colline qui domine la basse vallée du Salat, peu avant sa confluence avec la Garonne. Sa population, en 1936, date du dernier recensement avant la Seconde Guerre mondiale, était de 125 habitants. Au printemps 1944, la population villageoise s’accrut de personnes qui voulaient fuir les dangers supposés des grandes villes comme les bombardements dont avait été victime Toulouse et d’autres villes du Languedoc comme Montpellier (Hérault) et Nîmes (Gard). Ainsi Marie Barbe — soeur du maire de Marsoulas, Jean Blanc, élu en 1935, entrepreneur de travaux publics — qui résidait à Toulouse préféra amener ses deux jumeaux de cinq ans, Claude et Michel. Ils furent confiés à sa cousine germaine, Paulette Cazenave et furent hébergés dans la maison Durran, résidence secondaire de M. Durran, industriel à Toulouse, voisine de celle de celle de son frère. De même, la famille Saffon avait préféré quitter Toulouse et ses dangers supposés. Madeleine Saffon s’installa à Marsoulas avec trois de ses enfants et son petit-fils, un nourrisson, Christian. Tous furent massacrés.
Denise Ardichen avait préféré quitter Perpignan (Pyrénées-Orientales) ville jugée trop exposée et résidait à Marsoulas chez un ami, Manuel Hernando. Thérèse Dedieu, même, collégienne à Saint-Gaudens (Haute-Garonne) était revenue vivre à Marsoulas car on estimait qu’une petite ville pouvait présenter de trop grands dangers au printemps de 1944. Mais une fois de plus, un petit village, supposé paisible et à l’écart de la guerre, allait se révéler un piège mortel.

Attaque allemande à Marsoulas au petit matin du 10 juin 1944, une riposte aux tirs de maquisards (FTPF) du maquis de Betchat :

