LAHOUSSE Charles, Albert. Pseudonyme de Résistance : CLÉMENT

Par Jean Suret-Canale

Né le 4 octobre 1906 à Lille (Nord), mort le 26 février 1988 à Bordeaux (Gironde) ; ouvrier électricien ; militant syndicaliste CGTU ; militant et responsable des JC en Gironde, puis du Parti communiste ; résistant.

Avec sa famille, Charles Lahousse fut évacué en 1914 sur Bordeaux, suite à l’invasion allemande. Son père, Charles Auguste Lahousse, qui fit la guerre avec le grade de sergent, mourut des suites de ses blessures à l’hôpital militaire Saint-Nicolas, à Bordeaux, le 19 juin 1919. Sa mère, Marie Marguerite Vilotte, repasseuse, qui s’était remariée peu après le décès de son mari, mourut à son tour le 23 janvier 1926. Il se retrouva ainsi orphelin à 16 ans, avec trois frères, Henri Lahousse, son aîné, mort le 25 mars 1979 à Villeneuve-sur-Lot (Lot-et-Garonne), et deux cadets, Adrien Lahousse, né le 6 avril 1916 à Bordeaux, et André Lahousse (date de naissance inconnue). Il fut reconnu pupille de la Nation le 2 décembre 1925.

Revenu à Lille, avec sa famille, Charles Lahousse dut travailler pour subvenir à ses besoins et à ceux de ses frères. Il fut embauché au Réseau électrique de Lille, où il fit ses débuts d’ouvrier électricien (qui restera sa profession) du 17 septembre 1924 au 25 juillet 1925.

En 1925 ou 1926, il revint à Bordeaux où il fut employé par C. Delalbre (Entreprise Bordeaux-Électrique) du 11 juillet 1926 au 30 août 1928. Une lettre de C. Delalbre, adressée sans doute à ses tuteurs, fait son éloge : « Sérieux, honnête, travailleur et adroit... Très bon ouvrier », et annonce qu’il lui accorde une augmentation.

De 1928 à 1940, Charles Lahousse fut employé par diverses entreprises, pour des durées limitées (correspondant à des chantiers où il travaillait comme monteur-électricien). Il traversa cinq périodes de chômage, pour des durées d’un à trois mois, correspondant à des fins de chantier.

Ses origines sociales et sa condition le conduisirent, très jeune, dès 1927 ou 1928, aux idées révolutionnaires. Il milita dans les Jeunesses communistes, au Parti communiste, et au syndicat unitaire du Bâtiment, à l’époque le plus important de la région bordelaise. Membre des Jeunesses communistes en 1928, il fut élu secrétaire de rayon en janvier 1930. La 19e Entente des Jeunesses communistes était alors dirigée par Roger Allo, André Vrigneaud et lui-même. Il appartint à la cellule du parti N° 2, à Bordeaux, puis à la cellule N° 3, et devint, en novembre 1934, secrétaire du comité de rayon de Bordeaux.

En mars 1935, Charles Lahousse remplaça Hubert Ruffe, malade, comme secrétaire régional (ou départemental). En 1939-1940, après le départ aux armées d’Henri Chassaing, alors secrétaire régional, il dirigea avec Jean Williams le parti, devenu clandestin, en Gironde.

Sur le plan syndical, il milita au syndicat unitaire du Bâtiment (CGTU) qui le délégua au congrès fédéral de Paris le 22 décembre 1929. Du 7 décembre 1934 au 19 juillet 1937, il fut secrétaire permanent (appointé) de l’Union intersyndicale du Bâtiment et des Travaux publics à Bordeaux. Selon son témoignage, il aurait, dans les années trente, participé comme électricien à la construction du métro de Moscou, et il aurait vu Staline à cette occasion. En 1936, par arrêté du 20 février, il fut nommé par le Ministre du Travail membre du conseil d’administration provisoire de la Caisse primaire départementale d’assurances sociales de la Gironde.

Charles Lahousse se maria à Bordeaux le 3 mai 1930 ; de cette union naquirent deux filles, Paulette, née le 13 juillet 1934, et Marguerite, née le 4 avril 1938.

