GRÜNBERG Carl

Par Georges Haupt

Né le 10 février 1861 à Focsani (Roumanie), mort en 1940 à Francfort- sur-le-Main ; professeur à l’Université de Vienne ; historien du socialisme ; économiste ; sociologue ; fondateur de l’institut de Recherches sociales de Francfort.

Carl Grünberg joua un rôle déterminant et souvent encore négligé dans la promotion des études scientifiques sur l’histoire du socialisme de même que dans le développement de la pensée marxiste et des sciences humaines en général, par ses travaux, par sa personnalité, par ses approches méthodologiques interdisciplinaires, ses initiatives et ses réalisations organisationnelles. Il est issu d’une famille de commerçants et d’artisans juifs qui lors du premier partage de la Pologne en 1772 avaient fui les pogromes de Galicie et s’étaient installés en Moldavie. Son père mourut en 1865. Carl passa brillamment son baccalauréat au lycée allemand de Czernowitz en Bukovine appartenant alors à l’Empire austro-hongrois. II se rendit à Vienne avec son frère Sigmund pour s’inscrire à la faculté de droit de l’Université. Pendant ses études, il gagna de quoi subvenir à ses besoins et à ceux de son frère qui devint plus tard maître de conférences à l’École supérieure de Commerce international de l’Université de Vienne. En mars 1886, Grünberg passa son doctorat en droit et devint clerc. En 1890, il réussit dans d’excellentes conditions son examen d’avocat, mais il n’exerça que peu de temps, n’étant pas assez riche pour s’acheter un cabinet. Il préféra devenir magistrat et resta dans la magistrature jusqu’en 1901. Parallèlement, il poursuivit ses recherches scientifiques et, à partir de 1888, il publia régulièrement de nombreux travaux qui portaient sur la question agraire, l’histoire du socialisme et la politique sociale.
Au cours de ses études, il subit d’abord l’influence de Lorenz von Stein qui éveilla son intérêt pour les problèmes du socialisme. Mais ce fut surtout Anton Menger, professeur de droit et représentant du socialisme de la chaire qui fut son maître, et Grünberg resta toute sa vie très proche de lui malgré d’importantes divergences d’opinions. Enfin, sa formation scientifique fut profondément marquée par Georg Friedrich Knapp, professeur d’économie politique à l’Université de Strasbourg, sous la direction duquel il commença en 1890 ses recherches sur l’histoire et les réformes agraires en Bohême, en Bosnie-Herzégovine, en Roumanie où il fit un voyage d’études en 1917, et en Russie soviétique.
Tout jeune encore, il commença à jouer un rôle actif dans la vie intellectuelle de la capitale de l’Autriche et à promouvoir des directions de recherche alors d’avant-garde ; Il fonda en 1893, avec Stephan Bauer, E. Szanto et Ludo Moritz Hartmann, la Zeitschrift für Wirtschafts- und Sozialgeschichte (Revue d’histoire économique et sociale). En 1910, il commença à publier le fameux périodique Archiv für die Geschichte des Sozialismus und der Arbeiterbewegung (Archives pour l’histoire du socialisme et du mouvement ouvrier) connu sous le nom de Grünberg- Archiv (Archives Grünberg). Cette revue comptait parmi ses collaborateurs tous ceux qui, à l’époque ou plus tard, ont eu un nom dans l’histoire du marxisme ou dans l’histoire sociale : de Max Adler et Mehring à Lukacs et Korsch. Il exposa ainsi la