PIQUEMAL Jacques, Jean, Michel [alias « Biscaye », pseudonyme de Résistance]

Par André Balent

Né le 10 avril 1912 à Montesquieu (Pyrénées-Orientales), mort le10 juillet 1997 à Cabestany (Pyrénées-Orientales) ; agriculteur à Céret (Pyrénées-Orientales) puis militaire de carrière et agent immobilier à Céret ; militant communiste ; volontaire en Espagne républicaine ; résistant (Combat, Libération-Sud, MUR), membre de réseaux de renseignement et de passage vers l’Espagne, l’un des passeurs les plus remarquables des Pyrénées-Orientales pendant la Seconde Guerre mondiale.

Le père de Jacques Piquemal, Jean, âgé de trente-cinq en 1912 était cultivateur à Montesquieu, commune de l’Albère, frontalière avec l’Espagne. Sa mère, Catherine Justafré, « ménagère », avait vingt-cinq ans en 1912. À la suite de la mort de son père pendant la Première Guerre mondiale, Jacques Piquemal fut déclaré « pupille de la nation » par décision du tribunal civil de Céret du 19 septembre 1919.

Dans beaucoup de publications ayant évoqué l’action de Jacques Piquemal entre 1936 et 1945 (Émilienne Eychenne, Georges Sentis, références citées dans les sources de la présente notice), son patronyme a été orthographié « Picamal ». Ce fut vraisemblablement Camille Fourquet qui fut à l’origine de cette erreur. En effet, l’ancien président du CDL et premier correspondant départemental du comité d’histoire de la Seconde Guerre mondiale a rédigé une note substantielle concernant le résistant et passeur émérite cérétan. Ceux qui ont évoqué son action résistante pendant la Seconde Guerre mondiale, ont le plus souvent ignoré sa trajectoire militante antérieure, pourtant peu banale.

Jacques Piquemal passa sa jeunesse à Céret au point d’être considéré comme étant originaire de cette sous-préfecture, petite capitale du Vallespir. Il vécut dans les hauts de Céret, au mas Biscaye que son oncle (le frère de son père) avait acheté et dont le nom lui servit de pseudonyme pendant la clandestinité. Après son service militaire, il était connu pour son militantisme de gauche, qui s’épanouit lors de l’essor du Front populaire. Nous ignorons s’il adhéra au Parti communiste avant juillet 1936. Lors du déclenchement de la guerre civile espagnole, il décida, avec deux amis de Céret, commune frontalière avec l’Espagne, de participer à la lutte des opposants au coup d’État militaire.

En effet, avec Jean Costa et Jean Darné, il se dirigea par chemin de fer vers Barcelone, via Cerbère (Pyrénées-Orientales), quelques jours après que les militaires eurent échoué dans leur tentative de coup d’État à Barcelone et en Catalogne. Le 23 juillet 1936, Piquemal et ses deux amis s’engagèrent dans les milices antifascistes de Catalogne. Le 23 juillet 1936, ils furent affectés à la « colonne » destinée à reconquérir l’île de Majorque où le coup d’État avait triomphé. Cette expédition décidée par le gouvernement de la Generalitat était commandée par un officier d’aviation loyaliste, Albert Bayo Giroud qui avant le coup d’État, commandait l’aéronautique navale de Barcelone. Mais l’expédition de Majorque n’était soutenue que très formellement par le Comité central des Milices antifascistes de Catalogne préoccupé par l’offensive en Aragon et n’avait pas l’approbation du gouvernement de la République à Madrid. Les effectifs de, la « colonne » étaient formés d’environ 8000 hommes (3000 du PSUC (communiste), 2000 d’Estat català, accompagnés de miliciens de l’Esquerra et d’Acció catalana, quelques adhérents de la CNT et de la FAI et enfin de trois « centuries » de volontaires étrangers (Français, Polonais, Italiens, Britanniques, Sud-Américains) parmi lesquels quelques athlètes des Olympiades populaires de Barcelone. La colonne de Bayo reçut le renfort de celle, venue de Valence et commandée par Manuel Uribarri, qui occupa le 7 août la plus méridionale des Baléares, Formentera.

