BARBÉ Henri

Par Jean Maitron, Claude Pennetier

Né le 14 mars 1902 à Paris (Xe arr.), mort le 24 mai 1966 à Paris (XVe arr.) ; ouvrier métallurgiste puis permanent politique à partir de 1925 ; membre du comité central du Parti communiste (1925-1931) ; membre du bureau politique (1927-1931) et du secrétariat (1930-1931) ; relevé de ses responsabilités en août 1931 avec Pierre Celor ; exclu en 1934 ; maire adjoint de Saint-Denis (Seine, Seine-Saint-Denis) de 1929 à l’Occupation ; secrétaire général du Parti populaire français de Jacques Doriot (juin 1936-octobre 1939) ; secrétaire du Rassemblement national populaire de Marcel Déat et secrétaire général du Front révolutionnaire national en 1943 ; partisan de la "collaboration totale" ; animateurs des réseaux anticommunistes pendant la guerre froide.

Henri Barbé en 1928

Henri Barbé naquit d’une mère brodeuse et couturière à domicile, Marie Schmitt. Il fut légitimé, le 11 juillet 1903, par le mariage de sa mère avec Henri Barbé, ouvrier mécanicien à Montluçon (Allier) puis à Saint-Denis (Seine) où il devint, ainsi que sa femme, employé municipal. Il mourut en 1926. La sœur d’Henri Barbé était sténo-dactylo, elle adhéra au PC. Ses parents catholiques évoluèrent vers un athéisme militant sous l’influence des idées libertaires. Le jeune Henri, muni du Certificat d’études primaires en 1913, prépara l’examen des Bourses pour entrer à l’École professionnelle Diderot de Paris. La Première Guerre mondiale le fit renoncer à ses espoirs. Ses parents furent contraints de partir à Lyon (Rhône) où l’usine de mitrailleuses Hotchkiss s’installait. Il commença à travailler à l’âge de douze ans comme apprenti et fut employé chez Hotchkiss puis chez Berliet (automobiles) jusqu’en 1917. Devenu ouvrier tourneur mécanicien, il revint alors à Saint-Denis où il travailla comme ouvrier qualifié dans un grand nombre d’entreprises de la région parisienne, essentiellement dans trois branches : les usines d’armement (Hotchkiss, Delaunay-Belleville, Lorraine Dietrich), l’automobile (Chenard-et-Walker), le matériel ferroviaire (cabines d’aiguillage chez Martin). Il fut régulièrement renvoyé pour sa participation à des grèves politiques et économiques dans lesquelles il fut mêlé à des piquets de grève et à des batailles de rues contre la police et la gendarmerie de 1917 à 1920.

Henri Barbé avait donné en 1917 son adhésion au Parti socialiste et aux Jeunesses socialistes et devint membre de la direction de la section socialiste de Saint-Denis et dirigeant du groupe local de la JS ainsi que membre de son comité régional. De son propre aveu, le rôle culturel et sportif des Jeunesses l’avait dans un premier temps autant intéressé que la fonction politique (« Souvenirs », op. cit. p. 7). Il fut régisseur du groupe théâtral, tandis qu’un autre jeune ouvrier, Jacques Doriot* animait la section de boxe. Le principal dirigeant des Jeunesses socialistes dionysiennes était alors Henri Lozeray favorable au courant minoritaire. Lors de la grève de mai 1918, Henri Barbé eut un rôle « pratique et technique ». Dirigeant de l’organisation des fêtes en faveur des grévistes, il participa à ce titre aux réunions du comité de grève et acquit une solide expérience syndicale au cours des mouvements qui suivirent, en 1919, 1920, 1921. Secrétaire adjoint des Jeunesses socialistes locales, il devint un des responsables du Comité de la IIIe Internationale. Il assurait, en février 1921, le secrétariat adjoint du groupe des Jeunesses communistes, siégeait à la commission administrative de la section communiste et représentait les jeunes ouvriers au comité intersyndical.