Les 9e, 10e, 11e et 12e compagnies du 3e bataillon du régiment SS Deutschland de la division blindée SS Das Reich ont quitté les villages où elles stationnaient, au sud de Toulouse, en Haute-Garonne, dans les basses vallées de l’Ariège et de son affluent, la Lèze. Leur mission de destruction de maquis et de répression des populations civiles commença au petit matin d’un samedi pluvieux, à la veille de la Fête Dieu et des festivités qui étaient prévues. Arrivée à Boussens (Haute-Garonne), la 10e compagnie bifurqua vers le sud après avoir traversé la Garonne. À Salies-du-Salat (Haute-Garonne), ils prirent des otages âgés, Ferdinand Nougué, W. Brussilowski qu’ils massacrèrent ensuite à Martres-Tolosane. Ils capturèrent également trois jeunes prêts à partir au maquis, (Robert Malbrel, dix-huit ans ; Jean Rives, dix-neuf ans ; Lucien Trubert, vingt-et-un ans) qu’ils massacrèrent à Mazères-sur-Salat (Haute-Garonne). Ils arrêtèrent ensuite d’autres personnes : Aimé Loubon, Claude Salmon, Stanislas Dudkowski, Benjamin, Albert et Pascal Négroni. Composée de sept camions et deux voitures, elle parvint en vue de Marsoulas, sur la route, en provenance de Cassagne. Un officier allemand, parmi les premiers arrivés interrogea Emmanuel Dedieu, paysan, né à Thézan-lès-Béziers (Hérault) âgé de quarante-cinq ans. Sa maison était l’une des premières, à l’entrée nord du village, à l’écart de celui-ci. Dedieu, l’assura qu’il n’y avait aucun « terroriste » dans le village, ce qui, normalement, permettait la traversée de Marsoulas afin de se rendre à Betchat. Il ignorait que deux maquisards de Betchat avaient été envoyés en éclaireurs à Marsoulas. En effet, le témoignage écrit tardif (Narbonne, 22 août 1994) de celui des deux qui survécut, le jeune Jean-Marie Manens (mort en 2013), révèle qu’il fut réveillé, tôt le matin par Camille Weinberg. qui lui dit qu’ils avaient pour consigne d’"attaquer l’ennemi où qu’il se trouve". L’ordre avait été donné par le chef militaire du maquis, Jean Blasco alias "Max". Tous deux prirent la route qui, de Betchat, conduit à Marsoulas, à la recherche d’une position favorable. Afin de guetter l’arrivée annoncée des Allemands, ils s’étaient finalement juchés sur le toit et dans le clocher de l’église. Le premier, un Lorrain de Meurthe-et-Moselle Camille Weinberg (on l’a nommé de façon erronée "Weimberg" et fait naître en Moselle, à Metz, peut-être à cause de son patronyme germanique), âgé de trente et un ans, déserteur du 1er régiment de France — mais dans son témoignage écrit, Manens nie qu’il ait figuré à l’effectif de cette unité, à la différence d’autres maquisards de Betchat — tira sur le premier camion allemand, pensant que c’était le seul véhicule. Il vida trois chargeurs de son fusil-mitrailleur (Soum, op. cit., 1994), mais Manens assure qu’il possédait un Mauser et des grenades. Le second, un jeune de seize ans originaire de la Haute-Garonne, Jean-Marie Manens alias « Espérance », jeta une grenade et tira des rafales avec sa Sten. Manens expliqua aussi que Weinberg était myope et qu’il manquait de sens stratégique car il tira sur les premiers véhicules allemands qui se présentaient, ne se doutant pas qu’ils n’étaient que l’avant-garde d’une colonne plus nombreuse et supérieurement armée. Les mesures prises par Blasco pour faire face à la venue annoncée des Allemands étaient donc mal préparées et, en tous cas, bien légères, dans tous les sens du terme. Manens s’est senti responsable ou coresponsable du massacre de Marsoulas. Lorsqu’il témoigna tardivement, en 2013 et en 2014, il reçut le soutien d’habitants de Marsoulas et de Betchat qui considérèrent que le vrai responsable était "Max", à l’origine de la mission à l’issue tragique qu’il avait confiée à Weinberg et à Manens. Sur le coup, il ne comprit pas pourquoi, lorsqu’il put parvenir à Betchat, on l’a accueilli en héros. Traumatisé, Manens quitta le maquis de Betchat et rejoignit la 3403e compagnie des FTPF de la Haute-Garonne basée à Boulogne-sur-Gesse.

Les autres camions apparurent donc bientôt et leurs occupants tirèrent. Leur feu nourri tua Weinberg dont le corps fut retrouvé le lendemain sur le toit de l’église. Manens put se déplacer dans le cimetière, protégé par les caveaux puis se réfugier dans l’église où il réussit à se cacher. Il survécut et, au bout de deux jours, rejoignit le maquis de Betchat où il fut accueilli en héros. Manens a expliqué que « ayant rejoint le maquis deux jours plus tard, j’y fus traité en héros, cette action ayant sauvé le maquis et le village [de Betchat] ».

