MARTY André [Dictionnaire Algérie]

Par René Gallissot

Né le 6 novembre 1886 à Perpignan (Pyrénées-Orientales, France), mort le 23 novembre 1956 à Toulouse ; ingénieur mécanicien de la Marine nationale, « mutin de la mer noire » (1919), emprisonné et réemprisonné pour des déclarations anti-patriotiques et anticolonialistes (contre la guerre du Rif) totalisant sept ans et demi de prison entre 1919 et 1931 ; député communiste depuis 1924, entré au Comité central du PC en 1925, au Bureau politique en 1931 ; membre de l’exécutif puis secrétaire de l’IC de 1935 à 1943 ; responsable des Brigades internationales en Espagne (1936-1938) ; après 1943 reste chargé de suivre les partis communistes d’Afrique du Nord ; à Alger d’octobre 1943 à septembre 1944, secrétaire de la Délégation du PCF auprès de la France libre ; exclu du PCF en janvier 1953.

À la naissance des frères Marty, André Marty a un frère cadet, Michel Marty, qui sera permanent communiste et travaillera pour l’IC, le père tient à Perpignan un café-hôtel-restaurant qui est un lieu de réunions politiques. Le père revenait d’Argentine où il s’était réfugié après avoir participé en 1870-1871 à la Commune de Narbonne. Ces garçons sont directement politisés ; les deux frères assistent à la révolte des vignerons du midi de la France qui prennent la préfecture de Perpignan le 20 juin 1907. André Marty est témoin aussi des mobilisations ouvrières à l’arsenal de Toulon. Il suit l’école de la marine, entre comme mécanicien et devient en 1917 officier ingénieur-mécanicien dans la marine militaire.
La flotte de guerre française de la Mer noire se trouve, en avril 1919, devant Odessa, face aux défenseurs de la révolution bolchevique de Russie ; la mutinerie des marins dont André Marty porte les revendications, arrête l’intervention militaire française. Le conseil de guerre condamne André Marty à vingt-cinq ans de travaux forcés et à la dégradation. Dès sa création en décembre 1920, le Parti communiste mène campagne pour sa libération et l’amnistie des mutins et le présente plusieurs fois à la députation. Élu mais invalidé, il sort un moment de prison en 1923 et donne formellement son adhésion au parti communiste qui la date rétroactivement de la mutinerie de 1919, faisant d’André Marty le premier communiste de la section français de l’IC. Il devient effectivement député de Seine-et-Oise en mai 1924 et entre au Comité central en janvier 1925. Il est chargé plus particulièrement de suivre le Secours rouge international. Condamné à six reprises pour propagande antimilitariste à l’époque de la guerre du Rif et de Syrie, il est plus souvent en prison qu’en liberté jusqu’à une suspension de peine prononcée en 1931.
Ses relations avec les dirigeants venant des JC qui sont à la direction du parti (groupe dit Barbé-Celor-Lozeray*) ne sont pas très bonnes ; mais les relations avec Marty sont toujours difficiles car il est colérique et autoritaire ; pour sa gloire de mutin de la Mer noire, il ne peut guère être écarté. Malgré ses griefs, il entre au Bureau politique du PC en 1929 ; après la mise à l’écart du groupe Barbé-Celor, il est d’autant plus renouvelé au BP qu’il est chargé de rapporter sur cette activité dénoncée comme fractionnelle. Il devient en effet le représentant de la Section française à l’Exécutif de l’IC. Il est de retour de Moscou en 1933 pour remplacer à la direction de L’Humanité, André Ferrat. Ce dernier, rescapé du groupe des Jeunesses, conserve la responsabilité de la Commission coloniale et va réorganiser en 1934 le Région communiste d’Algérie et envoyer en mission Jean Chaintron, Barthel.

André Marty n’a rien à voir dans ce domaine. Mais alors que la prééminence de M. Thorez s’affirme en France à la tête du PCF, en août 1935, le Congrès de l’IC qui passe du Front anti-impérialiste au Front populaire, fait entrer André Marty à son secrétariat pour seconder le secrétaire général Dimitrov, lui donnant une dimension internationale qui peut être supérieure. Or à l’IC, les partis des grandes métropoles coloniales ont en partage de suivre les communistes des colonies. André Marty, qui conserve des réflexes de classe acquis à la lutte classe contre classe, et des propensions activistes, n’en est pas moins scrupuleux et exigeant, voire expéditif ou extrême dans l’application de la ligne de l’Internationale, qui est donc à cette époque celle de Front populaire, très méfiante de l’internationalisme révolutionnaire qui est reproché à Trotsky.