Incorporé en mai 1922 au 151e régiment d’infanterie en garnison à Thionville (Moselle), il se fit inscrire au peloton de formation des caporaux, conformément aux consignes que lui avait donné son parti. Il fut nommé caporal en juillet, puis envoyé le mois suivant à Coblence (Rhénanie) où il accéda au grade de sergent, « affecté à l’armurerie ». Au cours d’une permission, Jacques Doriot, secrétaire général des Jeunesses communistes, lui demanda de faire partie des troupes d’occupation de la Rhénanie, en se faisant muter dans le service actif, pour organiser la fraternisation avec les travailleurs allemands. L’armée l’envoya dans la Ruhr et lui confia en particulier la surveillance d’un passage à niveau près de la rivière Lippe, qui constituait la ligne de démarcation entre l’Allemagne occupée et l’Allemagne libre. Il reçut Doriot dans son poste et conféra avec lui pendant plusieurs heures, sur l’action à mener dans ce secteur. En contact avec un instituteur allemand, dirigeant communiste du centre minier voisin, il laissa passer un grand nombre d’Allemands d’une zone à l’autre.

Henri Barbé revint en octobre 1923 du service militaire pourvu de la confiance de la direction des JC dont il avait suivi toutes les consignes, et, par chance, sans condamnation, son habileté l’ayant fait échapper à la répression. À la fin de l’année 1923, il prit la tête des Jeunesses communistes dionysiennes, en remplacement d’Henri Lozeray* appelé par Jacques Doriot à la fonction de trésorier national. Barbé travailla dans une usine d’outillage du XIe arr., chez Hotchkiss (10 juillet-25 novembre 1924) et à Gennevilliers dans une manufacture de roulements à bille. Aux côtés d’une section communiste divisée, déchirée, la JC dionysienne apparaissait comme « une force saine, homogène ». Les cent cinquante adhérents faisaient confiance à Barbé et Doriot plus qu’aux élus locaux Gaston Philippe et Émile Bestel, soupçonnés « d’ambitions sordides » malgré leur passé de lutte (Souvenirs, p. 39). Il réussit, pour les élections législatives de mai 1924, à imposer les noms de Jacques Doriot* et d’Émile Despoisses, et à obtenir que le secrétaire général des JC figurât en deuxième position de la liste du quatrième secteur de la Seine. Malgré les réticences de la direction adulte, Barbé aidé par quatre-vingts jeunes propagandistes mena une active campagne qui assura une nette victoire à Doriot, libéré quelques jours plus tard de prison.

À vingt-deux ans, Henri Barbé était le véritable animateur de la section communiste de Saint-Denis. Les portes des organismes dirigeants s’ouvrirent rapidement pour ce militant actif. En juin 1924, il entra à la direction régionale parisienne des JC. Il assista aux travaux du Ve congrès mondial, à Moscou, en août 1925, et fit partie de délégations reçues par Trotsky et par Staline (il retourna en URSS fin 1925 et au printemps 1926). En se rendant au Ve congrès de l’IC il fut arrêté, avec des camarades, en Allemagne à la frontière polonaise (passeports non en règle) et fut incarcéré trois semaines dans une prison allemande. À son retour, Doriot lui demanda de s’occuper de l’organisation régionale des Jeunesses communistes de Seine et Seine-et-Oise, comme permanent, rétribué 800 F par mois. Malgré l’opposition de son père et de quelques militants locaux, il accepta d’être un « révolutionnaire professionnel ». Barbé entra au comité central des JC en novembre 1924 puis organisa le quatrième congrès de l’Entente des JC de la Région parisienne, dont il sortit secrétaire à la lutte économique. En cette qualité, il présenta un rapport au congrès de la Fédération nationale le 16 décembre 1924. Il représenta, à la même époque, les Jeunes au secrétariat de l’Union des syndicats unitaires de la Région parisienne. Le quatrième congrès communiste, réuni à Clichy du 17 au 23 janvier 1925, l’élut pour la première fois au comité central (comme délégué de la JC) et à la commission syndicale mais, cette nouvelle promotion ne semble pas l’avoir marqué, car il ne l’évoqua pas dans ses « Souvenirs » alors qu’il signalait sa nomination, au printemps 1925, à la direction centrale de la Fédération des Jeunesses comme responsable de l’action économique et sociale. Cette accession aux plus hauts niveaux dans l’appareil n’était pas liée à une formation idéologique conséquente. Il disait en effet, dans son autobiographie de décembre 1931, n’avoir lu que « très rapidement et superficiellement » quelques textes de Marx, Engels, Lénine et un peu de Jules Guesde et Paul Lafargue. Le seul « travail littéraire » qu’il signalait était une étude sur la réorganisation militaire de la France parue en 1925 dans les Cahiers du Bolchevisme.