Ce témoignage tardif (1993) a permis de comprendre ce qui s’était passé. Weinberg et Manens, convaincus qu’il n’y avait qu’un camion, de surcroît sans bâche, s’imaginèrent qu’ils pouvaient faire un « carton », protégeant leurs camarades de Betchat d’une attaque. Claude Delpla (op.cit., 2019, p. 66) évoque quant à lui « le geste de folie du Lorrain [qui] a terni la réputation du maquis tenu pour responsable » : le tenant pour responsable, il exonérait ainsi la responsabilité de Blasco. Toutefois, Manens et Weinberg avaient été dépêchés sur l’avant-poste que constituait le clocher de Marsoulas afin de prévenir les maquisards concentrés à Betchat et aussi, a-t-on dit, les populations civiles de Marsoulas et de Betchat. Jean Blasco, alias Max, chef militaire du maquis de Betchat a-t-il, de surcroît, donné l’ordre à Weinberg de tirer sur les Allemands ? On peut le penser si l’on en croit le témoignage écrit de Manens (1994). Quoiqu’il en soit, il était illusoire de confier à deux hommes d’assurer le premier choc avec une colonne allemande dont Blasco et ses lieutenants avaient su l’imminence de son arrivée. Par ailleurs Blasco n’a pas prévenu les populations des deux villages qui, averties, auraient pris des dispositions pour fuir à la moindre alerte. Les habitants de Marsoulas subirent les représailles impitoyables de SS bien déterminés à terroriser les populations civiles et à les détacher des "terroristes". Il n’en fut pas de même à Betchat. Le temps de massacrer et de piller Marsoulas permit aux maquisards et aux habitants de Betchat de prendre le large. La responsabilité de Jean Blasco dans le déclenchement du massacre de Marsoulas semble donc écrasante. D’ailleurs, au soir du 10 juin, des maquisards de la 3401e compagnie de FTPF firent défection. René Plaisant et quelques Couserannais s’en allèrent former un autre maquis (FTPF) au col de la Crouzette, dans le massif de l’Arize (Ariège). D’autres intégrèrent le maquis de Cazères (Haute-Garonne) de l’Armée secrète.
Le chef de la compagnie, Gross, donna l’ordre d’encercler le village et de disposer les mitrailleuses pour le tir. Leurs rafales répétées tirèrent les habitants de leurs lits, déjà alertés par la première fusillade contre les deux maquisards. La 10e compagnie se partagea en petits groupes qui partirent à l’assaut des maisons. Dans leur précipitation, ils en oublièrent certaines. Leurs occupants eurent la vie sauve. D’autres habitants réussirent à se cacher dans leurs demeures. D’autres encore, réussirent à s’enfuir dans les bois du voisinage. Le massacre aurait pu être encore davantage meurtrier pour la population de Marsoulas. Certains étaient partis de bon matin travailler dans les usines de la vallée du Salat. Le massacre dura environ 30 mn.

Le massacre des civils de Marsoulas :