Les missions peuvent être contradictoires ; c’est le cas dans la guerre d’Espagne qui est aussi Révolution ouvrière et paysanne mettant à mal les résolutions de Front uni. Responsable des Brigades internationales, on ne peut cependant charger André Marty, présenté comme le boucher d’Albacete (le siège du commandement communiste), de toutes les exécutions attribuées au camp communiste. « Les exécutions que j’ai ordonnées ne dépassent pas le nombre de cinq cent et toutes sont justifiées par la qualité criminelle des accusés ». Envoyé par l’IC, Palmiro Togliatti n’en demande pas moins à Marty « de changer radicalement ses méthodes de travail ».

Après le retrait des Brigades internationales, il se trouve passé les premières années de guerre en URSS défendant les positions de Staline, d’abord de refus de la guerre pour « son caractère impérialiste, anti-ouvrier et contre-révolutionnaire » (Lettre à Léon Blum du 5 septembre 1939, amplement diffusée), puis la stratégie de front national à partir de mai 1941 pour une mobilisation contre les puissances de l’Axe fasciste en une alliance des pays démocratiques. L’IC est formellement dissoute en mai 1943 ; André Marty n’en est pas moins envoyé en Afrique du Nord, suivre la relance des partis communistes. Il fait escale en Égypte, est reçu au Caire chez les Curiel, ce qui lui sera plus tard imputé à charge ainsi qu’à Henri Curiel, dans le procès stalinien que lui fera le PCF. Quand il arrive à Alger en octobre 1943, les orientations sont déjà déterminées ; il va peser plus sur le choix des dirigeants que sur la marche des partis.

Les députés communistes français détenus en Algérie et les cadres emprisonnés forment, à partir du printemps 1943, la Délégation du Parti communiste français auprès du Comité français de libération nationale qui constituera à l’automne le Gouvernement provisoire de la France ; Alger est donc la capitale de la France libre. Les communistes français sont représentés tant auprès du général Giraud que du général de Gaulle qui arrive à Alger à la fin mai seulement ; ils auront une belle place dans l’Assemblée consultative provisoire. François Billoux est à la tête de la Délégation du PCF, secondé par Étienne Fajon ; Roger Garaudy tient fréquemment le rôle de porte-parole. Ces dirigeants et des députés font des campagnes de propagande et de meetings pour aider à la réimplantation du PCA ; celle-ci se fait autant dire sous tutelle et endoctrinement communiste français, en particulier au nom de la thèse de 1939 de Maurice Thorez sur la nation algérienne en formation. Toute action algérienne est subordonnée à la libération de la France, à la victoire démocratique voire du socialisme en France métropolitaine ; la France reste la mère-patrie au nom de l’union du peuple de France et du peuple d’Algérie.

Le PCA se réorganise en effaçant ce qui s’est passé dans la lutte clandestine de 1940-1941 et l’appel à l’indépendance algérienne. Sous vigilance des dirigeants du PCF, la conférence de reconstitution du PCA se tient à Hussein-Dey près d’Alger, le 14 et 15 août 1943. Elle préside à une relance d’organisations de masses dans des Unions démocratiques, celle des jeunes, celle des femmes, jeunes ou femmes d’Algérie mais au sein des Unions démocratiques qui sont françaises et inscrites dans la mouvance internationale de Moscou ; l’appel premier est à la mobilisation dans l’armée française d’Afrique du Nord pour libérer la France et l’Europe. Avec l’arrivée de de Gaulle, les groupes gaullistes se joignent à la gauche de Front populaire et aux communistes, dans la Fédération de La France combattante dont la CGT fait partie. Par le nombre et la capacité militante, les communistes dominent ce mouvement qui ignore ou écarte la mobilisation proprement algérienne derrière le Manifeste algérien pour les libertés, lancé par Ferhat Abbas et porté par les nationalistes du PPA de Messali, toujours interdit. Au secrétariat du PCA, le premier représentant algérien est Larbi Bouhali laissant Amar Ouzegane en second.