Le 18 avril 1940, en application des textes élaborés par Daladier pour réprimer les activités communistes, Charles Lahousse, militant communiste connu, fut frappé d’une mesure d’internement administratif. Il fut arrêté et interné à Saint-Martin-de-Ré (Charente-Inférieure), la prison qui servait d’antichambre au bagne de Cayenne. Au cours de l’été 1940, il fut transféré au Château du Sablou, camp d’internement situé en Dordogne, près de Montignac-sur-Vézère. Le 30 décembre 1940, le camp du Sablou fut dissous et il fut transféré au camp de Saint-Paul-d’Eyjeaux, en Haute-Vienne.

Les camps d’internement de Vichy n’étaient certes pas comparables aux camps de concentration nazis. Mais les conditions de vie y étaient déplorables : entassement dans des baraques, par chambrées de plusieurs dizaines de détenus couchés sur des bacs-flancs, hygiène inexistante, nourriture insuffisante. Ceux qui n’avaient pas de famille en région rurale susceptible de leur envoyer des colis étaient notoirement sous-alimentés.

Au cours de son internement à Saint-Paul-d’Eyjeaux, Charles Lahousse tomba malade. Son état de santé en subit les séquelles, durant toute sa vie. Une première fois, « tombé dans le rang [lors d’un appel ? JSC], j’ai été envoyé à l’hôpital », écrit Charles Lahousse. Son camarade bordelais Léo Pichon, arrêté début mai 1940, conduit à Saint-Martin-de-Ré où il le rejoignit, puis à Saint-Paul-d’Eyjeaux, fut à ce moment déporté en Algérie, au camp de Djelfa. Charles Lahousse aurait sans doute partagé son sort s’il n’avait pas été hospitalisé. Charles Lahousse fit plusieurs séjours dans les hôpitaux de Limoges et de Bordeaux. De janvier 1942 au 27 août 1942, il fut envoyé au sanatorium « surveillé » de La Guiche (Saône-et-Loire).

Dans une attestation datée du 25 décembre 1955, destinée à un de ses co-détenus, Charles Lahousse décrit le régime de ce « sanatorium-camp d’internement ». « Seules les conditions d’hygiène étaient quelque peu différentes de celles des camps ou prisons. Mais la nourriture y était insuffisante et les tracasseries policières assez nombreuses ». L’encadrement policier avait autorité sur le personnel médical. « Des internés comme moi-même ont été déclarés guéris et retransférés au camp sur simple décision policière sans s’occuper de l’avis du personnel médical ». Et il conclut : « Le soi-disant sanatorium, bardé de fils de fer, gardé baïonnette au canon, muni de quatre miradors et fusils mitrailleurs, n’avait de sanatorium que son ancien nom, et était tout simplement une prison dans laquelle ni la Croix-Rouge, ni les assistantes sociales, n’avaient accès ».

Dans le camp de Saint-Paul-d’Eyjeaux, Charles Lahousse participa à la Résistance. Un long mémoire de Jacques Sadoul, en date du 20 mai 1952, nous en relate les modalités.

Jacques Sadoul, avocat, capitaine de l’armée française lors de la Première Guerre mondiale, avait été envoyé en Russie en 1917 par le gouvernement français. Il y avait pris parti pour Lénine et les bolcheviks. Fin mai 1941, Jacques Sadoul, établi dans le Var, diffusa sous le titre La France trahie par ses chefs, un recueil de lettres signées de lui et adressées à diverses personnalités. Cela lui valut d’être interné à Saint-Paul-d’Eyjeaux.

Au camp, il continua à écrire des lettres (cette fois non signées), sous forme de tracts, qui sont dactylographiés par l’infirmier du camp, dans la chambre du Dr Georges Galpérine (interné) ; l’infirmier et le médecin mourront tous deux des suites de leur internement. C’est Charles Lahousse qui diffusa ces lettres, dans le camp et, par intermédiaires, hors du camp. Jacques Sadoul, tombé gravement malade en raison des conditions d’internement (il était déjà âgé) fut libéré en décembre 1941 sur attestation du Dr Philippon, médecin du camp, et assigné à résidence chez lui à Sainte-Maxime-sur-Mer. Georges Marrane prit alors contact avec lui ; il le fit participer, à partir d’avril 1942, à la direction du Front National en zone Sud, et, à partir de juin, il passa dans la clandestinité (attestation de Georges Marrane).

Par ailleurs, Charles Lahousse participe à l’organisation de l’évasion du camp de Jean Cavaillès, dirigeant du mouvement « Libération », qui fut plus tard arrêté et fusillé par les Allemands à Arras en janvier 1944.