La centurie à laquelle furent affectés les trois Cérétans comprenait principalement des Français et des Argentins. Elle fut envoyée d’abord à Minorque, la seule des îles Baléares restée sous contrôle de la République après le coup d’État, avec le paquebot « Marquès de Comillas » transformé en navire-hôpital.

Le 16 août 1936, la colonne barcelonaise de Bayo quitta Minorque et débarqua à Majorque, sur le territoire de la commune de Manacor, à proximité de Punta Amer et du village de Portocristo. Après des succès initiaux, elle se heurta à une vive résistance des rebelles, bientôt appuyés par l’aviation italienne. Les pertes des assaillants furent nombreuses. Lorsque Jean Darné fut tué le 1er septembre 1936 par une balle ennemie, à proximité de Portocristo, Jacques Piquemal, d’après son témoignage se trouvait à ses côtés. Dans la nuit du 4 au 5 septembre 1936, la colonne se retira, embarquant pour retourner à Barcelone. Nous ignorons ce que firent Piquemal et Costa dans les jours qui suivirent leur débarquement à dans la capitale catalane.

À l’automne 1936, Piquemal maintenant parfaitement identifié comme militant du PC, devint un des passeurs cérétans les plus actifs du Comité d’aide à l’Espagne républicaine. Avec Jean Paloma, Michel Bordet, Jean Guisset il passait du matériel pour les républicains ainsi que des volontaires des Brigades internationales (Voir Lacoste André, Gendre André).

Nous ignorons comment réagit Piquemal face au pacte germano-soviétique. Après la défaite de 1940, bien que faisant partie du noyau communiste clandestin de Céret (Voir Bouix Isidore, Paloma Jean, Py Sylvestre), il adhéra également la résistance non communiste de cette ville, en l’occurrence le mouvement Combat animé localement par Pierre Mau. Par la suite, comme Mau, il intégra Libération-Sud puis les MUR. À Céret, toutefois, les deux résistances, communiste et non communiste travaillèrent de concert, du moins après juin 1941. Il y eut localement, fait probablement unique en France, osmose entre MUR et FN, AS et FTPF.