À ce poste, Henri Barbé fut mêlé à l’organisation de la campagne contre la guerre du Rif. Membre du Comité central d’action, il fit partie de la délégation communiste en Afrique du Nord aux mois d’août-septembre 1925. Doriot* et Lozeray* consacrant toute leur énergie à la direction du travail anticolonialiste, il fallut pourvoir à leur remplacement. La direction du Parti désigna Barbé au secrétariat des JC au début de l’année 1926. En juin de la même année il était élu, lors du 5e congrès de Lille, au comité central du PC. Comme tous les responsables de la Jeunesse, Barbé accumulait les inculpations pour « provocation de militaires à la désobéissance ». Il fut arrêté en 1925 dans l’action contre la guerre du Maroc à la porte des usines Panhard ainsi qu’à la veille de la grève du 11 octobre mais il fut relâché chaque fois au bout d’une journée. Les rapports de police signalaient quatre condamnations : 3 janvier 1927 (deux ans de prison), 28 mai 1927 (six mois), 8 octobre et 9 novembre 1927 (huit mois). Arrêté le 24 août 1927 (le 22 août selon son autobiographie), incarcéré à la Santé le lendemain, il en sortit le 7 janvier 1928 selon un rapport de police, le 16 février selon ses « Souvenirs » (janvier est confirmé dans son autobiographie de 1931), à la suite d’une remise de peine. Mais d’autres actions judiciaires étaient en cours. L’ensemble des condamnations pour la période 1926-1929 représentait dix-huit années de prison et 100 000 francs d’amendes. Au début de l’année, l’autorité militaire l’avait dégradé pour son action antimilitariste. Seule une élection au Parlement aurait pu lui éviter un nouveau séjour en prison ou la clandestinité. Candidat aux élections législatives des 22 et 29 avril 1928 dans la deuxième circonscription du XIVe arr. de Paris, il ne recueillit que 5 097 voix au premier tour (24,8 % des inscrits) et 5 678 (27,7 %) au second. Barbé menacé de treize ans de prison avait accepté de partir à Moscou, comme délégué de l’Internationale communiste des Jeunes. François Billoux*, son adjoint à la direction des Jeunesses avait fait campagne à sa place.

Le nom d’Henri Barbé et de son ami Pierre Celor* fut pendant longtemps associé à celui d’un « groupe » qui, utilisant la tactique « classe contre classe » définie par l’Internationale communiste, aurait, par une application sectaire, étroite, conduit à l’isolement et à l’affaiblissement du Parti communiste français entre 1928 et 1931. L’historiographie communiste parla de « groupe policier » avant d’abandonner à la fin des années 1970 la thèse d’un groupe fractionnel, unique responsable des difficultés du Parti.

Henri Barbé ne peut se voir attribuer la paternité de la politique « classe contre classe » discutée à la fin de l’année 1927 et approuvée, en son absence, par une conférence nationale le 30 janvier 1928. Les cadres des Jeunesses s’étaient prononcés en faveur du nouveau cours, se détachant ainsi de leur ancien chef, Jacques Doriot*. Barbé prit une autorité particulière au lendemain de l’échec électoral de mai 1928, lorsque le Komintern en fit l’artisan d’une refonte de la direction du parti. Il entra à l’Exécutif de l’ICJ et devint délégué du PCF auprès de l’Exécutif de l’IC, membre du Présidium et de son secrétariat, au congrès mondial de juillet-septembre 1928. Manouilski lui aurait alors demandé de renforcer le noyau des Jeunes communistes attachés à la politique de l’Internationale, pour coordonner leur action au sein du CC et du BP Ainsi prit forme le groupe de la Jeunesse, composé de tous les membres de la direction de la Fédération des Jeunesses (François Billoux, Ambroise Croizat, André Ferrat, Raymond Guyot, Eugène Galopin) et des anciens JC (Barbé, Pierre Celor*, Henri Lozeray*). Seul Doriot accusé « d’opportunisme » restait à l’écart. Ils se réunissaient chaque fois qu’il était nécessaire d’examiner les problèmes débattus dans les instances dirigeantes.

