échos d’histoire

Boris Souvarine, un itinéraire communiste collectif

À l’occasion de la parution d’un recueil de textes de Boris Souvarine, La Contre-révolution en marche, écrits politiques (1930-1934), Smolny, 2020, et alors que le centenaire du congrès de Tours s’approche, nous revenons sur une partie du parcours militant du principal auteur de la motion qui créa le Parti communiste en France.

Au début de l’année 1920, Boris Souvarine est militant du Parti socialiste SFIO. Il est surtout membre du Comité de la 3e Internationale, qui regroupe les adhérents de l’Internationale communiste en France. Souvarine en est l’un des dirigeants, avec l’instituteur Fernand Loriot et le syndicaliste révolutionnaire Pierre Monatte. Il crée son organe, le Bulletin communiste, dont le premier numéro est daté du 1er mars 1920 (mais en fait paru dès février).

Emprisonné de mai 1920 à mars 1921, c’est à la prison de la Santé à Paris qu’il coécrit la motion d’adhésion à l’Internationale communiste qui est adoptée en décembre 1920 au congrès socialiste de Tours. Devenu l’un des principaux dirigeants du Parti communiste, Souvarine y milite aux côtés de ses camarades du Comité de la 3e Internationale, y compris des amis qu’il connaît depuis longtemps comme Henri Suchet, qui s’occupe de la librairie de L’Humanité, et René Reynaud, gérant de plusieurs journaux communistes. En 1921, Boris Souvarine est élu à la direction de l’Internationale communiste.

Exclu du PC à l’été 1924 pour s’être opposé au tournant autoritaire imposé depuis Moscou (la « bolchevisation »), Souvarine reste communiste. Il fait reparaître le Bulletin communiste, comme « organe du communisme international », indépendant du PC et de l’Internationale communiste.

En janvier 1926, le comité de rédaction du Bulletin communiste s’étoffe : autour de Souvarine, on retrouve des militants communistes s’opposant à la bolchevisation comme Albrespy (qui avait participé à l’École communiste marxiste, supprimée par la bolchevisation), Georges Aucouturier (ancien rédacteur à L’Humanité), Marthe Bigot (qui avait dirigé la commission féminine du PC), l’ouvrier cimentier Boulidard, l’instituteur Henri Fulconis, l’ouvrière du textile Germaine Goujon, Roger Hagnauer (militant des JC emprisonné en 1923-1924), César Hattenberger (ancien administrateur de la Vie ouvrière), Berthe Joly (de Lyon), Pierre Kaan (ancien rédacteur à L’Humanité), le métallurgiste Albert Lemire, le chauffeur Georges Leroy (orateur au congrès de Tours et cofondateur du Comité des coopérateurs communistes), le chaudronnier A. Mahouy, Jeanne Maquarre (des Alpes-Maritimes), Jeanne Moulin (du Rhône), l’illustratrice Sarah Menant, l’antillais Camille Saint-Jacques, ou encore l’employé de commerce Jean-Jacques Soudeille, ainsi que Henri Suchet, déjà mentionné. Certains de ces militants sont mal connus – on ignore parfois même leur prénom.

Souvarine écrit également à cette période dans la revue La Révolution prolétarienne, où il retrouve Pierre Monatte, Fernand Loriot et Alfred Rosmer, tous exclus ou démissionnaires du PC pour les mêmes raisons que lui.

Souvarine transforme en 1930 son groupe d’opposition en un Cercle communiste démocratique, où on retrouve d’anciens militants du PC comme l’instituteur Louis Bouët, mais aussi des nouvelles générations comme Julien Coffinet. Ce Cercle « s’affirme démocratique, entendant par là particulièrement restaurer contre les faux communistes qui la nient et les faux socialistes qui la dégradent une notion inséparable de l’idée révolutionnaire ». Il s’oppose donc logiquement aux dirigeants de l’URSS, qui forment une « caste bureaucratique spoliatrice ».

En 1931, Souvarine fonde la revue La Critique sociale qui a entre autres pour collaborateurs Karl Korsch (ancien dirigeant du Parti communiste d’Allemagne), Lucien Laurat (ancien du Parti communiste d’Autriche), ou encore la syndicaliste et philosophe Simone Weil.

C’est dans ces années-là que Souvarine écrit son principal ouvrage, Staline, aperçu historique du bolchevisme, livre critique d’une très grande lucidité qui paraît en 1935 (réédité à plusieurs reprises par la suite, et toujours disponible de nos jours). Sa connaissance du russe et ses contacts lui permettent d’être très au courant de la condition réelle des travailleurs en URSS, très différente de ce que prétend la propagande officielle. Ainsi signale-t-il dans un article que « les Russes ayant des parents ou des amis à l’étranger leur demandent anxieusement de la farine, du riz, du saucisson », à une période où la famine en URSS est niée par la dictature stalinienne et par les partis qu’elle finance.

Dans ses articles de la période 1930-1934, aujourd’hui réunis en recueil, Souvarine constate que « la contre-révolution est partout en marche » : stalinisme, fascisme et nazisme. En mai 1933, il argumente en faveur du boycott économique de l’Allemagne nazie, idée notamment proposée par Robert Louzon dans La Révolution prolétarienne. Signant un appel pour la libération du communiste antistalinien Victor Serge, alors prisonnier en URSS, Souvarine se trouve aux côtés de son ami Pierre Pascal, qui avait été l’un des premiers français à s’être rallié aux bolcheviks en Russie. Plus largement, Souvarine alerte régulièrement sur la répression subie par des militants qu’il a côtoyé, comme le fondateur de l’Institut Marx-Engels David Riazanov, arrêté puis exécuté en URSS, mais il alerte aussi sur le sort de millions d’anonymes, ces « obscurs travailleurs, ouvriers ou paysans, sans notoriété ni soutien », qui sont déportés ou emprisonnés arbitrairement.

Le parcours politique de Boris Souvarine dans les années 1920 et 1930 fut donc bien collectif. Dans des organisations successives, il lutta aux côtés de nombreux militants et militantes de milieux différents, de générations différentes, mais rassemblés par une même conception d’un communisme démocratique et émancipateur, avant tout soucieux des conditions de vie des classes populaires.

Par Julien Chuzeville

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