En mars 1942, Piquemal reprit ses activités de passeur pour le compte de Libération-Sud qui mit en place le réseau de passage et de renseignements Brutus, animé localement par Joseph Rous [de Puyvalador] (voir aussi Mayneris Marcel, Vidal Gabriel). Il fut rapidement amené à collaborer avec plusieurs réseaux pour lesquels il fit passer des fugitifs vers l’esapgne, miltaires alliés ou candidats à l’intégration aux FFL puis, à partir de 1943, aux forces françaises d’Afrique du Nord. Il fut un agent du réseau Mithidate avec Joseph Rous [de Puyvalador], Henri Durrieu de Madron, Jean Coste, du réseau des Travaux ruraux (antenne Vallespir) avec François Dabouzi de Las Illas, le docteur Georges Baillat de Perpignan, de François Albafouille (un gendarme de la brigade de Céret), de Noël Figueres et de Jean Coste, les deux derniers militants socialistes SFIO de Céret. Il travailla aussi pour l’Intelligence service britannique. Afin d’effectuer ses passages, il réactiva des itinéraires qu’il avait empruntés pour le passage des volontaires de Brigades internationales (par le pic del Bolaric et Fontfreda, à la limite des communes de Céret et de Las Illas, et de là, vers l’Espagne par les Salines ; ou encore par Reynés ou Las Illas, avec différentes possibilités de pénétration en territoire espagnol). Il devint le « chef » des passeurs cérétans. Il lui fallait environ cinq heures de marche pour atteindre la frontière et revenir à Céret. Souvent, l’itinéraire aller et retour était plus long puisqu’il prenait en charge les candidats au passage en Espagne à une quinzaine de kilomètres de Céret, à Fourques (Pyrénées-Orientales) où ils avaient passé la nuit. De là, par Céret — une cachette, (la presó, « prison » en catalan) était spécialement aménagée dans le pailler du mas Biscaye pour les fugitifs candidats au passage en Espagne — , Las Illas ou Reynés, ils les conduisait à Maçanet de Cabrenys, commune espagnole limitrophe de Céret et de Las Illas. Là ils étaient pris en charge et conduits jusqu’à Barcelone. Soupçonnant que la police allemande avait découvert, dès la fin de 1942, son activité de passeur, il l’interrompit momentanément et la reprit avec encore davantage d’intensité, dès la fin janvier 1943. À partir d’avril 1943, il fit passer en Espagne des réfractaires du STO désireux de gagner l’Afrique du Nord. Beaucoup d’entre eux étaient d’ailleurs originaires de Céret (Voir Vile Pierre), cette commune étant celle qui frournit le plus grand contingent, par rapport à sa population, aux « Évadés de France ». Piquemal, quant à lui, en fit passer environ 340, de Céret ou d’ailleurs. À Céret, cas peut-être unique, les résistants communistes (FN, FTPF) et non communistes (MUR, AS) collaborèrent et travaillèrent de façon unitaire, y compris au plan organisationnel. Ainsi, Pierre Bardagué, alias « Jo » — un communiste cérétan qui avait participé entre 1936 et 1939 aux actions du Comité cérétan pour l’Espagne républicaine, en particulier au passage des volontaires pour les Brigades internationales — collabora avec Piquemal dans le cadre du réseau Mithridate. Ce fut avec Bardagué, aussi, qu’il créa en juin 1943 à la mine de fer désaffectée de la Pinosa (commune de Valmanya, Conflent, dans le massif du Canigou) un maquis avec six réfractaires au STO qui ne put prospérer du fait des difficultés de ravitaillement. Piquemal les fit passer en Espagne. Les passages présentaient parfois de grandes difficultés. Ainsi, d’après Émilienne Eychenne, « Picamal (sic), la gloire de Céret », traina et porta « dans la montagne un homme amputé d’une jambe et recherché par la Gestapo ».

Piquemal savait que les Allemands le surveillaient de près. Il décida donc de se rendre à Barcelone au « consulat bis » de la France libre à Barcelone, carrer Muntaner, afin de rejoindre les FFL. Il quitta Céret le 7 juillet 1943 et gagna Barcelone à pied en évitant les contrôles et sachant qu’il pouvait compter sur tout un réseau de complicités, celui de sa filière d’évasion. Il arriva à bon port le 14 juillet. On le dissuada de rejoindre l’Afrique du Nord et les autorités consulaires le persuadèrent de travailler pour un réseau de renseignements. Deux mois plus tard, les lignes filière « Jésus » et « Patrie » étaient en place et tous les quinze jours, Piquemal effectuait la liaison entre Barcelone et Perpignan en acheminant des courriers confidentiels. Tout ceci, en même temps que le travail pour Mithridate qu’il poursuivit en parallèle. En octobre 1943, de retour de Perpignan, il confondit la gare de Llagostera avec celle de Caldes de Malavella (ligne Cerbère-Barcelone) et étant endormi fut arrêté, le 15, par deux gardes civils. Détenu à Figueres, il fut torturé par les services secrets de l’armée espagnole. Transféré à Madrid, il y resta détenu pendant trois semaines. Pendant son transfert ferroviaire de Madrid à Barcelone, il réussit à sauter du train peu avant Barcelone (20 janvier 1944). Il se fit accueillir dans une maison amie et put ensuite gagner sans encombre le « consulat bis » de Barcelone. De là, il fut envoyé en mission de renseignements à Toulouse (Haute-Garonne). Au mois de mai, il gagna clandestinement Céret où il se cacha quelque temps. Remarqué par la gendarmerie, il gagna le « maquis 44 », implanté à Saint-Marsal et Prunet-et-Belpuig — dans les Hautes Aspres, sur les contreforts du Canigou — par une résistance cérétane qui avait réussi à unifier AS et FTPF.