La première maison qui fut attaquée fut celle de la famille Dedieu. En effet, après les tirs de Weinberg et Manens, des assaillants firent demi-tour afin d’attaquer la maison des Dedieu où on leur avait dit, peu de temps auparavant, qu’il n’y avait de résistants dans le village. Gross intima l’ordre de tuer tous les occupants de la maison. Le père, Emmanuel ainsi que ses deux filles, Georgette, dix-sept ans et Thérèse, quatorze ans furent massacrés. Cependant, la mère de famille, Jeanne Dedieu, née Dancausse, survécut, bien que grièvement blessée. Suivirent ensuite les massacres d’autres familles ou de personnes isolées. Chez les Saffon, le père était absent ; il se trouvait ce jour-là à Toulouse. Cinq membres de sa famille furent abattus : sa femme Madeleine, née Fonta (quarante-deux ans), ses filles, Suzanne (dix-huit ans), Micheline (onze ans), son fils Yves (treize ans) et son petit-fils Christian (âgé seulement de trois mois). Les Cazenave eurent quatre morts : Jean-Baptiste, le père (quarante-neuf ans) ; Julie, née Blanc, la mère (quarante-trois ans) ; les enfants, Gaston (vingt-et-un ans), Paulette (dix-neuf ans). La famille Audoubert (quatre personnes) s’était enfuie de sa maison. Elle fut rattrapée par les SS et ramenée au centre du village où elle fut fusillée : Alfred (cinquante-cinq ans), Pauline née Louysz (quarante-huit ans), Jeanne (vingt-deux ans), Suzanne (treize ans). Les Fulbert furent eux aussi massacrés (quatre victimes) : Adrien (vingt-six ans), Marguerite née Castex (vingt-cinq ans), Jacques (cinq ans), Mauricette (deux ans), le grand-père, Jacques Castex (cinquante-neuf ans). Les deux jumeaux Barbe Claude et Michel (cinq ans) avaient été laissés par leur mère à Marsoulas où elle pensait qu’ils seraient davantage en sécurité. Ils furent aussi assassinés. Pauline Castex née Mont (soixante-trois ans) fut également abattue. Elle fut la seule de sa famille : son fils était absent. Sa belle-fille et ses petits-enfants purent s’enfuir et de cacher. Guillaume Bartet (cinquante-quatre ans), fut la seule victime de sa famille : sa femme, sa fille et sa nièce toulousaine échappèrent au massacre. D’autres victimes isolées, sans attaches familiales à Marsoulas, furent aussi la proie des la fureur meurtrière des Allemands : le Catalan Jacques Carbo, originaire de Horta de Sant Joan, dans le sud de la Catalogne (quarante ans) ; Jacques Edmond (vingt-cinq ans). Les Allemands se comportèrent comme ils avaient pris l’habitude de le faire sur le front de l’Est. Guy Penaud cite (op.cit, pp. 380-381) l’ouvrage de Jean Hartmann (Une tranche de vie, ou une histoire parmi 130000, Éditions Jérôme Do Bentzinger, 2004, pp. 26-27) qui participa à l’expédition meurtrière du 10 juin 1944 et évoqua sans doute le massacre de Marsoulas auquel il fut associé : « Notre groupe dirigé par l’Unterscharführer Flieger a reçu l’ordre d’entrer dans les maisons, sans trop savoir pourquoi. À 4 ou à 5, nous sommes entrés au hasard dans une maison très modeste (…). J’ai ouvert la porte à droite et j’ai trouvé un bébé de quelques mois qui dormait dans son berceau. J’ai immédiatement refermé la porte pour ne pas le réveiller et j’ai dit aux autres de ne pas faire de bruit et de quitter les lieux. Là-dessus, Flieger est entré dans la pièce où dormait le bébé et après quelques instants, nous avons entendu un coup de feu. Nous sommes revenus dans la chambre et … quelle horreur, Flieger avait tué le bébé dans son berceau en lui tirant un coup de revolver dans la tempe ». Questionné par un autre Allemand, Flieger répondit que c’était par habitude qu’il avait tiré sur le nourrisson, comme il le faisait en Russie en argumentant que « ce serait un de moins qui les emmerderait par la suite ». Il s’agissait sans doute du bébé Christian Saffon.
Il y eut aussi quatre femmes blessées : Jeanne Dedieu (déjà mentionnée), Joséphine Blanc, mère du maire de Marsoulas, Geneviève Siré et Julie Allemant née Castex. Les personnes massacrées se concentraient surtout près de l’église et du cimetière, lieux où se trouvaient les deux maquisards qui tirèrent sur les Allemands.
Des maisons furent pillées et/ou incendiées. D’autres furent épargnées. Dans certaines des maisons dont l’entrée fut forcée, leurs occupants furent également épargnés. Des témoins ont pu observer que certains soldats hésitèrent à s’attaquer à des personnes innocentes, des enfants en particulier. Le jeune Paul Cazenave a expliqué qu’un un soldat allemand lui prit le bras « pour me tirer à l’extérieur [de la maison où sa famille avait été massacrée] en criant : "Raus ! Raus !". Mais d’un geste très sec, je me fais lâcher et monte deux à deux les escaliers en direction des chambres (...). Sans aucun doute, le soldat allemand qui avait pris mon bras pour me tirer à l’extérieur, préféra, pour ne laisser aucune vie dans cette maison poser dans la cuisine une bombe [qui n’explosa pas] ».