En 1943, le Dr Philippon, médecin du camp, l’envoya à l’hôpital Saint-André à Bordeaux. C’est l’état de ses yeux qui permit au médecin du camp d’obtenir sa libération, sous condition de trouver un lieu d’hébergement où il serait assigné à résidence. Dans une lettre à Henri Chassaing du 16 mars 1948, en réponse à une lettre du même lui demandant des renseignements sur un codétenu nommé Guilbon, il écrit : « Au sujet de la signature de reniement du Parti qui était alors demandée à presque tous les libérés ou les mis en résidence surveillée, il n’a jamais été demandé aux camarades qui ont quitté le camp ; avec Guilbon, Joubert et moi-même, il avait été par nous tous, qu’au cas où une telle question aurait été posée, nous aurions absolument refusé. »

Ne voulant pas retourner à Bordeaux, où sévissait le trop fameux commissaire Poinsot, Charles Lahousse demanda à Pierre Lamargot, militant communiste de Sainte-Foy-la-Grande (Gironde), dont il avait fait la connaissance au camp de Saint-Paul-d’Eyjeaux, où ce dernier avait été interné de juillet à décembre 1941, de l’héberger. Celui-ci ayant accepté, Charles Lahousse fut libéré le 3 mai 1943 et assigné à résidence à Sainte-Foy-la-Grande.

Il séjourna quelques semaines dans la famille Lamargot et travailla comme électricien à l’entreprise Videau. Il s’engagea en même temps dans la Résistance locale dirigée par les frères Renaud et Raoul Geneste. Mais il fut rapidement prévenu qu’il allait être à nouveau arrêté : un arrêté préfectoral du 23 mai 1943 le déclara interdit de séjour dans le département de la Dordogne, département auquel le canton de Sainte-Foy fut rattaché sous l’Occupation. Il passa alors dans la clandestinité et fut envoyé par Renaud Geneste à Limoges (Haute-Vienne), pour y être mis à la disposition de l’état-major interdépartemental des FTP. Il prit alors le pseudonyme de Clément.

Charles Lahousse fut chargé de la formation des cadres, d’abord sous forme itinérante, de maquis en maquis, en Corrèze : Lacelle, Meymac, Combressol, Couly. Méthode exténuante, non sans risque (il fut légèrement blessé à la jambe lors de l’attaque de la ferme Jarasse), et peu efficace.

En juillet 1943, il fut chargé d’organiser une école de cadres interrégionale, pour laquelle on lui proposa d’abord le château d’Antone, près de Périgueux, qui avait été précédemment occupé par les Compagnons de France. Ce lieu ne présentant aucune possibilité de défense ni de repli, il fit savoir qu’il le jugeait inutilisable. On le mit en demeure d’en proposer un autre dans les huit jours.

Charles Lahousse partit alors en reconnaissance dans la région de Montignac, qu’il connaissait du fait de son séjour au camp du Sablou, en 1940. Comme « électricien du camp », il avait rendu des services à la population, et noué des relations utiles.

C’est alors qu’il choisit et retint, à Fanlac, la ferme inoccupée de l’Espicerie (deux étages, quatre grandes salles), que les propriétaires, septuagénaires, laissèrent à la disposition des FTP. Il fut nommé directeur de l’école, ayant en charge la direction politique et administrative, avec pour adjoint et responsable militaire Francisco Coy, ancien commandant de l’armée républicaine espagnole, qui prit le pseudonyme de Dubois, et fut, à la Libération, le colonel Dubois.

La formation, destinée à faire de futurs officiers, était nécessairement sommaire, et comportait des échecs. Elle était donnée sous forme de stages, à partir de juillet 1943, à raison d’une quinzaine de stagiaires par « promotion » et pour une durée d’environ trois semaines.

Les éléments trop évidemment inadaptés étaient renvoyés et affectés à des tâches ne comportant pas de responsabilités. Cette formation comportait l’apprentissage des règles élémentaires de sécurité, des règles élémentaires à observer dans les opérations (repli, etc.), le maniement des armes susceptibles d’être utilisées (fusils, explosifs, etc.).