Lozeray et Celor en assuraient la direction en liaison constante avec Barbé qui suivait les cours de l’École léniniste internationale de Moscou. Les Jeunesses considéraient comme des amis et alliés Maurice Thorez, Benoît Frachon, Gaston Monmousseau, Pierre Semard qu’ils tenaient informés de leurs positions. Le noyau se fixait en particulier comme objectif de placer rapidement les meilleurs militants jeunes aux postes de direction, à Paris et en province.

Le sixième congrès communiste (auquel Barbé ne participa pas car, illégal, il était alors à Bruxelles au bureau clandestin du PC à l’étranger) réuni à Saint-Denis (31 mars-7 avril 1929) approuva la tactique « classe contre classe » et, à la demande de Semard, désigna un secrétariat collectif composé - par ordre de pouvoir réel - de Barbé (liaison avec l’Internationale communiste), Thorez (responsable politique), Frachon (responsable syndical), Celor (lutte antimilitariste, anticolonialiste et liaison avec les JC). La nouvelle direction développa les analyses politiques de la « troisième période » : radicalisation de la classe ouvrière, fascisation du pouvoir d’État, ralliement des socialistes au social-fascisme. Dans le Parti, l’épuration des organismes de direction et des journaux fut accompagnée d’une multiplication des exclusions, parfois sans fondement (voir par exemple la biographie de Jean Baby*). Molotov voyait dans le PCF à l’automne 1929 « une des meilleures sections de l’Internationale ». Mais les responsables du Komintern s’inquiétèrent de la chute des effectifs. Dès février 1930, ils se demandèrent s’ils n’avaient pas fait un faux pas en misant uniquement sur le groupe des Jeunes. Début mai, la délégation française devant l’Exécutif fut convoquée à Moscou pour entendre un rapport soulignant la baisse du nombre d’adhérents (55 000 en 1926, 39 000 au printemps 1930), la faiblesse de l’implantation dans la région parisienne et la perte de lecteurs de la presse communiste. Manouilski attribuait ces défauts, non à la politique de l’Internationale qui était « juste », mais à « une application insuffisante de cette ligne » ; il critiqua les « jeunes cadres » qui « apprennent la politique sur le dos du Parti » (L’Internationale communiste, n° 21, 20 juillet 1930). L’IC n’ayant pas d’équipe de relève donna mandat à la direction Barbé, Celor, Thorez de modifier radicalement la situation du Parti communiste français. Barbé, clandestin, ne pouvait pas reprendre les rênes de l’appareil. Ce fut à Maurice Thorez*, sorti depuis peu de prison et présent à Moscou, que revint la tâche de tirer le bilan de la situation du Parti devant le comité central des 17 et 18 juillet 1930. Thorez accéda au secrétariat général tandis que le bureau politique passait de dix-sept à huit membres : Barbé, Marcel Cachin*, Doriot, André Ferrat*, Gaston Monmousseau*, Pierre Semard*, Maurice Thorez*, Henri Lozeray*. Le « tournant » de juillet 1930 se limita à un léger réajustement sur l’analyse des possibilités révolutionnaires, la question syndicale et les rapports avec les travailleurs socialistes. Barbé, Celor, Thorez, Frachon participèrent, à Moscou, aux travaux du XIe Plénum du comité exécutif de l’Internationale d’avril 1931. Manouilski y dénonça « l’opportunisme pratique » des communistes français, « ne sachant ni suffisamment tenir compte de la menace de guerre, ni poser sérieusement, en bolcheviks, le problème de la conquête du pouvoir par le prolétariat » (Les Partis communistes et la crise du capitalisme, Les documents de l’Internationale). Barbé ne fut presque jamais cité, et son intervention autocritique, cantonnée aux seules questions revendicatives, ne répondit pas à la préoccupation majeure des dirigeants soviétiques : la défense de l’URSS. L’assurance de Thorez contrasta avec l’effacement de Barbé. Le secrétaire général quitta l’URSS confirmé dans son rôle de premier plan mais accompagné d’un « collège de direction » animé par le Tchèque Eugen Fried. En juillet 1931, Manouilski vint en personne à Paris demander l’élimination du groupe des Jeunesses accusé d’activités fractionnelles secrètes et de complot contre le Komintern. « L’affaire Barbé-Celor » commençait.