conception qui constitua le fondement interdisciplinaire de cette entreprise : « La spécialisation croissante, même de la recherche en sciences sociales, rend la vue d’ensemble, l’appropriation et le résumé de leurs résultats de plus en plus inaccessibles... En tant que carrefour de disciplines complémentaires et par une stricte délimitation concomitante des différents domaines d’étude, [les revues spécialisées] facilitent également les activités créatrices et réceptives... Ces Archives ne veulent servir ni une conception définie du monde, ni une direction scientifique particulière, ni même une quelconque opinion de parti... Éclairer le [socialisme et le mouvement ouvrier] sous tous les angles, les fixer dans leurs formes variables dans le temps et dans l’espace, en expliquer les causes à leur juste valeur présentent des difficultés qui ne peuvent être surmontées par le travail isolé de quelques-uns ».
Mais la réputation internationale dont jouissait Grünberg était également due à son enseignement et à ses initiatives d’organisateur. Chargé de cours de 1894 à 1899, il fut alors nommé maître de conférences et, dix ans plus tard, il fut nommé professeur à la chaire d’économie dont il fit une chaire d’histoire et de théorie du socialisme. Il fut ainsi le premier « marxiste de la chaire » dans une université de langue allemande. Ses cours et ses séminaires ont été fréquentés non seulement par des centaines d’étudiants, mais aussi par tous ceux qui jouèrent un rôle dans la vie intellectuelle socialiste. Max Adler, Otto Bauer, Rudolf Hilferding, Karl Renner, Robert Danneberg, Friedrich Adler, Gustav Eckstein, Julius Tandler, Julius Deutsch, Käthe Leichter et bien d’autres ont suivi ses cours ou ont été ses élèves à l’Université de Vienne. Même après la guerre, « le séminaire de Grünberg jouissait de la réputation du centre regroupant des étudiants marxistes » (Turok).
Doué d’une grande force de travail, Grünberg assuma en outre d’innombrables tâches administratives. En 1906, après la mort d’Anton Menger, il devint administrateur de la fondation créée par ce dernier (Fondation Menger), bibliothèque et institution spécialisées en économie politique et en histoire sociale dans le cadre de laquelle Riazanov effectua, à l’époque, ses recherches sur la Première Internationale. En 1919, Otto Glœckel, secrétaire d’État social-démocrate à l’Éducation, lui confia, outre les chaires d’histoire économique moderne et d’économie politique, la direction de l’institut des sciences politiques et il fut nommé doyen de la faculté de droit.
Il quitta Vienne en 1924 pour l’Université de Francfort où on créa pour lui un Institut de recherches sociales. Une congestion cérébrale qui le laissa paralysé le contraignit en 1928 à mettre un terme à son activité à la tête de cet institut qui devint célèbre à travers le monde sous le nom d’École de Francfort. La direction en fut reprise par Max Horckheimer sur le plan scientifique et par Fritz Pollack sur le plan administratif. A l’occasion du 70e anniversaire de Grünberg, ses élèves et ses amis publièrent des Mélanges (Festschrift für Carl Grünberg) dans l’esprit de ses Archives. Son institut fut fermé après la prise du pouvoir par les nazis. Ses deux fils, Ernst et Karl, émigrèrent. Sa femme Hilda les suivit après la mort de son mari.