Le 19 août 1944, il participa avec le maquis 44 qui faisait mouvement vers Céret depuis son quartier général du mas Cremat pour l’attaque d’une colonne allemande au pont du Vilar, près de Reynès (Voir Gandia Rafael, Mau Pierre).

Après la guerre, Piquemal prit ses distances avec le PCF. Il fit une carrière de militaire professionnel, participant aux opérations en Indochine. Il eut une fille, Anne-Marie, avec une femme originaire du Laos qu’il reconnut et qui vécut par la suite avec lui à Céret. Jacques Piquemal se maria le 1er août 1955 à Vientiane (Laos) avec Jeannine Xicola, originaire de Céret. Il ouvrit une agence immobilière (« Studio 13 » dans cette ville. Il se retira ensuite au mas Biscaye, isolé dans la forêt, dans les « Hauts » de Céret.

Dans les années 1970 et au début des années 1980, il adhéra un moment au PS.

Une rue de Céret qui porte son nom honore son activité clandestine de passeur émérite. Elle a été inaugurée en 2012.

Pour citer cet article :
https://maitron.fr/spip.php?article161724, notice PIQUEMAL Jacques, Jean, Michel [alias « Biscaye », pseudonyme de Résistance] par André Balent, version mise en ligne le 11 août 2014, dernière modification le 18 septembre 2022.

Par André Balent

SOURCES : Arch. com. Montesquieu, état civil, acte de naissance et mentions marginales. — Émilienne Eychenne, Les portes de la liberté. Le franchissement clandestin de la frontière espagnole dans les Pyrénées-Orientales de 1939 à 1945, Toulouse, Privat, 285 p. [pp. 86, 216, 227]. — Camille Fourquet, Le Roussillon, sous la botte nazie, tapuscrit inédit, 1965, 208 p. [en particulier, en annexe, p. 188, « Un valeureux passeur, Picamal »]. — Ramon Gual, Jean Larrieu, Vichy, l’occupation nazie et la Résistance catalane, II a, Els Alemanys fa (pas massa) temps, Prades, Terra Nostra, p. 200 ; II b, De la Résistance à la Libération, Prades, Terra Nostra, pp. 428, 514, 580, 587. — Ferran Sánchez Agustí, Espías, contrabando, maquis y evasión la II Guerra Mundial en los Pirineos, Lérida, Editorial Milenio, 2003, 303 p. [p. 81]. — Georges Sentis, Les communistes et la Résistance dans les Pyrénées-Orientales, tome 2, Le difficile combat vers la libération nationale novembre 1942 – août 1944, Perpignan, Marxisme / Régions, 1985, 174 p. [p. 27, p. 95, note 3] ; Les communistes et la Résistance dans les Pyrénées-Orientales. Biographies, Lille, Marxisme / Régions, 1994, 182 p. [p. 152] ; Habitants des Pyrénées-Orientales combattants des Brigades internationales & milices antifascistes, Perpignan, Marxisme / Régions, 2011, 48 p. [pp. 4-6 récit de la participation de trois Cérétans à l’expédition de Majorque en août-septembre 1936, d’après le témoignage de Jacques Piquemal recueilli par Georges Sentis, pp. 31, p. 37]. — L’Indépendant, Perpignan, 9 mai 2012. — Entretien avec Miquel Arnaudiés, Céret, 9 juillet 2014. — Entretien téléphonique avec Miquel Arnaudiés (Céret), 18 juillet 2014. — Entretiens téléphoniques avec Alain Piquemal (mas Biscaye, Céret), cousin de Jacques, 26 juillet et 11 août 2014 ; avec la mère d’Alain Piquemal, née Daunis.

ICONOGRAPHIE : Gual & Larrieu, op. cit., 1998, p. 580 ; p. 586, banquet de la vitoire du « maquis 44 » au mas Cremat (commune de Prunet-et-Bellpuig), photo de groupe peu après la Libération.

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