Au retour d’une mission de transport d’explosifs et d’uniformes allemands de Fanlac à Périgueux, destinés à des attaques, à Périgueux, contre la police allemande, le service du STO (Service du travail obligatoire en Allemagne) et la Banque de France, Charles Lahousse tomba inanimé dans la forêt Barade et fut relevé par M. Bouix, hébergé chez Albert Lajoie au Boz-de-Plazac ; sur ordre du Dr Raymond, médecin à Montignac et médecin de la Résistance (il fut par la suite arrêté et déporté) il fut évacué sur le service de santé clandestin de Limoges et soigné par le Dr Nises, dit Jérôme.

Rétabli, il fut affecté à Limoges à l’appareil éditorial interrégional des FTP, le « Service P » : propagande, édition de tracts, puis direction, rédaction et diffusion d’un organe interrégional des FTP, le Combat des patriotes. Il installa une imprimerie clandestine dans une maison à Panazol, près de Limoges. Il fut hébergé de novembre 1943 à juin 1944 chez Mme Paroutaud, 72 quai Militaire à Limoges, où était installée également une ronéo.

Un rapport d’activité du service P pour mai-juin 1944 signale, pour juin, le tirage de 7 000 tracts destinés aux gendarmes, 9 500 tracts d’un « Appel à la population », 10 000 tracts sur les atrocités d’Oradour, 500 exemplaires d’instructions militaires aux détachements. En juillet 1944, le Combat des Patriotes était tiré à 30 000 exemplaires.

Toujours en juillet 1944, Charles Lahousse participa aux combats de la Jonchère et dirigea le combat de Puy-Courty.

A la Libération, il fut chargé du service de l’Information de la 12e Région militaire par le Général commandant la région, avec le grade de commandant (chef de bataillon). Il fut mis en congé de l’armée en janvier 1945 « en raison de son état de santé ». Dans la réserve, il fut homologué capitaine le 7 février 1946.

Du fait de la Résistance, Charles Lahousse était titulaire d’un certain nombre de distinctions honorifiques : médaille de la Résistance avec rosette, Croix de guerre avec étoile d’argent, médaille de l’internement, Croix du combattant volontaire de la Résistance.

Au début de l’année 1945, il revint à Bordeaux où il fut appelé à la direction de La Gironde Populaire, quotidien des régions communistes du Sud-Ouest. La Gironde Populaire avait été, avant la guerre, l’organe de la région girondine du Parti communiste : organe hebdomadaire, puis bi-hebdomadaire, avec cinq pages le samedi.

Charles Lahousse y avait alors contribué, avec Léo Pichon, qu’il retrouva dans la nouvelle rédaction, Léo Pichon qui avait connu comme lui la prison de Saint-Martin-de-Ré, le camp de Saint-Paul-d’Eyjeaux, puis la déportation au camp de Djelfa, en Algérie ; il y retrouva également Jean Basile, qui avait suivi le même itinéraire.

Les deux quotidiens « collaborateurs » de Bordeaux, La Petite Gironde, et La France, furent remplacés à la Libération par deux titres « nouveaux », Sud-Ouest et La Nouvelle République de Bordeaux et du Sud-Ouest, en fait simple « habillage » des quotidiens interdits, avec les mêmes locaux et les mêmes personnels, à l’exception de quelques individus trop compromis.

La presse de la Résistance eut le plus grand mal à se faire une place. La Gironde Populaire obtint, le 12 septembre 1944 son impression, comme quotidien, sur les presses de l’ancienne France, dont La Nouvelle République s’était attribué le personnel et les locaux. L’administrateur séquestré de La France délégua ses pouvoirs au directeur de La Nouvelle République, dont dépendait la Gironde Populaire qui n’obtint son autonomie qu’en décembre 1945.

Le numéro 1 (14 septembre 1944) fut tiré à 50 000 exemplaires (une page recto-verso), mais par la suite le tirage fut réduit à 25 000 exemplaires, alors que La Nouvelle République tirait à 130 000 exemplaires. Les contingents de papier étaient attribués par la Préfecture.