Secours et obsèques :

Le maire, Jean Blanc, bien que personnellement très éprouvé par la tuerie (il a perdu une soeur, sa nièce, son neveu et son beau-frère ainsi que deux autres jeunes neveux, les jumeaux Barbe) se rendit à la mairie afin d’organiser le regroupement des victimes et les soins aux blessés. Prévenus, les docteurs Barbé de Salies-du-Salat et Courtade de Martres-Tolosane ainsi que Mme Maurel, infirmière de l’usine de Robert Lacroix prodiguèrent les premiers soins au café Montané de Cassagne où les blessés furent regroupés. L’abbé Sourt, curé desservant, vint bénir les corps des victimes. Des cercueils furent commandés à diverses entreprises, jusqu’à Salies-du-Salat et Saint-Gaudens.
Le lendemain, les morts furent regroupés à la mairie transformée en chapelle ardente, celui de Weinberg fut dissimulé sous une table afin de ne pas révéler aux Allemands et aux miliciens la présence, parmi les victimes d’un FTPF mort (ils vérifiaient les cadavres afin de s’assurer de leur décès). Auparavant, les Allemands avaient visité les maisons où se trouvaient les cadavres. On aperçut à temps le cadavre de Camille Weinberg sur le toit de l’église et on le descendit discrètement afin de ne pas éveiller les soupçons d’Allemands ou de collaborationnistes. Les morts furent reconnus et formellement identifiés. David Dautresme, sous-préfet de Saint-Gaudens se rendit sur les lieux et prit des photographies (son appareil photographique était dissimulé dans l’étui de son revolver de service afin de ne pas attirer l’attention des Allemands qui l’accompagnaient), produites plus tard au procès de Nuremberg. Un officier allemand, traduit par un soldat interprète,interrogea le maire sur la présence de "terroristes" dans son village. Un réfugié alsacien puis le sous-préfet lui sauvèrent la mise, ce dernier en mettant en avant les convictions pétainistes du premier magistrat de la commune.
Les obsèques eurent lieu le 12 juin à proximité de l’église de Marsoulas, trop petite pour contenir l’assistance accourue depuis les communes voisines. Dans un premier temps, les Allemands voulurent interdire la célébration d’une messe. L’abbé Sourt, curé desservant, les convainquit d’accepter cet office religieux. Il fut décidé que la cérémonie s’effectuerait à l’extérieur de l’église, trop petite. Un autel fut dressé à cet effet. La messe fut célébrée par le chanoine Fournier, archiprêtre de Saint-Gaudens, natif de Cassagne, village voisin de Marsoulas. Il était assisté par six autres prêtres, parmi lesquels l’abbé Sourt, curé de Marsoulas, l’abbé Buffière, curé de Cassagne et l’abbé Dancausse, curé d’Arbas, apparenté à des victimes de la tuerie. Jean Blanc, maire de Marsoulas, oncle des deux petits jumeaux massacrés fit une brève allocution et parla au nom des familles des victimes. Le sous-préfet David Dautresme, ému, s’exprima au nom de l’État (!). Les maires de Mazères et de Cassagne, André et Robert Lacroix, industriels, étaient présents. Pendant les obsèques, un avion allemand survola Marsoulas à basse altitude.
Les victimes furent enterrées dans un carré spécial du cimetière, attenant à l’église, sauf les jumeaux Barbe et les massacrés de la famille Cazenave qui le furent dans leurs caveaux respectifs. Le maquisard Camille Weinberg fut inhumé dans l’allée centrale du cimetière. Par la suite, sa mère fit rapatrier son corps en Meurthe-et-Moselle ; pendant quelque temps, la croix de sa tombe fut recouverte par un casque de soldat (témoignage écrit du fils de Jean Blanc).
Parmi les vingt-sept victimes civiles on dénombra treize adultes (plus de vingt-et-un ans), huit hommes et cinq femmes et quatorze mineurs (moins de vingt-et-un ans), huit garçons et sept filles. Treize étaient nés à Marsoulas, six ailleurs en Haute-Garonne dont cinq à Toulouse, six en Ariège, un dans l’Hérault et marié avec une native de Marsoulas, un en Catalogne (Espagne) province de Tarragone.
La colonne poursuivit ensuite la route vers Betchat (Ariège) où elle affronta le maquis.