À son arrivée en octobre 1943, André Marty prend en quelque sorte la relève de F. Billoux à la tête de la Délégation communiste ; il conserve son secrétariat dont fait partie, par exemple, Odette Laban et rien ne change sur le fond. Ses déterminations de lutte de classe ne l’aident pas à comprendre les questions nationales ; il passe au travers au nom de la guerre anti-impérialiste qu’il faut pousser à son terme par la victoire alliée ; à peine le discours est-il plus antifasciste que populiste patriotique français. Surtout A. Marty a ses têtes et ses bêtes noires ; par exemple un mauvais souvenir de Camille Larribère au temps du groupe Barbé, Célor, Lozeray* ; une défiance devant les hésitants et donc des choix qui se portent vers ceux qui montent au créneau.

Dans une école de formation du parti qu’il assure avec Étienne Fajon et Roger Garaudy, il s’en prend ainsi, en novembre 1943, à « la déviation nationaliste » de Maurice Laban ; sa femme qui assiste quitte le secrétariat de Marty. Plus encore, à la conférence des partis communistes d’Afrique du Nord qu’il réunit à Alger le 30 novembre 1943, il pousse le discours à la célébration de « l’union de la France et de l’empire » et au premier rang de la tribune, Amar Ouzegane qui s’attaque « aux pseudo-nationalites » qui font le jeu de Hitler. L’emballement est lancé à ne plus parler que de la France en disant libération nationale – c’était la critique de Laban – et de citoyens français dans la République nouvelle.

Les communistes collent à de Gaulle qui ne l’emporte sur Giraud que dans les derniers mois de 1943. Dans son discours de Constantine à la fin décembre 1943, celui-ci proclame bien tous les habitants d’Algérie citoyens français, mais en limitant les réformes et la participation des élus musulmans à la gestion locale. La discrimination par le statut musulman est appliquée par l’ordonnance du 7 mars 1944 constituant les deux collèges de représentation inégalitaire ; le collège que couramment l’on continue à appeler indigène, est élargi à quelques 65 000 « musulmans » suivant une quinzaine de catégories reprenant le projet Blum-Viollette. Certes, enfin, le code de l’indigénat est aboli. Les manifestations nationalistes répondent : « citoyens français non ; citoyens algériens, oui ». Lancé le 14 mars, le mouvement des Amis du Manifeste avec ses comités AML, devient un véritable mouvement de masses.
À la 2e conférence des PC d’Afrique du Nord que préside André Marty le 15 mai 1944, l’insistance va plus que jamais à la célébration de la France nouvelle et à « l’union totale de la France et des territoires d’Outrre-mer ». André Marty place au premier rang algérien du PCA Amar Ouzegane, qui présente le programme du PCA, fait de propositions sociales, à la Commission de réformes ouverte par le gouvernement provisoire et va conduire la campagne de réplique aux AML, par la formation de comités des Amis de la démocratie. À titre mineur, notons l’exclusion du PCA en mai 1944, de Lisette Vincent, témoin du PC clandestin de 1940 et condamnée à mort en 1942, cachant aussi des considérations d’ordre privé.

La délégation communiste française rentre à Paris à la suite du départ d’Alger pour la capitale libérée du gouvernement de Gaulle et de l’Assemblée consultative à la fin août 1944. André Marty part pour Paris le 3 septembre, mais revient le 23 septembre pour la Conférence du PCA qui met en place les organes du PCA. Le couple de communistes français Raymond et Henriette Neveu sont placés, lui au secrétariat de la région d’Alger du PCA, elle à la direction du journal Liberté. André Moine demeure en Algérie au secrétariat du parti aux côtés ou en intérim de Paul Cabarello* ; Léon Feix devient le délégué du PCF pour l’Afrique du Nord et Amar Ouzegane est confirmé comme premier secrétaire algérien. Certes dans une note à Maurice Thorez, André Marty exprime quelques craintes sur les emballements d’Amar Ouzegane. Effectivement celui-ci va pousser les propos très loin dans l’accusation de complot des nationalistes traités de fascistes, plaçant le PCA en porte-à-faux non sans quelques participations communistes aux milices coloniales, en Mai 1945 (manifestations du 1er et du 8 mai et terrible répression dans le Constantinois). Le PCA aura du mal à revenir en arrière, en soutenant toutefois la demande d’amnistie des condamnés d’après mai 1945, sans pouvoir effacer le contentieux devenu trop profond, avec les nationalistes du PPA de Messali.