Charles Lahousse occupa les fonctions de directeur de La Gironde Populaire, publiée par la « Société de presse et d’éditions des régions communistes du Sud-Ouest », dont il fut le gérant, du 15 janvier 1945 au 30 septembre 1946. Début janvier 1945 (du 1er au 6) le tirage moyen était de 18 400 exemplaires : du 14 au 18 mai, le tirage moyen atteignit 22 824 exemplaires, 32 580 avec les exemplaires diffusés par les CDH (Comités de défense de l’Humanité, pratiquant la vente militante). Diffusée dans l’ensemble des départements du Sud-Ouest, La Gironde Populaire comportait six éditions (Gironde, Dordogne, Charente, etc.). En juin 1945, Charles Lahousse fut élu membre du comité régional (départemental) de la Gironde du Parti communiste français, puis membre du bureau régional. Lors des premières élections municipales de 1945, il fut élu conseiller municipal de Bordeaux. Le 21 octobre 1945, il fut élu député de la Gironde à l’Assemblée Nationale Constituante. En Gironde, la liste communiste a eu trois élus : Marc Dupuy, cheminot, membre du bureau politique, Renée Reyraud, ancienne déportée, et lui-même. Il remplit ce mandat jusqu’au 10 juin 1946.

Le parcours politique de Charles Lahousse fut brutalement interrompu en septembre 1946. Il fut démis de ses fonctions de directeur de La Gironde Populaire. C’est une décision venue d’en haut. Elle n’était assortie d’aucune explication. Son état de santé était invoqué mais ce n’était pas la cause de ce « limogeage ». Un ancien collaborateur de La Gironde Populaire, A. Antoine, lui écrivit, de Courbevoie, en date du 24 septembre 1946 : « Mon cher patron, A l’instant j’apprends ta maladie et ton éviction de La Gironde Populaire... Il y a cause et effet entre ton départ du journal et le mal qui te cloue au lit... ».

Sa maladie fut annoncée dans le journal et Charles Lahousse reçut des lettres lui exprimant des vœux de rétablissement (lettre du 24 septembre de la cellule des marins et du « Marrakech »).

Sur les causes réelles de l’éviction de Charles Lahousse, nous n’avons pu trouver aucune explication venant de ceux qui ont pris la décision. Nous n’avons que sa version recueillie le 24 juillet 1985 : selon lui, elle serait la suite d’un conflit entre lui et Jean Dorval, administrateur de l’Humanité et qui contrôlait la presse communiste de province sur le plan financier ; Dorval lui aurait enjoint, pour faire des économies, de ne pas déclarer une partie du personnel, ce à quoi il se serait refusé. D’après lui, et il en était d’autant plus amer, son éviction lui avait été annoncée deux jours avant de lui être officiellement signifiée par le directeur de Sud-Ouest, Lemoine, qui était renseigné par la secrétaire de Dorval, qu’il connaissait personnellement. On lui offrit de conserver un emploi dans le journal qu’il avait dirigé, ce qu’il refusa.

D’aucune source, nous n’avons pu obtenir une autre version. L’ordre venait « d’en haut » ; il fut appliqué par la Fédération communiste de la Gironde.

Dans les papiers de Charles Lahousse, nous avons retrouvé le procès-verbal, en date du 10 octobre 1946, de la réunion de la SARL « Société de presse et d’éditions des régions communistes du Sud-Ouest », réunion qu’il présida et où il remit sa démission de gérant « étant donné son état de santé et conformément aux décisions du comité fédéral du PCF ». Il lui fut donné quitus de sa gestion, et un autre gérant fut nommé à sa place.

Charles Lahousse ne se remit jamais de cette éviction, qu’il considéra comme injustifiée.

Ces procédés « staliniens » étaient courants à cette époque. En 1958, Henri Chassaing, secrétaire régional avant-guerre, redevenu secrétaire fédéral à son retour à Bordeaux en janvier 1945, militant exemplaire s’il en fut, fut exclu du parti (exclusion annulée sur intervention personnelle de Maurice Thorez), puis « remis à la base », lors d’une conférence fédérale dirigée par André Marty, à la suite d’une affaire dans laquelle il n’était pour rien.

Charles Lahousse ne semble pas avoir rompu immédiatement avec le PCF : aux élections de 1947, il fut réélu conseiller municipal de Bordeaux. Dans ses archives, des procès-verbaux de réunions de cellules, et des correspondances avec le secrétaire fédéral Henri Chassaing datant de 1948, semblent indiquer qu’à cette date il était encore membre du parti.

D’octobre 1946 à fin juillet 1947, il était en arrêt maladie, maladie conséquence de son éviction, ou qui l’accompagne. En septembre 1947, il reprit son métier d’électricien, en créant une coopérative ouvrière, l’ » Électrification girondine », dont il était le directeur, du 1er septembre 1947 au 4 juillet 1950. En juillet 1950, il s’établit entrepreneur à son compte, et il le resta jusqu’au 3 décembre 1959. Il fut alors mis en faillite et tomba à nouveau malade (du 1er janvier 1960 au 28 février 1961).