Bilan militaire de l’engagement allemand du 10 juin 1944 :

Le massacre de vingt-sept civils à Marsoulas fut l’événement le plus meurtrier de l’attaque allemande dans le bas Comminges et ses marges ariégeoises du Couserans. Celle-ci fut le fait de SS de la division Das Reich appuyés ponctuellement par des éléments provenant de la garnison allemande de Saint-Girons (Ariège). Cette tuerie se rajoute à d’autres, de civils également, à Martres-Tolosane (5), Saint-Michel (2), Mazères-sur-Salat (3) ; Betchat, Fabas, Mercenac (4). Ces massacres de personnes innocentes, en particulier des enfants en bas âge, provoqua l’indignation des populations locales et précipita le basculement de la minorité encore favorable au régime de Vichy. Son représentant officiel, le sous-préfet de Saint-Gaudens ne put contenir son indignation lorsqu’il se rendit personnellement compte de l’ampleur du massacre de Marsoulas. Il s’arrangea pour pouvoir prendre des photographies qui apportèrent des preuves de l’horreur des exactions commises par les SS.

Les résistants (nous rajoutons aux combattants des personnes qui aidaient activement le maquis de Cazères de l’AS et payèrent de leur vie leur engagement) eurent 17 victimes : 1 à Marsoulas (FTPF), 3 à Martres-Tolosane (2 du Corps franc Pommiès — CFP — de l’ORA, une personne ayant aidé le maquis de Betchat (FTPF) ; Mazères-sur-Salat (2 membres du CFP, 3 du maquis de Betchat, FTPF) ; Saint-Michel (2 combattants du maquis de Mazères de l’AS, 2 agents actifs de ce maquis) ; Laffite-Toupière (1 membre du CFP) ; Betchat, Fabas, Mercenac (2 membres du maquis de Betchat des FTPF). Ce bilan est également très lourd. Toutefois, le bilan des opérations du 10 juin fut, pour les Allemands, un échec. Ils avaient pour objectif d’éradiquer les deux formations résistantes les plus actives, les maquis de Betchat (FTPF) et de Cazères (AS). Après les massacres de Marsoulas et de Saint-Michel, ces maquis, en dépit de leurs pertes, se dispersèrent et conservèrent l’essentiel de leurs forces. Le Corps franc Pommiès, encore peu engagé dans les actions armées contre les Allemands, mais bien implanté, eut aussi des pertes qui ne pouvaient altérer des capacités combattives intactes pour les semaines décisives qui suivirent. Si le maquis de Betchat à l’origine du drame de Marsoulas, préserva ses forces, l’incompétence militaire de son chef provoqua le départ — la scission — de deux groupes dont l’un, forma un nouveau maquis, et dont l’autre fut accueilli dans un maquis déjà existant et actif.

Après la Libération :

Après la Libération, Manens, bouc émissaire, fut considéré comme un des responsables d’un massacre qu’il aurait provoqué de concert avec Weinberg. Il chercha à se faire oublier et essaya vainement de s’engager dans le 1er régiment de volontaires de la Haute-Garonne (issus des maquis) qui, amalgamé à l’armée de De Lattre de Tassigny, continuait la guerre contre l’Allemagne nazie. Il suivit cette unité jusque dans les Vosges, mais il fut ajourné. Il réussit à s’engager dans la Légion étrangère en avril 1945 et fit une carrière militaire dans ce corps. Il se fit connaître à Marsoulas en 1993, à une date où il fit valider ses services dans le maquis. Son témoignage apporta des précisions sur le déclenchement du massacre de Marsoulas.