À partir du printemps 1946, du fait du développement des luttes dans les pays colonisés particulièrement en Extrême-Orient, la stratégie soviétique ne repose plus seulement sur les fronts nationaux de guerre et d’après guerre, promus fronts démocratiques. Moins européocentrique, elle s’ouvre à faire une place aux évolutions nationales à l’intérieur des empires coloniaux, qui ne doivent cependant pas tomber sous hégémonie des États-Unis. Dans le cas impérial français, le mouvement communiste préconise le statut d’États associés à l’intérieur d’une Union française fédérative préservant de la menace américaine. Pour l’Afrique du Nord, André Marty se doit de corriger la ligne. Pour l’Algérie, la nécessité apparaît d’autant plus qu’avec le retour électoral des partisans de Ferhat Abbas, qu’en mai-juin 1946, le PCA perd ses élus sur suffrage très restreint en 1945. L’attention aux élections fait même croire que ce sont là, les raisons de la révision.

Or c’est aux trois PC d’Afrique du Nord qu’en juillet 1946 André Marty vient apporter les rectifications. Attaché au mot d’ordre d’État associé, il est possible de parler d’aspirations nationales, de front démocratique pour négocier les réformes de statut. En Algérie, Amar Ouzegane est rendu responsable d’avoir poussé à l’outrance le discours antinationaliste. Certes l’autorité de Marty s’impose ; cependant après son départ, Ouzegane ne réunit plus le Comité central pendant six mois. André Marty revient établir le nouvel ordre hiérarchique au congrès du PCA en avril 1947 ; Larbi Bouhali est confirmé premier secrétaire, et A. Ouzegane ne vient plus qu’en 3e ; il ne sera exclu qu’à la fin décembre 1947. A. Marty a accepté l’entrée de Maurice Laban au Comité central ; plus tard, il saluera Lisette Vincent en s’écriant : « Voilà notre grande camarade Lisette Vincent » la faisant présider un meeting. Au congrès du PCA en 1949, il encourage l’algérianisation de la direction. Il est encore présent au congrès de février 1952, poursuivant l’algérianisation ; M. Laban n’est plus au Comité central, mais Laïd Lamrani, son camarade de Batna, y entre, sous-entendu à sa place.

Depuis 1947, la garde des proches de Maurice Thorez fait glisser André Marty vers des rôles qui ne sont plus guère qu’honorifiques, tout en lui conservant ses titres. Le procès à l’intérieur du PCF se monte progressivement au long de l’année 1952 ; il se précipite en septembre pour devenir par amalgame, l’affaire Marty-Tillon, mettant en cause à travers le chef des FTPF, les temps de la Résistance clandestine en France. André Marty est exclu en janvier 1953. Dans ce procès de Moscou à Paris (formule de Charles Tillon), son pilotage du communisme en Algérie n’a guère de part ; l’incidence est plus explicite dans les accusations impliquant Henri Curiel. Il est au reste difficile d’imputer à Marty, par-delà ses coups de colère, la voie suivie en Algérie, qui relève des orientations stratégiques de Moscou ; il ne fut pas le plus redondant dans l’exaltation patriotique française ni dans le discours assimilationniste.

Pour citer cet article :
https://maitron.fr/spip.php?article162044, notice MARTY André [Dictionnaire Algérie] par René Gallissot, version mise en ligne le 1er août 2014, dernière modification le 1er août 2014.

Par René Gallissot

SOURCES : Arch publiques françaises, arch. « Marty », Centre de recherches, rue Malher, Paris, arch. IRM (PCF, Paris), arch. IC, RGASPI, biographies et bibliographie citées dans notices par J. Maitron et C. Pennetier, DBMOF, op. cit. , t. 36, et Kominform : l’histoire et les hommes. Dictionnaire biographique de l’Internationale communiste, L’Atelier, Paris, 2001.

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