Pour citer cet article :
https://maitron.fr/spip.php?article197461, notice GRÜNBERG Carl par Georges Haupt, version mise en ligne le 28 novembre 2017, dernière modification le 19 novembre 2018.

Par Georges Haupt

ŒUVRES : Der Dienstoertrag im Entwurf eines bürgerlichen Gesetzbuches für das deutsche Reich (Le Contrat de travail dans un projet de Code civil pour le Reich allemand), Vienne, 1889. — Einige Beiträge zur Entwicklungsgeschichte des modernen Sozialismus (Quelques apports à l’Histoire du développement du socialisme moderne), Tübingen, 1891. — Idem, Paris, 1891. — Die Bauernbefreiung und die Außcesung des gutsherrlich-bäuerlichen Verhältnisses in Bœhmen, Mähren und Schlesien 1680-1848 (La Libération des paysans et la dissolution des rapports féodaux en Bohême, en Moravie et en Silésie), Leipzig, 1893, 2 vol. —Die Grundentlastung (La Décharge foncière) Vienne, 1893. — Sozialismus, Kommunismus, Anarchismus (Socialisme, communisme, anarchisme), Iéna, 1897, 103 p. — Der sozialpolitischen Gehalt der œsterreichischen Civilgesetzgebung (Le Contenu sociopolitique de la législation civile autrichienne), Vienne, 1900. — Studie zur œsterreichischen Agrargeschichte (Etudes sur l’Histoire agraire autrichienne), Leipzig, 1901. — Studien zur Sozial, Wirtschafts- und Verwaltungsgeschichte (Etudes sur l’Histoire sociale, économique et administrative), Vienne. — Die handelspolitischen Beziehungen Œsterreich-Ungarns zu den Ländern an der unteren Donau (Relations commerciales de l’Autriche-Hongrie avec les pays du bas Danube), Leipzig, 1902. — Bauten auf fremden Grund, Beitrag zur Würdigung des Erbbaurechtes (Construire sur le terrain d’autrui... Dossiers de la Société autrichienne pour la protection des travailleurs), Vienne, 1903. — Sozialismus und Kommunismus (Socialisme et communisme), Iéna, 1907. — Die Agrarverfassung und das Grundent-lastungsproblem in Bosnien und der Herzegowina (La Constitution agraire et le problème de la décharge foncière en Bosnie-Herzegovine), Leipzig, 1911, — Anton Menger, sein Leben, sein Lebenswerk (Anton Menger, sa vie, son oeuvre), 1911. — Die Internationale und der Weltkrieg. Vor dem Kriege und während der ersten Kriegwochen (L’Internationale et la guerre mondiale. Avant la guerre et pendant les premières semaines de guerre), Leipzig, 1916, 316 p. — Die sozialistische Volkswehr an Stelle des stehendes Kasernenheeres (L’armée populaire socialiste au lieu de l’armée de caserne permanente), Berlin, 1919. — Das Grundgesetz der russischen Sowjetrepublik (La Loi fondamentale de la République soviétique de Russie), Leipzig, 1919. — Die Londoner Kommunistische Zeitschrift und andere Urkunden aus den Jahren 1847-1848. Die Entstehungsgeschichte des Kommunistischen Manifest (La Revue communiste de Londres et autres documents des années 1847-1848. La genèse du Manifeste communiste), Leipzig, 1921. — Londoner kommunistische Zeitschrift, das Hauptwerk des Sozialismus in der Sozialpolitik (La Revue communiste de Londres, l’œuvre principale du socialisme dans la politique sociale), Leipzig, 1921. — « Agrarverfassung », in : Grundriss der Sozialœkonomik (« Constitution agraire », in : Esquisse des rapports sociaux de production), Tübingen, 1922. — Festrede (Discours d’inauguration de l’institut de recherches sociales à l’Université de Francfort-sur-le-Main), 24 juin 1924. — Was geht im kollektivierten Sowjetdorf vor ? (Que se passe-t-il dans le village soviétique collectivisé ?) Berlin, 1931. —Helden der Arbeit, aus dem Leben und Wirken der Helden unserer Zeit berichtet Carl Grûnberg (Héros du travail ; Carl Grünberg rapporte la vie et l’œuvre des héros de notre temps), Berlin, 1951, — Archiv für Geschichte des Sozialismus und der Arbeiterbewegung (Archives d’Histoire du socialisme et du mouvement ouvrier), en collaboration avec des spécialistes de tous les pays. Leipzig, vol. I (1910) ; vol. XV (1930).

SOURCES : Lettre à Karl Kautsky, 3 janvier 1920, Institut international d’Histoire sociale, Amsterdam. — Dossiers de l’institut de recherches sociales à l’Université de Francfort-sur-le-Main, Leipzig. — Günter Nenning, Carl Gränberg. Hinweis auf sein Werk und seine Zeit (Carl Grünberg, aperçu sur son œuvre et sur son temps), préface à la réédition photomécanique des Grünberg Archiv, 1966.

rebonds ?
Les rebonds proposent trois biographies choisies aléatoirement en fonction de similarités thématiques (dictionnaires), chronologiques (périodes), géographiques (département) et socioprofessionnelles.
Version imprimable