Les auteurs du massacre ne furent pas inquiétés ni retrouvés. La division Das Reich en garnison dans les villages de la région toulousaine comprenait, en assez grand nombre (Penaud, op. cit., 2005), dans ses rangs, des conscrits alsaciens et mosellans (les « Malgré nous »). Il est probable que certains d’entre eux figuraient dans les effectifs des compagnies impliquées dans les massacres du 10 juin 1944 : des témoins ont fait état de la présence de SS qui se seraient adressés en français à des habitants de Marsoulas. La commune de Marsoulas reçut la Croix de guerre et la médaille de la Résistance (décret du 31 mars 1947). Elle fut inscrite à l’ordre de la Libération.

Le carré spécial du cimetière municipal où reposent les dépouilles des victimes du massacre a été aménagé. Un monument a été édifié près de l’église et de la route départementale par où était arrivée la colonne motorisée mortifère. En 2019, les enfants de l’école participèrent à la création de la fresque murale qui se trouve juste en face du monument commémoratif.

Victimes civiles :

AUDOUBERT Alfred né le 8 mai 1889
AUDOUBERT Jeanne née le 24 août 1922
AUDOUBERT Pauline née LOUYSZ née le 22 juillet 1895
AUDOUBERT Suzanne née 14 août 1931
BARBE Claude né le 13 mai 1939
BARBE Michel né le 13 mai 1939
BARTET Guillaume né le 18 janvier 1890
CARBO Jacques né le 27 mai 1904
CASTEX Jacques né le 1er décembre 1886
CASTEX Pauline née MONT née le 6 octobre 1879
CAZENAVE Gaston né le 17 juillet 1923
CAZENAVE Jean-Baptiste né le 28 juin 1895
CAZENAVE Julie née BLANC née le 7 août 1900
CAZENAVE Paulette née le 11 mai 1925
DEDIEU Emmanuel né le 14 juillet 1899
DEDIEU Georgette née le 9 août 1927
DEDIEU Thérèse née le 13 avril 1930
EDMOND Jacques né le 20 novembre 1918
FULBERT Adrien né le 18 avril 1918
FULBERT Jacques né le 23 mai 1939
FULBERT Mauricette née le 2 mars 1942
FULBERT Margueritte née CASTEX née le 27 octobre 1918
SAFFON Christian né en 1944
SAFFON Madeleine née PONTA née le 21 avril 1902
SAFFON Micheline née le 20 septembre 1932
SAFFON Suzanne née le 29 septembre 1925
SAFFON Yves né le 15 novembre 1931

Résistant tué en action de combat :

WEINBERG Camille

Pour citer cet article :
https://maitron.fr/spip.php?article218280, notice Marsoulas (Haute-Garonne), 10 juin 1944 par André Balent, version mise en ligne le 1er août 2019, dernière modification le 30 avril 2022.