Manouilski, après avoir consulté Maurice Thorez* et André Marty*, obtint de Raymond Guyot* qu’il fasse son autocritique en dénonçant devant le bureau politique l’existence d’un groupe occulte. Selon les « Souvenirs » de Barbé, lors d’une réunion de juillet 1931, « Manouilski fit un court préambule dans lequel il affirma que l’Internationale alertée par divers membres de la direction du parti venait procéder à une enquête sur les agissements fractionnels d’un groupe qui entendait diriger le parti à l’insu de l’Internationale et des autres dirigeants du parti non membres du groupe ». R. Guyot accusa le groupe de préparer une espèce de rébellion contre la politique du Komintern et Thorez « s’efforça de faire du groupe le bouc émissaire de tout ce qui ne marchait pas dans le parti et sa direction [...]. Il expliqua aux membres du BP éberlués que lui, Thorez, avait appris l’existence du groupe grâce aux révélations de Raymond Guyot et de Manouilski ». Le comité central des 26-28 août 1931 concentra les attaques contre Barbé et Celor (écartés du BP). Furent blâmés Lozeray, Billoux, Claude Servet. Ferrat qui avait quitté le groupe en 1930, Guyot qui l’avait dénoncé, Eugène Galopin* et Louis Couteillhas* (seulement averti) échappèrent aux sanctions. Les hommes de confiance de Barbé dans les commissions et les régions ne furent pas cités. Leur destin dépendit de l’attitude qu’ils adoptèrent dans les mois suivants.

Henri Barbé, encore confiant dans l’Internationale, accepta de faire son autocritique puis de se rendre à Moscou avec Celor, en octobre 1931, pour étudier les problèmes posés par l’existence d’un soi-disant « provocateur « dans le noyau de la Jeunesse. C’est à ce moment que, sous le pseudonyme de J. Colona, Barbé rédigea une autobiographie, datée du 1er décembre 1931, où il donnait une version de cette « affaire du groupe ». Son autocritique ayant été publiée le 26 novembre, il faisait part de son éviction des instances dirigeantes (Présidium et CE) de l’IC. Il pensait que le CC du PC allait en faire autant pour ses fonctions en France. Il comptait encore compléter son autocritique par une « explication complète, devant le parti, des buts... du groupe ». - « C’est en rapport avec ces sanctions que la direction du Parti et de l’IC m’ont envoyé étudier à l’école léniniste ». Il donnait dans ce texte des informations bizarres sur la genèse du « groupe » qu’il faisait remonter aux débuts du PC puisque, selon lui, « ce groupe fractionnel... était constitué en vue de mener la lutte acharnée contre l’opportunisme de droite dans le parti... pour la ligne de l’IC contre... L.-O. Frossard, Boris Souvarine, Pierre Monatte, Albert Treint et aussi contre les résistances opportunistes (il ne cite ici aucun nom) à la tactique classe contre classe ». Pourquoi ce retour à toutes les crises depuis 1922 alors que c’est sans doute en 1927 que Manouilski met en place le centre clandestin ? Curieusement, le nom de Celor (son coaccusé), ni d’aucun autre membre du groupe, ne figurait dans son autobiographie. Il y affirmait seulement qu’un seul membre du groupe n’avait pas dissimulé son existence (allusion à Raymond Guyot* ?). Il se préparait d’ailleurs à cette date de tenter de convaincre Celor « d’avouer ». Barbé, interrogé sans trêve par les services de sécurité, serait sorti de cette épreuve ébranlé dans sa confiance pour Celor. Les deux dirigeants du noyau des jeunes différèrent toujours dans leur récit des semaines dramatiques de l’automne 1931. Il semble que Barbé, habilement préparé par les « enquêteurs », ait accepté d’être l’accusateur de son ami. le 8 mars 1932.
Plusieurs interprétations sur le sens de « l’affaire » se sont affrontées depuis cinquante ans. Personne ne retient plus la thèse du « groupe policier » qui d’ailleurs ne prit force dans le Parti communiste qu’en 1934. Il fallut attendre la publication en 1964 du Manuel d’histoire du PCF pour que le « groupe » redevienne « fractionnel ». Dans l’Humanité du 12 février 1980, Danielle Tartakowsky remit en cause la notion même de « groupe » : « Pourquoi qualifier de groupe une direction mise en place quelques mois plus tôt par l’Internationale ? Pourquoi jeter l’opprobre (on parlera bientôt de « groupe policier ») sur ce qui ne fut au terme du compte qu’un effet limité, inhérent à un parti qu’aucune pratique unifiante n’était venue doter d’une véritable direction homogène ? » D’après Barbé, l’Internationale communiste aurait reproché au noyau de la Jeunesse sa trop grande indépendance et sa relative indifférence à l’égard des luttes intérieures du Parti bolchevique. Le PCF aurait fait preuve de passivité à l’occasion des procès du « Parti industriel » (1930) et des Mencheviks (mars 1931). L’équipe des Jeunesses saisissant mal l’enjeu des affrontements au sommet de la direction soviétique ne sut pas apparaître comme un allié inconditionnel, capable d’accepter des changements de ligne politique. Les conditions de l’ascension et de la liquidation du « groupe » doivent être reliés aux différentes phases de la politique de l’Internationale (voir J.-P. Brunet, art. cit.). L’élimination de Barbé-Celor ne correspondait pas à un net changement de tactique. Elle fut surtout une invention « technique » du Komintern pour justifier l’abandon de la formule de direction collective, en faveur d’une direction unique de Thorez « aidé » de conseillers de l’IC Dans le même temps, jetant la suspicion sur les principaux responsables français, le Komintern légitimait la vigilance de Staline à la tête du Parti bolchevique.

