La fondation du parti communiste japonais et les partis prolétariens légaux

Après avoir connu une situation de quasi-asphyxie causée par la vague de répression qui suivit l’Affaire du complot de lèse-majesté, — l’« ère d’hiver » — le mouvement socialiste reprit lui aussi une nouvelle vie et recommença à se développer. Dans un premier temps, l’influence de l’anarcho-syndicalisme propagé par ŌSUGI Sakae (1885-1923) fut prédominante, mais le marxisme-léninisme commençait à gagner un nombre croissant de partisans parmi les ouvriers et les intellectuels.
Les différents courants socialistes réussirent à s’unir pour former en décembre 1920 la Fédération socialiste du Japon (Nihon shakaishugi dōmei) ; mais les dissensions internes entre anarchistes et marxistes s’aggravèrent et la Fédération socialiste fut dissoute par les autorités gouvernementales dès le mois de mai de l’année suivante.
En juillet 1922, avec l’aide du Comintern et de KATAYAMA Sen, le Parti communiste japonais fut constitué comme Section japonaise du Comintern. Le Parti communiste insistait sur la spécificité japonaise des conditions de libération des travailleurs, à commencer par la classe ouvrière, de l’oppression de classe. La révolution socialiste ne pourrait avoir lieu qu’après le parachèvement de la révolution démocratique bourgeoise, c’est-à-dire le renversement du système impérial absolutiste ; le P.C.J. proclamait également son opposition aux guerres impérialistes et son attachement au principe de libération des peuples opprimés des colonies.
Les autorités au pouvoir le réduisirent bientôt par une vague d’arrestations, en juin 1923, au quasi-anéantissement : c’est ce que l’on appelle la Première affaire du Parti communiste.
En outre, le 1er septembre 1923, survint le grand tremblement de terre du Kantō qui causa de terribles dommages dans la région de Tōkyō et de Yokohama principalement. Profitant de la période de troubles sociaux qui s’ensuivit, les classes dominantes se livrèrent à des actes de terreur blanche : massacre de plus de 6 000 Coréens résidant au Japon, assassinat de 9 militants ou dirigeants, tel KAWAI Yoshitora (le premier président de la Fédération des jeunesses communistes fondée en avril 1923), du syndicat ouvrier le plus combatif, l’Association du travail de Nankatsu (Nankatsu rōdō kai) — (cette affaire est connue sous le nom d’Affaire de Kameido, du nom du poste de police dans lequel elle se déroula) ; enfin, liquidation du dirigeant le plus important du mouvement anarcho-syndicaliste ŌSUGI Sakae et de sa femme ITŌ Noe. Devant les coups répétés de répression dont il était l’objet, les cadres du Parti communiste décidèrent de le dissoudre ; mais quelques irréductibles entreprirent sous la direction du Comintern de le reconstruire, et c’est ainsi que le IIIe Congrès réuni en décembre 1926 proclama la reconstitution du Parti communiste japonais. Placé sous la surveillance du gouvernement impérial, frappé d’illégalité, il fut contraint pendant vingt-trois ans — jusqu’à l’automne 1945 — de mener une existence d’organisation secrète.
Au cours de la session parlementaire de 1925, deux nouvelles lois furent mises au point : la Loi sur le suffrage universel des hommes et la Loi sur le maintien de l’ordre. Tout en ne constituant qu’une réponse imparfaite aux revendications déjà anciennes des ouvriers, des paysans et des petits bourgeois, la Loi sur le suffrage universel, abolissant le système antérieur basé sur des critères de richesse, accordait le droit de vote à tous les hommes âgés de plus de vingt-cinq ans sans autre discrimination. On assista bientôt à la naissance d’un mouvement pour la constitution d’un parti prolétarien légal destiné à faire passer dans la réalité cette extension des droits politiques nouveaux des couches laborieuses. C’est ainsi que fut fondé en décembre 1925 le Parti des paysans et des ouvriers (Nōmin rōdōtō) qui fut immédiatement interdit sous le prétexte qu’il subissait l’influence du Parti communiste clandestin.