Par André Balent

MARSOULAS (Haute-Garonne) monument commémorant les victimes civiles du 10 juin 1944
MARSOULAS (Haute-Garonne) monument commémorant les victimes civiles du 10 juin 1944
Monument édifié en 1946, commémorant les victimes civiles du 10 juin 1944. Vue générale
cliché : André Balent, 26 juillet 2019
MARSOULAS (Haute-Garonne)
MARSOULAS (Haute-Garonne)
Détail du monument. Cliché André Balent, 26 juillet 2019
MARSOULAS (Haute-Garonne)
MARSOULAS (Haute-Garonne)
Cliché André Balent, 26 juillet 2019
MARSOULAS (Haute-Garonne)
MARSOULAS (Haute-Garonne)
Cliché André Balent, 26 juillet 2019
MARSOULAS (Haute-Garonne)
MARSOULAS (Haute-Garonne)
Cimetière de Marsoulas. Tombe collective (1948) des victimes civiles du massacre du 10 juin 1944.
Cliché André Balent, 26 juillet 2019
MARSOULAS (Haute-Garonne)
MARSOULAS (Haute-Garonne)
Cimetière de Marsoulas, tmbe collective des victimes civiles du massacre du 10 juin 1944. Détail.
Cliché André Balent, 26 juillet 2019.
MARSOULAS (Haute-Garonne)
MARSOULAS (Haute-Garonne)
Fresque murale (2019) réalisée avec le concours des élèves de l’école.
Cliché André Balent, 26 juillet 2019.
Les jumeaux Claude et Michel Barbe
Les jumeaux Claude et Michel Barbe
Âgés de 5 ans, deux des victimes civiles du massacre du 10 juin 1944 à Marsoulas
Cliché Mémorial Verdier Forain
Massacre de Marsoulas (Haute-Garonne), 10 juin 1944
Massacre de Marsoulas (Haute-Garonne), 10 juin 1944
Détail des meurtres et des déprédations commises ) à l’intérieur d’une maison ;
Cliché : Musée de la Résistance en ligne
Marsoulas (Haute-Garonne), 10 juin 1944
Marsoulas (Haute-Garonne), 10 juin 1944
Des camions avec des soldats SS de la 10e compagnie du régiment Deutschland de la division Das Reich
Cliché musée de la Résistance en ligne.

SOURCES : Arch. dép. Ariège, 63 J 206, fonds Claude Delpla, entre autres : actions, effectifs et état major du maquis FTPF de Betchat, lettre de Georges Loubiès, sous-lieutenant du maquis de Betchat à Claude Delpla, Sainte-Croix-Volvestre, 1er mars 1968 ; témoignage écrit de Jean-Marie Manens qui relata sa version du drame de Marsoulas, Narbonne, 22 août 1994. — Jean-Pierre Blanc, « Le massacre d’une population innocente à Marsoulas en Comminges, le 10 juin 1944 », texte rédigé par un des fils du maire (1944) de Marsoulas, Jean Blanc, futur maire de Marsoulas, né en 1941, témoin du massacre, site aspetinf.chez.com/assoc/Marsoulas, consulté le 11 septembre 2019. — Claude Delpla, La libération de l’Ariège, Toulouse, Le Pas d’oiseau, 2019, 514 p. [p. 66]. — Roland Dorgelès, Carte d’identité. Récit de l’Occupation, Paris, Albin Michel, 1945, 91 p. [p. 39-49]. — Jean-Paul Ferré (éd.), Les Couserannais racontent 39-45, témoignages recueillis par Eth Ostau Comengés, témoignages originaux en occitan [gascon] traduits en français, accompagnés d"un CD audio, Toulouse, Le Pas d’Oiseau, 2019, 141 p. [Nombreux témoignages sur le massacre de Marsoulas et l’action des Allemands de la Das Reich à Betchat, p. 77-104]. — Michel Goubet, « La répression allemande et milicienne dans la vallée du Salat et aux alentours. 10 et 11 juin 1944 » et « Le massacre de Marsoulas » in La résistance en Haute-Garonne, CDROM, Paris, AERI (Association pour des études sur la résistance intérieure), 2009. — Guy Penaud, La « Das Reich » 2e SS Panzer Division, préface d’Yves Guéna, introduction de Roger Ranoux, Périgueux, La Lauze, 2e édition, 2005, 558 p. [pp. 378-383, pp. 520-521]. — Éric Rouan, Frank Mullon, avec la participation d’Élérika Leroy, Le massacre de Marsoulas (10 juin 1944), film documentaire, Conseil départemental de la Haute-Garonne, 2021. — Henri Soum, La mort en vert-de-gris. Le maquis de Cazères, Toulouse, Signes du Monde, 1994, 280 p. [p. 210-213]. — Mémorial Verdier Forain, (Toulouse) en ligne, consulté le 31 juillet 2019. — Musée de la Résistance en ligne, consulté le 1er août 2019. — MemorialGenWeb consulté le 1er août 2019.

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