Henri Barbé resta plusieurs mois à Moscou, où sa compagne Georgette Giraud, sténo-dactylo, qui était la fille d’un conseiller municipal communiste d’Ivry-sur-Seine (Seine, Val-de-Marne) et membre elle-même du PC après avoir été aux JC, le rejoignit en janvier 1932. De retour d’URSS vers octobre 1932, il légalisa sa situation militaire en se présentant au bureau de recrutement le 4 novembre. L’autorité militaire le recherchait pour « insoumission « depuis son absence à une période de réserve le 7 août 1928. Arrêté le 18 novembre 1932 et écroué à la prison du Cherche-Midi, il fut condamné le 13 janvier 1933, par le Tribunal militaire permanent de Paris à huit mois de prison et confirmé dans sa dégradation. Libéré le 29 mai 1933, il s’installa 42, rue du Landy à Saint-Denis et épousa Georgette Giraud le 24 juin.

Henri Barbé retrouva sa fonction de conseiller municipal de Saint-Denis. Il avait animé la campagne électorale de mai 1925, qui rendit la mairie au Parti communiste, mais n’ayant pas atteint les vingt-cinq ans, il ne put être candidat. Il entra au conseil le 5 mai 1929, démissionna avec l’ensemble des élus le 15 février 1930 et conserva son siège le 23 mars 1930, dans la municipalité dirigée par son ami de jeunesse et adversaire politique des années 1928-1931, Jacques Doriot*. Son autocritique puis son action à Saint-Denis et à la tête du rayon de Saint-Ouen firent entrer Barbé en grâce auprès de la direction. Jacques Duclos écrivit dans l’Humanité du 13 octobre 1932 : « Prenons, par exemple, le camarade Barbé, dirigeant du « groupe ». Il est clair que ce camarade, qui s’est particulièrement trompé, a su montrer depuis, par son travail et son attitude juste, en reconnaissant l’étendue de ses fautes et en commençant à les corriger, qu’il était un militant honnête et méritait la confiance du Parti. »

Henri Barbé participa aux côtés de Jacques Doriot* à la manifestation du 6 février (Rond-point des Champs-Élysées) et à celle du 9 février à la tête des ouvriers de Saint-Ouen. Le 12 février, il conduisit une colonne de deux mille manifestants de Saint-Ouen à Saint-Denis, où Doriot lança son mot d’ordre « Une seule classe ouvrière - une seule CGT - un seul parti ouvrier ». L’Humanité dénonça, le mois suivant, la nocivité des « débris du groupe Barbé « ralliés à l’opportunisme, à la social-démocratie. Après l’exclusion de Doriot le 27 juin 1934, Barbé prit la parole en sa faveur, le 5 juillet 1934, à Saint-Denis. Fin août, il intervint une dernière fois au nom du Parti communiste, pour défendre l’URSS et sa « politique de paix », dans un meeting de la section dionysienne des Amis de l’URSS. Exclu le 12 septembre 1934, Barbé fut l’objet de vives attaques. Un rapport du comité central paru dans les Cahiers du Bolchevisme du 15 septembre 1935, le présentait comme « l’ancien chef du groupe opportuniste sectaire Barbé-Celor, fondé par Doriot », puis l’accusait d’avoir précipité l’exclusion de Charles Auffray, maire de Clichy, des six conseillers municipaux de Paris (Jean Garchery, Louis Sellier, Louis Castellaz, Charles Joly, Camille Renault, Louis Gélis) et de Jules Lauze sans tenir compte des intérêts électoraux du Parti communiste.