Sa première union, contractée en 1930, n’a pas survécu à son emprisonnement. Elle se termina par un divorce, sans doute après la guerre.
Il se remaria à Bordeaux le 5 août 1948 avec Mauricette Fournier. Celle-ci avait déjà un enfant, Gérard-Albert, né le 21 février 1946, qu’il va légitimer. L’enfant, gravement malade, décéda le 1er février 1950. De ce deuxième mariage naquirent deux enfants, Maurice Charles, né le 10 juin 1949, et Claude Christiane, née le 27 février 1952. Ce mariage fut pas heureux et une procédure de divorce fut entamée dès 1957 (ordonnance de non-conciliation rendue le 15 octobre 1957).

À partir du 1er mars 1961, Charles Lahousse redevint salarié et travailla comme conducteur de travaux ou monteur électricien pour diverses entreprises de Bordeaux, Angoulême, Paris, Toulouse, chaque fois pour des chantiers se trouvant à Bordeaux, et pour des durées limitées par celles de ces chantiers. À plusieurs reprises, il fut à nouveau frappé par la maladie. Le 9 mai 1963, il fut victime d’un accident du travail (trois côtes cassées, contusion de la colonne vertébrale, et ses lunettes cassées). Il resta en arrêt de travail jusqu’au 5 août 1963. Peu après, une opération aux yeux, le 5 décembre 1963, le laissa presque aveugle (il était obligé de se faire lire sa correspondance et de dicter ses réponses). De 1963 à 1967, il fut constamment en arrêt maladie et il toucha à partir du 11 avril 1967 une pension d’invalidité. Il fut mis à la retraite d’office par la Sécurité sociale en 1970.

Il se remaria le 9 septembre 1967, à Villeneuve-sur-Lot, avec Jeanne Coudour. Il poursuivit son activité militante dans l’ANACR (Association nationale des anciens combattants de la Résistance), dont il fut vice-président départemental. A partir de 1968, il entretint une correspondance suivie avec Charles Tillon, ancien dirigeant national des FTP, qui lui rendra deux fois visite. Il participa à la création par Charles Tillon, fin 1983, de l’association « Mémoire et histoire des Francs-Tireurs et Partisans », dont le secrétaire était Roger Pannequin.

Ses dernières années furent durement éprouvées par son état de santé. Lorsque nous l’avons vu et interviewé chez lui le 25 juillet 1985, il venait de sortir de l’hôpital après plusieurs mois de séjour, « contre toute attente ». Il avait eu successivement deux fractures du col du fémur (une à chaque jambe) et une crise d’urémie. Il était en « hospitalisation à domicile », ne pouvait pratiquement pas marcher et pesait 42 kilos. Mais sa lucidité était intacte. Il devait survivre à cette épreuve et s’éteindre trois ans plus tard à l’hôpital Saint-André à Bordeaux, le 26 février 1988.

Pour citer cet article :
https://maitron.fr/spip.php?article89579, notice LAHOUSSE Charles, Albert. Pseudonyme de Résistance : CLÉMENT par Jean Suret-Canale, version mise en ligne le 6 octobre 2010, dernière modification le 17 mars 2022.

Par Jean Suret-Canale

SOURCES : Arch. Nat. F7/13116. — Arch. Dép. Gironde, 1 M 531, 532, 534, 535, 537, 540, 543. — État civil de Lille. — Archives personnelles de Charles Lahousse, aimablement communiquées par sa veuve, Mme Jeanne Lahousse. — Jean Cavignac, « Notes biographiques sur les militants communistes en Gironde dans l’Entre-deux-guerres », Bulletin de l’IAES., n° 40/41, 1982/1983. — Interview accordée à Georgette Suret-Canale, née Lamargot, et à Jean Suret-Canale, en contribution à l’élaboration de l’ouvrage collectif : Francs-Tireurs et Partisans français en Dordogne, Tulle, Imprimerie Maugein, 1990. — Charles Tillon, On chantait rouge, Robert laffont, 1977. — RGASPI, 495 270 4957, dossier à son nom au Komintern, pas encore consulté.

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