Cependant, les tenants d’un parti prolétarien légal ne s’avouèrent pas vaincus. Ils constituèrent un nouveau parti en mars de l’année suivante, le Parti des ouvriers et des paysans (Rōdō nōmintō, encore appelé parfois Rōnōtō) ; mais quand ce parti se lança dans l’action, les éléments de droite provoquèrent des scissions successives, arguant que cette action était trop orientée à gauche ; c’est ainsi que, dans le courant de cette même année, l’aile droite forma le Parti socialiste du peuple (Shakai minshūtō ou Shamintō) et le centre, le Parti ouvriers-paysans japonais (Nihon rōnōtō ou Nichirotō). De plus, d’autres éléments de droite avaient entre temps fondé le Parti des paysans japonais (Nihon nōmintō). La vie de ces partis prolétariens légaux devait être marquée à l’avenir de nombreuses fusions et aussi de nombreuses scissions.
Parallèlement au fractionnement des partis d’obédience socialiste, le mouvement syndicaliste ouvrier fut également en proie aux divisions. C’est ainsi que les travaux pour une unification du front ouvrier au Congrès de constitution d’une Union générale des syndicats ouvriers du Japon (Nihon rōdō kumiai sōrengō) ne purent aboutir à cause de l’opposition entre les anarcho-syndicalistes et les partisans de la Fédération générale japonaise du travail ou Sōdōmei. Centre vital du mouvement syndicaliste ouvrier (trente mille adhérents), la Sōdōmei elle­ même se trouva en butte aux dissensions internes qui opposaient son bureau directeur aux militants communistes de base : cette situation déboucha sur la rupture et l’aile gauche de la Sōdōmei fonda en mai 1925 le Conseil des syndicats ouvriers japonais (Nihon rōdō kumiai hyōgikai ou Hyōgikai) qui représentait alors 32 syndicats et 12 500 syndiqués. Ensuite, ce fut le centre qui se sépara de la Sōdōmei pour constituer en décembre 1926 la Fédération des syndicats ouvriers du Japon (Nihon rōdo kumiai dōmei ou Kumiai dōmei). Entre-temps, le Conseil des syndicats ouvriers japonais (Hyōgikai) était devenu, sous la direction du Parti communiste clandestin, la centrale syndicale la plus combative.
C’est ainsi que la grande grève de l’imprimerie Kyodo à Tōkyō, qui fut organisée par le Conseil des syndicats (Hyōgikai), devint célèbre et servit de cadre au roman Taiyō no nai machi (Ville sans soleil) de l’ouvrier­ écrivain TOKUNAGA Sunao (cette œuvre, représentative de la littérature prolétarienne japonaise, a non seulement été traduite en plusieurs langues, mais elle est également devenue une pièce de théâtre et un film).
La Loi sur le maintien de l’ordre qui avait été adoptée par la Diète en 1925, pour contrebalancer la Loi sur le suffrage universel, avait pour objectif déclaré le contrôle du mouvement communiste ; mais quand elle entra en vigueur, on s’aperçut que son champ d’application englobait non seulement communistes et socialistes, mais encore libéraux et même croyants ou pacifistes ; c’est ainsi que, pendant vingt ans, jusqu’à son abrogation après la défaite, en octobre 1945, plus de 75 000 personnes furent arrêtées et déférées au Parquet pour infraction à cette loi ; parmi celles-ci, plus de 5 000 furent inculpées. Nombreux furent les révolutionnaires qui succombèrent aux tortures de la police spéciale, à commencer par l’écrivain KOBAYASHI Takiji ; nombreux furent également les militants qui moururent en prison, la santé ruinée par les mauvais traitements, tel ICHIKAWA Shōichi, enfin nombreux furent les professeurs d’université exclus de l’enseignement pour être tombés sous le coup de cette loi, comme le docteur KAWAKAMI Hajime. La Loi sur le maintien de l’ordre (connue également sous son surnom significatif de « Loi sur les pensées dangereuses ») constitua un instrument infaillible pour la restriction de la liberté de pensée et de la science.

Pour citer cet article :
https://maitron.fr/spip.php?article236703, notice La fondation du parti communiste japonais et les partis prolétariens légaux, version mise en ligne le 29 juillet 2022, dernière modification le 13 juillet 2022.
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