Peu de temps après son exclusion du PCF, Barbé prit le secrétariat du « rayon majoritaire » de Saint-Denis. Premier adjoint de Saint-Denis à partir des élections municipales de mai 1935 et réélu à cette fonction en 1937, il s’affirma comme le principal collaborateur de Doriot dont il approuva le ralliement au fascisme. Le 28 juin 1936, naquit à Saint-Denis le Parti populaire français. Il siégea au bureau, comme secrétaire général, aux côtés des anciens communistes Marcel Marschall (trésorier), Paul Marion (propagande), Alexandre Abremski et Victor Arrighi. Il assurait également la vice-présidence de l’Union populaire de la Jeunesse française.

Pendant trois ans, il fut l’organisateur, un des orateurs et des responsables politiques du PPF. Sa mobilisation comme affecté spécial aux usines Renault, en qualité d’agent technique, lui permit de garder ses fonctions en août 1939. Mais, en octobre 1939, un brusque conflit, plus personnel que politique, l’opposa à Doriot. Avec quelques jeunes militants, il créa un comité de lutte anticommuniste puis fonda un Bureau d’études sociales. Désireux de s’engager dans la politique de collaboration sans renouer avec le PPF, Barbé entra au Rassemblement national populaire fondé par Marcel Déat en février 1941, et, fit partie de son secrétariat auprès de Georges Albertini qui voyait en lui « un animal politique de grande classe » (Rigoulot, op. cit.). Il devint secrétaire du Front révolutionnaire national lancé par le RNP. Il aurait alors travaillé pour le compte de Jean Le Can, ex-PPF, constructeur des abris sous-marins de Lorient. Par son intermédiaire, il se réconcilia avec Jacques Doriot* en octobre 1942, au moment où le PPF prenait le pas sur le RNP. Il ne quitta pas pour autant son organisation. Comprenant que le RNP avait échoué dans sa vocation de rassemblement des forces collaborationnistes, il fonda en février 1943 un Front révolutionnaire national, pour réunir dans l’action les groupes fascistes. Le comité de direction comprenait, outre Barbé (secrétaire général) deux anciens du mouvement ouvrier : Francis Desphelippon et Marcel Capron. Le Front organisa quelques meetings avant de disparaître. Le 5 juillet 1944, après l’assassinat de Philippe Henriot, Barbé signa la « Déclaration commune sur la situation politique » des organisations collaborationnistes, au nom du comité d’action des restaurants communautaires. Malgré la rupture d’octobre 1939, il semblait avoir conservé la confiance de Doriot qui envisagea de lui confier le ministère du Ravitaillement (il hésitait entre Barbé et François Chasseigne), dans son hypothétique gouvernement proposé aux Allemands le 6 août 1944.
Une interprète de la Kommandantur de Rennes déclara dans un interrogatoire :
"M. Barbé, ancien secrétaire de Torrès (lire Thorez) à Paris. Il a dénoncé tout ce qu’il savait quand il est venu une fois à Rennes. Il travaillait pour Hagen, chef du service de renseignement allemand de Paris. J’ai servi d’interprète. Barbé prétendait que Fernand Grenier, député communiste, qui s’était échappé du camp de Châteaubriant, s’était réfugié chez Michalowsky, demeurant à Rennes. Ce dernier a été interné plusieurs mois de ce chef. Il a été relâché ensuite par les Allemands et repris par Morellon."

Henri Barbé ne partit pas en Allemagne avec les principaux partisans de la « collaboration totale ». Arrêté, il purgea plusieurs années de prison. Il fut libéré en 1949. Il reprit son action anticommuniste avec les équipes des revues Est-Ouest (animée par Boris Souvarine*), Itinéraires (revue catholique créée en 1956) et donna au Figaro des articles signés XXX. Ayant trouvé la foi religieuse, il reçut le baptême catholique en 1951 et se réconcilia avec Pierre Celor* qui l’avait précédé dans la conversion. Il proclama alors que ses doutes sur le co-responsable du noyau de la Jeunesse étaient sans fondement. Son nom apparaît dans les rapports des renseignements généraux à l’occasion de l’affaire Marty en 1953. Toujours très hostile à celui-ci, il créa à son issu des comités de défense, avec l’aide de Claude Lavezzi, comités qui aggravèrent la situation de l’exclu, et permirent au lobby anticommuniste de jouer un rôle, où du moins de donner ce sentiment à leurs financeurs.

À l’enterrement religieux de Celor, en avril 1957, il se leva pour communier, à la surprise de l’assistance composée en partie d’anciens communistes. Henri Barbé mourut subitement le 24 novembre 1966 à la clinique Saint-Michel dans le XVe arr. de Paris. Ses obsèques religieuses eurent lieu le 27 mai 1966 à Maisonnisses (Creuse).

Pour citer cet article :
https://maitron.fr/spip.php?article15633, notice BARBÉ Henri par Jean Maitron, Claude Pennetier, version mise en ligne le 20 octobre 2008, dernière modification le 9 mai 2022.

Par Jean Maitron, Claude Pennetier

Henri Barbé en 1928

ŒUVRE : Classe contre classe. La question française au IXe Exécutif et au VIe congrès de l’IC, Paris, Bureau d’éditions, 1929. — Discours du comité central du 17 juillet 1930, Paris, secrétariat du Parti communiste, 1930. — Le Parti communiste français devant l’Internationale. Discours à la XIe session plénière du CE de l’IC, Bureau d’éditions, 1931. — « Pour la concentration de toutes les forces du Parti », L’Humanité, 1er octobre 1931. — « Maurice Thorez, fils du peuple. La Légende et la réalité », supplément du BEIPI, 1-15 juin 1953. — « Contribution à l’Histoire du Parti communiste français : « le groupe Barbé-Celor » (en collaboration avec Pierre Celor), Est-Ouest, 16-30 juin 1957, n° 176, 1-15 juillet 1957, n° 177. — « Souvenirs de militant et de dirigeant communiste », s.d., inédit.

SOURCES : Arch. Nat., F7/13103, 19 juin 1926, F7/13117, 31 juillet 1929. — Arch. Dép. Seine, DM3. — Arch. Jean Maitron. — La Révolution prolétarienne, n°s 3 et 4, mars — avril 1925. — L’Émancipation, mai 1929, mai 1935. — Journal de Saint-Denis, mai 1935. — L’Humanité, 1928-1932. — Cahiers du Bolchevisme, 15 septembre 1934. — Le Monde, 26 mai 1966. — Juvénal, 12 juin 1970. — Est-Ouest, 16-30 juin 1957, 16 au 16 mars 1969. — Congrès des syndicats CGTU de la Région parisienne, janvier 1926. — « Mémoires » d’Albert Vassart. — Louis Couturier, Les « grandes affaires » du Parti communiste français, Paris, 1972. — Philippe Robrieux, Maurice Thorez : Vie secrète et vie publique, Paris, 1975. — Victor Barthélémy, Du communisme au fascisme, Paris, 1978. — Jacques Varin, Jeunes comme J.C., tome I, Paris, 1975. — Henry Coston, Dictionnaire de la politique française, 1967. — Jean-Paul Brunet, thèse, op. cit. ; Saint-Denis la ville rouge, 1890-1939, Paris, 1980 ; « Une crise du Parti communiste français : L’affaire Barbé-Celor », Revue d’histoire moderne et contemporaine, juillet-septembre 1969. — Danielle Tartakowsky, « Le groupe Barbé-Celor », l’Humanité, 12 février 1980, p. 13. — Archives Komintern, Moscou, RGASPI, 495 27 7609. — Notes de René Lemarquis (intégration de l’apport des archives de Moscou). — Serge Wolikow, Le Parti communiste français et l’Internationale communiste (1925-1933), Thèse d’État, Paris-VIII, 1990. — Pierre Rigoulot, Georges Albertini, Socialiste, collaborateur, gaulliste, 2012, Perrin. — Renseignements communiqués par Kristian Hamon sur l’interrogatoire de Rennes.

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